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droit israelien,

Quel droit pour l’Etat d’Israël ? Réflexions sur le système juridique israélien, Pierre Lurçat

January 31 2019, 07:53am

Posted by Pierre Lurçat

 

“Et voici les lois que tu leur exposeras” (Exode 21). Le mot "Et" par lequel commence la parasha (lecture hebdomadaire de la Torah) que nous lirons samedi, Michpatim (“Les lois”) renferme un des problèmes les plus cruciaux qui divise la société israélienne aujourd'hui : celui du fondement du droit et par là même, du caractère – juif ou occidental – du système juridique israélien. Commentant ces mots qui introduisent la parashat Mishpatim, le grand commentateur Rachi explique en effet que ce vav implique un ajout à ce qui précède, ce dont il déduit que le droit civil, tout comme les Dix Commandements lus précédemment, a été proclamé au Sinaï. "Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l'autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhédrin près du Sanctuaire..." Ce qui veut dire, en d'autres termes, que le droit positif est d'origine transcendante, tout comme la morale, et que la Cour suprême d'Israël devrait siéger près du Temple reconstruit. Programme révolutionnaire ! Encore faudrait-il qu'elle applique le droit d'Israël, et pas le "Droit israélien"...

 

La Cour suprême d'Israël

 

Droit hébraïque et langue hébraïque

 

Dans son ouvrage monumental, Le droit hébraïque *, le juge Menahem Elon compare le destin qu'a connu le droit hébraïque à l'époque contemporaine à celui de la langue hébraïque. Cette dernière, on le sait, a été ressuscitée et est redevenue une langue parlée, en grande partie grâce à l'action d'Eliezer Ben Yehouda, pionnier de la renaissance de l'hébreu, qui consacra toute sa vie à cette tâche titanesque. Le droit hébraïque, de son côté, ne connut pas le même sort. Alors même que de nombreux penseurs, juristes et rabbins étaient convaincus que l'Etat d'Israël allait adopter comme système juridique le droit juif bimillénaire, l'histoire leur donna tort. Au lendemain de la Déclaration d'Indépendance du 14 mai 1948, une Ordonnance sur les pouvoirs publics et le droit fut promulguée, affirmant le principe de "continuité du droit" en vertu duquel le droit en vigueur en Palestine mandataire, à la veille de la création de l'Etat, continuait de s'appliquer.

 

En clair, cela signifiait que l'Etat d'Israël renaissant adoptait comme système juridique le droit applicable dans la Palestine sous mandat britannique, constitué de plusieurs strates dont les principales étaient le droit anglo-saxon et le droit ottoman. C'est sur ce socle hétéroclite que s'est construit le droit israélien, en tant que synthèse juridique originale. Ce n'est qu'en 1980 que fut définitivement coupé le "cordon ombilical" reliant le système juridique israélien au droit anglais. Mais on trouve encore - en creusant le système juridique israélien - des traces des occupants successifs de la terre d'Israël, et notamment celles de la présence turque et de la domination anglaise.

 

 

Et le droit hébraïque ? Aux yeux de l'observateur profane, il se réduit au seul statut personnel, et plus exactement au mariage et au divorce, soumis au droit de la Thora appliqué par les tribunaux rabbiniques. Encore cette compétence rabbinique est-elle contestée par de nombreux secteurs du public israélien, et remise en cause par l'activisme de la Cour suprême, qui tend à la diminuer de plus en plus... Le droit hébraïque est ainsi réduit à une véritable peau de chagrin. Cette situation paradoxale n'est pas le fruit d'une fatalité, mais celui des circonstances historiques et politiques qui ont présidé à l'avènement de l'Etat. Peut-être aussi le droit hébraïque n'a-t-il pas eu son Eliezer Ben Yehouda, contrairement à l'hébreu, qui a réussi à s'imposer face au yiddish (et à l'allemand), au terme d'une "guerre des langues" dont on a oublié aujourd'hui la virulence et les multiples péripéties.

 

 

Qu'est-ce que le droit hébraïque ?

 

Mais que désigne-t-on par l'expression de "droit hébraïque" ? S'agit-il du droit appliqué aujourd'hui par les tribunaux rabbiniques, en matière familiale principalement et aussi en matière civile - au sein des communautés juives orthodoxes qui refusent de porter leurs différends devant les tribunaux étatiques ? Ou peut-être s'agit-il du droit de la Torah, tel qu'il apparaît dans les cinq livres de la Bible, remplis de dispositions légales dont certaines paraissent au lecteur non averti tellement cruelles et anachroniques, comme la lapidation de la femme adultère ?

 

Menahem Elon z.l.

