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David Shahar, le conteur qui nous parle de l’âme humaine

October 3 2021, 06:41am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans la bibliothèque de mon père (II) : 

David Shahar, le conteur qui nous parle de l’âme humaine

A ta mémoire, mon père

Niftar le 27 Tichri 5773

François Lurçat z.l. (1927-2012)

La bibliothèque de mon père - qui recouvrait presque tous les murs de la maison - comportait un purgatoire, destiné aux livres dont il n’avait plus d’usage ou pour lesquels il avait perdu toute affection, qui étaient relégués dans la cave, où de vieux rayonnages en bois croulaient sous les livres ainsi exilés. Y figuraient, outre les œuvres complètes de Marx, de nombreux ouvrages d’économie, discipline à laquelle il s’était intéressé de près à une certaine époque. Il avait ensuite renoncé à comprendre les rouages de l’économie pour se consacrer à la lecture de livres de philosophie et de poésie, qui étaient comme je l’ai déjà relaté ses domaines de prédilection. 

 

Le “Saint des Saints” de la bibliothèque de mon père abritait aussi quelques romans, moins nombreux il est vrai. Parmi ceux-ci, l’œuvre de David Shahar occupait une place particulière. L’écrivain israélien avait été traduit en français dès 1978 et c’est Jacqueline Piatier qui, dans le Monde des Livres, le qualifiait en 1983 de “Proust oriental”. Mon père avait ainsi découvert et lu avec passion le Palais des vases brisés, fresque monumentale dans laquelle Shahar décrit la Jérusalem des années 1930 et 1940. Je revois encore, par les yeux de l’esprit, mon père lisant Shahar lors de vacances estivales, assis dans le fond du jardin, près d’un bouquet de roses trémières,  entièrement plongé dans le monde shaharien.



Le Palais des Vases Brisées - Littérature | Rakuten

 

 

L’écrivain israélien était-il un conteur oriental, ou bien “un écrivain de l'envergure d'un Proust ou d'un Faulkner”, selon les termes de Jacqueline Piatier? En réalité, il était les deux à la fois : conteur et romancier. Né d’une famille vivant en Eretz-Israël depuis plusieurs générations, il n’avait découvert que tardivement la littérature européenne. Tout comme Jérusalem - où se déroulent la plupart de ses livres - il vivait à l’intersection de plusieurs mondes, aux confins de l’Orient et de l’Occident. Si son écriture a pu être comparée à celle de Proust, qu’il n’a sans doute pas lu avant un âge avancé, c’est que Shahar mêle de manière inextricable passé et présent, narration et souvenir, récit et réminiscence.

 

Notre époque, qui porte aux nues la figure de l’écrivain, a paradoxalement oublié celle du lecteur, qui n’est plus considéré aujourd’hui que comme un consommateur. Quant à l’écriture, elle n’est plus vécue comme un travail et comme un sacerdoce - ce qu’elle a toujours été pour les plus grands écrivains - mais comme une catharsis et comme une façon d’exprimer les aspects les plus dérisoires du moi et de ses souffrances. Écrire, pour de nombreux auteurs contemporains, semble souvent répondre uniquement à un besoin personnel, celui d’exprimer des sensations et de partager des émotions, ou une “expérience” intime. 

David Shahar (Photo Yehoshua Glotman)

Contre cette conception égocentrique de l’écriture, qui est largement le produit de notre époque obnubilée par le “moi”, Shahar a défendu et illustré une idée plus généreuse de la littérature. Son œuvre romanesque - aux côtés de livres pour enfants et de quelques recueils de nouvelles - plonge le lecteur dans un univers à part entière, qui n’est pas le monde intérieur de l’écrivain, mais celui d’une époque et d’un lieu qu’il fait revivre par la magie de sa plume et auxquels il confère profondeur et acuité : celui de la Jérusalem mandataire. 
 

Sans doute mon père était-il d’autant plus friand de la lecture de Shahar qu’elle le faisait pénétrer dans la ville natale de ma mère. Lorsque, plusieurs années après leur découverte de Shahar, mon père et ma mère se rendirent à Jérusalem, où je m’étais entretemps installé à demeure, ils prenaient plaisir à déambuler dans les quartiers décrits par l’écrivain - ceux de Méa Shearim et de Boukharim, celui de la Colonie allemande, et surtout le petit périmètre qui s’étend entre la rue d’Éthiopie, la rue du rav Kook et la rue des Prophètes. C’est là qu’était née ma mère, en 1928, dans l’hôpital français devenu depuis lors un collège universitaire. 

Jérusalem, porte de Jaffa dans les années 1930

Chaque fois qu’ils venaient me rendre visite à Jérusalem, les pas de mes parents étaient comme attirés vers ce quartier, qui constitue le cœur de l’univers shaharien. C’est en effet rue du rav Kook que se situe la clinique du docteur Rabban (1), évoquée dans le Palais des vases brisés, et c’est rue d’Éthiopie que se trouvait la bibliothèque du Bnai-Brith où travaillait la jeune Nin-Gal (2). Quant à la rue des Prophètes, elle abritait la fameuse maison où habitait Gabriel, personnage central de la grande fresque shaharienne. On pouvait encore voir cette maison, il y a quelques années, avant qu’elle ne fut détruite pour laisser la place à un projet immobilier de luxe…

 

La maison de la rue des Prophètes est aussi celle où le narrateur de L’agent de sa Majesté a passé son enfance. Ce grand roman d’amour et de guerre, dont l’intrigue se déploie entre la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Kippour, ne fait pas partie du cycle romanesque du Palais des vases brisés, même si certains personnages apparaissent dans les deux. Mon père lut ce livre pour la première fois en juin 1983, après la publication de l’article de Jacqueline Piatier qui lui fit découvrir Shahar. L’exemplaire du livre aux pages jaunies porte encore les remarques au crayon faites par lui, au fil de ses lectures successives du roman (car il lisait et relisait les livres qu’il appréciait particulièrement).

 

Un grand roman t’oblige à t’expliquer avec toi-même ; il pose les vieilles questions dans un langage nouveau. Le romancier (du moins quand il a la noblesse d’un Shahar) est un ami qui te parle, mais en parlant, il est prêt à s’interrompre pour t’écouter”, notait ainsi mon père sur la dernière page de L’agent de sa Majesté. Quelles étaient ces “vieilles questions” que Shahar lui avait posées? Je l’ignore... Sans doute tournaient-elles autour des figures féminines, élément central du roman, et notamment celles de la mère de Reinhold et celle de Tamara Koren, l’inoubliable maîtresse du héros, Heinrich Reinhold, qui fut aussi la cause de sa trahison.

 

…………………...

Amoureux des livres de Shahar, mon père y avait aussi trouvé la confirmation de sa conception de la spécificité irréductible de l’être humain, au nom de laquelle il mena des joutes idéologiques contre certains de ses collègues scientifiques (3), qui étaient aussi obtus à cet égard que le “savant allemand ampoulé”, personnage de La Nuit des Idoles qui soutient l'inexistence de l'âme. « La science prouvait qu'il n'existait rien qui put s'appeler une "âme". L'âme n'existait pas ; elle n'était qu'une création des poètes, des fondateurs de religions, ou d'un certain genre de philosophes ». Cette conception païenne est rejetée avec force par David Shahar, qui récuse tout autant l'idée d'une âme totalement coupée du corps et de la matérialité du monde. 

 

Matérialisme obtus et spiritualisme désincarné : c'est entre ces deux conceptions également réductrices de la nature humaine que Shahar déploie sa vision d'un monde empli de poésie et de mystère, monde plein de formes, de couleurs, de lignes, de sens, d'odeurs, de sensations… On comprend mieux dès lors l'intérêt de Shahar pour la kabbale lurianique, inspirant le thème de la « brisure des vases » qui donne le titre à son œuvre maîtresse, Le Palais des Vases brisés. Dans l’univers de Shahar, outre le plaisir incommensurable de découvrir un très grand écrivain - que peu d’auteurs israéliens contemporains égalent - mon père avait ainsi trouvé un conteur de l’âme humaine, dans toute sa complexité et une réponse à certaines de ses préoccupations les plus vitales.

 Pierre Lurçat

 

Notes

1. Le personnage du Dr Rabban semble inspiré par la figure du Dr Albert Ticho, médecin bien connu de la Jérusalem à l’époque mandataire et époux de l’artiste Anna Ticho.

2. Voir Nin-Gal, Le Palais des vase brisés 4, Gallimard.

3. Voir notamment son article ”De l’homme neuronal aux neurosciences”, 

 1985. https://www.cairn.info/revue-commentaire-1985-3-page-880.htm

 

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Dix livres pour comprendre le monde actuel - La nouvelle idéologie dominante, de Shmuel Trigano

September 20 2021, 09:17am

Posted by Pierre Lurçat

Dix livres pour comprendre le monde actuel - La nouvelle idéologie dominante, de Shmuel Trigano
 

La crise du Covid 19 a exposé au grand jour certains des paradoxes les plus marquants de notre société post-moderne et de ses travers. Citons, par exemple, l'exaltation permanente des droits de l'individu et la dénonciation des "atteintes aux libertés", qui vont de pair avec la fin proclamée du sujet et du libre-arbitre, annoncée depuis les débuts de l'ère post-moderne. Le livre de Shmuel Trigano La nouvelle idéologie dominante - paru en 2012 et récemment traduit en hébreu - permet de comprendre certains de ces paradoxes, en les inscrivant dans le cadre conceptuel du post-modernisme, considéré comme une "idéologie totale" au sens où l'entend le sociologue Karl Mannheim. Il s’agit en effet - en dépit de sa prétention à "déconstruire" toutes les idéologies politiques et les "grands récits" de l'ère moderne - d’une idéologie, qui se décline selon l'auteur à travers quatre grands pôles : "une physique, une métaphysique, une théologie et une épistémologie".

 

La “déconstruction du réel" qui fonde la métaphysique post-moderne consiste à défaire le lien reliant les mots aux choses qu'ils décrivent (1). Ainsi, explique Trigano, "le réel n'est plus qu'un texte',  de sorte que sa lecture ne le référe plus aux choses qu'il est censé représenter, mais à ses mots eux-mêmes… c'est le concept mène d'objectivité qui vacille" (p.  25). Cette déconstruction du réel est lourde de conséquences dans tous les domaines. Elle explique notamment pourquoi le discours médiatique actuel ne se soucie plus guère de décrire les faits réels, mais seulement de créer des événements, comme l'explique Éric Marty au sujet du conflit israélo-arabe (2).

 

Cette évanescence du réel, explique encore l'auteur, fait que "le 'monde' n'existe plus, puisqu'il y a rupture totale entre le signifiant et le signifié. La connaissance du réel - la science - se réduit ainsi au champ littéraire, privilégiant la compréhension en deçà du signifié (intention de l'auteur) et en l'absence de tout référent ou extériorité" (p.  26). Cette description permet de comprendre la confusion actuelle autour de sujets d'apparence triviale, tels que la vaccination ou le port du masque, qui donnent lieu à d'interminables polémiques. Au-delà de l'impuissance grandissante des États démocratiques, c'est en effet la notion même de vérité objective et le "common ground" de toute société viable qui sont remis en cause.

