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« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »: Quand les militants juifs font leur mea culpa

March 27 2025, 14:54pm

Posted by Pierre Lurcat

François Mitterrand à la manifestation après Carpentras, mai 1990

François Mitterrand à la manifestation après Carpentras, mai 1990

A l'occasion de la venue en Israël de dirigeants politiques français du RN, je publie ici un extrait de mon dernier livre, L'étoile et le poing, dans lequel des militants juifs s'interrogent sur la validité de leur combat contre l'extrême-droite et sur l'éventuelle manipulation politique dont ils ont pu être victimes de la part du pouvoir à l'époque (celui de François Mitterrand). Ces témoignages sont une pièce à porter au dossier, l'histoire éclairant - ici comme ailleurs - l'actualité. P.L.

 

 

Une des questions soulevées par plusieurs des militants interrogés dans le cadre de notre enquête est celle d'une éventuelle instrumentalisation de l'activisme par le pouvoir politique. Le premier de mes interlocuteurs qui a avancé cette hypothèse est Rafael, entraîneur et dirigeant de l'OJD, qui parle non seulement d'une erreur d'appréciation politique de la part des mouvements activistes, mais aussi d'une véritable « manipulation » du pouvoir :

« Nous avons commis une grave erreur en nous focalisant sur l’extrême-droite néo nazie, car on a négligé l’islamisme et l’extrême-gauche… Trente ans plus tard, nous devons analyser cette erreur… Nous avons mis tous nos œufs dans le même panier. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on a été manipulés par le gouvernement, et j’en ai la preuve formelle! Je vais te raconter une anecdote pour illustrer mon propos, et j’en ai une dizaine du même acabit…

Un jour, il était une heure du matin, on apprend que des néonazis sont en train de sabler le champagne… On les attend à la sortie, rue Caillaux. On poursuit un garde du corps de Pierre Sidos… On lui tombe dessus… Le type a perdu l’usage de ses membres… Juste après des motards de la police nous aperçoivent et nous braquent avec leur arme, avant de nous embarquer au poste.

Je suis passé devant le juge d’instruction, le policier a déposé nous avoir vus en flagrant délit. De l’autre côté il y avait des parties civiles… Je me suis retrouvé devant le juge Pinceau, qui m’a dit ‘J’ai six témoins contre vous’. Je lui ai répondu ‘ce n’est pas moi’ et alors il m’a dit ‘Rentrez chez vous, vous êtes libre!’ Conclusion : nous avons été interpellés en flagrant délit de grande violence, et il n’est pas normal que nous soyons sortis au bout de quarante-huit heures, sans procès… »

Ce récit soulève plusieurs questions différentes : la première est celle d'une erreur de jugement politique dans l'appréciation de « l'ennemi principal », hypothèse qu'on retrouvera dans la bouche de plusieurs militants. La seconde est celle d'une instrumentalisation de l'activisme juif au service du pouvoir politique, accusation lourde de conséquences... Pour étayer son propos, Rafael évoque l'affaire de l'attentat de la rue Copernic :

« Après Copernic, tous les hommes politiques sont montés au créneau contre l’extrême- droite, alors qu’elle n’avait rien à voir là-dedans… »

- Tu ne l’as pas compris à l’époque ?

- Non, seulement beaucoup d’années plus tard. J’ai compris que Mitterrand avait utilisé l’extrême-droite pour asseoir son pouvoir… »

- Il n’y a pas eu de débat interne au mouvement ?

- A l’époque du Bné Zeev, on frappait indistinctement les deux extrêmes (Malliarakis, Sidos…). Mais avec l’OJD, c’était uniquement les nazis…

- En conclusion, penses-tu que les militants juifs de l’OJD ont été manipulés ?

- Je suis convaincu qu’on a fait une erreur et que celle-ci a été renforcée par la manipulation. Avec le recul, il est clair qu’il y avait un trop grand laxisme de la part de la police pour que cela ne soit pas lié à une manipulation politique, provenant de Joxe et de Mitterrand ».

- Dans quel but auraient-ils selon toi réalisé cette manipulation ?