 

En réalité, pour citer le juge Menahem Elon, "lorsqu'on parle de droit hébraïque, on a tendance à oublier qu'il s'agit de près de 300 000 responsa connues ; d'un système de droit qui a été florissant pendant des siècles, en dépit du fait que le peuple juif était privé d'indépendance politique et de patrie... Il s'agit du système juridique le plus riche au monde, s'appliquant dans tous les domaines. On oublie aussi parfois que 80% du droit hébraïque traite de droit pénal, civil et constitutionnel, et 20% seulement de questions religieuses". Ce que nous disent Menahem Elon, et beaucoup d'autres spécialistes du même avis, c'est que le droit hébraïque n'est pas un simple vestige historique, ou un souvenir de la grandeur passée du peuple juif : il s'agit d'un véritable trésor culturel, qui fait la spécificité du peuple juif, et dont il peut légitimement s'enorgueillir. Malheureusement, au lieu d'être considéré comme tel, le droit hébraïque est victime de l'abandon et de l'ignorance, y compris parmi les spécialistes du droit en Israël. Comme l'explique Elon, "les juges ne connaissent tout simplement pas le droit hébraïque, pour la simple raison qu'ils ne l'ont pas étudié".

 

Et si le droit hébraïque devenait le droit de l'Etat d'Israël ?

 

Quelles seraient les conséquences de l'adoption du droit hébraïque comme droit positif de l'Etat d'Israël ? Cela nécessiterait évidemment un travail considérable de création juridique et de mise à jour de dispositions anciennes, pas toujours adaptées aux réalités économiques et sociales actuelles. Un tel travail est déjà entrepris par plusieurs institutions, qui œuvrent dans ce domaine en Israël. Au-delà des conséquences pratiques, découlant de modifications du droit existant dans plusieurs domaines importants, un tel bouleversement aurait surtout une importance symbolique : il signifierait que l'Etat d'Israël n'est pas un Etat purement occidental, ayant pour ambition de devenir la "Suisse" (ou le Hong Kong) du Moyen-Orient, mais bien un Etat juif, héritier et continuateur d'une tradition bimillénaire, dont le droit constitue un des aspects essentiels.

 

 

Une telle perspective fait peur à de nombreux Israéliens, qui considèrent le droit juif comme anachronique. Cette image négative doit beaucoup, il faut le reconnaître, à la situation qui règne aujourd'hui au sein des tribunaux rabbiniques, censés appliquer le droit juif en matière matrimoniale. Le Beth-Din souffre en effet de problèmes graves, qui sont souvent les mêmes que ceux qui affectent les tribunaux civils : bureaucratie, lenteur et inefficacité des procédures. Mais cela est d'autant plus grave lorsque les juges prétendent appliquer une loi qui n'est pas celle édictée par la Knesset, mais celle que D.ieu a dictée à Moïse sur le Mont Sinaï ! Il est difficile d'imaginer aujourd'hui que le droit hébraïque remplace un jour le système juridique actuel. Mais il faut se souvenir du temps où Herzl, fondateur du sionisme politique, préconisait comme langue officielle du futur Etat juif... l'allemand! (Il changea d'avis par la suite). Les références de la Cour suprême d'Israël à la jurisprudence des tribunaux canadiens ou européens paraîtront peut-être un jour aussi saugrenues que nous paraît aujourd'hui l'idée d'un Etat juif parlant allemand. Comme disait Herzl, "si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve!"


 

* Hamishpat Haivri, Magnes, Jérusalem. Cet ouvrage de référence a été traduit en anglais (Jewish Law, Philadelphie 1994) mais pas en français. (+ ajouter références en français)

 

Extrait de mon dernier livre, Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris / Max Chaleil. Je le dédidacerai à Tel-Aviv le 17 février et parlerai de "La contestation de l'Etat juif par les élites israéliennes".

 

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Connaître vos droits face à un agent immobilier en Israël par Pierre Lurçat, avocat

July 30 2018, 16:38pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Le présent article vise à vous donner des informations basiques sur vos droits en tant que client, face à un agent immobilier israélien. Il se fonde sur la loi et la jurisprudence israélienne ainsi que sur mon expérience d’avocat confronté à des litiges dans ce domaine.

 

L’obligation de l’agent d’être diplômé et inscrit auprès du Registre des agents immobiliers

Aux termes de la Loi sur les agents immobiliers, nul ne peut exercer l’activité de courtage immobilier s’il n’est pas agent diplômé et inscrit, à jour de ses cotisations. A noter : en tant que client, vous pouvez exiger de l’agent qu’il vous présente sa carte professionnelle, pour vérifier qu’il est un agent agréé et qu’il possède une carte valide pour l’année en cours.

Bon à savoir : si l’agent qui a réalisé une transaction pour votre compte ne possède pas de carte professionnelle, vous n’avez aucune obligation légale de lui payer une commission!

 

L’obligation de l’agent d’établir un mandat écrit

C’est la première obligation, fondamentale, de l’agent avec lequel vous entrez en relation. Selon l’article 9  de la Loi sur les agents immobiliers, “L'agent immobilier n'aura pas droit à sa commission, si le client n'a pas signé une demande par écrit de courtage (mandat), incluant tous les détails fixés par le ministre avec l'aval de la commission des lois de la Knesset”. En l’absence de mandat, vous ne serez pas tenu de lui verser une commission.