 

Quel est donc le nouveau "grand récit" autour duquel se décline la "théologie post-moderne”? Celui-ci se déploie selon Trigano "à l'intersection de trois cycles de narration : la déconstruction du Sujet, l'écologie profonde (Deep ecology) et l'apologie de l'autre, dont l'islam est l'expression centrale, crédité d'être la victime absolue d'un Occident criminel" (p.  72). Cette description succincte permet d'analyser toutes les variations actuelles de ce grand récit, sur des sujets aussi divers en apparence que le changement climatique (la nature étant devenue un objet politique à l'échelle planétaire), ou l'exaltation des droits des migrants et des étrangers, que l'auteur relié à la fascination pour l'islam des pères fondateurs du post-modernisme, à l'instar de Michel Foucault, un temps séduit par la révolution iranienne de Khomeyni en 1978-1979.

 PHILOSOPHY /// Radio Broadcast about Michel Foucault | The Funambulist

Foucault en Iran

La théologie post-moderne, dont le caractère religieux a souvent été relevé par différents observateurs (concernant la "religion des droits de l'homme" ou encore “l’église de la climatologie”, selon l’expression du  biochimiste Luis Gomez) donne également naissance à une eschatologie, qui repose selon Trigano sur l'espoir de voir naître une "humanité unie, (et) sur le rêve d'être partout chez soi", mais également sur celui d'une "humanité sans loi" (p.  75). Ces deux derniers éléments de l'idéologie post-moderne permettent de comprendre pourquoi le post-modernisme est fondamentalement hostile à Israël.

 

 

 

Il l'est à un double titre au moins. Israël, en tant qu'État-nation, est à la fois contraire au rêve d'une humanité unie (d'où le combat idéologique, à l'extérieur et au sein même de l'état juif, pour le transformer en "État de tous ses citoyens”, selon le slogan post-sioniste) et à celui d'une humanité sans loi. Sur ce dernier point, capital, l'auteur montre bien comment certains théoriciens de l'idéologie post-moderne (Antonio Negri, Alain Badiou ou Georgio Agamben) reprennent à leur compte la vieille théologie paulinienne et son hostilité à Israël, "dont ils orchestrent l'étonnant retour théologique et politique" (p. 78). Cet aspect, souvent ignoré ou minoré, est essentiel pour comprendre la continuité historique et idéologique entre l'antisionisme contemporain et le vieil antisémitisme à fondement religieux dans le monde chrétien et postchrétien (3).

 

Quelle base sociale pour l’idéologie post-moderne?

 

La seconde partie du livre est consacrée à l'analyse de la "base sociale" de l'idéologie post-moderne. Dans des pages lumineuses, l'auteur décrit la classe véhiculant celle-ci comme étant "à la fois en position dominante, voire hégémonique, et extérieure à la hiérarchie sociale". De quelle classe s'agit-il? Elle regroupe en fait plusieurs castes, dont les intérêts convergents sont servis par l'idéologie post-moderne : la classe de la finance nomade (4), la classe universitaire et la classe médiatique. Cette dernière est décrite de manière très convaincante comme incarnant les véritables "prêtres" de la nouvelle théologie à portée eschatologique décrite ci-dessus.

 

S'y ajoute la corporation juridique, particulièrement puissante en Israël où la Cour suprême est devenue le premier pouvoir (5). (On pourrait y ajouter encore la caste scientifique, largement enrôlée au service de l'idéologie dominante a travers le scientisme aujourd'hui triomphant (6)). Cette dernière partie du livre, particulièrement éclairante, permet ainsi de saisir l'articulation de nombreux phénomènes sociaux et politiques auxquels nous assistons depuis plusieurs décennies, qui s'inscrivent dans la vaste configuration idéologique et politique dont Shmuel Trigano décrit les ressorts profonds, pas toujours visibles au regard de l'observateur. Dix ans après sa parution, La nouvelle idéologie dominante s'avère être un ouvrage essentiel à la compréhension du monde actuel.

Pierre Lurçat

 

1. Comme l'a bien vu le poète Philippe Jaccottet : “Les joints des mots se rompent, certains sombrent, d’autres s’éloignent”. In : La semaison. Carnets 1954-1979, Gallimard 1984.

2. Je renvoie sur ce point à mon livre Les mythes fondateurs de l'antisionisme contemporain, éditions l’éléphant, Paris-Jérusalem 2021.

3. Notons que c'est un thème récurrent dans l'œuvre de Shmuel Trigano, déjà abordé notamment dans ses livres L’e(xc)lu : entre juifs et chrétiens ou La Nouvelle Question juive.

4. Concept qui rejoint l'opposition faite par David Goodhart entre les “anywhere” et les “somewhere” dans son livre paru en 2017, The Road to somewhere. Cette distinction a été reprise en Israël par Gadi Taub.

5. Je renvoie sur ce point à mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël”, à paraître dans la revue Pardès.

6. Sur ce sujet, voir notamment François Lurçat, De la science à l'ignorance : essai, éditions du Rocher, coll. « Esprits libres », Monaco et Paris, 2003.

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Sarah, Eric, Alain et les autres… Lettre à trois Juifs inaccomplis, à la veille de Yom Kippour, Pierre Lurçat

September 15 2021, 10:08am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans quelques heures, le soleil descendra à l’horizon et tout notre pays sera plongé dans l’atmosphère incomparable de la Journée la plus sacrée du calendrier juif, Yom Kippour. Chez nous, en Israël, cette journée a - plus encore que les autres fêtes - une saveur bien particulière qu’on ne peut ressentir qu’ici, dans notre pays ancien-nouveau, sur notre grande et petite terre que le monde entier nous dispute et vers laquelle se tournent à chaque instant les yeux de tous… C’est le moment que je choisis pour m’adresser à vous, trois Juifs de France, trois “coreligionnaires” - comme on disait autrefois - expression désuète et trompeuse, car ce que nous partageons a peu à voir avec la “religion”.

 

 

Je commencerai par vous, Sarah. Lorsque j’ai entendu parler de vous dans les médias, et que j’ai lu votre déclaration, “Je suis de confession juive, mais je me sens de culture chrétienne. Chez moi, Charles Péguy est aussi important que la Torah…”, je n’ai pas tant été choqué qu’ému et aussi un peu attristé. Car voyez-vous, j’aurais pu dire la même chose quand j’avais 15 ans. J’ai grandi, comme vous, dans une maison où la culture française était bien plus importante que la culture juive. J’ai vibré en lisant les pages de Gaston Bonheur sur l’histoire de France, et je me suis identifié à ses héros, à Clovis et à Jeanne d’Arc, bien plus qu’à ceux de l’histoire d’Israël dont j’ignorais jusqu’au nom.

C’est pourquoi j’éprouve une certaine sympathie pour votre sincérité et pour votre parcours. Comme vous aussi, j’ai étudié dans les meilleures écoles et lycées parisiens, et j’aurais sans doute pu choisir moi aussi de faire carrière dans la fonction publique. Si j’ai pris une autre voie, c’est uniquement parce que j’avais assez jeune reçu le vaccin sioniste, qui m’a inoculé contre la maladie de l’assimilation et de l’exil. Je me souviens encore de l’émotion ressentie, à vingt ans, en lisant les mots toujours actuels de Theodor Lessing, philosophe juif allemand qui parlait de ces “Jeunes Juifs qui préfèrent embrasser des carrières judiciaires ou littéraires… au lieu de porter des pierres sur la route de Jérusalem” (1). La première fois que j’ai lu son livre-testament, j’ai su immédiatement que telle serait ma vocation, et que j’irais - tout comme mon grand-père, le Haloutz - “porter des pierres” sur la route de Jérusalem, où je vis depuis bientôt trente ans.

 


Mon grand-père, Joseph Kurtz

Je comprends que vous ayiez fait le choix inverse, et je souhaite que vous réussissiez dans vos entreprises, sans toutefois oublier que vous êtes une “Bat Israël”, une fille de notre peuple. En lisant le nom de Péguy, j’ai évidemment pensé à un autre de nos “coreligionnaires”, Alain Finkielkraut. Modèle de l’assimilation judéo-française, fils d’émigrés venus de Pologne comme mes grands-parents, qui est entré à l’Académie française. Qui n’a pas été ému en écoutant votre discours, Alain, dédié à vos parents et grands-parents, en vous entendant évoquer votre “nom à coucher dehors, (qui) est reçu aujourd’hui sous la coupole de l’institution fondée, il y aura bientôt quatre siècles, par le cardinal de Richelieu”... Moi aussi, cher Alain, j’ai comme vous “appris à honorer ma langue maternelle qui n’était pas la langue de ma mère” et le nom de Richelieu évoquait bien plus de souvenirs à mon oreille (les romans d’Alexandre Dumas qui ont enchanté mon enfance) que ceux du roi David ou du prophète Jérémie… 

 

Mais je suis bien conscient de la tragédie que cela représente, pour moi, et pour notre peuple. Que des enfants juifs de Paris, de New York ou de Moscou grandissent loin de notre tradition, de notre histoire et de notre peuple, voilà la tragédie, qui a pour nom assimilation… Quand je lis sous votre plume, que “J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle, et que son « après » n’avait rien d’attrayant”, je ne peux évidemment que souscrire à cette déclaration d’amour. Je ne fais pas partie de ceux qui ont quitté la France comme on quitte un navire en perdition. Non! J’ai suivi avec inquiétude, depuis trois décennies, le long enfoncement de mon pays d’enfance dans le marasme politique et idéologique où elle se trouve aujourd’hui plongée. J’ai même écrit quelques livres pour éclairer mes anciens compatriotes sur les dangers de l’islam politique. 



 

 

Je partage donc votre inquiétude et votre amour, cher Alain. Mais j’ai depuis lors renoncé à l’illusion de croire que c’était à nous, Juifs, qu’il appartiendrait de sauver la France contre ses démons et d’être en quelque sorte les derniers Français de France… Et cela m’amène à vous, Eric. Je suis votre engagement avec intérêt et je n’éprouvais pas jusqu’à récemment la répulsion que votre nom provoque chez certains. Que vous soyez un patriote français ne me choque pas du tout. Après tout, quitte à rester en France, autant que cela soit avec conviction et avec la volonté de tout faire pour que ce pays reste fidèle à son histoire et à ses traditions. 

