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Face à la terreur arabe: construire des barrières ou ériger une “Muraille d’acier”? Pierre Lurçat

April 10 2022, 10:05am

Posted by Pierre Lurçat

 

La nouvelle vague de terrorisme arabe renvoie une fois de plus Israël au dilemme ancien de sa conception sécuritaire, qui traverse le débat stratégique et existentiel depuis les débuts de l’épopée sioniste. Dilemme qu’on peut résumer par l’opposition entre deux visions opposées : celle de la “barrière de sécurité” et du Kippat Barzel d’une part, et celle du “Kir ha-Barzel’ d’autre part, la “Muraille d’acier” préconisée par Jabotinsky et toujours d’actualité.

 

Aucun mur, aucune barrière n’ont jamais arrêté un ennemi déterminé. De la tristement célèbre “Ligne Maginot” construite par la France au tournant des années 1930, jusqu’à la “ligne Bar Lev” érigée par Israël le long du canal de Suez, aucun édifice militaire protecteur n’a pu mettre en échec cette loi d’airain de la guerre. La “barrière de sécurité” édifiée par Israël depuis 2002 pour séparer le petit Israël des frontières de 1967 de la Judée Samarie et de Gaza ne fait pas exception.

 

Le fortin “Budapest” sur la ligne Bar Lev

 

Les djihadistes meurtriers venus de Djénine pour semer la terreur au cœur de Tel-Aviv ont une fois de plus rappelé à Israël que la sécurité ne s’achetait pas en construisant des barrières, aussi perfectionnées soient-elles. Celle qui suit la “ligne verte” souffre de beaucoup de défauts, et ressemble à certains égards à un fromage de gruyère plein de trous. Mais même la barrière ultra-sophistiquée érigée autour de la bande de Gaza repose en définitive sur la même vision illusoire, celle d’un ennemi repoussé à l’extérieur d’un Israël vivant en sécurité derrière des murs.

 

L’erreur de cette conception est double : politiquement, elle repose sur l’axiome mensonger “eux là-bas, nous aussi”, slogan qui exprime le fantasme d’un Israël sans Arabes. Ce fantasme, on ne le rappellera jamais assez, est celui de la gauche israélienne, ou plutôt d’une certaine gauche, celle qui a adopté la funeste logique des accords d’Oslo et de l’évacuation du Goush Katif. 

 

Mais cette conception est également démentie sur le plan strictement militaire par toute l’histoire du sionisme et de l’implantation juive en Eretz Israël. Des premières alyot modernes jusqu’à nos jours, toute l’histoire de l’Israël moderne est traversée par un double ethos militaire. L’éthos purement défensif de “Homa ou Migdal”, de la Haganah et de la “Havlaga” –  la fameuse “retenue” juive face aux agressions arabes –   et celui, plus offensif, des opérations menées sur le territoire de l’ennemi, au-delà des frontières, pour anéantir les nids de la terreur arabe et “terroriser les terroristes”.

 

Kippat Barzel en action 

 

Les deux dernières décennies illustrent à cet égard une régression de la doctrine militaire, notamment durant la période des mandats de Binyamin Nétanyahou. L’audace des opérations menées en Iran s’est en effet accompagnée d’une timidité grandissante face au Hamas et aux autres bras armés de l’Iran à Gaza et ailleurs. La fameuse “Kippat Barzel” illustre mieux que toute autre réalisation militaire le paradoxe d’une armée toujours plus intelligente, mais de moins en moins audacieuse.

 

Pour que Tsahal et pour qu’Israël retrouvent la grandeur qui a fait l’admiration du monde entier, il faut comprendre une fois pour toute que les barrières ne suffisent pas, et qu’elles sont souvent contre-productives, en nous privant de la nécessaire offensive à l’intérieur du territoire ennemi. Israël doit abandonner l’illusion d’une sécurité reposant sur des barrières technologiques, aussi perfectionnées soient-elles, et retrouver l’esprit offensif et guerrier du Tsahal d’antan. C’est seulement ainsi qu’une véritable “Muraille d’acier” (Kir ha-Barzel”) - non pas au sens propre, mais au sens figuré où l’entendait Jabotinsky - pourra être érigée autour des frontières de notre pays et dissuader véritablement nos ennemis.

 

P. Lurçat

 

J'ai le plaisir d'annoncer la parution de mon nouveau livre, Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l'humanité, éditions l'éléphant 2022. En vente sur Amazon et B.o.D et dans toutes les bonnes librairies.

VIctor Soskice

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Le “Kiddoush Hachem” de la députée Idit Silman, Pierre Lurçat

April 6 2022, 16:54pm

Posted by Pierre Lurçat

Idit Silman

Idit Silman

 

L’histoire politique d’Israël depuis 1948 est riche en rebondissements spectaculaires et en revirements lourds de conséquences. L’annonce dramatique de la députée Idit Silman, qu’elles qu’en soient les conséquences à court et moyen terme, s’inscrit d’ores et déjà dans cette histoire et restera probablement comme un événement marquant.

 

Des coalitions sont déjà tombées pour des raisons similaires dans le passé : le premier gouvernement Rabin était tombé en 1976 après l’atterrissage de F-16 livrés à Israël par les Etats-Unis après la tombée de la nuit, un vendredi soir. Mais il s’agissait alors d’une coalition avec des partis religieux ultra-orthodoxes, alors que la députée Silman appartient au parti non orthodoxe Yemina.

 

Si ce gouvernement devait finalement tomber, l’histoire retiendra que la coalition la plus hostile à un Etat juif aura fini de diriger Israël en raison de sa volonté de remettre en question l’interdiction du Hamets dans les hôpitaux publics. Le sujet peut sembler anecdotique, ou ésotérique aux yeux d’un observateur profane. En réalité, il touche pourtant au coeur du débat ancien sur le caractère juif de l’Etat.