- Je pense que plus on agitait le spectre de l’extrême-droite en tant qu’ennemi de la République, plus Mitterrand pouvait asseoir son pouvoir politique (comme dans l’affaire des Irlandais de Vincennes). J’ai la conviction qu’il a dit: ‘laissez faire les types de l’OJD, c’est  bon pour  nous !’Quand on a cassé le Palais des Congrès (lors de la réunion du GRECE), pas un seul de nos militants n’a été en prison, et la police est arrivée sur les lieux après notre départ…Mitterrand avait besoin d’agiter le spectre de l’extrême-droite… Ainsi les Juifs ont servi les calculs politiques de Mitterrand. Quand on a laissé sur le pavé un garde du corps (de Fredriksen?) presque mort, avec Ron, cela s’est fini par un non-lieu… L’explication selon laquelle Jean-Pierre Bloch ou Lecanuet intervenaient pour faire libérer nos militants ne suffit pas! »

Afin de tenter de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse, j'ai posé à plusieurs militants la question suivante : « L’importance de la FANE n’a-t-elle pas été surestimée ? »

Gérard S.: « A l’époque il y avait Pierre Sidos, qui était en perte de vitesse. La FANE était certes un groupuscule, mais ses militants étaient ouvertement pronazis. Ils faisaient partie d’un réseau international et entretenaient des relations étroites avec des militants néo-nazis anglais, belges, néerlandais, allemands… Ils n’étaient pas négationnistes, car ils disaient: ''Hitler n’a pas terminé le travail !'' »

Gérard G.: « Ils étaient une vingtaine. Ils avaient certes des idées radicales, mais ils ne faisaient pas grand-chose… A l’époque il n’y avait pas d’autre ennemi! Les mouvements français soutenant les Palestiniens n’existaient pas encore… On a cassé deux meetings et saccagé des librairies palestiniennes, mais cela restait marginal… »

Serge Volyner: « Pensez-vous que les mouvements juifs activistes se sont focalisés sur l’extrême-droite? Comme la FANE? – ça n’existait pas ! C’était des trublions… Ils étaient quarante! Cela ne valait pas la peine de leur péter la gueule… Mais peut-être est-ce l’âge qui me fait dire ça… On se calme avec l’âge ! »

Pilouche : « Penses-tu que cela était une erreur d’attaquer l’extrême-droite ? »

– Je pense que la communauté juive n’est pas chez elle… On n’est pas là pour régler les problèmes internes d’un pays : c’est au gouvernement de régler le problème, par exemple en dissolvant Ordre Nouveau, comme ils viennent de l’annoncer. Mais il est vrai que nous n’avons pas vu venir le danger arabe… Ceci dit, on a chargé plus de militants d’extrême-gauche à Censier que d’extrême- droite!

- Et que dis-tu de la thèse selon laquelle le mouvement juif activiste aurait été manipulé par le pouvoir politique ?

- Quand on attaquait l’extrême-droite, on était arrêtés et on sortait (du commissariat) au bout d’une heure… Mais c’était vrai également quand on attaquait l’extrême-gauche!

Gérard G.: « Pensez-vous que le mouvement activiste s’est trompé de cible en se focalisant sur l’extrême-droite? » – On était leur principal ennemi… dans les années 1980, ils avaient peur de nous! On était les ''rois de Paris…'' Quand Giscard a libéré le terroriste palestinien Abou Daoud, on était les seuls à manifester, du Palais Royal à l’Opéra. Notre slogan était « Du pétrole arabe contre du sang juif ». Aucun autre mouvement de la communauté n’a accepté de se joindre à nous… L’establishment communautaire refuse d’aller contre le pouvoir. L’extrême-droite était en fin de compte assez embryonnaire. Alors c’est vrai qu’on n’a pas été des visionnaires… Le seul dirigeant communautaire qui a eu le courage de lutter contre le pouvoir, c’est Roger Cukierman ».

« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »

L'idée selon laquelle les mouvements activistes se seraient trompés de cible est également partagée par Eliaou, qui porte un jugement sévère sur leurs choix politiques, sous forme d'autocritique

« En mars 1973, il y avait eu un meeting d’Ordre Nouveau à la porte de Versailles. Le Betar était partagé pour savoir s’il fallait aller avec les gauchistes ou avec O.N… On s’est totalement trompés en se battant contre la FANE, au lieu de se battre contre la politique arabe de De Gaulle, Pompidou, etc. On avait 50 ans de retard à vouloir se battre contre les nazis !

C’est une autocritique que je fais en mon nom et en celui du mouvement… On aurait dû mettre notre radicalité au service d’Israël, et pas au service de la « mémoire! » Quand il y a eu l’attentat de la rue des Rosiers, on a accusé l’extrême-droite, alors que c’était des terroristes arabes. La FANE n’avait pas d’argent ni de moyens… Comme à Carpentras, le gouvernement de Mitterrand a manipulé les Juifs!

(Extrait de L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, éditions l’éléphant/B.O.D.). En vente sur Amazon, B.O.D., au centre Begin de Jérusalem et à la librairie du Foyer à Tel-Aviv.

 

« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »: Quand les militants juifs font leur mea culpa

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Le « Deep State » israélien responsable du 7-Octobre ? (I)

March 24 2025, 10:27am

Posted by Pierre Lurçat

Le « Deep State » israélien responsable du 7-Octobre ? (I)

La décision du gouvernement israélien de limoger la conseillère juridique du gouvernement – devenue ces dernières années, et encore plus ces derniers mois, un adversaire résolu du gouvernement qu’elle est supposée “conseiller” aux termes de la loi – est un premier pas, important même s’il n’est pas définitif, vers le rétablissement des droits de la majorité, de la Knesset et des pouvoirs élus en général, face à la montée en puissance du “Deep State” au cours des trois dernières décennies.

 

Comme je l’ai expliqué la semaine dernière au micro d’Ilana Ferhadian sur Radio J, l’usurpation du pouvoir légitime par le Deep State est la question la plus brûlante de la politique israélienne depuis au moins trois décennies. Dans ces circonstances, il faut se féliciter de la nouvelle pugnacité dont fait preuve le Premier ministre B. Nétanyahou, après avoir longtemps hésité à affronter le “pouvoir judiciaire” et les autres représentants du Deep State. Sa longue hésitation reposait sans doute sur la peur légitime, liée au chantage que le pouvoir judiciaire et le Shin-Beth exercent contre tous ceux qui leur résistent, peur qui a aujourd’hui apparemment disparu.

 

Cette nouvelle pugnacité s’explique aussi pour une raison très simple, qui n’est aucunement liée au soi-disant “Qatar-Gate” – nouvelle arme de propagande créée par le camp des “Tout sauf Bibi” pour faire du Premier ministre le bouc émissaire de l’après-7 Octobre. Cette raison n’a rien à voir avec les péripéties de la politique israélienne : elle vient en effet de l’autre côté de l’Atlantique. C’est l’exemple du Président américain Donald Trump, qui incarne depuis son arrivée au pouvoir un exemple et un modèle à suivre pour Israël.

 

Donald Trump n’est en effet pas seulement le meilleur (et quasiment le seul) allié d’Israël dans sa guerre existentielle contre le Hamas et les autres proxies de l’Iran. Il est aussi un exemple à suivre pour lutter victorieusement contre le Deep State, qui empêche le pouvoir démocratique de lutter efficacement contre ses ennemis extérieurs, aux Etats-Unis comme en Israël.

 

La leçon la plus actuelle et la plus importante sans doute du 7 -Octobre est que le Deep State est, comme me l’a expliqué Me Ephraim Demri dans un entretien qui paraîtra début avril dans Israël Magazine, le principal responsable de l’échec colossal des services de sécurité et de l’armée, gangrenés par l’idéologie wokiste et post-sioniste et obnubilés par leur combat idéologique contre leurs adversaires politiques, qui leur a fait oublier qu’il y avait un ennemi véritable de l’autre côté de la frontière. (à suivre…)

P. Lurçat

 

NB Mes livres sont en vente sur Amazon, B.O.D. et sur commande dans toutes les librairies de France. Ils sont disponibles en Israël à la boutique du centre Begin à Jérusalem, et à l’excellente librairie du Foyer à Tel-Aviv.