 

Là où je ne vous suis pas, c’est lorsque vous vous identifiez totalement et sans réserve à cette histoire et à ces traditions, sans voir ce qu’Alain déclarait en entrant sous la Coupole : “C’est de France, et avec la complicité de l’État français, que mon père a été déporté...Le franco-judaïsme a volé en éclats,  les Juifs qui avaient cru reconnaître dans l’émancipation une nouvelle sortie d’Égypte, ont compris qu’ils ne pouvaient pas fuir leur condition”.  (Si seulement l’auteur de ces paroles en avait tiré toutes les conséquences…)

 

 

J’ai été choqué comme tout Juif qui se respecte par votre dernière sortie et par vos paroles malencontreuses, dans lesquelles vous faites reproche aux familles Sandler et Monsonego d’avoir enterré leurs enfants assassinés en Israël. J’ai repensé en lisant vos phrases choquantes aux mots de Péguy, ce grand Français que vous trois, Eric, Alain et Sarah, lisez et appréciez ; “Heureux ceux qui sont morts pour une terre charnelle, mais pourvu que ce fût dans une juste guerre”... Ces mots qui me touchent comme vous n’évoquent pas pour moi les morts de Sedan ou de Verdun, mais ceux de Massada et de Tel-Haï. Ils m’évoquent un héros juif, Yossef Trumpeldor, qui a écrit d’autres mots impérissables : “Tov la-mout béad Artsénou”, “Il est bon de mourir pour son pays”.

 

Or voyez-vous, cher Alain, Eric et chère Sarah, s’il est bon de mourir pour son pays, encore faut-il ne pas se tromper de pays. Si les parents des enfants Sandler et de la petite Myriam Monsonégo ont choisi d’enterrer leurs enfants dans la terre d’Israël, ce n’était pas par mépris pour la France et son histoire, mais plus simplement parce qu’ils avaient compris dans leur chair ce que vous vous refusez tous les trois à admettre, en dépit de votre érudition et de vos écrits savants. L’histoire de France n’est pas la nôtre, sa terre n’est pas mienne et son avenir n’est pas celui du peuple Juif. 

 

 

Que vous ayiez choisi de croire au “Destin français”, cher Eric, et de servir la France par vos écrits, cher Alain, et par votre carrière, chère Sarah, ne peut effacer cette réalité que Lévinas et Jankélévitch connaissaient bien, il y a déjà de nombreuses années. On peut échapper au destin juif - vécu par certains comme un malheur - en voulant épouser l’histoire, la culture et le destin d’un autre peuple. On peut être un bon Juif français, et même devenir un “Français d’origine juive”, mais on ne peut, pour vous citer, cher Alain, échapper à “l’irrémissibilité de l’être juif” (2). On peut par contre, refuser le malheur juif pour choisir le “dur bonheur d’être Juif” (André Neher) et assumer librement sur notre Terre retrouvée la vocation juive et israélienne. Gmar Hatima tova.

Pierre Lurçat

1. In Th. Lessing, La haine de soi juive. Je cite de mémoire.

2. L’expression est d’Emmanuel Lévinas.

 

 

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Israël, État et religion : « En quoi la pensée de Jabotinsky est-elle pertinente aujourd’hui ? » (1)

September 12 2021, 07:46am

Posted by Pierre Lurçat

Israël, État et religion : « En quoi la pensée de Jabotinsky est-elle pertinente aujourd’hui ? » (1)

La conception de la religion de Jabotinsky permet de répondre à certaines des questions les plus brûlantes qui agitent le débat public en Israël depuis plusieurs décennies, et pour ainsi dire, depuis le début du sionisme politique.  Dans ce débat interminable qui revient, génération après génération, se poser en termes quasiment identiques et qui semble parfois constituer un des points de discorde les plus marquants de la société israélienne, certaines questions pourraient sans doute être résolues, ou tout du moins simplifiées, si l’on prenait la peine d’établir certaines distinctions essentielles, en s’inspirant des conceptions développées par Jabotinsky.

La première distinction, essentielle, est celle de la sphère privée et de la sphère publique[1].  Le constat que fait Jabotinsky dans son article De la religion est tout aussi valable aujourd’hui qu’à son époque : “Cela fait longtemps que nous aurions dû, nous autres Juifs, réviser notre attitude intellectuelle envers la religion… Une attitude positive envers la religion devra s’exprimer d’une manière différente. Par une manifestation positive, par exemple, lors des assemblées des congrès nationaux, des conférences et des assemblées élues – il faudrait qu’ils s’ouvrent par une cérémonie religieuse ; et peu importe que leurs membres soient croyants ou “non croyants”. Car ces démonstrations revêtent une signification plus profonde que la question des croyances individuelles, ou celle des doutes de l’individu[2].

En somme, ce que nous dit Jabotinsky est que la religion est plus importante pour la collectivité nationale que pour l’individu. Pourquoi ? Parce que, explique-t-il, “Ce qui compte est la manifestation d’une foi puissante et historique partagée par des milliers de personnes”. Cette affirmation touche à une question essentielle et  souvent mal comprise dans la pensée de Jabotinsky, qui a donné lieu à d’innombrables erreurs d’interprétation et accusations infondées. Citons, à titre d’exemple, un historien qu’on ne saurait soupçonner d’inimitié pour l’épopée sioniste, Georges Bensoussan. Dans son ouvrage monumental, Histoire intellectuelle du sionisme, il écrit ainsi que Jabotinsky “exalte le groupe et la nation dans lesquels l’individu se fond, en appelant à dépasser l’individu[3]. C’est sur le fondement d’une telle appréciation qu’on a pu accuser Jabotinsky de sympathies pour le fascisme italien, notamment après qu’il eut créé en Italie l’école navale de Civitavecchia, où  furent formés les premiers cadres de la future marine israélienne. Or cette affirmation repose tout entière sur un contresens.

En effet, Jabotinsky n’exalte jamais le groupe au détriment de l’individu, ni la collectivité au détriment de la liberté de conscience. Il pose lui-même la question, dans son autobiographie, de savoir qui doit avoir préséance, entre l’individu et la collectivité, entre l’autonomie de la personne et les exigences de la nation. Cette question est cruciale pour toute nation en voie d’édification, et on comprend donc que Jabotinsky se la soit posée. Sa réponse mérite d’être citée, tant pour éclairer la pensée de Jabotinsky que pour répondre à des questions toujours actuelles :

Au commencement, Dieu a créé l’individu : chaque individu est un Roi égal à son prochain. Il vaut mieux que l’individu pèche envers la collectivité, plutôt que la collectivité pèche envers l’individu. La société a été créée pour le bien des individus, et non le contraire ; et la fin des temps, la vision des jours messianiques – est le paradis de l’individu, un régime d’anarchie splendide – où la société n’a pas d’autre rôle que d’aider celui qui tombe, de le consoler et de le relever[4]. On comprend bien, en lisant ces lignes, que Jabotinsky est tout le contraire d’un partisan des régimes autoritaires, comme certains continuent de le penser, y compris parmi les historiens sérieux. Non seulement Jabotinsky abhorre l’autoritarisme et l’État totalitaire, mais il est en fait adepte d’un État minimaliste, dont la seule fonction serait de l’ordre de la protection sociale.

Comment cette conception de l’État et de l’individu se concilie-t-elle avec son idée du rôle de la religion dans l’existence nationale? La réponse est simple : la question des croyances individuelles relève de la liberté de conscience et appartient au domaine exclusif de l’individu, qui est roi, et nul ne peut empiéter sur ce domaine sacré. Mais dans l’ordre collectif, il est important de faire régulièrement la “manifestation d’une foi puissante et historique, dans le respect et l’obstination”. Les deux mots choisis par Jabotinsky ne l’ont pas été par hasard. Le respect est, nous l’avons vu, l’élément essentiel de sa conception du judaïsme. L’obstination, c’est une des qualités spécifiques au peuple Juif, le “peuple à la nuque raide” dont parle la Bible. Si l’on veut préserver les qualités spécifiques et la culture nationale propre au peuple Juif, il importe donc de manifester le lien entre le “judaïsme national” et le mont Sinaï, pour reprendre les termes de Jabotinsky.

Importance du judaïsme dans l’éducation

L’autre domaine – crucial – dans lequel il convient selon Jabotinsky de manifester une attitude positive envers le judaïsme est celui de l’éducation. Non pas par souci de prosélytisme, contrairement à ce que croient les adversaires de toute éducation juive – y compris en Israël – qui évoquent à tout bout de champ un prétendu risque de “coercition religieuse”. Non pour “susciter un enthousiasme artificiel envers la Tradition”, affirme Jabotinsky mais parce que “l’élève”, qu’il se conforme ou pas aux commandements religieux, “doit cependant connaître les coutumes (du judaïsme), tout comme il doit connaître l’histoire et la littérature, car les coutumes font partie tant de notre histoire que de notre littérature, et plus encore, elles font partie de l’âme de notre nation”.

L’idée qu’il faut enseigner le judaïsme en tant que culture peut paraître banale, après tout on enseigne aujourd’hui la Bible hébraïque dans les écoles israéliennes les plus laïques…. Rappelons que Jabotinsky a lutté très tôt et tout au long de sa vie contre le danger de l’assimilation. Mais il ne se contente pas d’affirmer que les coutumes juives font partie de la “culture générale” que tout élève juif doit étudier. Il va plus loin, en expliquant qu’elles “font partie de l’âme de notre nation”. Qu’est-ce à dire? Nous voyons ici que la question de la religion est indissolublement liée chez Jabotinsky à celle de la nation. Le judaïsme n’est pas seulement un ensemble de lois et de coutumes extérieures et une religion “légaliste”, dénuée de chaleur (comme l’ont décrite certains de ses adversaires, Kant notamment). Le judaïsme est l’âme de la nation juive, ce qui lui donne sa spécificité, sa “segoula” pour employer un terme hébraïque. Précisons que la segoula n’est pas chez lui l’apanage du peuple Juif. Elle existe en fait chez tous les peuples, car aux yeux de Jabotinsky – qui se dit “fou d’égalité” -, les peuples sont égaux comme les individus[5].

État juif ou État de “tous ses citoyens”?

            Abordons à présent une autre controverse, tout aussi actuelle, celle qui oppose aujourd’hui les partisans d’un État juif et démocratique à ceux d’un “État de tous ses citoyens”. Certains commentateurs ont voulu annexer Jabotinsky au camp libéral et “progressiste” – c’est-à-dire au camp de ceux qui sont favorables à un État dans lequel l’égalité entre tous l’emporterait sur l’impératif de préserver le caractère juif de l’État. Cette interprétation repose selon nous sur deux erreurs communes dans l’interprétation de sa doctrine. La première consiste à faire d’un élément accessoire le principal, par exemple en considérant que l’idée d’égalité – effectivement très présente dans la pensée politique de Jabotinsky  – doit l’emporter sur toutes les autres. Or, l’individualisme et l’égalité des hommes (“tout homme est un Roi”) doivent parfois, nous l’avons vu, s’effacer derrière d’autres impératifs, comme ceux de l’intérêt national en temps de guerre et de la préservation du caractère national.

            Aux yeux de Jabotinsky, la multiplicité des nations et des peuples est une bénédiction, idée très juive qu’il n’a pas trouvée seulement dans la Bible mais aussi dans sa réflexion théorique sur la “question des nationalités”. Il est certes, comme le relève un commentateur[6], persuadé que le monde évolue vers une internationalisation croissante (il envisage même l’apparition d’une langue internationale et soutient avec enthousiasme l’espéranto), mais il n’en demeure pas moins convaincu que les États-Nations doivent subsister, pour le bien de l’humanité.