 

Le statu quo fragile entre Juifs religieux et laïcs en Israël a en effet toujours reposé sur un double principe : liberté de culte et d’opinion d’une part, respect des principes fondateurs du judaïsme dans l’espace public de l’autre. Cet équilibre était lié à la conviction, partagée par l’ensemble des pères fondateurs du sionisme politique et de l’Etat d’Israël, que celui-ci devait incarner la vocation spécifique du peuple Juif et ne pas être simplement un Etat comme tous les autres.

 


Jabotinsky et Martin Buber

 

 


Cette conviction était partagée tant par les penseurs du sionisme religieux que par ceux du sionisme travailliste, et elle réunissait des figures aussi diverses que le rabbin Kook, David Ben Gourion, Martin Buber ou Jabotinsky. Ce dernier en particulier, Juif laïc par excellence, avait compris que la tradition juive n’était pas seulement une enveloppe, une “structure” extérieure et une “religion”, mais qu’elle était l’âme du peuple Juif tout entier, et qu’à ce titre, elle devait être au coeur de la culture nationale qui allait refleurir dans le futur État juif (1). A l’autre extrême de l’échiquier politique sioniste, Martin Buber avait exprimé la même idée, en déplorant l’éventualité que le futur Etat juif ne soit rien de plus qu’un Etat où ne soufflerait aucun souffle divin…

 

C’est précisément ce risque qui s’est incarné dans la coalition hétéroclite dirigée par Naftali Bennett, dont l’ADN est entièrement post-sioniste et post-moderniste. En prétendant réformer la cacherout, les conversions et en voulant abolir l’institution même du rabbinat en Israël, celle coalition contre-nature a cru qu’elle pouvait ériger un “Etat de tous ses citoyens” dans lequel le judaïsme ne serait plus qu’une affaire entièrement privée, et où le caractère juif de l’Etat serait réduit à une simple menorah sur des timbres-postes…

 

La décision courageuse de la députée Idit Silman a sans doute mis un coup d’arrêt à cette descente vers l’abîme de la coalition Bennett-Lapid-Abbas, et a rappelé au peuple Juif et au monde entier que le retour d’Israël sur sa terre n’était pas un événement anodin, détaché de toute signification juive. A quelques jours de Pessah, ce rappel salutaire est un véritable “Kiddoush Hachem”, une Sanctification du Nom divin. Pessah cacher vé-Saméah!

 

Pierre Lurçat

 

1. Comme je l’explique dans ma préface au recueil d’articles de Jabotinsky Questions autour de la tradition juive, éditions l’éléphant 2022.

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"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

April 5 2022, 08:56am

Posted by Pierre Lurçat

"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

J’ai le grand plaisir d‘annoncer la parution de mon nouveau livre, “Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité” (éditions L’éléphant). Fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, Victor Soskice s’est engagé à l’âge de vingt ans dans le S.O.E. (Special Operations Executive), le fameux service secret militaire britannique qui joua un rôle crucial dans l’organisation de la Résistance en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. 

Parachuté en France occupée en août 1943 pour y mener une opération de sabotage d’une usine stratégique, il fut capturé par les Allemands et emprisonné. Son sort véritable resta ignoré jusqu’à la fin de la guerre. Je reproduis ici l’interview accordée au journal des anciens élèves du Lycée français de New York, dans laquelle j’expliquais pourquoi j’avais entrepris d’écrire ce livre.
 

Victor Soskice en uniforme militaire en 1943.

Qui était Victor Soskice ? 

Victor Soskice était élève au LFNY, durant l’année scolaire 1940-1941. Il se destinait à une carrière diplomatique et était allé étudier à Georgetown University, mais il a renoncé à ses études pour s’engager dans l’armée américaine. Parachuté en France pour une mission de sabotage d’une usine produisant du pétrole synthétique pour l’armée allemande, il a été arrêté, torturé, incarcéré au camp de Flossenburg et finalement exécuté, quelques mois avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur lui ?

Victor était le fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, qui avait épousé en secondes noces sa mère, Rossane. Mon père l’a connu dans son enfance et il l’admirait beaucoup, d’autant que Victor l’avait sauvé de la noyade pendant un séjour de vacances familiales. C’était donc à la fois un héros de la guerre et un personnage presque mythique dans ma famille, dont mon père m’a souvent parlé.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué lors de vos recherches ?

Le fait que toutes les personnes qui ont connu Victor ont gardé un souvenir très fort de lui, de sa personnalité et de leur rencontre avec lui, qui remonte à si longtemps… Plusieurs personnes que j’ai interviewées – toutes âgées de plus de 90 ans – m’ont confié qu’elles pensaient toujours à lui, plus de soixante-dix ans après sa mort dans des circonstances tragiques.

Que souhaitez-vous accomplir à travers votre ouvrage? 

Je souhaite faire connaître aux lecteurs la personnalité attachant de ce jeune homme, engagé volontaire dans l’armée américaine pour combattre le nazisme, qui a fait le sacrifice de sa vie pour défendre la liberté. Comme il l’écrivait dans une lettre à sa fiancée, Ginette, elle aussi ancienne élève du lycée, “j’ai réalisé l’affreuse torpeur et souffrance morale qui peut être imposée par le manque de liberté d’expression“.

Il est frappant de constater, 70 ans plus tard, que la liberté reste menacée par d’autres ennemis dans le monde actuel et qu’il demeure tout aussi vital de s’engager pour la défendre.

(Interview réalisée en 2016 par Florence Reynier, LFNY)


En vente sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies!

https://www.editions-elephant.com/about-us/

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Face au terrorisme, l’erreur tragique de la justice israélienne, Pierre Lurçat

April 3 2022, 06:39am

Posted by Pierre Lurçat

 

La nouvelle vague de terrorisme qui frappe Israël ne remet pas seulement en cause la sécurité quotidienne des Israéliens, mais elle interroge la validité du modèle israélien de lutte antiterroriste, dont la réputation n'est plus à faire. Confronté au terrorisme depuis de nombreuses décennies, l'État hébreu peut compter sur l'excellence de ses services de sécurité et de renseignements, sur la détermination de ses dirigeants à éradiquer la menace terroriste et sur la résilience de sa société civile.

