Overblog
Edit post Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

La guerre de Kippour 50 ans après : Le “retour du refoulé” ou la fin du "Nouveau Juif"

September 22 2023, 12:26pm

Posted by Pierre Lurçat

L'escouade 201

L'escouade 201

La violence de la protestation actuelle pourrait s'expliquer par le choc post-traumatique d'une génération, qui revit sans cesse le traumatisme d'octobre 73 et qui refuse d'accepter que le modèle auquel elle a cru soit remplacé par autre chose… Premier volet d'une série d’articles sur le cinquantième anniversaire de la guerre de Kippour.

Dans la profusion de reportages, d'articles et de films marquant le cinquantenaire de la guerre de Kippour, une série documentaire de la chaîne publique Kan11 a retenu mon attention en particulier. « Ha-Ahat » (« The One ») relate l'histoire d'une unité de l'armée de l'air, l'escouade 201. Son intérêt principal – au-delà du récit captivant des combats, relatés par les pilotes qui ont combattu en 1973 sur les fronts égyptien et syrien – réside dans le fait que plusieurs des pilotes intervenants sont aujourd'hui des figures publiques, qui jouent un rôle actif dans le mouvement de protestation contre le gouvernement, et notamment l’ancien chef d’état-major Dan Halouts et le maire de Tel-Aviv Ron Huldaï.

 

Cette série permet de comprendre le lien direct qui relie les évènements dramatiques de 1973 et ceux de 2023. A cet égard, ce n'est pas tant un anniversaire que l'on marque en Israël aujourd'hui, que les suites d'un événement décisif, qui continue d'influer sur la société et la vie publique israéliennes. La guerre de Kippour a signifié à la fois un changement générationnel, la fin d'une époque et le début d'une autre… Comme le montre un livre passionnant du sociologue de l'université de Haïfa Oz Almog[1], c'est la fin de l’époque de « Sroulik », ce personnage créé par le dessinateur Gardosh dans les années 1950 qui incarnait le nouveau visage de l’Israélien, sympathique et décomplexé.

 

On pourrait dire, de manière schématique, que ce qui a pris fin en 1973 est le rêve du « Nouveau Juif », cet idéal partagé par toutes les tendances du mouvement sioniste, de droite ou de gauche, laïc ou religieux (sous des formes différentes). Si la guerre de Kippour est tellement présente en Israël aujourd'hui, et si la génération de 1973 joue un rôle important dans le mouvement de protestation actuel, c'est sans doute parce qu'elle a marqué un moment décisif pour la psyché collective et pour la société israélienne, moment dont nous ne sommes pas encore totalement sortis.

 

Pour caractériser ce moment essentiel, j’emploierai trois niveaux d’explication. Au niveau historique et sociologique, c’est le moment où les anciennes élites qui ont construit le pays (selon le récit de l’historiographie dominante, qui n’est évidemment pas entièrement exact) commencent à voir leur hégémonie contestée par l’émergence de nouvelles élites et par la montée en puissance du « Second Israël », celui qui va porter au pouvoir Menahem Begin quatre ans après la guerre de Kippour.

 

Au niveau symbolique et psychanalytique, c’est le moment du « retour du refoulé », c’est-à-dire le retour du Juif ancien (le « Juif éternel »), celui que le sionisme laïc avait pensé faire disparaître avec la construction d’un Nouveau Juif/Hébreu/Cananéen… Au niveau spirituel enfin, c’est le moment qu’on pourrait définir comme la "mort" de Mashiah Ben Yossef et son remplacement (actuel ou attendu) par Mashiah ben David[2].

 

Si la fin du « Nouveau Juif » est si difficile à accepter pour ceux qui ont cru à cette utopie, c'est parce qu'elle a failli réussir ! Le traumatisme de 1973, qui se perpétue jusqu'à nos jours, n'est donc pas seulement celui de l'impréparation et de la « surprise » militaire (et de la victoire devenue une « défaite » dans le discours dominant). Il est aussi et surtout celui d'une génération qui a vraiment cru incarner ce visage du nouveau Juif, fort et invincible, qui transparaît bien dans le discours des pilotes de l'unité 201.

 

La violence de la protestation actuelle pourrait ainsi s'expliquer par le choc post-traumatique d'une génération qui revit sans cesse le traumatisme d'octobre 73 et qui refuse d'accepter que le modèle auquel elle a cru soit remplacé par autre chose… Gmar Hatima tova ! (à suivre…)

P. Lurçat

 

[1] Oz Almog, Farewell to Srulik, Changing values among the Israeli Elite, Zamora Bittan 2004.

[2] Sur ce sujet, je renvoie au très beau livre de Hanan Porat, Into One Branch: Messiah the Son of Joseph, Messiah the Son of David (hébreu), Koren 2023.

Comment on this post