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Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

Photo by Gili Yaari /Flash90

Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

Photo by Gili Yaari /Flash90

Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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« La démocratie c’est la dictature » : Le moment orwellien de la politique israélienne, Pierre Lurçat

March 16 2023, 05:47am

Posted by Pierre Lurçat

« La démocratie c’est la dictature » :  Le moment orwellien de la politique israélienne, Pierre Lurçat

N.B En qualifiant de "compromis du peuple" sa proposition, le président Itshak Herzog participe de la propagande que j'analyse ci-dessous. "Compromis du peuple" ou "compromis des élites"? P.L

Dans la gigantesque campagne de désinformation à laquelle se livrent les médias « mainstream » israéliens et les chefs de l’opposition, avec l’appui – entre  autres – de la Cour suprême, du parti démocrate et du département d’Etat américains et d’ONG financées par des Etats étrangers (tous ces acteurs constituant ce que certains qualifient de « Deep State »), je voudrais m’arrêter ici sur deux mensonges particulièrement efficaces.

 

Le premier consiste à qualifier la Loi sur le contournement (« Hok ha-Hitgabrout ») qui a été votée cette semaine et les autres volets de la réforme judiciaire de « lois personnelles », « Loi Dery », « Loi Bibi », etc. comme si l’objet principal de toute cette réforme était de « sauver » le Premier ministre et d’autres de la rigueur de la justice israélienne, laquelle serait mue par des motivations pures et intègres. L’histoire politique des deux ou trois dernières décennies en Israël montre que c’est précisément le contraire qui est vrai.

 

La réforme en cours – que les médias israéliens qualifient de « putsch » ou de « révolution judiciaire », dans leur Novlangue orwellienne –  n’a rien de nouveau. Ses principes m’avaient été exposés par le ministre Yariv Levin (alors député du Likoud) dans une interview publiée par Israël Magazine en… 2011 ! Elle vise en réalité à rétablir le pouvoir de la Knesset et à permettre aux représentants du peuple et à ses dirigeants démocratiquement élus d’appliquer la politique pour laquelle ils l’ont été, sans craindre de se voir entravés, empêchés, voire inculpés par une justice qui est tout sauf neutre et apolitique. Les exemples de cette triste réalité sont légion.

 

L’ancien ministre de la Justice, Daniel Friedman, avait lui aussi élaboré un projet de Loi de contournement, comme il l’a relaté dans un livre passionnant[1]. Il y explique notamment comment le système judiciaire et la police ont été utilisés, depuis trois décennies, pour torpiller toute tentative de réforme et de rétablir l’équilibre des pouvoirs, en rognant les pouvoirs exorbitants que la Cour suprême s’est octroyée lors de la Révolution constitutionnelle. Cela porte un nom : justice politique.

 

Parmi ceux qui ont tenté de s’attaquer à celle-ci, citons le ministre de la Justice (travailliste) Haïm Ramon, le ministre Yaakov Neeman et le ministre Daniel Friedmann. Les deux premiers ont été inculpés pour des raisons plus ou moins valables, mais toujours dans un but politique évident. Comme l’a écrit Amnon Dankner, en matière d’inculpation de personnalités publiques, il existe trois écoles : « celle de Beit Hillel, celle de Beit Shamai et celle de « cela dépend de qui il s’agit ». En l’occurrence, la Cour suprême, le procureur de l’Etat et la police ont depuis de nombreuses années choisi la troisième école. Ils « ciblent » systématiquement les hommes politiques qui tentent de diminuer le pouvoir du système judiciaire et utilisent tous les moyens pour parvenir à leurs fins.

 

Ce qui nous amène au plus grand mensonge de la campagne actuelle : qualifier de « putsch » et de « révolution » anti-démocratique une réforme qui vise précisément à rétablir la démocratie, l’Etat de droit et la neutralité de la justice. Mais comme l’avait dit un spécialiste de la propagande, « plus le mensonge est gros, plus il passe ». Dans cette immense entreprise de propagande, dont on ignore qui exactement la finance, deux coups de génie ont sans doute été pensés par des conseillers en communication politique américains, les fameux spin doctors qui exercent depuis quelques décennies leurs talents en Israël.