 

Un élément vient toutefois assombrir ce tableau et constitue en quelque sorte le maillon faible d'Israël - mais aussi d'autres pays et notamment de la France - face au terrorisme djihadiste. Ce maillon faible est celui de la justice. Pour s'en convaincre, il faut lire les premiers éléments de l'enquête sur l'attentat de Bnei Brak, qui a fait cinq victimes. Son auteur avait été emprisonné il y a quelques années, après avoir projeté un attentat suicide. Pourtant, le tribunal militaire a fait preuve à son égard d'une clémence stupéfiante, en acceptant un "plea bargain" aux termes duquel le terroriste en puissance n'a passé que deux ans et demi derrière les barreaux, avant d'être libéré et de pouvoir mettre à exécution ses projets criminels.

 

Attaque mortelle en Israël : "On ne pensait pas qu'un attentat pouvait  avoir lieu ici", témoigne une habitante de Bnei Brak, près de Tel-Aviv

La justice militaire israélienne n'est pas réputée pour être spécialement laxiste et elle prononce souvent des peines de prison à perpétuité contre les terroristes palestiniens. Comment expliquer sa clémence dans le cas de Diaa Hamarsheh? Le journal Ha’aretz nous donne quelques éléments de réponse. Lors du procès de 2013, le tribunal a été convaincu par les réquisitions du procureur et par la plaidoirie de l'avocat de l'accusé et lui a accordé une "seconde chance". Le juge a même été jusqu’à considérer que Dia Hamarsheh avait été “victime d’une escroquerie”, n’ayant pas reçu du Djihad islamique la ceinture explosive qu’il avait payée…. 

 

Plus qu'une simple erreur d'appréciation presque comique, il y a là un défaut de compréhension, dont les conséquences se sont avérées tragiques. La clé de cette incompréhension du phénomène terroriste de la part de la justice israélienne est donnée par le dernier roman de Karine Tuil, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes. L'erreur du juge israélien est en effet partagée par ses collègues français, comme la juge antiterroriste héroïne du livre La décision. Comme elle, il croit que le terrorisme de l'État islamique s'apparente à la criminalité de droit commun et que le rôle de la justice est de permettre aux criminels de s'amender, en leur offrant une seconde chance.

 

Cette conception erronée ne relève pas seulement de la politique pénale, mais procède plus fondamentalement d'une vision de l'homme qui nie la possibilité même du mal radical, en considérant que les terroristes, même les plus extrémistes, peuvent être ramenés dans le droit chemin. Cette erreur philosophique s'avère lourde de conséquences, en Israël comme en France. Face au terrorisme, le présupposé d'humanité des criminels se retourne contre leurs victimes. Comme dit le Talmud, " la pitié pour les méchants fait tort aux justes".
 

Pierre Lurçat

Article paru dans Causeur

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L'affaire Pollard au regard de l'histoire et de l'actualité israélienne, Pierre Lurçat

March 29 2022, 07:13am

Posted by Pierre Lurçat

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

(Article paru sur Mabatim)

Le hasard a voulu que la série israélienne consacrée à l'affaire Pollard soit diffusée en Israël la semaine où est décédée Esther Pollard. Ce triste concours de circonstances a permis de mesurer l'écart considérable entre la manière dont Jonathan et sa femme sont perçus par le peuple d'Israël et celle dont il est décrit dans la série

 

Pour résumer en une phrase cet écart de perception, nous pourrions dire que Jonathan, considéré à juste titre comme un héros par une grande partie de la société israélienne (il avait été accueilli à l'aéroport de Tel Aviv par le Premier ministre Binyamin Netanyahou en personne, qui lui avait remis sa carte d'identité, le 30 décembre 2021) est dépeint dans la série comme un être bizarre, psychologiquement perturbé, aux motivations difficilement compréhensibles.

 

Cette série est pourtant intéressante à plusieurs titres. Elle retrace l'itinéraire du jeune Juif américain, fils d'un professeur renommé dont une partie de la famille a été déportée et exterminée dans la Shoah, devenu analyste au sein de la Marine américaine, avant de décider de transmettre des informations vitales a l'État d'Israël, puis d'être arrêté et emprisonné pendant trente-cinq ans.

 

L'incompréhension manifeste de plusieurs personnalités interviewées et la tentative de décrire Pollard comme souffrant de troubles psychiques en disent long sur le regard porté par une partie des élites israéliennes sur notre histoire et sur ses héros. Au-delà même des implications politiques de l'affaire Pollard, et des raisons pour lesquelles elle a tellement embarrassé l'establishment politique et militaire israélien, celle-ci nous renseigne en effet sur la perception de l'histoire juive et sioniste par une partie des élites et de la société israélienne en général.

 

Cette perception pourrait être résumée par le mot fameux prêté au philosophe juif allemand Hermann Cohen, à propos des militants sionistes de son époque : “Ils veulent être heureux…”’ Selon cette conception, le sionisme aurait normalisé le peuple Juif et l’existence juive en Israël. On comprend dès lors la course effrénée à la consommation et l’hédonisme qui règnent sans partage dans une partie de la société israélienne. Dans cette perspective, tout ce qui vient troubler cette course à la normalité et au matérialisme est perçu comme un rappel insupportable de la dure condition juive (le “dur bonheur d’être Juif”, comme disait André Neher) et comme une atteinte au droit de vivre “normalement”.