 

Le montant de la commission

Elément essentiel du mandat entre vous et votre agent, et objet de fréquents litiges, le montant de la commission doit impérativement être convenu à l’avance entre vous et l’agent. Aux termes de l’article 9 de la Loi, le mandat établi entre vous et l’agent doit comporter, entre autres mentions : le prix de la transaction recherchée, approximatif, ainsi que le montant convenu de la commission ou le taux de la commission convenu sur le prix de la transaction, et si le prix inclut la TVA.

 

Important: la Loi ne fixe aucun montant minimal ou maximal pour la commission. L’usage veut que la commission soit de 2 pour cent du montant de l’achat / vente mais elle pourra être inférieure (ou supérieure dans certains cas). Son montant est objet de négociation entre vous et l’agent.

 

A noter : certains agents recourent à une pratique consistant à fixer un prix de vente pour votre appartement (si vous êtes le vendeur) et à ‘empocher’ tout montant qu’ils parviendront à obtenir d’un acheteur au dessus de ce prix. Cette pratique est illégale!

 

Pour plus d’informations ou pour me soumettre un cas particulier, contactez-moi par email ou par téléphone au 050 286 5143.

 

Pierre Lurçat, avocat

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Régime matrimonial et contrat pré-nuptial en droit israélien, par Pierre Lurçat, avocat

July 16 2018, 17:11pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Comment sont partagés les biens des époux en cas de divorce? Faut-il rédiger un contrat de relations pécuniaires (heskem mamon) ou bien se soumettre au régime légal? Quelle est l’incidence de la Ketouba? Le présent article vise à répondre à ces questions courantes, en décrivant le droit des régimes matrimoniaux en Israël.

 

1. Le régime matrimonial légal découlant de la Loi sur les relations pécuniaires entre les époux

 

La loi sur les relations pécuniaires entre les époux (Hok yéhassei mamon beyn bné zoug) de 1973 fixe le principe du partage à égalité des biens entre les époux lors de la dissolution du mariage (art. 5). Ce principe s’applique à l’ensemble des biens qui leur appartenaient à la veille du mariage, à l’exception de ceux (a) qui ont été reçus par eux par voie de succession ou de donation, (b) des pensions ou indemnisations reçues des assurances nationales ou en cas d’invalidité, et (c) des biens dont les époux ont convenu par écrit qu’ils ne seront pas partagés entre eux. NB : Ce régime correspond, grosso modo, à celui de la communauté réduite aux acquêts en droit français : partage des biens communs et exclusion des biens propres.

 

2. Le régime conventionnel découlant d’un contrat pré-nuptial ou d’une convention de divorce

 

La Loi sur les relations pécuniaires entre époux de 1973 dispose que les époux peuvent établir un contrat de relations pécuniaires (heskem mamon), défini comme un “contrat entre les époux régissant leurs relations pécuniaires”. Selon la loi, ce contrat est nécessairement établi par écrit, et toute modification doit également être faite par écrit (art. 1). Dans la pratique, un tel contrat peut-être établi à tous les stades de la vie conjugale : avant le mariage (il s’agit alors d’un contrat pré-nuptial), pendant le mariage ou même lors de la dissolution du mariage (il s’agira alors d’une convention de divorce).

 

Outre la nécessité d’un écrit, qui relève d’une exigence de forme et de preuve, la loi dispose également que le contrat de relations pécuniaires doit être signé devant une autorité officielle, qui pourra être, selon les cas, le tribunal, le greffier aux affaires matrimoniales, ou encore devant notaire. Cette exigence vise à garantir que les parties signent le contrat de leur plein gré et en toute connaissance de cause, en étant conscientes de sa portée légale et de ses conséquences.

 

L’autorité qui valide le contrat devra notamment s’assurer que les parties ont bien compris le contrat, lequel devra leur avoir été lu et éventuellement traduit (art. 2). Cette exigence doit protéger la partie la plus “faible”, pour empêcher tout abus de ses droits par l’autre partie.

Dans le cas d’un contrat pré-nuptial, établi avant le mariage, la validation officielle pourra être effectuée par un notaire.

 

L’une des raisons justifiant cette exigence est que le contrat de relations pécuniaires prévaudra sur les dispositions de toute loi applicable, et notamment sur celles de la Loi sur les relations pécuniaires entre époux. Ainsi, il peut prévoir des dispositions moins favorables que celles de la loi, à l’égard de la répartition des biens. Dans la suite de cet article, nous verrons comment la loi répartit les biens entre les époux, en l’absence de contrat de relations pécuniaires, et quelle est l’incidence de la Ketouba.

Pierre Lurçat, avocat

pierre.lurcat@gmail.com

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