            La deuxième erreur est l’anachronisme. Tout comme Herzl, Jabotinsky a parfois montré un optimisme excessif à certains endroits de son œuvre, par exemple lorsqu’il envisageait une parité entre Juifs et Arabes au sein des organes du gouvernement. Il serait ainsi tout à fait anachronique et erroné d’en faire un partisan d’un gouvernement juif qui s’appuierait sur un parti arabe irrédentiste, ne reconnaissant pas le caractère juif de l’État. Je cite ici ses écrits : “Dans des conditions normales, c’est-à-dire dans un pays où vivent deux ou plusieurs peuples cultivés, et qui est gouverné selon un régime parlementaire – il est légitime que le caractère national de la majorité marque en fin de compte son empreinte la vie de l’État tout entier”.

Importance du judaïsme pour l’État juif et pour le monde : le sionisme suprême

            Venons-en à l’élément le plus original de la conception de la religion et du judaïsme de Jabotinsky : celle qu’il a élaborée dans les dernières années de sa vie, dans la décennie qui va de 1930 à son décès prématuré, à New York, en 1940. Cette conception est aussi celle qu’il a exprimée dans la Constitution de la Nouvelle Organisation sioniste, fondée en 1935. Dans ses interventions au congrès fondateur de la N.O.S. et dans les résolutions adoptées par celles-ci, Jabotinsky donna libre cours à l’esquisse de sa nouvelle conception du rôle que devrait remplir la religion juive dans le futur État juif : [7]

            “L’objectif du sionisme est la rédemption d’Israël sur sa terre, la renaissance de sa nation et de sa langue et l’enracinement des principes sacrés de sa Torah dans la vie nationale, et par cela, la création d’une majorité juive en Eretz-Israël sur les deux rives du Jourdain ; la création d’un État juif fondé sur les libertés civiques et sur les principes de justice inspirés par la Torah ; le retour à Sion de tous ceux qui aspirent à Sion et la fin de l’exil. Cet objectif a préséance sur les intérêts de tout individu, collectivité ou classe sociale”. Cette résolution fut adoptée par les délégués du Congrès après l’intervention enthousiaste de Jabotinsky en sa faveur. Dans son discours, il affirma que “le Congrès fondateur (de la N.O.S.) devait également reformuler tant les relations entre la renaissance nationale et la tradition religieuse” et qu’il fallait accorder à la religion une place essentielle dans l’entreprise sioniste”, en expliquant qu’il avait changé d’avis sur ce sujet.

Il est important de noter qu’initialement, Jabotinsky avait voulu insérer dans la Constitution de la N.O.S un paragraphe évoquant “l’enracinement de la Torah dans la vie internationale”, mais qu’il avait dû faire marche arrière pour ne parler que de l’enracinement dans la Torah dans la vie nationale”. Comme il l’explique :

« l’État juif n’est que la première phase de la réalisation du sionisme suprême. Après cela viendra la deuxième phase, le retour du peuple Juif à Sion… Ce n’est que dans la troisième phase qu’apparaîtra le but final authentique du sionisme suprême – but pour lequel les grandes nations existent : la création d’une culture nationale qui diffusera sa splendeur dans le monde entier, comme il est écrit : ‘Car de Sion sortira la Torah’ ».

            Comment interpréter ces mots à la lumière de ce que nous avons exposé? Jabotinsky n’est pas devenu un Juif pratiquant. Il est demeuré toute sa vie durant le Juif libéral et laïque qu’il était depuis sa jeunesse. Mais il a compris que la tradition juive n’appartenait pas à un camp ou à un parti politique, qu’elle n’était pas seulement une enveloppe, une “structure” extérieure et une “religion”, mais qu’elle était l’âme du peuple Juif tout entier, et qu’à ce titre, elle devait être au cœur de la culture nationale qui allait refleurir dans le futur Etat juif dont il n’a pas vu le jour.

© Pierre Lurçat 

Questions autour de la tradition d’Israël : Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.
Editions de la Bibliothèque sioniste, Jérusalem 2021. En vente sur Amazon.


[1] Distinction fondamentale de tout régime politique moderne, qui a tendance à s’estomper dans les sociétés contemporaines, notamment du fait de l’apparition des réseaux sociaux et de leur emprise croissante.

[2] Voir supra, p. 43.

[3] G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle du sionisme, Fayard 2012, p. 677.

[4] Histoire de ma vie, Les provinciales 2011, page 41.

[5] Ce qui ne l’empêche pas de préférer son propre peuple, sentiment naturel et tout à fait légitime à ses yeux.

[6] Aryeh Naor. In the Eye of The Storm, Essays on Ze’ev Jabotinsky. Edited by. Avi Bareli. Pinhas Ginossar. Tel-Aviv 2004.

[7] Cité par Eliezer Don Yehia, https://in.bgu.ac.il/bgi/iyunim/DocLib3/zeev3d.pdf 

 

A tous les lecteurs de VudeJérusalem, que l'année qui commence vous apporte joie et santé, 

CHANA TOVA

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Un événement éditorial : parution du livre de V. Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive

September 1 2021, 09:22am

Posted by Pierre Lurçat

NB j'évoquais ce matin les rapports de Jabotinsky à la tradition juive au micro d'Olivier Granilic sur Studio Qualita.

 

Editions L’éléphant 

Paris-Jérusalem

 

COMMUNIQUÉ

Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, 

Questions autour de la tradition juive

 

La question des rapports entre État et religion ne cesse d’occuper le débat public, en Israël comme en France et ailleurs. Les conceptions de Jabotinsky sur ce sujet brûlant permettent de répondre à certaines des questions qui divisent la société israélienne depuis plusieurs décennies, comme la place de la religion dans la sphère publique et le caractère juif de l’État. Au-delà même de leur importance pour Israël aujourd’hui, ces questions interpellent le lecteur contemporain par leur actualité et par l’originalité du regard de Jabotinsky. 

 

Les textes ici publiés en français pour la première fois exposent les conceptions originales de Jabotinsky concernant la religion et les rapports entre le judaïsme et le futur État juif, à la création duquel il a consacré sa vie. Entre 1905 et 1935, Jabotinsky est passé d’une conception utilitariste de la religion et du judaïsme, considéré comme une “momie” et une structure purement extérieure - ayant permis au peuple Juif de conserver son identité nationale pendant les siècles de l’exil - à une conception beaucoup plus positive d’un judaïsme vivant, fondement spirituel essentiel au futur État juif.

 

 

 

Né à Odessa en 1880 et mort dans l’État de New-York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky est une des figures les plus marquantes du sionisme russe. Écrivain, journaliste et militant infatigable, créateur du mouvement sioniste révisionniste et du Bétar, il a conquis sa place parmi les fondateurs de l’État d’Israël, entre la génération de Théodor Herzl et celle de David Ben Gourion. Théoricien politique extrêmement lucide, il avait compris la vertu cardinale pour les Juifs de se défendre eux-mêmes, et dès la Première Guerre mondiale, il obtint leur participation militaire sous un drapeau juif à l’effort de guerre des Alliés.

 

Questions autour de la tradition juive, précédé de État et religion dans la pensée du Roch Betar, traduction et présentation de Pierre Lurçat

 

Pour recevoir un service de presse, veuillez écrire à editionslelephant@gmail.com

 

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Les cybermédias et la grande angoisse contemporaine

August 31 2021, 11:41am

Posted by Pierre Lurçat

Cet article est le troisième volet d’un nouveau “feuilleton philosophique”, dans lequel je poursuis la réflexion entamée dans mon livre Seuls dans l’Arche, en analysant les conséquences de la révolution technologique et numérique sur la vie et sur la pensée humaine. P.L

 

Pourquoi l'homme contemporain se sent-il particulièrement seul et vulnérable? Les guerres, les maladies, la solitude propre aux grandes agglomérations urbaines : rien de tout cela n'est nouveau. Quant à la pandémie de la Covid 19, elle n’a fait que renforcer des tendances qui existaient déjà auparavant. L'hypothèse que nous voudrions exposer ici est que ce sentiment d'angoisse général est largement lié à l'obsession du moi qui caractérise notre époque, à la forme de communication propre aux réseaux sociaux et cybermédias et aux nouvelles relations interpersonnelles qu’ils ont instaurées.

 

Nous pourrions dire, pour caractériser l'angoisse propre à l'époque des cybermédias, qu'elle tient aux aspects paradoxaux, inhérents aux formes de communication caractéristiques des nouveaux médias et en particulier à deux phénomènes qui leur sont propres : celui de l'instantané et celui de l'illusion de proximité. Pour apprécier la forme d'angoisse spécifique générée par le premier phénomène, souvenons-nous de l'époque déjà lointaine où l'on envoyait des lettres par la poste. Lorsque la missive était partie, nous savions parfaitement que la réponse ne pourrait pas nous arriver avant un délai minimum de plusieurs jours. Ce n'est qu'une fois ce délai écoulé qu'on pouvait commencer à attendre une réponse et à s'inquiéter- le cas échéant - lorsqu'elle ne venait pas.

 

 

Dans le monde des cybermédias, l'attente de la réponse est - tout comme l'envoi du message qui la demande - instantanée. Et l'angoisse de la non-réponse est elle aussi instantanée : elle apparaît dès le moment où nous avons cliqué pour envoyer notre message. Ce phénomène est devenu tellement banal et quotidien, que nous avons tendance à oublier sa signification et ses conséquences pour notre état mental et émotionnel. Nous vivons dans une permanente attente de réponses, de réactions et d'appréciations de nos multiples correspondants, suiveurs et amis virtuels.

 

Les cybermédias nous replongent ainsi dans une attitude infantile et angoissante, qui est celle de l'enfant en attente d'un regard approbateur ou d'un sourire de sa mère… Mais, à la différence du sourire maternel ou de l’approbation paternelle, la réaction que nous attendons sur les réseaux sociaux et dans les cybermédias en général ne satisfera jamais entièrement notre soif de reconnaissance, d’approbation ou de relations virtuelles. Car elle sera toujours, par définition, incomplète et insuffisante...

 

Le “monde du clic” - que les publicitaires et les promoteurs des réseaux sociaux nous vendent comme celui de “l’accès” et de la connexion universelle - est ainsi celui de l’angoisse permanente, liée à la peur de ne pas recevoir à chaque instant la réponse que chacun de nos messages, posts ou tweets appellent. Il est le monde d’un naufrage permanent, dans lequel chacune de nos moindres actions virtuelles ressemble à une “bouteille à la mer” lancée dans l’océan du Web, cette mer souterraine agitée par le flux incessant et dans laquelle aucune terre ferme de nous permet de reprendre pied.

 

La solitude du surfeur du Web

 

Cette a ngoisse propre aux cybermédias est également due à un autre phénomène, qui est la conséquence du premier - que nous pourrions qualifier de “solitude du surfeur” du Web. L’illusion de proximité et de “connexion” permanente dans laquelle nous vivons génère en effet une déconvenue récurrente et presque permanente, dont nous faisons l’expérience chaque fois que la relation virtuelle se révèle pour ce qu’elle est : à savoir, une pâle copie des relations humaines authentiques.