 

C’est ainsi qu’il faut interpréter le mépris que vouent ces mêmes élites politiques ou culturelles aux Juifs de Judée-Samarie, de Hébron ou du Goush Katif, considérés comme des fous (dans le meilleur cas)  ou comme des criminels dans le pire, comme vient nous le rappeler récemment le ministre Bar Lev, obsédé par la soi-disant “violence des Juifs de Judée-Samarie”. Le même mécanisme explique leur attitude envers le Mont du Temple, ce soi-disant “baril de poudre” qui risque de faire exploser leurs rêves de tranquillité et de normalité, bien plus que de faire “exploser le Moyen-Orient”.

 

 

Pollard lors de son arrestation en 1985

Pollard lors de son arrestation en 1985

Solitude d’Israël

 

Dans ce contexte, l’affaire Pollard est un rappel insupportable de la condition juive et de la solitude d’Israël. Solitude, car même le “meilleur ami” de l’État juif, les États-Unis, ont refusé obstinément de transmettre à leur allié indéfectible des informations vitales concernant les pays arabes. Quand un patriote Juif américain s’est opposé à ce refus de partager des informations vitales, il a été envoyé en prison plus longtemps que tous les espions prosoviétiques et prochinois de l’histoire américaine au vingtième siècle. Ce verdict n’était pas seulement une injustice flagrante, mais aussi et surtout, un rappel difficile à entendre du paradoxe de la relation entre Israël et les États-Unis.

 

Ce paradoxe apparaît bien dans le second épisode de la série, lorsque l’auteur énonce le principe fondamental de la politique israélienne envers le “grand frère américain”: “Israël ne mène pas d’activité d’espionnage sur le sol américain”. Ce principe d’airain est officiellement justifié par le fait que les États-Unis sont un allié - le plus important au monde - de l’État juif. Mais cette loi d’airain a été enfreinte dans l’affaire Pollard (et sans doute à d’autres occasions). Pourquoi?

 

La réponse, qui n’est pas clairement énoncée dans la série, est très simple. Israël a dû se procurer des informations vitales pour sa sécurité sur le sol américain, parce que les États-Unis se sont délibérément abstenus de lui transmettre ces informations vitales. “Pourquoi voler ce qu’on vous donne officiellement?” demande l’ancien attaché militaire aux États-Unis Rafi Simhoni. Cette question est un sommet d’hypocrisie, car Simhoni sait parfaitement que les informations transmises par Pollard ne l’avaient pas été par les États-Unis…

 

Le quatrième et dernier épisode de la série s’intitule “Le prix de la trahison”. De quelle trahison s’agit-il? De celle de Jonathan Pollard envers son pays natal, les États-Unis. De l’autre trahison - celle des élites israéliennes envers Pollard - il n’est quasiment pas question. Elle apparaît pourtant à plusieurs moments clés de la série, notamment lorsque le conseiller juridique américain Abe Sofer explique que les États-Unis étaient disposés à accorder l’immunité à tous les Israéliens impliqués dans l’affaire Pollard (dont certains ont réussi à conserver l'anonymat jusqu’à ce jour) en échange de leur entière collaboration pour juger et condamner Pollard. Cette trahison des élites demeure jusqu’à ce jour une tache indélébile dans l’histoire d’Israël. Mais le peuple d’Israël, lui, a fait un autre choix, comme en attestait la foule des anonymes venus accompagner Esther Pollard à sa dernière demeure.

 

Pierre Lurçat

 

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Les grands textes des pères fondateurs du sionisme politique, inédits ou épuisés en français, mis à la disposition du public francophone.

Déjà parus

  • JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.
  • JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. État et religion dans la pensée du Rosh Betar.
  • GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

À Paraître :

  • JABOTINSKY, Les Arabes et nous, le mur de fer.
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ou auprès de l’éditeur editionslelephant@gmail.com

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Juifs et Ukrainiens (IV) : Golda Meir, Zelensky et le “bon côté de l’histoire”, Pierre Lurçat

March 21 2022, 09:01am

Posted by Pierre Lurçat

 

La référence à Golda Meir dans le discours dramatique de Volodymir Zelensky devant la Knesset est la dernière manifestation de l’engouement que suscite la “Dame de fer d’Israël” au sein de la population ukrainienne, assiégée par les armées de Poutine. Ce retournement dans les relations anciennes et douloureuses entre les peuples Juif et ukrainien inaugure peut-être d’une nouvelle page dans leur histoire. Quatrième volet de notre série d’articles consacrés aux relations entre Juifs et Ukrainiens (1).

 

La photo a fait le tour du Web : on y voit un soldat ukrainien en uniforme, qui porte fièrement un livre à la couverture rouge, arborant la photo de Golda Meir. « Mon surnom est Zion, je ne suis pas juif, je suis ukrainien, patriote ukrainien, nationaliste ukrainien et sioniste, le livre de Golda Meir ne me quitte pas même au combat » a déclaré Alexis, commandant d’une unité au Nord de Kiev. Cette photo a été prise par le journaliste israélien Ron Ben Yishai, et elle illustre un phénomène inattendu, qu’on pourrait décrire comme l’inspiration juive et israélienne de la résistance armée ukrainienne.

 

 

« Si la Russie dépose les armes, il n’y a plus de guerre. Si l’Ukraine dépose les armes, il n’y a plus d’Ukraine ». Ces propos qui ont été largement repris sur les réseaux sociaux sont adaptés d’une citation fameuse de Golda Meir, qui parlait à l’époque d’Israël et des pays arabes. Pour comprendre comment Golda Meir est devenue en quelques jours un symbole vivant dans l’Ukraine en guerre, rien de mieux que de lire son récit autobiographique de jeunesse, que j’ai récemment traduit en français*. On y découvre au moins deux éléments qui éclairent l’engouement qu’elle suscite aujourd’hui.