Le « Deep State » israélien responsable du 7-Octobre ? (I)

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Pouvoir du peuple ou pouvoir des élites ? La question centrale du débat politique israélien

March 16 2025, 17:18pm

Posted by Pierre Lurçat

Ronen Bar et B. Nétanyahou

Ronen Bar et B. Nétanyahou

En marge de la destitution annoncée du chef du Shin-Beth Ronen Bar par le gouvernement, c’est la question fondamentale de savoir à qui appartient le pouvoir de décision ultime en démocratie qui ressurgit de nouveau. Premier volet d’une série d’articles sur la « question centrale du débat politique israélien ».

 

Dans l’affaire de la conseillère juridique du gouvernement Gali Baharav-Myara, comme dans celle du chef du Shin-Beth Ronen Bar, c’est toujours la même question qui est posée et qui revient sans cesse, depuis des mois et des années. Bien plus que de savoir si le gouvernement détient la compétence – qui semble aller de soi aux yeux de certains et qui pose problème aux yeux des autres – de destituer la conseillère ou le chef du Shabak, c’est une question bien plus fondamentale qui est posée : celle de la nature de la démocratie israélienne, et de la démocratie en général.

 

Que nous disent en effet ceux qui contestent au gouvernement élu cette compétence, sinon que le pouvoir des élus met en danger des valeurs bien plus importantes à leurs yeux que la notion de pouvoir du peuple, à laquelle s’est résumé pendant des siècles le concept de démocratie ? Pour comprendre leur raisonnement, il faut revenir au moment fondateur de la “Révolution constitutionnelle” menée par le juge Aharon Barak, celui de l’arrêt de la Cour suprême "Bank Mizrahi" de 1995.

 

Une démocratie de la majorité seule, qui ne s’accompagne pas d’une démocratie de valeurs, n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La démocratie authentique limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société”. Ces quelques mots tirés de l’arrêt Bank Mizrahi définissent la quintessence de la doctrine d’Aharon Barak, au nom de laquelle il a mené sa « Révolution constitutionnelle » en octroyant à la Cour suprême – et à travers elle, à tout un ensemble de pouvoirs non élus, judiciaires, militaires et sécuritaires – un pouvoir exorbitant, sans précédent et sans équivalent dans aucune démocratie occidentale[1]. Pour la résumer de manière très succincte, cette doctrine contient deux éléments essentiels.

 

Démocratie “formelle” ou démocratie “substantielle”?

 

Le premier est la suprématie de la “démocratie substantielle” (demokratia mahoutit) sur la “démocratie formelle” (demokratia formalit). Cet argument, récemment réitéré par Aharon Barak dans son dernier livre, L’Etat d’Israël comme Etat juif et démocratique, pourrait être acceptable par tous s’il était utilisé à bon escient et de manière raisonnable. Mais c’est tout le problème : au nom de la “démocratie substantielle”, les tenants de la Révolution constitutionnelle du juge Barak ont vidé de tout sens la “démocratie formelle” et le pouvoir des élus, dont ils ont fait un épouvantail et qu’ils s’emploient depuis plusieurs décennies à vider de son contenu.

 

Le second élément de la doctrine Barak est en effet l’idée qu’il faudrait sans cesse “limiter le pouvoir de la majorité”, qui serait par principe même un danger pour les droits des minorités (idée elle aussi acceptable dans une certaine mesure) et même un danger pour la démocratie elle-même ! C’est sur ce sophisme (“le pouvoir du peuple met en danger la démocratie”) que repose toute l’entreprise du juge Barak et de ses partisans, qui a ainsi abouti au résultat paradoxal et totalement illogique, que les “défenseurs de la démocratie” (substantielle) sont devenus les pourfendeurs de tous les organes de la démocratie (formelle): gouvernement, Knesset, et pouvoir des élus en général.

