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Le choc, la stupéfaction, la tristesse… et les questions. Premières réflexions sur la guerre de Simhat Torah 5784

October 10 2023, 07:52am

Posted by Pierre Lurçat

Le choc, la stupéfaction, la tristesse… et les questions. Premières réflexions sur la guerre de Simhat Torah 5784

 

Après le choc et la stupéfaction, vient le moment de la réflexion et des questions. Pourquoi et comment Tsahal a-t-elle pu se laisser surprendre à ce point ? Cet événement que beaucoup qualifient d’incroyable et comparent au 11 septembre ou à la guerre de Kippour, de par l’étendue de la surprise et de l’échec qu’il représente pour Israël, peut aussi être comparé à la Guerre d’Indépendance, notamment en raison du fait que l’ennemi a réussi à percer la frontière et à pénétrer (fut-ce pour un temps limité) sur le territoire souverain de l’Etat juif.

 

La “conceptsia” s’est écroulée une fois de plus

 

Le sentiment dominant, tant chez les observateurs qu’au sein de la population israélienne, est celui d’un cataclysme, d’un effondrement, comme si toutes les choses sur lesquelles on croyait pouvoir compter s’étaient soudain écroulées… Qu’est-ce qui s’est écroulé exactement ? Les réponses à cette question sont multiples : le front s’est écroulé, la « barrière intelligente » séparant Israël de Gaza s’est révélée n’être pas plus efficace que les murs de paille du petit cochon dans le conte de Perrault, et le peu de sécurité qui restait encore aux habitants de Sderot et du pourtour de Gaza a été tragiquement réduit en poussière…

 

            Mais au-delà de ces éléments matériels – qui sont évidemment d’une importance cruciale – c’est aussi un élément moral et conceptuel qui a volé en éclats : celui qu’on désigne aujourd’hui, comme en 1973, par le mot de « conceptsia », la conception. Cette conception, qui concernait en 1973 l’Egypte, concerne en 2023 principalement le Hamas et Gaza. On peut l’exprimer par l’idée qu’on pouvait négocier avec le Hamas, et par celle qu’Israël avait compris le langage et les desseins du Hamas et maîtrisait donc en large mesure la situation à Gaza.

 

Le piège mortel de la “Pax islamica”

 

A un niveau plus profond encore, la « conception » actuelle est l’idée même qu’Israël se fait du Hamas, de sa nature véritable et de ses conceptions politiques et stratégiques[1]. C’est l’illusion mortelle de la « Pax islamica », que le Hamas nous a imposée et que nous avons acceptée, en raison d’un mélange de peur (comme me l’expliquait Simha Goldin[2], dont le fils Hadar a été capturé par le Hamas en 2014) et d’incompréhension. Or, dans la vision du monde de l’islam radical – celle du Hamas, du Djihad islamique et de Daesh – la peur est précisément l’élément-clé qui permet d’asseoir la domination de l’islam. C’est bien cette peur qui a été instillée dans l’esprit de nos dirigeants et leur a fait croire qu’on pouvait « acheter » la tranquillité, en faisant entrer l’argent du Qatar à Gaza et en autorisant des milliers de Gazaouis à venir travailler en Israël.

 

Cette « conception » réside aussi dans l’idée qu’on pourrait négocier avec le Hamas des trêves provisoires, en le laissant se réarmer entre chaque manche d’affrontement armé, au lieu de considérer que son réarmement constitue un casus belli, justifiant (selon le droit international et les principes de toute doctrine militaire communément acceptée) une nécessaire intervention préventive au cœur de la bande de Gaza, pour détruire les missiles pointés contre le territoire israélien avant même leur utilisation, au lieu de se fier entièrement au système de Défense « Bouclier de fer », dont j’ai expliqué dans ces colonnes toutes les carences.

 

Cette « Pax islamica » que nous avons malheureusement acceptée depuis plus de 15 ans face au Hamas nous a empêchés de comprendre les intentions véritables de l’ennemi et d’être attentifs à son discours et à ses préparatifs. Comme en 1973, quand Israël a fermé les yeux devant les menaces explicites et les préparatifs de guerre concrets – de l’Egypte soutenue par l’URSS – Israël a aujourd’hui fermé les yeux face au Hamas armé et guidé par l’Iran. Cette cécité volontaire dénote non seulement un échec terrible des services de renseignement – Shabak, Aman, Mossad, etc. – et de l’échelon politique, mais aussi et surtout un échec conceptuel général à intérioriser la manière de pensée de l’ennemi.

 

Plus encore qu’une forme de « dissonance cognitive », il y a là en effet une sorte d’incapacité récurrente à comprendre l’ennemi, comme si les échelons dirigeants d’Israël s’obstinaient à penser avec des concepts occidentaux l’affrontement avec des ennemis qui appartiennent à un univers conceptuel et culturel bien différent, celui du monde arabe et iranien et celui de l’islam politique. C’est cette incompréhension fondamentale (dont on a déjà vu les conséquences dramatiques lors des accords d’Oslo et du retrait du Goush Katif) dont nous payons aujourd’hui le prix cruel, et à laquelle il importe de remédier au plus vite (à suivre…).

P. Lurçat

 

NB Je renvoie sur tous ces sujets à l’émission que j’avais consacrée aux erreurs israéliennes face au Hamas, au micro de Richard Darmon sur Studio Qualita.

 

[1] Sur ce point précis, je renvoie à mon étude de l’idéologie du Hamas, Le Hamas, un mouvement islamiste apocalyptique - Le CAPE (jcpa-lecape.org)

[2] Interview parue dans Israël Magazine en octobre 2022.

Comment on this post
E
Comme toujours, Pierre Lurçat analyse avec lucidité la politique israélienne et ici, plus précisément, un début d'explication concernant l'attaque du Hamas. Comme beaucoup de pays occidentaux, mais beaucoup plus grave quand il s'agit d'Israël directement menacé, on ne peut qu'incriminer la politique dans cette terrible défaite. Elle est imputable, selon l'auteur à sa difficulté à appréhender l'essence et la nature du Hamas: mouvement terroriste dont le but n'a jamais été de faire la paix mais au contraire d'éradiquer le peuple juif qui vit sur cette terre de façon légale (création de l'Etat d'Israël par l'ONU en 1947) et la proclamation d'Indépendance en 1948 avec Ben Gourion comme chef de l'Etat.) Cette difficulté à "comprendre l'ennemi", comme le dit Lurçat, c'est à dire à le reconnaître pour ce qu'il est ne peut mener qu'à des erreurs très graves comme celle qu'Israël vient de commettre.
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