 

Le premier est le fait qu’elle est née à Kiev, ce qui en fait une “compatriote” pour les Ukrainiens, même si sa famille a quitté la ville quand elle était enfant, pour s’installer en Amérique, d’où elle a émigré en Eretz-Israël au début des années 1920. Le second élément est le fait qu’elle avait été, de son vivant, célébrée comme une figure significative par les Juifs d’URSS, notamment lors de sa fameuse visite à Moscou, en 1948, et une source d’inspiration face à la répression de toute manifestation de judaïsme dans l’URSS. 

 

Une image contenant extérieur, mouton, troupeau, cheptel

Description générée automatiquement

Golda Meir devant la grande synagogue de Moscou, en 1948

 

Mais comment une figure juive et israélienne a-t-elle pu devenir en l’espace de 15 jours un symbole pour l’Ukraine envahie? La réponse est double. En tant que symbole de la résilience juive en URSS, Golda Meir peut inspirer les Ukrainiens, face au rouleau compresseur russe des chars de Poutine. En tant qu’Israélienne, elle est également le symbole de la victoire d’un petit pays, face à des armées plus nombreuses et mieux armées. Ironie de l'histoire : l'Ukraine, pays qui reste associé dans la mémoire juive au souvenir tragique des pogroms et persécutions commis il y a plus d'un siècle, trouve aujourd'hui une raison d'espérer et un modèle dans le destin de l'État juif.

 

Ce que signifie ce retournement de l’histoire, c’est qu’on ne peut pas juger les événements actuels à l’aune de la seule boussole du passé historique. Notre époque, qui est encline aux jugements hâtifs et définitifs, ne souffre ni la nuance ni la réflexion mesurée. Prompts à s’enflammer, les internautes veulent être du “bon côté de l’histoire”. Or, en ce qui concerne les Juifs, il n’y a souvent pas de “bon côté”... Le souvenir des pogromes en Russie ne peut pas guider notre réflexion sur la guerre actuelle, parce que leurs auteurs étaient tant le pouvoir russe tsariste que les populaces russe ou ukrainienne. Nul ne sort innocent à l’aune du passé juif en Ukraine. Il faut donc trouver une autre boussole.

 

En réalité, le courage des Ukrainiens face à l’invasion russe et les exemples qu’ils trouvent dans l’histoire récente d’Israël montrent que le passé ne détermine pas le présent et encore moins l’avenir. Dans le fracas des armes et au milieu des drames de la guerre, il est permis d’espérer que ces faits infimes augurent d’une nouvelle ère, non seulement dans les relations entre Israël et le peuple ukrainien, mais aussi entre Israël et l’ensemble des nations. (A suivre…)

Pierre Lurçat

NB Cet article est paru initialement - dans une version abrégée - sur le site Causeur.fr.

* La maison de mon père, éditions l'éléphant/Books on demand 2022.

“La biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël »

Liliane Messika, Causeur

 

“Un personnage fascinant”

Sandrine Szwarc

Radio Shalom

 

“Une des plus grandes dames de la scène politique israélienne…”

Ilana Ferhadian, Radio J

 

Pierre Lurçat présente le livre au micro de Cathy Choukroun sur 

Radio QUALITA

 

 

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Juifs et Ukrainiens (III) : un pogrom à Kiev raconté par Golda Meir

March 16 2022, 07:45am

Posted by Pierre Lurçat

Dans les pages suivantes, extraites de ses Souvenirs de jeunesse récemment traduits en français, Golda Meir relate les jours d’angoisse dans l’attente d’un pogrome, dans sa ville natale de Kiev. Troisième volet de notre série d’articles consacrés aux relations entre Juifs et Ukrainiens. P. Lurçat

 

Je suis née à Kiev. Mon père était menuisier, et la situation économique de la famille était plutôt mauvaise. Il décida de déménager à Kiev afin d’améliorer leur situation. Kiev était située en dehors de la Zone de résidence , mais mon père, en tant qu’artisan qualifié, avait reçu l’autorisation d’y habiter. Il obtint même un travail pour le gouvernement. Il avait alors été décidé de construire des bibliothèques pour les écoles et mon père fut chargé de fabriquer le mobilier. Il savait fabriquer des meubles de belle apparence et décorés. Pour pouvoir accomplir son travail, il ouvrit un atelier et embaucha des salariés. Il avait bien entendu reçu pour cela un acompte et avait même investi des fonds qu’il avait empruntés. Mais en fin de compte – mon père disait que c’était par antisémitisme – ils ne voulurent pas accepter ses meubles, et nous fûmes plongés dans les dettes, sans rien pour subsister, et il partit travailler loin de la maison.

 

Je n’ai pratiquement aucun souvenir de la ville de Kiev, pas même celui de la cour de la maison. Mes trois souvenirs datant de cette époque sont: tout d’abord, la mort de ma grand-mère du côté paternel – le même jour où naquit ma sœur cadette, qui réside jusqu’à ce jour en Amérique. Deuxièmement, la rumeur d’un pogrom qui devait frapper Kiev. Et l’attitude caractéristique de mon père, qui ne fit aucun préparatif pour emmener sa famille et se cacher quelque part. Nous habitions au premier étage. Je me souviens de m’être tenue à l’entrée – sur les escaliers menant au deuxième étage, vers l’appartement du voisin – avec sa fille, qui devait avoir mon âge, et d'avoir regardé comment mon père et ma mère tentaient de barricader l’entrée de la maison, en disposant des planches conte la porte. Pour notre chance, il n’y eut pas de pogrom, mais je n’ai pas oublié l’atmosphère régnant dans l’attente de celui-ci.