 

C’est ainsi qu’il faut comprendre le débat actuel sur le limogeage de la conseillère juridique du gouvernement ou du patron du Shin Beth. Aux yeux des partisans de la “démocratie substantielle” théorisée par le juge Barak, il est interdit au gouvernement élu de destituer des fonctionnaires non élus, qui incarnent selon eux le dernier rempart de la “démocratie” contre le soi-disant "danger" que représente le pouvoir du peuple. Derrière cette affirmation – en elle-même scandaleuse – se cachent, comme nous le verrons, plusieurs motivations encore plus scandaleuses, qui vont du refus du principe de la majorité au mépris pour le “peuple” et pour tous ceux qui représentent autre chose que l’ancienne élite laïque ashkénaze de gauche. (à suivre…)

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? pour un exposé de la Révolution constitutionnelle de 1992.

Pouvoir du peuple ou pouvoir des élites ? La question centrale du débat politique israélien

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Le rêve américain, d’Ayn Rand à Brady Corbet

March 14 2025, 15:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Le rêve américain, d’Ayn Rand à Brady Corbet

(Article paru dans Causeur.fr)

 

Ce qui rend le film The Brutalist si parlant et si fort, au-delà de ses qualités artistiques et cinématographiques, c’est son sujet à la fois tellement universel et tellement américain (et juif américain). Analyse d’un succès pleinement justifié.

 

Parmi les très nombreux articles portant sur The Brutalist, le film primé et acclamé de Brady Corbet – acteur et réalisateur américain dont c’est le troisième film – très peu ont prêté attention à une possible source d’inspiration : le roman d’Ayn Rand La source vive (The Fountainhead). Publié aux Etats-Unis en 1943, ce roman fut le premier grand succès de la romancière américaine et il fut adapté à l’écran en 1949 par King Vidor, avec Gary Cooper et Patricia Neal dans les rôles principaux.

 

La source vive raconte l’histoire d’un architecte individualiste et rebelle, dans le New York des années 1920. Son titre fait écho à une citation d’Ayn Rand : “L'ego de l'Homme est la source vive du progrès humain”. Née en 1905 dans une famille juive de St-Pétersbourg, nourrie de littérature russe et française, Rand avait émigré aux Etats-Unis en 1925. Sa philosophie individualiste et son éloge de “l’égoïsme rationnel” en ont fait une égérie des courants libertariens. Certains commentateurs décèlent aujourd’hui son influence dans la politique économique de Donald Trump.

 

Malgré la ressemblance des thèmes du film de Corbet et du roman de Rand, la romancière juive américaine et le héros du “Brutalist” incarnent pourtant une facette bien différente de l’histoire des immigrants juifs aux Etats-Unis. Le parcours d’Ayn Rand est en effet une “success story” sans faute. La jeune fille juive, arrivée à l’âge de 20 ans dans son nouveau pays, y connaît une réussite impressionnante, à la fois littéraire, commerciale et intellectuelle (au point que son roman le plus connu, La Grève, est parfois cité comme le livre le plus influent après la Bible). Des chefs d’Etat aussi différents que Ronald Reagan, Hillary Clinton ou Donald Trump se réfèrent à elle.

 

The Brutalist, de son côté, relate plutôt la “face sombre” du rêve (juif) américain. Lorsque Laszlo Toth, le héros du film, débarque à Ellis-Island, il a derrière lui un parcours réussi d’architecte à Budapest, mais sa carrière est brisée par le nazisme. Rescapés de Dachau et de Buchenwald, lui et sa femme finiront par se retrouver aux Etats-Unis, après des années de séparation. Au-delà du traumatisme durable de la Shoah, c’est surtout l’ambivalence de l’attitude américaine envers les Juifs qui est relatée avec talent par le film de Corbet. L’admiration que voue à Toth son bienfaiteur Harrison von Buren se double en effet d’un mépris à peine voilé, qui culmine dans la scène marquante du viol en Italie.