 

Pour reprendre l’exemple évoqué ci-dessus, lorsque nous recevions jadis une lettre d’un ami ou d’un être aimé, nous la lisions et la relisions, et pouvions l’enfermer dans une boîte ou dans un tiroir, où elle demeurait cachée aux regards des tiers, trésor secret que l’on pouvait chérir et contempler à loisir, des mois ou des années après l’avoir reçu. Dans le “monde du clic”, le plus beau des messages reçus ne suscitera jamais en nous des sentiments aussi forts, beaux et durables que ceux que pouvait engendrer une lettre. Pourquoi?

 

La première raison tient au support même sur lequel il est reçu. Un message reçu sur un écran n’a pas la même signification qu’un message identique, écrit de la main de son auteur. Il y manquera toujours ces détails physiques et concrets (l’écriture manuscrite, le grain du papier ou même son odeur - rappelons-nous que les lettres étaient autrefois parfumées) qui concourent au charme incomparable de la missive sur papier. La deuxième raison tient à la nature instantanée décrite précédemment, qui altère souvent la nature du message, en le banalisant et en lui retirant de sa valeur unique et incomparable. 


Fragonard, La lettre d’amour

 

Mais la raison principale tient à l’état mental dans lequel nous plonge la réception d’un message envoyé sur les réseaux sociaux. Les qualités technologiques déteignent en effet sur le contenu du message (“The medium is the message”) et la valeur que nous lui attribuons est inversement proportionnelle à la facilité et la rapidité avec laquelle nous l’avons reçu. Dans le “monde du clic”, le plus beau message d’amour sera toujours plus éphémère et moins fort qu’une lettre d’amour manucrite. Imaginerait-on, pour illustrer ce propos, de conserver de tels messages dans un tiroir et de les relire des années plus tard? Ou même de faire parvenir à l’être aimé un message d’amour pieusement conservé, plusieurs décennies après l’avoir écrite? 

 

Aucune technologie de communication moderne n’envisage une telle possibilité… Dans le “monde du clic”, la lettre d’amour appelle une réponse instantanée. L’impatience propre aux cybermédias nous rend incapables de la “patience amoureuse”, qui permettait autrefois aux histoires d’amour d’éclore après une longue incubation, ou de renaître de leurs cendres après des années. Ici, comme dans d’autres aspects des relations interpersonnelles, nous sommes devenus impatients, infantiles et perpétuellement insatisfaits. (à suivre…)

Pierre Lurçat

__________________________________________________________________

”Un formidable parcours philosophique… Une méditation sur le sens de nos vies”. 

Marc Brzustowski, Menorah.info

“Une réfexion profonde sur des questions essentielles, comme celle du rapport de l'homme au monde et la place de la parole d'Israël”.

Emmanuelle Adda, KAN / RCJ

“Une analyse claire et percutante  de la définition de l’humain dans le monde actuel”

Maryline Médioni, Lemondejuif.info

 

 

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

 

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 5/5

August 25 2021, 09:26am

Posted by Olivier Ypsilantis

Pierre Lurçat : Vous avez écrit de Tsahal qu’elle était la “plus belle armée du monde”. L’armée juive, tellement décriée dans les médias, serait-elle aussi un facteur de rapprochement avec Israël pour des non-Juifs ? Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez ?

 

Olivier Ypsilantis : Oui, Tsahal est bien la plus belle armée du monde. Je sais que cette seule affirmation me vaudra bien des ennemis et que je risque une fatwa ou quelque chose dans le genre, mais je m’en moque. L’histoire des forces armées d’Israël et des forces juives de Palestine (avant donc la création de l’État d’Israël) est passionnante. Je ne me lasse pas de l’étudier. La Haganah, le Palmach, sans oublier le groupe Stern (Lehi) et l’Irgoun. J’ai une grande affection pour Avraham Stern qui fut aussi un poète. L’histoire de cette armée m’intéresse d’abord parce qu’elle est intimement mêlée à celle du peuple juif de retour en Israël. Je n’ai pas le culte de la violence et de la mort mais il ne me déplaît pas de voir les Juifs se défendre et frapper si nécessaire. Dans le Talmud dont je ne suis nullement un spécialiste il est dit quelque chose comme : « « Si quelqu’un vient pour te tuerlèvetoi et tue-le le premier ». C’est ainsi. Le Juif qui a servi de bouc-émissaire, de souffre-douleur et d’exutoire se lève et se défend. Je claque la porte à ceux qui trouvent à y redire et pinaillent.

Oui, fort d’une expérience que je compte bien amplifier, je suis fier de travailler même très modestement (je le répète, je suis un homme de ménage, je m’active dans la logistique arrière) pour Tsahal. Je me sens mieux sous l’uniforme de Tsahal que sous l’uniforme français que j’ai dû porter lorsque le service militaire était obligatoire. Hormis quelques moments de bonheur (des marches dans des forêts d’automne ou au clair de lune par temps de neige), je garde de ce service militaire des souvenirs dignes de Courteline. Rien de tel en Israël.

L’armée d’Israël, un sujet immense et passionnant. La formation de la Haganah tient du roman d’aventure avec des séquences à la James Bond. Cette armée est aussi un puissant facteur d’intégration avec ces deux ans de service armé pour les femmes, trois ans pour les hommes. A ce propos, peu d’armées ont poussé à ce point l’intégration femmes/hommes et à tous les niveaux de la hiérarchie et dans (presque) toutes les armes. A ces années de service armé, ajoutez les périodes de réserve, les Milouims. Les Juifs forment un peuple, un peuple qui en Israël même a été terriblement menacé, surtout au moment de la déclaration d’Indépendance, en 1948. Cette période est cruciale pour la formation de cette armée et l’émergence de la question palestinienne, née du refus radical de la part des Arabes du plan de partage de l’O.N.U. Vous avez écrit à ce sujet des pages instructives, dans « Les mythes fondateurs de l’antisionisme » dont j’ai rendu compte sur ce blog dans une suite de quatre articles.

 

Avraham Stern (1907-1942)

 

L’armée d’Israël a servi de puissant intégrateur aux Juifs eux-mêmes, car si les Juifs forment un peuple (je ne reviendrai pas sur ce point et Shlomo Sand n’est qu’un schmock doublé d’un alte kaker qui traficote l’histoire en idéologue), c’est un peuple constitué d’individus et de communautés ayant vécu des expériences tellement différentes que la notion de peuple demande parfois à être réactivée, ce qui se fait sans trop de peine – et c’est l’un des « miracles » d’Israël. Les frottements entre Séfarades et Ashkénazes en Israël ont été forts, les Séfarades considérant qu’ils étaient regardés comme des citoyens de seconde zone par les Ashkénazes. Je n’ai pas à entrer dans cette affaire qui a probablement été assez sérieuse à une époque. Il me semble qu’aujourd’hui, avec le temps qui passe, la question s’est estompée jusqu’à disparaître. C’est tout au moins l’impression que je retire de mes observations et conversations sur le terrain. La question est à présent plus sérieuse entre Juifs religieux et Juifs laïcs, notamment sur la question du service armée. Il y a aussi la question des Beta Israel (les Juifs éthiopiens) qui semblent éprouver des problèmes d’intégration, une question que je n’ai pas suffisamment étudiée. Mais j’ai confiance en Israël et je sais que ces questions s’estomperont… et que d’autres se préciseront. La vie est ainsi faite.

J’ai confiance en ce pays. Lorsque je lis ou écoute l’information mainstream, je sens que les schmocks de diverses obédiences guettent ce qui pourrait affaiblir Israël : il y a peu c’était une guerre civile ou presque entre Juifs religieux et Juifs laïcs, deux désignations arbitraires qui recouvrent mille nuances, entre Juifs d’Israël et Arabes d’Israël, citoyens arabes d’Israël, et ainsi de suite. Les schmocks battent le tambour de leur ignorance et de leur haine d’Israël. Israël est aussi un formidable melting pot au sein du monde juif. La question des inégalités sociales à laquelle vous m’avez sensibilisé est sérieuse, mais Israël qui a affronté des questions en tout genre et souvent extrêmement graves saura l’affronter, je n’en doute pas.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je ne sais si Tsahal aide au rapprochement entre Juifs et non-Juifs. Il y a des unités et des éléments non-juifs dans Tsahal, à commencer par des Druzes, des Arabes chrétiens (pas si nombreux), des Bédouins (plus problématiques que les Druzes), des Tcherkesses (ou Circassiens) et j’en passe. Et il y a ces Russes et Ukrainiens pas toujours vraiment juifs au sens disons halachique, voire pas juifs (ils seraient environ 30 %), arrivés massivement depuis l’effondrement de l’Empire soviétique, depuis le début des années 1990 donc, mais qui s’intègrent magnifiquement dans ce pays auquel ils apportent leur énergie et leurs compétences et qui n’hésitent pas à s’engager dans les unités combattantes de Tsahal. Tsahal est aussi un pont entre le militaire et le civil, avec transfert de high tech dont la cybersécurité, domaine où Israël est leader mondial. Mais une fois encore, je m’égare.

Deux souvenirs du Sar-El destinés à montrer la particularité de cette armée. Dans la base du Néguev, je me souviens que des femmes d’un certain âge, probablement des retraitées et des grands-mères, donnaient de leur temps et faisaient ce que nous faisions mais entre elles. Elles triaient, nettoyaient, certaines recousaient tout en papotant et en prenant le thé. Bref, de menus travaux mais essentiels à l’heure du combat. Tout en les observant, je me disais que ce n’est pas dans une base militaire de France que j’aurais pu voir des civiles donner ainsi de leur temps. J’imagine par ailleurs les relations entre ces femmes hors de la base, parties de bridge ou d’échecs, échanges de recettes de cuisine, bref, une densité apportée à la vie israélienne par l’armée.

Dans la base de Galilée, c’étaient des hommes, de vieux Russes qui travaillaient dans une pièce accolée au local technique où j’avais mon poste. Je leur apportais parfois un élément de Merkava II dont j’avais du mal à me dépêtrer. Ils devaient avoir environ soixante-dix ans et même plus. J’observais leurs visages et pressentais des histoires particulièrement denses. Ils n’étaient pas vraiment aimables au début, ils étaient même renfrognés et silencieux. Il est vrai que j’étais entouré de Français séfarades, sympathiques mais aussi volubiles que des Espagnols ou des Italiens (l’une des filles avait un débit digne d’Anna Magnani, vous imaginez !), ce qui semblait les agacer. Mais au bout d’une dizaine de jours des sourires sont venus. Nous avons partagé des thés même s’il manquait le samovar. C’est ainsi. L’armée d’Israël est unique, elle brasse femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, Juifs et non-Juifs, et ainsi de suite.