 

Victimes d’un pogrom à Kiev, 1919

 

La troisième chose que je me rappelle de notre séjour à Kiev est la gêne et la faim. Ma sœur aînée, qui a neuf ans de plus que moi, peut en dire bien plus que moi, mais une image est restée gravée dans ma mémoire : notre sœur cadette, plus jeune que moi de quatre ans et demi, qui était alors un bébé âgé de six mois ou moins, et ma mère préparant sa bouillie. C’était de toute évidence un aliment de luxe à cette période. Elle donna un peu de bouillie à ma sœur et un peu à moi. Celle-ci finit sa part avant moi, et ma mère lui donna encore un peu de ma bouillie. Je me souviens de l’émotion que j’ai ressentie – voilà qu’on me privait de ce met que je ne recevais que si rarement…

 

Je ne revis jamais, hélas, les lieux où j’avais passé mon enfance en Russie, Kiev et Pinsk. J’eus pourtant à deux reprises l’occasion de me rendre à Pinsk, mais cela ne se réalisa pas. La première occasion se déroula en 1939, lors de ma première visite en Pologne pour le compte du parti. J’entamai mon voyage et j’arrivai jusqu’à Lodz, mais je tombai malade. Je restai alitée pendant deux semaines, et entretemps mon visa devint périmé et les Polonais n’acceptèrent pas de le renouveler. Aussi je ne pus me rendre à Pinsk. 

Cependant, même si j’avais pu me rendre à Pinsk lors de ma mission en Russie, je n’y aurais plus trouvé aucun des membres de ma famille – sauf peut-être une personne – le petit-fils du frère de ma grand-mère. Tous les autres avaient été exterminés pendant la Shoah. Malgré cela, je voulais m’y rendre et je regrettai que la chose ne fut pas possible. 

Extrait de Golda Meir, La maison de mon père, éditions l’éléphant/Books on Demand 2022.

 

 

 

“La biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël »

Liliane Messika, Causeur

 

“Un personnage fascinant”

Sandrine Szwarc

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“Une des plus grandes dames de la scène politique israélienne…”

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Pierre Lurçat présente le livre au micro de Cathy Choukroun sur 

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Juifs et Ukrainiens (II) Odessa vue par… Jabotinsky

March 9 2022, 07:17am

Posted by Pierre Lurçat

Dans le texte ci-dessous, le grand dirigeant sioniste décrit la ville où il est né et a passé son enfance. Dans ces lignes, on lit non seulement la tendresse qu’il a conservée toute sa vie pour sa ville natale (1), mais aussi le portrait fidèle d’un lieu bien particulier - et très différent des autres endroits où vivaient alors les Juifs au sein de l’empire russe, dans la fameuse “Zone de résidence” où ils étaient beaucoup moins intégrés au reste de la population. Cette différence explique en grande partie l’attitude très ouverte de Jabotinsky envers les autres nationalités, et notamment envers les Ukrainiens, sujet d’un prochain article. 

Pierre  Lurçat

 

Le troisième facteur qui laissa son empreinte sur mon enfance est Odessa. Je ne connais aucune ville au climat aussi agréable et je ne dis pas cela comme un vieillard qui croit que le soleil s’est éteint, parce qu’il ne le réchauffe plus comme autrefois… J’ai passé les plus beaux jours de ma jeunesse à Rome, j’ai aussi habité, étant jeune, à Vienne et j’ai pu comparer leur « climat » spirituel à la même aune : il n’y a aucune ville comparable à Odessa – je parle d’Odessa à cette génération – pour la douceur joyeuse et l’exaltation qui flottent dans l’air, sans la moindre trace de complication de l’âme ou de tragique moral. Je ne dirai pas, à Dieu ne plaise, que j’ai trouvé dans cette atmosphère une grande profondeur ou de la noblesse – car sa légèreté caressante provient de l’absence de tradition. Cette ville a été créée de toutes pièces cent ans avant ma naissance, ses habitants bavardaient en treize langues différentes sans en connaître une seule parfaitement, et parmi mes nombreuses connaissances, il n’y en avait qu’une seule dont le père était lui aussi né à Odessa : or il ne peut y avoir de noblesse sans tradition et sans tragique. 

 

 

Cette ville – le ricin du prophète Jonas, et toutes les plantes qu’elle renferme – matériellement, moralement et socialement – est elle aussi un ricin, quelque chose d’éphémère, une plaisanterie, une aventure. Il faut évidemment respecter la vérité ; mais le mensonge n’est pas un crime, car votre interlocuteur possède lui aussi une imagination débordante et capricieuse… Et à côté de tout cela, une curiosité avide pour tout ce qu’apporte chaque jour qui commence : la moindre nouvelle est un événement considérable, qui émeut les foules, les mains s’élancent dans les airs, les tables du café tremblent dans le tumulte des cris. Les baisers aussi y sont bon marché : voire même gratuits (et pourtant

ces jeunes filles, pour autant que je m’en souvienne, se sont toutes mariées par la suite, et chacune d’entre elles devint une bonne épouse). 

 



 

L’enfant qui grandit dans un tel environnement peut être influencé pour le bien et pour le mal : cela ne dépend pas tant de son entourage, que de ses propres qualités. L’un s’imprégnera de la médiocrité (Polonski, poète russe, a écrit un roman décrivant la vie à Odessa, qu’il a surnommée la « ville médiocre ») ; tandis que l’autre s’imprégnera au contraire du tumulte, de la curiosité, de l’audace, de la fraîcheur éternelle qui est chaque matin un sujet d’émerveillement, et du sourire absolu et méprisant envers le malheur comme envers le bonheur. Bizarrement, c’est précisément dans les livres d’un poète anglais, élevé dans la tradition la plus fantastique du monde qu’il a défendue toute sa vie, que j’ai trouvé l’écho de cette psychologie. Kipling a écrit (les mots exacts m’échappent) : « Victoire ou catastrophe – sois capable de les mépriser toutes deux, car toutes deux sont trompeuses ». Et dans sa vieillesse il résuma l’expérience de sa vie en s’adressant ainsi au Créateur : « Mon Dieu, j’ai parcouru toute la terre que Tu as créée et je n’y ai rien vu de banal ; tout ce que j’ai vu est une merveille ». Je suis peut-être de la deuxième espèce.