 

Grand film à petit budget, porté par l’excellent acteur Adrien Brody (Le pianiste), The Brutalist raconte l’histoire universelle du combat pour la vie et pour la survie, dans un environnement étranger et souvent hostile. Comme l’expliquait Le Corbusier, à propos du courant architectural “brutaliste” – qui donne au film son titre – “l’urbanisme est brutal parce que la vie est brutale”. Mais le film de Corbet réussit à décrire cette brutalité avec retenue et de manière subtile. Son succès planétaire bien mérité est la preuve que le cinéma a encore et toujours quelque chose à nous dire.

P. Lurçat

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Pierre-André Taguieff: Itinéraire d’un intellectuel philosémite, par Pierre Lurçat

March 10 2025, 08:05am

Posted by Pierre Lurçat

Pierre-André Taguieff: Itinéraire d’un intellectuel philosémite, par Pierre Lurçat
Pierre-André Taguieff: Itinéraire d’un intellectuel philosémite, par Pierre Lurçat

J'ai interviewé P.A. Taguieff pour Israël Magazine. L'historien des idées y revient sur son parcours intellectuel et personnel. Extraits:

Pierre Lurçat : Vous êtes l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, dont plusieurs portent sur l’antisémitisme et sa forme contemporaine, l’antisionisme. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce sujet, et d’où vient votre proximité avec le peuple Juif ?

Pierre-André Taguieff : Les meilleurs amis de mes parents, à Paris, étaient des Juifs russes que ma mère, secrétaire de Mairie d’un village du Massif central durant l’Occupation, avait aidés. J’ai été fortement imprégné par cette culture judéo-russe. En 1965-1966, à la faculté de Nanterre, j’ai rencontré Talila, qui chantait en hébreu aussi bien qu’en yiddish. Nous nous sommes beaucoup aimés et cet amour a été aussi pour moi une nouvelle porte d’entrée dans la culture juive. J’ai publié en septembre 1979 une étude musicologique intitulée « Fragments de la chanson yiddish », avec des traductions de Talila. Après la naissance de notre fille Flore, lorsqu’on me demandait si j’étais juif, je répondais : « Je suis juif par ma fille. »

PL. On vous présente parfois comme l’élève du grand historien de l’antisémitisme Léon Poliakov, pouvez-vous préciser ?

PAT. En 1979-1980, après l’avoir lu avec passion, j’ai rencontré Léon Poliakov. Nous avons aussitôt sympathisé. Il m’a encouragé à publier mes premières études sur la question antijuive.  C’est ainsi que j’ai fait paraître en 1982 un article dans la revue Sens, titré significativement « L’antisionisme arabo-islamophile ».

Au cours de ces mêmes années, mes conversations avec Vladimir Jankélévitch, dont j’avais suivi auparavant les conférences à la Sorbonne m’ont également beaucoup inspiré. J’ai consacré à sa pensée une étude publiée en 1985, peu après sa mort, dans les Cahiers Bernard Lazare : « Vladimir Jankélévitch : les apories de l’éthique et la musique de la métaphysique ».

Enfin, en 1982-1983, par l’intermédiaire de mon amie Élisabeth de Fontenay, j’ai rencontré Claude Lanzmann, qui m’a proposé d’écrire dans Les Temps Modernes.  En novembre 1989, j’y ai publié un long article titré « La nouvelle judéophobie. Antisionisme, antiracisme, anti-impérialisme », préfiguration de mon livre paru en janvier 2002, La Nouvelle Judéophobie

PL. Êtes-vous déjà venu en Israël ?

PAT. À l’âge de 18 ans, j’ai voyagé à travers Israël pendant deux mois avec un ami français, occasion de rencontrer des Israéliens de milieux très divers. C’était en juillet-août 1965. Un voyage-découverte qui m’a autant appris qu’enthousiasmé...