 

Le premier est d’avoir utilisé comme symbole le drapeau d’Israël, pour faire croire que ces manifestations du camp anti-Bibi qui a perdu les dernières élections, représentent la majorité, voire l’ensemble du peuple d’Israël. Le second est d’utiliser le mot de « démocratie », détourné de son sens authentique, en ralliant ainsi les défenseurs abusés de celle-ci. Israël traverse un moment orwellien. Comme dans le fameux roman d’Orwell 1984, où le régime totalitaire avait pour slogans « la guerre c’est la paix » et « la liberté c’est l’esclavage », la campagne de propagande actuelle a adopté pour devise, « la démocratie c’est la dictature ». Le peuple d’Israël est-il dupe ? Rien n’est moins sûr.

P. Lurçat

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La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :

(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

 

 

 

[1] The Purse and the Sword,

The trials of the Israeli Legal Revolution, Yediot Aharonot Books 2013.

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La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

March 12 2023, 16:27pm

Posted by Pierre Lurçat

La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

Les phénomènes politiques et sociaux, comme l’ensemble des phénomènes humains, ont rarement une explication unique. Dans les lignes qui suivent, je voudrais avancer trois explications possibles - qui ne s’excluent pas mutuellement – à la crise politique actuelle en Israël.

 

1ère explication : une immense manipulation politique et médiatique

 

Le premier niveau d'explication est celui du mensonge politique et médiatique sans précédent, auquel nous assistons depuis plusieurs semaines. Comme souvent, ce mensonge est d'autant plus efficace qu'il est grossier. En qualifiant de "putsch" et de "révolution" antidémocratique une réforme légitime, qui vise précisément à rétablir la séparation des pouvoirs et la démocratie authentique, les médias israéliens et les chefs de l’opposition recourent à une rhétorique mensongère éhontée, qui prétend priver les électeurs israéliens de leur victoire, sous couvert de "sauver la démocratie".

 

Il n'est pas anodin que cette manipulation politique et les manifestations qui l'accompagnent soient orchestrées avec le soutien logistique considérable des ONG à financement étranger, auxquelles la Cour suprême a donné un droit de regard sur la politique intérieure israélienne. A travers la protestation contre la réforme judiciaire, c'est en fait un enjeu de pouvoir fondamental qui se joue actuellement : le peuple d'Israël va-t-il reprendre le pouvoir qui lui a été confisqué par la Cour suprême, au moyen de l'intervention grandissante de cette pléiade d'ONG, véritable cheval de Troie de puissances étrangères, à l'intérieur de la vie publique israélienne ?

 

2eme explication : une guerre intestine

 

Ce qui nous amène à la deuxième explication, celle de la guerre intestine. Les appels répétés à la guerre fratricide et à l'effusion de sang des dirigeants de l'opposition, qui sont pour la plupart (à l'exception de Yair Lapid) des généraux en retraite, comme l'a observé récemment Shmuel Trigano, sont évidemment révélateurs. Dans l’ethos fondateur de la gauche israélienne, la guerre fratricide est toujours salvatrice, depuis la "Saison", l'Altalena et le "canon sacré" de David Ben Gourion et jusqu'à l'expulsion des valeureux habitants du Goush Katif, chassés jusqu'au dernier d'entre eux de leurs maisons manu militari pour faire la place au gouvernement du Hamas, avec la bénédiction de la Cour suprême (sauf une voix, celle du juge sépharade Edmond Levi, véritable “juste à Sodome”)

 

Dans la guerre fratricide que ce quarteron de généraux à la retraite appelle de tous ses vœux, tous les moyens sont légitimes, de l'incitation à la haine et au meurtre jusqu'à la désobéissance civile et au refus d'obéissance de soldats de réserve… A travers cette lutte intestine, c'est l'avenir d'Israël qui est en jeu, avenir qui est menacé par des acteurs étrangers puissants (démocrates américains, Union européenne, etc.) qui étaient déjà présents lors des précédentes phases de la lutte d'Israël pour sa survie. La gauche israélienne, à travers sa dernière mutation au visage wokiste - le camp hétéroclite des "Tout sauf Bibi" -  n'a aucun complexe à s'allier aux ennemis de l'extérieur et de l'intérieur pour atteindre ses objectifs.