Jabotinsky adolescent

 

Extrait d’Histoire de ma vie, traduit de l’hébreu par P. Lurçat

Sur Odessa, voir également le beau roman de Jabotinsky, Les cinq, publié aux éditions Les Syrtes.

 

 

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Les grands textes des pères fondateurs du sionisme politique, inédits ou épuisés en français, mis à la disposition du public francophone.

 

DEJA PARUS

JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.

JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.

GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

 

A PARAITRE :

JABOTINSKY, Les Arabes et nous, le mur de fer.

NORDAU. Textes sionistes.

Etc.

 

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ou après de l’éditeur editionslelephant@gmail.com

 

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La guerre en Ukraine et la souffrance des poissons, Pierre Lurçat

March 2 2022, 08:18am

Posted by Pierre Lurçat

Des militaires ukrainiens se préparent à la riposte dans la région de Lougansk

Des militaires ukrainiens se préparent à la riposte dans la région de Lougansk

1.

Après plusieurs décennies de calme à l’intérieur des frontières de l’Europe, l’invasion russe en Ukraine a fait l’effet d’un coup de canon dans un ciel serein. Ce qui a volé en éclats avec l’offensive militaire russe est avant tout le rêve utopique d’une “paix perpétuelle”, sur lequel repose largement l’idée européenne née après 1945… Pour comprendre comment l’Europe a pu se laisser endormir ainsi, il suffisait de lire la “Une” du quotidien Le Monde daté du 25 février, consacrée à l’invasion russe de l’Ukraine, juste en dessous de laquelle se trouvait un article portant ce titre presque surréaliste : “Briser le silence sur la souffrance des poissons”.

 

 

Ce que signifie cette juxtaposition digne de Prévert, c’est que l’Europe est aujourd’hui largement coupée des réalités du monde, après avoir longtemps vécu dans une sorte d’utopie, où les sujets véritables (guerre, immigration, islam…) étaient le plus souvent escamotés, au bénéfice de débats idéologiques (Wokisme, féminisme radical, etc.) ou d’innocentes utopies, comme la question de la souffrance animale. De ce point de vue, les événements dramatiques actuels sont l’occasion de redescendre sur terre et de revenir à la dure réalité.

 

 

2.

“Est-ce bon pour les Juifs?” A la vieille question qui accompagne chaque événement de l’histoire mondiale, les réponses ne sont aujourd’hui pas unanimes. Un argument que l’on entend souvent ces derniers jours consiste à attribuer aux Ukrainiens actuels les crimes de leurs grands-parents. Vladimir Poutine ne s’est pas privé d’utiliser ce vieux poncif de la politique communiste, hérité de l’Union soviétique (n’oublions pas qu’il fut agent du KGB pendant de longues années, celles de sa formation idéologique), en interpellant sans vergogne  les Occidentaux : “Vous soutenez les nazis?”

 

Poutine, une petite personne qui se prend pour un grand empereur" - rts.ch  - Monde

Poutine officier du KGB

 

La question de l’attitude du peuple ukrainien pendant la Shoah est un sujet important, mais qui n’a aucun rapport avec le conflit actuel (de même que la question de Vichy ne devrait pas jouer un quelconque rôle dans le débat électoral français). Les régimes qui transforment l’histoire en enjeu idéologique et politique ne sont en général pas des régimes démocratiques, ou bien ce sont des démocraties gangrenées par l’idéologie dominante, ou par d’autres maladies actuellement très répandues.

 

En 1914, alors que le souvenir des pogromes d’Ukraine et de Russie était encore très vivace, Jabotinsky eut l’intuition que le mouvement sioniste devait s’allier avec l’Angleterre et la Russie contre les empires centraux, pour faire avancer la cause sioniste. Cette intuition s’avéra entièrement fondée, mais il eut beaucoup de mal à la faire accepter par les autres dirigeants juifs, foncièrement hostiles à toute alliance avec la Russie honnie. Ce que démontre cet exemple – parmi de nombreux autres – c’est que le souvenir des malheurs passés du peuple Juif ne doit pas servir de boussole exclusive pour déterminer sa politique au jour le jour.

 

3.

Ce qui nous amène à la position d’Israël dans le conflit en Ukraine. La valse-hésitation des dirigeants israéliens en dit long – au-delà de l’amateurisme démontré par le gouvernement Lapid-Bennet sur beaucoup de sujets – sur  la difficulté pour l’Etat juif de faire la part de ses intérêts géostratégiques et de ses choix politiques dans la guerre actuelle… J’avoue ne pas être entièrement convaincu, ni par les tenants d’un soutien inconditionnel d’Israël à l’Ukraine, ni par ceux d’une politique exclusivement guidée par les seuls intérêts géostratégiques et militaires d’Israël.

 

A cet égard, toute l’intelligence d’une politique étrangère digne de ce nom consiste à trouver l’équilibre entre ces différents intérêts et à ne pas adopter une ligne de conduite qui ferait totalement fi des arguments moraux, ou qui négligerait entièrement la Realpolitik. Comme je l’expliquais lors d’un colloque à Jérusalem consacré à la “politique extérieure juive d’Israël” (1), la politique étrangère d'Israël doit trouver la voie étroite et le juste milieu entre la morale pure et une politique qui “aurait les mains propres parce qu’elle n’aurait pas de mains” d’un côté, et la Realpolitik totalement froide et dénuée de considérations morales de l’autre (2).