Le Sar-El est une extraordinaire organisation. Dans les groupes de volontaires que j’ai intégrés, la proportion de Juifs (de France) était élevée, presque tous des Séfarades, environ les trois-quarts. Donner de son temps (et de sa sueur) pour Tsahal n’est pas une démarche courante. Nous sommes minoritaires, ultra-minoritaires. Israël et son armée inspirent presque toujours le dégoût et provoquent l’opprobre et plus encore la haine, je ne vous apprends rien. On fond, pour la masse et l’information mainstream, je suis le complice d’une politique d’apartheid voire d’un génocide. On préférerait que je travaille pour une O.N.G. palestinienne, ce serait vachement plus cool et je me ferais plein de potes… Mais n’oubliez pas : Etiam si omnes, ego non. Le seul nom Israël provoque des réflexes pavloviens. Ma femme partage mon engagement et nous avons le projet de faire un séjour au Sar-El sitôt que la situation sanitaire le permettra.

J’allais oublier un point très important. Israël est un pays épique ; et aujourd’hui, dans le monde, je ne vois guère de pays épiques, hormis les Kurdes qui luttent pour un Kurdistan libre. Il y en a probablement d’autres, qu’il ne faudrait pas oublier, mais je les connais moins. Les Kurdes, soit le peuple le plus nombreux sans État.  L’histoire d’Israël est épique, des Hébreux de la Bible à l’État d’Israël. Et je ne suis pas un judéolâtre comme on m’a accusé de l’être. Il y a autant de schmocks parmi les Juifs que parmi les Goyim ; mais, je le redis, l’histoire du peuple juif est épique, singulière et universelle – universelle parce que singulière. L’histoire du peuple juif est épique, comme l’histoire de l’État d’Israël et de son armée, Israël qui n’est pas né de la Shoah comme on se plaît à le répéter (par ignorance ou parti-pris idéologique), gommant ainsi le proto-État, le Yichouv et la formation d’une armée de défense qui s’est constituée avec des moyens de fortune, dans la clandestinité, sous le mandat britannique, et qui parviendra à repousser une puissante coalition arabe quelques heures après la proclamation de David Ben Gourion le 14 mai 1948. Oui, l’histoire du peuple juif et celle de l’État d’Israël s’étudient – se lisent – comme un grand roman d’aventure, mais ce roman est bien plus qu’un roman… Je ne suis pas juif mais je suis pris dans le grand sillage de cette histoire ; car l’histoire d’Israël n’est pas l’histoire d’un clan, d’une tribu ou d’une ethnie, elle parle à tous ceux qui n’ont pas les oreilles bouchées par le cérumen ou les yeux chassieux. Je ne plaisante qu’à moitié.

Olivier Ypsilantis 

https://zakhor-online.com/

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Jabotinsky et le rav Kook : la “rencontre” de deux géants, Pierre Lurçat

August 22 2021, 11:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yahrzeit du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, qui a été célébré le 3 Eloul, je publie ici un extrait inédit du nouveau livre de Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, qui paraît ces jours-ci. J’y évoque l’influence décisive qu’a eue sur Jabotinsky la prise de position courageuse du rav Kook dans l’affaire Arlosoroff. P. Lurçat

 

 

L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira”. (Jabotinsky, De la religion)

 

Le pronostic formulé par Jabotinsky selon lequel “l’homme entier sera religieux”, marque une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans son article Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entretemps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus aujourd’hui qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité humaine, aux côtés de la musique et de l’art ? Les raisons de cette évolution radicale sont multiples. Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel de Jabotinsky, qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment pas le jeune homme fougueux de 25 ans.

 

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et des personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham, qui exerça une influence importante sur l’idée que Jabotinsky se faisait du judaïsme et de la religion. Dans une lettre adressée en juin 1934 à Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Benjamin Nétanyahou, Jabotinsky parle en ces termes du rabbin Kook : “Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre)”.



 

 

Le rav Kook : le “Cohen Gadol”

Jabotinsky : un “ange descendu du ciel”



 

De son côté, le rabbin Kook, selon certains témoignages, aurait qualifié Jabotinsky “d’ange de Dieu” . Les deux qualificatifs sont assez forts et inhabituels, tant dans la bouche de Jabotinsky que dans celle du rabbin Kook, pour mériter qu’on y prête attention. Comment ces deux hommes, que tout séparait en apparence et qui ne se sont selon toute évidence jamais rencontrés, en sont-ils venus à se porter une telle estime réciproque ? La réponse à cette question est liée à un événement qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire politique du Yishouv, l’affaire Arlosoroff, mais aussi dans l’évolution des conceptions de Jabotinsky  concernant la place de la religion juive dans le futur État juif, et des rapports entre État et religion en général. 

 

Lorsque le dirigeant sioniste travailliste Haïm Arlosoroff est assassiné sur une plage de Tel-Aviv le 16 juin 1933, la presse et les dirigeants du Yishouv accusent immédiatement – et sans la moindre preuve – le Betar. Trois militants sont arrêtés, sur la base d’un témoignage obscur de la veuve d'Arlosoroff et l’un d’eux, Avraham Stavsky, est condamné à mort. Jabotinsky  est d’emblée convaincu qu’il s’agit d’une fausse accusation et il œuvre sans relâche pour obtenir l’acquittement de Stavsky, qu’il compare dans des articles à Mendel Beilis (Juif ukrainien accusé de crime rituel en 1911). Dans ce combat, Jabotinsky  reçoit le soutien décisif du grand-rabbin de Palestine mandataire, Avraham I. Hacohen Kook. Ce dernier prend courageusement la défense des accusés, s’exposant à la vindicte des journaux et partis de gauche, qui l’insultent et dont certains (comme l’Hashomer Hatzaïr) n'hésitent pas à couvrir le pays d’affiches proclamant “Honte au pays dont les rabbins soutiennent des assassins”!  

 

 

Très impressionné par l’intervention du rabbin Kook, Jabotinsky  écrira plus tard, dans une lettre adressée au rabbin Milikowski, organisateur du comité de défense des accusés, “Vous ne pouvez pas estimer la valeur de cette action… Outre son rôle décisif pour faire triompher la justice dans l’affaire Stavsky, elle aura des conséquences profondes et essentielles sur l’orientation politique et spirituelle du public hébreu en Eretz-Israël et en diaspora. Un exemple : j’ai déjà reçu plusieurs lettres demandant que je propose, lors de notre prochain Congrès mondial, une motion spéciale concernant les rapports entre l’Hatsohar (Organisation sioniste révisionniste) et la tradition religieuse”.

 

Ainsi, de l’aveu même de Jabotinsky, c’est l’intervention du rabbin Milikovsky qui suscita le changement d’orientation de son mouvement, attaché à une laïcité militante, et son évolution vers une attitude plus favorable à la tradition juive. Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie “l’Alliance de Yéchouroun”, courant sioniste-religieux qui vient de s’intégrer au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. 

 

Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky  déclare : “Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré… Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…” Et il poursuit : “C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et qui la trompent parfois et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de Dieu ; pour qu’un espace subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs”...

 

Pierre Lurçat

 

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

August 19 2021, 10:53am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

Pierre Lurçat : Vous avez visité Israël plusieurs fois et séjourné dans des bases de Tsahal en tant que volontaire de Sar-El. Votre intérêt pour la cause juive n’est pas purement livresque et intellectuel. Qu’est-ce qui vous attire en Israël ?

 

Olivier Ypsilantis : Je me suis toujours rendu en Israël pour y faire quelque chose, et je m’y rendrai toujours avec la même intention. Israël n’est pas pour moi un pays de tourisme. Je n’y viens pas simplement pour marcher sur les pas de Jésus ou pour visiter le tombeau de Rachel ; et je respecte infiniment Jésus et Rachel. Je pourrais me contenter de faire du tourisme aux Seychelles ou à Bali, mais je n’ai pas de temps à perdre et aller promener ma personne sous les cocotiers le long d’une plage ne me convient qu’un jour et encore.

En Israël, la présence juive m’intéresse plus que les autres. Je m’intéresse bien sûr aux autres présences dans cet espace plus disputé que n’importe quel espace au monde et où tout est tellement imbriqué. Mais j’insiste, en Israël la présence juive m’intéresse plus que toutes les autres. A ce propos, peu savent (ou ne veulent pas savoir) que la présence juive sur cette terre a été continue, plus ou moins marquée (au plus bas durant la période chrétienne), mais continue. L’exil n’a pas vidé Israël de ses Juifs, avec une période d’environ deux mille ans d’absence totale puis un retour soudain après la Shoah. Cette image fausse où la propagande et l’ignorance se donnent la main doit être détruite. Presque personne n’a entendu parler du Yichouv, de ce proto-État qui a précédé et annoncé l’État d’Israël. Presque personne ne connaît l’histoire des Juifs de Safed et de Tibériade. Presque personne ne connaît la fabuleuse histoire de Doña Gracia (Gracia Nasi), marrane d’origine espagnole née à Lisbonne au début du XVIe siècle. Et ainsi de suite.

Et en Israël, c’est surtout l’Israël d’aujourd’hui que j’aime, Israël bien vivant, un pays très ancien mais qui n’a pourtant que quelques décennies. J’aime Jérusalem mais je préfère Tel Aviv. Cette préférence ne s’appuie en rien sur une opposition laïcité/religion. J’ai exposé (trop brièvement il est vrai) mon immense intérêt pour le judaïsme. Ma préférence prend appui sur autre chose. Tel Aviv est une ville infiniment émouvante. C’est une ville exclusivement juive, née du sable, de rien, de presque rien. Certes, il y avait cette ville antique, Jaffa, contre laquelle Tel Aviv a pris appui pour se développer vers le nord, jusqu’au fleuve Yarkon et au-delà, mais cette ville est bien née de presque rien. Il faut visiter le musée du peintre Reuven Rubin, à Tel Aviv, pour apprécier la naissance et la croissance de cette ville.

 

Les débuts de Tel Aviv par Reuven Rubin

 

Il y a longtemps, et avant même d’entreprendre mes études, que le Bauhaus me passionne. Le Bauhaus est le phénomène artistique le plus important dans l’Europe du XXe siècle, et je pèse mes mots. Le Bauhaus en architecture a pensé comme personne l’union de la fonctionnalité et la beauté par les seules proportions. Les Juifs de ces années, en Israël, n’avaient pas de temps et d’argent pour les fioritures. J’ai rendu compte sur ce blog d’une passionnante lecture, un must me semble-t-il sur le sujet : « Tel Aviv, naissance d’une ville 1909-1936 » (chez Albin Michel, dans la collection Présences du judaïsme). Cette ville est pleine de constructions directement issues de l’enseignement du Bauhaus. Tel Aviv a d’abord été une ville ashkénaze, conçue et édifiée par des Juifs allemands.

Je me souviens de mon plaisir à me promener dans le quartier de Montefiore et dans certains quartiers limitrophes. Des souvenirs d’Athènes ne cessaient de me revenir. Athènes ! Athènes est elle aussi une ville orientale, de la Méditerranée orientale, comme Tel Aviv. Il faut avoir marché longuement dans le quartier de Monastiraki (Μοναστηράκι) à Athènes et de Montefiore à Tel Aviv pour être saisi par une même ambiance.