 

3eme explication : un conflit d’identité

 

Les deux explications qui précèdent sont évidemment insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel, qui dépasse de loin tout ce qu'on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un troisième niveau, symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte et d'expliquer cette violence. Ce niveau, largement impensé au sein de l’opposition, porte sur l'identité profonde d'Israël en tant que peuple et en tant que nation… Il peut être formulé ainsi : Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l'émancipation - assimilation ?

 

Dans cette perspective, l'opposition violente et le mouvement de panique auxquels on assiste actuellement sont à la hauteur de l'espoir qu'un État plus juif fait naître chez ses partisans. Ce qui apparaît à ces derniers comme la réalisation des promesses bibliques semble pour les premiers signifier la fin de leur idéal laïc et occidental. Affrontement irréductible entre deux visions qu'on avait cru compatibles et qui s'avèrent aujourd'hui radicalement opposées. L'avenir dira si nous assistons à un progrès sur la voie de la rédemption ou bien, à Dieu ne plaise, à une terrible régression.

Pierre Lurçat

La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :

(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

 

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LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

March 12 2023, 13:44pm

Posted by Pierre Lurçat

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

APRES LE GRAND SUCCES DE LA CONFERENCE QUE J'AI DONNEE LE 28 FEVRIER A TEL AVIV, J'AI LE PLAISIR D'ANNONCER QU'ELLE EST DISPONIBLE EN REPLAY ICI

(7) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, explique  situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême

 

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Le conflit identitaire israélien (II) Israël - Etat juif ou Etat occidental ?

March 8 2023, 16:01pm

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (II)  Israël - Etat juif ou Etat occidental ?

 

Un bref commentaire de Rachi sur la parashat Mishpatim permet sans doute de répondre à la question cruciale qui oppose aujourd’hui partisans et adversaires de la réforme judiciaire en Israël. Cette dernière ne porte pas en effet, comme un examen trop rapide pourrait le faire croire, sur des problèmes techniques et juridiques au sens étroit, mais sur une problématique essentielle, qui est au cœur du Kulturkampf israélien depuis 1948 et encore avant même. “Et voici les statuts que tu placeras devant eux… Le "vav" par lequel commence la parashat Mishpatim renferme un des problèmes les plus cruciaux qui divise la société israélienne aujourd'hui : celui du fondement du droit et par là même, du caractère – juif ou occidental – du système juridique israélien.

 

Commentant ces mots qui introduisent la parashat Mishpatim, Rachi explique en effet que ce vav implique un ajout à ce qui précède, ce dont il déduit que le droit civil, tout comme les Dix Commandements lus précédemment, a été proclamé au Sinaï. "Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l'autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhédrin près du Sanctuaire..." Ce qui veut dire, en d'autres termes, que le droit positif est d'origine transcendante, tout comme la morale, et que la Cour suprême d'Israël devrait siéger près du Temple reconstruit. Programme révolutionnaire !

 

Pour que l’Etat d’Israël devienne un Etat conforme à la vision des pères fondateurs du sionisme et aux prophéties, il faut donc qu’il abandonne définitivement le clivage occidental entre droit et justice, entre Tsedek et Mishpat, entre la justice idéale et la loi parfois inique. Le message fondamental du droit hébraïque, comme l’explique Rashi dans son commentaire lapidaire, en parlant “d’installer le Sanhédrin près du Sanctuaire”, est que la justice ne doit jamais perdre de vue son origine transcendante et sa vocation à dire ce qui est juste, et non pas seulement ce qui est “légal”. C’est précisément, selon le rav Avraham Weingort, ce qui fait toute l’originalité du droit hébraïque, qui est un des plus anciens systèmes juridiques au monde.

 

Les philosophes se sont interrogés depuis des siècles et des millénaires sur la nature du droit juste sans parvenir à une définition acceptable pour tous. Comme l’écrivait le juriste Paul Roubier, “Celui qui entreprend l’étude du droit ne peut manquer d’être frappé par la divergence énorme qui existe entre les jurisconsultes sur la définition, le fondement ou le but du droit. Sans doute, on s’applique à dire que l’objectif du droit est l’établissement d’un ordre social harmonieux et la solution des conflits entre les hommes. Mais dès qu’on dépasse cette proposition assez banale, des désaccords surgissent[1]. Aux dires du rabbin Munk, commentant Roubier, ce “profond désaccord corrobore la thèse de la doctrine mosaïque, selon laquelle la justice et le droit ont leur fondement dans des sources transcendantes”.