Pierre Lurçat

 

1. Colloque en ligne sur le site Akadem,

https://akadem.org/sommaire/colloques/israel-un-etat-juif-dans-l-arene-internationale/la-politique-exterieure-juive-d-israel-20-06-2019-112402_4842.php

2. Comme l’écrivait Emmanuel Lévinas dans un texte intitulé “Politique après!”, publié dans le numéro spécial de la revue Les Temps modernes consacré au colloque israélo-palestinien de mars 1979 : “N’y aurait-il donc rien à chercher entre le recours aux méthodes dédaigneuses de scrupules dont la Realpolitik fournit le modèle et la rhétorique irritante d’un imprudent idéalisme, perdu dans des rêves utopiques, mais tombant en poussière au contact du réel…?”

Raïssa et Emmanuel Levinas avec leur fils Michaël au début des années 60

Raïssa et Emmanuel Levinas avec leur fils Michaël au début des années 60

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Les Juifs et l'Ukraine (I) : Quand l’Ukraine était le grenier à blé de l’Europe, V.Jabotinsky

February 27 2022, 19:39pm

Posted by Pierre Lurçat

Les Juifs et l'Ukraine (I) : Quand l’Ukraine était le grenier à blé de l’Europe, V.Jabotinsky

 

Dans le texte qu’on lira ci-après, le grand dirigeant sioniste évoque la figure de son père, mort alors qu’il était enfant, qui était commerçant en céréales en Ukraine. L’Ukraine était considérée comme le “grenier à blé de l’Europe” depuis le début du XVIIIe siècle, et de nombreux commerçants juifs prenaient part au commerce des céréales, notamment dans le cadre du commerce fluvial le long du Dniepr, évoqué par Jabotinsky. Dans un prochain article, nous évoquerons la relation de Jabotinsky à la question ukrainienne, à propos de laquelle il écrivait ces mots qui semblent aujourd’hui prémonitoires : “la question ukrainienne est le problème essentiel qui déterminera, dans une grande mesure, l’avenir de l’empire russe et donc le destin des Juifs sur son territoire[1]. P. Lurçat

 

Je n’ai aucun souvenir de mon père, ou presqu’aucun, mais j’ai entendu à son sujet de nombreuses histoires et légendes. C’était l’époque où se construisait la richesse commerciale d’Odessa, capitale des céréales de l’Ukraine tout entière, et mon père était apparemment un des commerçants les plus doués. La « Société russe des navires à vapeur et du commerce » (« Ropit », en abréviation russe) détenait la part du lion du marché des céréales, et elle fit de mon père un de ses principaux agents. Selon certaines sources, il était l’agent principal pour l’achat du grain dans toutes les provinces au-delà du Dniepr, sur les deux rives – région qui nourrissait l’Europe tout entière à cette époque.

 

On pourrait écrire un roman entier, et cela serait utile (mais il n’y a aucun risque que je trouve le temps nécessaire) au sujet des voyages de mon père dans les bateaux de la « Ropit » le long du fleuve, de Kherson jusqu’aux rochers des chutes appelées « Porogui » (« les seuils ») en russe et « hirla » (« la gorge ») en ukrainien, accompagné d’un bataillon considérable d’adjoints, d’assistants, de spécialistes de l’examen des semences, de comptables et de personnes dénuées de toute utilité et de spécialité qu’on appelait à Odessa du nom bizarre de « Laptout » – mot qui n’a pas d’équivalent ou de traduction, sinon peut-être celle de fainéants. Mon père était quelqu’un d’important aux yeux de la direction de la « Ropit », apparemment, car plusieurs années après son décès, je voyais encore chez nous, dans notre mansarde, un des directeurs qui venait rendre visite à ma mère à chacun de ses passages à Odessa : je me souviens même de son nom – Pachelnikov – il buvait du thé et faisait l’éloge de mon père.

 

Odessa vers 1900

 

 

Les Juifs appelaient mon père « Yona », les Russes « Yévguéni ». Il était né à Nikopol, petite ville sur le Dniepr ; son père possédait sept « stations » le long d’une des routes principales, car à cette époque les voies de chemin de fer ne parvenaient pas jusqu’à cette partie de l’Ukraine ; ces stations étaient tout à la fois des auberges, des bureaux de poste et des écuries pour les chevaux de poste. Un de mes amis a trouvé le nom de mon grand-père sur la liste des premiers abonnés du premier journal juif publié en Russie – Hamelitz, si je ne me trompe pas.

 

L’amiral Chikhatchev, patron de la société Ropit, dit un jour à mon père : « Ton nom est Yévguéni et tu es un génie » – peut-être exagérait-il, ou peut-être disait-il vrai. Lors de chacune de mes visites dans les provinces du Dniepr, j’entendais la même chose de nombreuses personnes. Un jour, à Alexandrovsk, une dizaine de notables, anciens commerçants en céréales, se réunirent autour de moi et tentèrent de m’expliquer, jusqu’à minuit, le secret du charme de mon père ; je n’ai pas vraiment compris, mais il m’est resté l’impression très forte d’une ramification de liens, de réseaux et d’influences reliant l’Ukraine et l’Argentine, la Mer noire et les trois océans, le Ballplatz de Vienne, l’appartement du ministre des Affaires étrangères d’Autriche Hongrie et le café Roubina où se réunissaient les commerçants en blé à Odessa… Il y a une chose que j’ai comprise : ils m’ont raconté que mon père faisait tous ses calculs de tête – « jusqu’au huitième de centime » (je n’ai pas hérité cela de lui, pour moi la table de multiplication est demeurée un mystère). Et aussi cela : à plusieurs reprises, mis en garde contre ses assistants qui le « volaient », il a toujours répondu : « Celui qui me vole est plus pauvre que moi, et peut-être la justice est-elle de son côté ». Sans doute est-ce cette philosophie qu’il m’a transmise en héritage.

 

(Extrait de V. Jabotinky, Histoire de ma vie, traduit de l’hébreu par Pierre Lurçat, éditions les provinciales 2011).

Ivan Aivazowsky, “Clair de lune sur le Dniepr”, 1858

Ivan Aivazowsky, “Clair de lune sur le Dniepr”, 1858

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