(Lire la suite dans le dernier numéro d'https://israelmagazine.co.il/https://israelmagazine.co.il/)

Taguieff et Talila (c) Collection personnelle PAT

Taguieff et Talila (c) Collection personnelle PAT

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Oded Lifshitz (1940-2023): vie et mort d’un pacifiste israélien

March 5 2025, 08:40am

Posted by Pierre Lurçat

Oded Lifshitz (1940-2023): vie et mort d’un pacifiste israélien

(Article paru dans Causeur.fr)

Oded Lifshitz, dont la dépouille mortelle a été ramenée en Israël dans le cadre des négociations entre Israël et le Hamas le 20 février dernier, n’était pas seulement un des fondateurs du kibboutz Nir Oz et un militant pacifiste. Journaliste et figure du mouvement kibboutzique, il était aussi un idéaliste invétéré. Son itinéraire et sa mort tragique aux mains du Hamas illustrent de manière emblématique l’erreur de ceux qui ont cru – envers et contre tout – à une paix possible avec leurs voisins de Gaza.

 

Nous avons reçu un coup terrible de ceux-là mêmes que nous avions tant aidé…” a déclaré sa veuve, Yocheved Lifshitz, elle-même détenue par le Hamas et libérée au bout de 50 jours. “Oded était un combattant de la paix. Il entretenait d’excellentes relations avec les Palestiniens, et une des choses qui me font le plus de mal c’est qu’ils l’ont trahi”, a-t-elle expliqué lors d’une cérémonie organisée par le Centre Pérès pour la paix. De fait, quelle mort plus terrible peut-on imaginer pour un militant pacifiste, que d’être assassiné par ceux-là mêmes pour lesquels il s’était battu toute sa vie ?

 

Journaliste au quotidien de gauche Al-Hamishmar, Oded Lifshitz avait ainsi protesté contre la création de localités juives en Judée-Samarie dès le lendemain de la guerre des Six Jours. Il s’était également opposé à l’expropriation des bédouins de la région de Rafiah au moment de la création de la localité de Yamit dans le Sinaï (laquelle fut par la suite évacuée par le gouvernement de Menahem Begin). Lifshitz était aussi, comme l’a rappelé récemment Amnon Lord dans les colonnes d’Israël Hayom, un des premiers journalistes israéliens – sinon le premier journaliste au monde – à pénétrer dans les camps de Sabra et Chatila après les massacres commis par les phalangistes chrétiens libanais.

 

Toute la carrière journalistique et politique d’Oded Lifshitz était celle d’un pacifiste et d’un idéaliste invétéré. A cet égard, il incarne l’erreur de ceux qui – au sein des kibboutz frontaliers de Gaza – avaient cru pouvoir tisser des liens d’amitié avec leurs voisins de l’autre côté de la frontière, en les aidant à recevoir des soins médicaux en Israël et en leur faisant traverser la barrière de sécurité pour les transporter dans leurs véhicules personnels. L’idéalisme de Lifshitz et de tous les autres représentants du pacifisme israélien est certes sympathique en apparence, mais il est en réalité dangereux. L’enfer est pavé de bonnes intentions, comme le savent bien les Israéliens depuis le 7-Octobre.

 

En nourrissant et en soignant les habitants de Gaza, Oded et ses camarades n’ont nullement atténué la haine inextinguible de ceux-ci envers Israël. Les exactions commises le 7-Octobre - contre les habitants des kibboutz frontaliers de Gaza et contre les jeunes soldates observatrices non armées - ont été commises non seulement par les soldats du Hamas, mais aussi par les civils de Gaza. La leçon terrible doit être apprise pour les générations à venir : le pacifisme n’apporte jamais la paix. Il est un poison mortel qui anéantit nos capacités de défense et nous expose aux attaques mortelles de nos ennemis.

 

Le pacifisme israélien – depuis la lointaine époque du “Brith Shalom” dans les années 1930 et jusqu’à nos jours – réapparaît à chaque génération, reposant sur la promesse fallacieuse de mettre fin au conflit et sur l’annonce mensongère de la “der des der”. Mais loin d’apporter la paix, il est le plus souvent le meilleur moyen de générer de nouvelles guerres et de nouveaux massacres. “Si vis pacem, para bellum”.

P. Lurçat

NB Mon nouveau livre, L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, sort ces jours-ci. Il est disponible sur Amazon et B.O.D.

Oded Lifshitz (1940-2023): vie et mort d’un pacifiste israélien

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