Mais j’en reviens à votre question. J’ai très vite éprouvé que mon intérêt pour Israël et la cause juive ne pouvaient s’en tenir à une connaissance livresque. J’ai toujours voulu appréhender Israël en y voyageant et, une fois encore, pour y faire un peu de tourisme mais pas que du tourisme. Dans mes jeunes années, soient les années 1980, j’ai travaillé dans des kibboutz, non parce que c’était à la mode mais par sionisme. Il me semble que je suis né sioniste, que je suis tombé dans une potion magique de sionisme. Il est vrai que le père d’Astérix était juif et ses aventures sont aussi juives que celles que rapporte la Bible.

J’ai donc travaillé dans des kibboutz, un sur le Golan, très Likoud, l’autre sur la Ligne verte, un kibboutz du Nahal (l’histoire du Nahal est passionnante). Dans ce deuxième kibboutz, après le travail, je me rendais tous les jours dans les villages arabes des environs afin de mieux connaître le pays. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces rencontres, fort riches, mais, simplement, travaillant avec des Juifs, je trouvais tout naturel d’aller parler avec les Arabes qui vivaient à de l’autre côté de l’enceinte. Je me souviens d’être parti en excursion avec trois Arabes dans les collines environnantes. L’un d’eux rêvait de venir en France, et savez-vous pourquoi ? Pour visiter les châteaux de la Loire ! Il me raconta l’histoire de plusieurs de ces châteaux et me décrivit leur architecture ; je l’écoutais bouche bée. Mais c’est du kibboutz sur le Golan que je garde les souvenirs les plus forts. La vie y était rude mais une fois encore je me voyais dans le désert des Tartares. Il faisait froid. Au loin, les monts de Syrie étaient enneigés. Nous étions en 1982, peu après Sabra et Chatila. Un Juif de France, un Alsacien, m’avait accueilli en parka, fusil d’assaut en bandoulière. Il fulminait contre son pays et ses médias qui envoyaient toute la merde sur Israël. Je lui expliquai que si j’étais ici, en Israël, dans ce kibboutz, c’est aussi parce que je ne prêtais aucune valeur à ces médias, que je flairais le mensonge. La nuit, mon lit de camp tremblait parfois. Des chasseurs- bombardiers frappaient là-bas, du côté du proche Liban. Le ciel s’illuminait par à-coups. J’étais un peu inquiet mais, une fois encore, je savais que j’étais là où je devais être. J’ai toujours eu cette certitude en Israël, dans les kibboutz et plus encore au Sar-El.

Je ne sais ce qui m’attire en Israël. Peut-être suis-je victime des Sages de Sion ou d’un philtre d’amour, je ne sais. Plus sérieusement. Pour moi Israël c’est d’abord sa population, toutes ces femmes et tous ces hommes que j’ai rencontrés dans les kibboutz puis à Tsahal. J’ai par ailleurs beaucoup circulé dans ce pays, du Golan au Néguev. Ce qui m’attire en Israël ? Il me faudrait un livre pour répondre à cette question. Vous savez, il circule tellement d’idées fausses au sujet de ce pays. Israël est probablement le pays dont on parle le plus en Europe, et trop souvent avec un mélange de prétention et d’ignorance, deux « qualités » qui se tiennent par la main. Il n’y aucun rapport entre l’information mainstream au sujet de ce pays et la réalité de ce pays qui ne peut s’appréhender qu’en y voyageant et en y travaillant, en y voyageant de préférence hors de tout voyage organisé. Le travail de connaissance par les livres, les documents et Internet (l’ordure y traîne mais on trouve aussi d’excellentes choses dans cette grande bibliothèque virtuelle) est important, très important, mais Israël est aussi un pays qu’il faut parcourir et où il est bon d’avoir une activité afin de mieux comprendre ce pays très particulier et très complexe. Je préfère me faire dorer la pilule ailleurs qu’en Israël. Il y a trop à faire là-bas, trop à apprendre, tant de personnes à rencontrer, à interroger, à écouter, et pas uniquement des Juifs. 20 % de la population d’Israël est arabe, des Chrétiens et des Musulmans, et je passe sur d’autres minorités non-juives mais ayant la nationalité israélienne. Israël est un pays formidablement divers et pour deux raisons : premièrement, celle que je viens d’énoncer (il n’y pas que des Juifs en Israël) ; deuxièmement, le monde juif en Israël est au moins aussi divers et donc aussi riche que le monde juif en diaspora – et cette richesse se trouve concentrée dans un petit pays. Je rappelle qu’Israël est à peine plus grand que deux-trois départements français.

Sur les bases de Tsahal, j’ai travaillé avec des Juifs et des non-Juifs venus de (presque) partout. Certains Juifs étaient nés dans le pays (les Sabras), d’autres y avaient émigré et de ce fait n’avaient pas le même niveau d’hébreu, l’hébreu n’étant pas leur langue maternelle. J’ai travaillé avec des Bédouins dans un parc de Merkava II (chaleur suffocante), dans un hangar (chaleur non moins suffocante) pour y détruire des masses de documents avec des Béta Israël. A cette occasion, j’ai appris qu’il fallait éviter de les désigner par Falacha (qu’ils jugent péjoratif). J’ai fait équipe avec un Juif de Bombay, un officier druze, un Juif roumain. J’ai beaucoup sympathisé avec ce dernier. Il m’apprenait des mots d’hébreu, je lui apprenais des mots d’espagnol et de portugais. Je me souviens qu’il avait particulièrement apprécié les mots « amapola », « mariposa » et « borboleta » qu’il s’amusait à répéter. Un soir, j’ai longuement conversé avec un Juif originaire d’Istanbul. J’en garde un souvenir très ému car il s’exprimait en ladino et moi en espagnol, en castillan pour être plus précis. Il n’avait pas étudié le castillan, je n’avais pas étudié le ladino mais nous nous sommes compris et sans jamais nous efforcer. Pour faire simple, le ladino est à l’espagnol ce que le yiddish est à l’allemand. Mais je force probablement la note : il me semble que le ladino est plus proche de l’espagnol que le yiddish ne l’est de l’allemand. A ce propos, il y a peu, j’ai trouvé sur Internet un article en ladino, sur eSefarad, un article intitulé « Muestra lingua : Leon Pinsker por Edmond Cohen » dans lequel j’ai eu le plaisir de lire : « Un syerto Olivier Ypsilantis, en el sityo zakhor on line, a eskrito sovre el livro de Pinsker un artikolo interesante sovre el kual yo lavori. Asigun Ypsilantis, i yo so de akodro kon el, este teksto es “uno de los mas ermozos del syonismo” ». La fréquence de la lettre k saute à la vue car elle est très rare en espagnol.

C’est ce qui m’intéresse le plus en Israël, cette unité dans cette diversité. Lorsque j’étais en Israël, dans les années 1980, la population différait grandement de celle d’aujourd’hui, notamment avec l’arrivée de ces très nombreux Juifs russes et ukrainiens, depuis les années 1990, suite à l’effondrement de l’Union soviétique et son empire. Il est connu qu’un assez grand nombre d’entre eux (un tiers environ) ne sont pas vraiment juifs mais qu’importe : ils le sont devenus et comptent parmi les défenseurs les plus déterminés d’Israël à ce qu’on m’a dit.

Les Juifs constituent un peuple, en aucun cas une race. Et je me moque de savoir si un tel descend d’Abraham, d’une tribu d’Israël qui ne soit pas l’une des dix tribus perdues ou de convertis (avec notamment cette histoire de Khazars qui a été plus ou moins arrangée par Arthur Koestler (voir « La Treizième tribu ») puis par Shlomo Sand pour étayer ses mensonges. Les Juifs forment un peuple et non une race ; un peuple, soit une entité plus ample et, dirais-je, plus consistante qu’une race.

J’aime par ailleurs les paysages d’Israël. Certains d’entre eux pourraient être espagnols. A ce propos, les techniques agricoles les plus avancées au monde (à commencer par l’irrigation) sont espagnoles et israéliennes. L’Espagne a longtemps été une terre privilégiée pour les Juifs et leur expulsion de la péninsule (n’oublions pas le Portugal) a été une catastrophe majeure pour le monde juif.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 3/5

August 18 2021, 11:16am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 3/5

Pierre Lurçat : Vous avez intitulé un article de votre blog “La judéité comme la dernière forme d’aristocratie“, est-ce que vous vous considérez comme un “aristocrate”, et est-ce qui vous rapproche du peuple Juif ?

 

Olivier Ypsilantis : Je vais commencer par vous répondre indirectement. L’antisémitisme est vulgaire, profondément vulgaire, toujours, il est vulgaire même – et surtout – lorsqu’il se veut distingué. Il y a parmi les antisémites des gens très intelligents et cultivés ; ils ne constituent pas le gros de la troupe mais il y en a et commencer par considérer tous les antisémites comme des crétins incultes c’est déjà perdre le combat contre l’antisémitisme. Rien de plus grave que de méjuger l’ennemi. L’antisionisme est lui aussi presque toujours vulgaire : il est rare qu’il ne serve pas de désodorant à l’antisémitisme…

Au cours de sa très longue histoire, le peuple juif a été très souvent moqué et bafoué lorsqu’il n’a pas été massacré. Il a certes connu des périodes apaisées mais il savait, et à raison, que le danger flottait au-dessus de lui. Cette menace n’était pas seulement présente en terres chrétiennes mais aussi en terres musulmanes comme l’a montré Georges Bensoussan dans sa somme « Juifs en pays arabes – Le grand déracinement, 1850-1975 ». Et permettez-moi d’ouvrir une autre parenthèse, c’est aussi (et peut-être même d’abord) parce que Georges Bensoussan a dérangé la petite image convenue d’une cohabitation tout en douceur entre Juifs et Musulmans (principalement arabes) qu’il a été traîné en justice pour islamophobie.

 

 

J’ai vécu vingt-cinq en Espagne, et notamment à Cordoue, en Andalousie. J’ai étudié de près les manœuvres (et les mensonges) de la gauche espagnole dans son ensemble, mensonges touchant à la Guerre Civile et à ses causes mais aussi à la période musulmane dans la péninsule ibérique. A en croire sa propagande, les Juifs et les Chrétiens auraient coulé des jours particulièrement heureux dans ce qui était alors un émirat puis un califat. Il est vrai que l’islam de la péninsule a été particulièrement fécond (il ne faut pas oublier la période des taifas) et que les rapports entre les trois religions y ont été grosso modo meilleurs qu’en beaucoup d’autres lieux à d’autres époques. J’ai une affection particulière pour la période de l’émirat avec la dynastie des Omeyyades issue d’un rescapé d’un massacre organisé par les Abbassides. Mais l’histoire de l’Espagne musulmane s’étend sur plusieurs siècles pleins de violences, rien à voir avec le petit tableau (idéologique) tout rose composé par Roger Garaudy : violences entre Musulmans, entre dynasties, entre Arabes et Berbères, sans oublier les muladíes, ces Chrétiens convertis à l’islam mais qui se révoltèrent contre le mépris que professaient les Arabes envers tout ce qui n’était pas arabe. Et n’oubliez pas que Maïmonide a pris le chemin de l’exil suite à la conquête de Cordoue par les Almohades, une dynastie d’origine berbère. Et Averroès le Musulman ? Lui aussi a eu de graves problèmes avec les Almohades. Rien n’est simple contrairement à ce que veut nous faire accroire Roger Garaudy, rien ! Mais si pour l’authentique historien tout est complexe, pour l’idéologue (et Roger Garaudy n’est qu’un idéologue) tout est simple puisqu’il formate le réel de manière à ce qu’il entre dans le cadre de son idéologie.

Mais j’arrête avec Roger Garaudy (un méprisable négationniste par ailleurs), ce qui pourrait me conduire à vous exposer l’attitude de la mairie de Cordoue (alors de gauche) et ce partant de la gauche espagnole dans son ensemble à l’égard d’Israël ; et je puis vous dire que ça pue, que ça empeste et qu’il y a longtemps que j’ai renversé la table.

J’en reviens à cette notion d’aristocratie, en sens générique du terme entendons-nous. Cet acharnement contre le peuple juif est un acharnement de masse contre un peuple très ancien et porteur d’un message très particulier qui en fait un message universel. Si le peuple juif n’était qu’une secte occupée à diverses bizarreries, il ne m’intéresserait pas tant et je passerais. J’ai très tôt pressenti que le peuple juif, ce peuple à la fois très ancien et très moderne, très moderne parce que très ancien, que ce peuple très particulier et universel, universel parce que très particulier, était porteur d’un message, un message qui ne s’adressait pas seulement au peuple juif mais à tous et sans l’intermédiaire de Jésus-Christ ou de Mahomet.

Pourquoi mon intérêt pour « les choses juives » – et je reprends votre expression ? Je reviens sur ce que j’ai écrit. C’est en grande partie parce que le peuple juif est si particulier et donc universel que je l’étudie et l’écoute. Au fond, tous ceux qui s’en prennent « aux Juifs » s’en prennent plus ou moins consciemment à un substrat sur lequel nous reposons tous, eux et nous, un substrat dont ils sont en priorité les responsables et en aucun cas les propriétaires. Ils sont les dépositaires de quelque chose qui est destiné à l’humanité mais qui est passé par eux et qu’ils ont reçu alors qu’ils étaient à peine juifs, encore à moitié païens. Simone Weil ne comprend pas ou n’a pas voulu comprendre que dans le Premier Testament ce sont les Juifs qui sont les plus durement secoués par les instances supérieures, par Adonaï, car ce peuple qui s’efforce de sortir de sa gangue idolâtre retombe dans l’idolâtrie, l’adoration du Veau d’Or par exemple.

Le peuple juif a donc été témoin de quelque chose qu’il a reçu et qu’il doit transmettre à l’humanité. Il en est le gardien et le vecteur. A ce propos, la notion de « Peuple élu » est toujours aussi mal comprise, je puis l’affirmer car je parcours des fils de discussions sur des sites et des blogs et cette accusation ne cesse de revenir. Les Juifs se considérant comme le Peuple élu sont tenus de s’expliquer (ils sont en quelque sorte traînés devant les tribunaux) et ne doivent pas s’étonner d’avoir été et d’être si maltraités…

Le peuple juif est un Témoin, dépositaire de l’Origine, non pas jaloux, parfois méfiant, car après s’être fait traiter et se faire encore traiter de tous les noms, il arrive que l’on se referme. Non, je ne suis pas judéolâtre comme on m’accuse parfois de l’être. Le schmock est aussi présent chez les Juifs qu’ailleurs. Et je vais reprendre le bon mot d’un vieil ami aujourd’hui décédé, rescapé d’Auschwitz, qui me dit un jour, en se prenant la tête à deux mains : « Vous savez, Olivier, quand un Juif est con il est vraiment con, plus con que tous les autres ».

Le peuple juif a les caractéristiques de l’aristocratie : l’ancienneté (peuple de l’Origine et donc peuple Témoin), il est minoritaire, il est pétri d’exigences et d’abord envers lui-même. Le Peuple élu n’a pas été élu pour flemmarder et se pavaner dans les Hauteurs, au-dessus de la masse des goyim…

Puisqu’il est question d’aristocratie, je vais parler de ma famille, de ma femme. Je l’ai rencontrée pour la première fois en l’église polonaise de la rue Saint-Honoré, à Paris, un bel ensemble XVIIe siècle. J’étais assis dans les derniers rangs et elle dans les premiers rangs. Je la revois donc. Elle revenait de vacances, grande brune bronzée (elle dépassait presque tout le monde dans l’assistance) au nez busqué et aux cheveux noirs. Je me suis dit : c’est une fille d’Israël. Pourquoi ? Nous faisions partie d’un groupe de pèlerins qui s’apprêtait à partir en autocar pour la Pologne, pour le grand pèlerinage de Częstochowa. La Pologne était alors un pays assez fermé et ce pèlerinage était l’occasion de la visiter en y marchant quelque trois cent cinquante kilomètres, de la visiter sans faire du tourisme au sens commun du mot.

Donc, en observant cette jeune femme en l’église polonaise de la rue Saint-Honoré, je me suis dit, comme malgré moi, c’est une juive convertie, réaction étrange, j’en conviens, ridicule même mais c’est ainsi. J’apprendrai peu après qu’elle portait le nom d’un grand-maître de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

Nous avons eu trois enfants et leur avons donné les noms suivants : Sarah, Raquel et David. A ce propos, je me souviens qu’un homme s’était proposé de nous guider dans la vieille ville de Jérusalem. Habituellement je refuse les guides, mais l’attitude de cet homme avait quelque chose d’émouvant. Il était juif d’origine irakienne. Devant le tombeau de David (en compagnie de notre fils David), de fait un cénotaphe, je lui ai dit que notre fils s’appelait David, et que ses deux sœurs s’appelaient Rachel et Sarah.  Il m’a regardé les yeux écarquillés en s’exclamant (en anglais) : « Vous m’avez dit que vous n’étiez pas juifs, ce n’est pas possible ! Ce sont les noms de deux des quatre matriarches d’Israël et du plus grand roi d’Israël ! » J’ai eu un instant le sentiment que je lui avais menti.

Environ deux ou trois ans après cette visite à Jérusalem, je me suis mis en tête de suivre le tracé de deux branches coupées dans l’arbre généalogique de ma femme. C’était comme si une voix me disait : « Tu dois trouver ! » Je vais passer pour un illuminé, mais c’est ainsi, comme pour Marianne Cohn, « l’inconnue de Montauban ». Mais cette double enquête allait s’avérer beaucoup plus aisée. Une branche se découvrit sans tarder, via Internet. L’autre se découvrit suite à une recherche un peu plus prolongée mais relativement simple. Ces deux branches me conduisirent au monde ashkénaze, d’Altona (dans les environs de Hambourg) à la Lorraine.

Concernant mon article intitulé « La judéité comme la dernière forme d’aristocratie », je ne le renie pas, quitte à déplaire à plus d’un. Mais entendons-nous, l’aristocratie en question est combattante, toujours sur la brèche, devant répondre à des exigences posées par elle-même et assez terribles. Que certains Juifs flemmardent et ne se cassent pas la nénette est une autre affaire. Et puis il y a Israël ; mais j’y viendrai dans la question suivante.

Puisque nous évoquons l’aristocratie, restons-y avec ce propos devenu très ambigu, car il ne l’était probablement pas dans l’esprit de Stanislas de Clermont-Tonnerre, ce propos que vous citez dans « Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain » : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ». Ce propos m’a préoccupé très jeune et je vous suis reconnaissant de ne pas être un dévot des Lumières, comme trop de Juifs, les Lumières qui reposent sur un paradigme trompeur ainsi que vous le dites. J’évoque volontiers la part obscure des Lumières, quitte à me faire passer pour un affreux réactionnaire, ce dont je me moque car un réactionnaire est tout simplement un homme qui réagit. Donc, j’ai très vite pressenti que dans la belle formule de cet homme il y avait quelque chose d’inquiétant qui (à l’insu de son auteur) ouvrait la voie à un antisémitisme rajeuni, plus vigoureux que l’ancien. Je ne savais pas que Stanislas de Clermont-Tonnerre deviendrait l’un de mes parents par alliance. Ce lien n’a fait que m’inciter à réfléchir encore plus encore à cette remarque qui transporte d’aise bien des Juifs qui n’y voient que la face lumineuse, des Juifs qui ne s’éprouvent probablement que comme autant d’individus et non comme une nation ou un peuple. Ainsi que vous le faites remarquer (et vous me confirmez dans ce que j’ai toujours éprouvé), les Juifs ne sont ni une nation, ni une religion mais les deux à la fois, d’où le dialogue de sourds, trop souvent, à leur sujet. Cette particularité nation/religion a permis au peuple juif de survivre. L’Émancipation a certes amoindri l’antijudaïsme (l’antisémitisme religieux) mais il a conduit à l’antisémitisme sécularisé, raciste, biologique, plus meurtrier encore. Une fois encore, il ne s’agit pas de s’en prendre à l’homme de bonne volonté que fut Stanislas de Clermont-Tonnerre et de toujours l’envisager dans son contexte, très précis.

La formule de Stanislas de Clermont-Tonnerre se poursuit ainsi (lire l’intégralité de ce discours prononcé fin décembre 1789) : « Il faut refuser tout aux juifs comme nation et accorder tout aux juifs comme individus ; il faut méconnaître leurs juges ; ils ne doivent avoir que les nôtres ; il faut refuser la protection légale au maintien de leur corporation judaïque ; il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. Mais, me dira-t-on, s’ils ne veulent pas l’être ? Eh bien, s’ils veulent ne l’être pas, qu’ils le disent, et alors, qu’on les bannisse. II répugne qu’il y ait dans l’État une société de non-citoyens et une nation dans la nation. Enfin, l’état présumé de tout homme domicilié dans un pays est d’être citoyen ». A méditer.

Et des souvenirs me reviennent, d’un coup. Ma grand-mère maternelle qui appartenait à une ancienne famille grecque m’a parlé plusieurs fois des Juifs lorsque j’étais enfant. Et lorsqu’elle m’en parlait sa voix tremblait. Je me souviens même que des larmes coulèrent sur ses joues. Je ne sais que dire. Elle avait un type fortement sémite ou, plus exactement, méditerranéen – je ne sais vraiment pas à quoi correspond le type sémite. Au cours de l’Occupation, elle faillit être prise dans une rafle de Juifs ; je crois que ce souvenir l’a marqué à jamais – une Madame Klein en quelque sorte…

Dans la partie grecque de ma famille, les Juifs étaient toujours évoqués avec respect : ils étaient considérés comme des égaux par l’ancienneté, la richesse de la culture, etc. On n’insistait guère sur les immenses différences entre la culture grecque et la culture juive. Son attitude se résumait à : nous sommes (très) différents mais nous sommes égaux, et c’est bien ainsi. Ma mère m’a rapporté que son grand-père lui disait que si les Grecs et les Juifs s’entendaient plutôt bien c’est parce qu’ils étaient pareillement bons en affaires. Je ne sais ce que vaut cette considération, mais je la rapporte.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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