 

 

            C’est ainsi qu’il faut comprendre l’explication lumineuse de Rachi : “installer le Sanhédrin près du Sanctuaire”, cela signifie non seulement reconnaître l’origine transcendante (divine) du droit, mais aussi ne pas accepter la séparation occidentale du droit et de la justice, en reliant le juste et le bien, le droit civil et les lois relatives aux sacrifices. Telle est la vision juive de la justice, celle que le regretté professeur Baruk définissait par la notion sui generis du Tsedek, qui n’a d’équivalent dans aucune autre civilisation. Or la situation actuelle du droit dans l’Etat d’Israël est très éloignée d’une telle conception.

 

La Cour suprême contre l’Etat juif

 

            Pour s’en convaincre, il suffit de constater combien la Cour suprême - “joyau” de la démocratie israélienne selon ses défenseurs - a méconnu le trésor juridique, culturel et spirituel que constitue le droit hébraïque. Celui-ci est en effet réduit aujourd’hui à une véritable peau de chagrin, et la Cour suprême s’est employée, depuis l’époque du juge Barak, à réduire encore la compétence des tribunaux rabbiniques, qui ne portait pourtant depuis 1948 que sur les questions de statut personnel.

           

            Il y a là, de la part d’Aharon Barak et de ses successeurs, une preuve de mépris pour la tradition juridique juive, qu’ils ignorent le plus souvent. Quand on lit sous la plume du juge Aharon Barak qu’il suffirait, pour rédiger une Constitution en bonne et due forme en Israël, de “recopier la Constitution de l’Afrique du Sud”[2], on comprend l’étendue du problème. Aux yeux de Barak, comme de beaucoup d’autres parmi ceux qui occupent les premiers rangs de l’appareil judiciaire israélien aujourd’hui, toute source d’inspiration est légitime… sauf la source hébraïque.

 

            Dans une vidéo qui a fait le “buzz” il y a quelques semaines, on voit un rabbin Habad mettre les téfillin et faire réciter le Shema Israël au “grand-prêtre” de la Révolution constitutionnelle, Aharon Barak. Ces images ont ému bien des Israéliens, pourtant elles révèlent l’étendue de l’ignorance du judaïsme du juge Barak, qui ne connaît même pas les mots du Shema, la prière juive la plus importante, et qui reconnaît n’avoir jamais ouvert une page de Guemara… Au-delà de l’ignorance, cela atteste d’une forme de mépris de celui qui a prétendu ébranler le fragile statu quo instauré par David Ben Gourion en 1948, et remplacer l’Etat juif par un “Etat de tous ses citoyens”.

Pierre Lurçat

(article paru sur Menora.info)

 

[1] Cité par Elie Munk, La voix de la Torah, L’Exode, p. 241, fondation Samuel et Odette Lévy 1983.

[2] In A. Bendor et Z. Segal, “Osséh ha-kovaim”, Entretiens avec A. Barak (hébreu), Kinneret Zamoura Bitan.

Le conflit identitaire israélien (II)  Israël - Etat juif ou Etat occidental ?

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Le conflit identitaire israélien (I) : La tentation cananéenne

March 5 2023, 07:25am

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (I) :  La tentation cananéenne

 

« Il n’est même pas possible d’imaginer les Juifs sans Dieu »

Dostoïevsky

 

Dans un article paru en 1915 dans une revue en russe, l’écrivain Sergei Boulgakov évoquait le défi principal du sionisme dans les termes suivants : « Tôt ou tard, les Juifs réaliseront la nécessité de résoudre un problème bien plus important et essentiel que celui qui est désigné aujourd’hui comme la “question juive” - à savoir, le problème de leur nature spirituelle. Ce problème ne peut être résolu sans un centre national… La plus grande difficulté pour le sionisme actuel est son incapacité à rétablir la foi ancestrale en voie de disparition, de sorte qu’il est contraint de se fier au seul principe national-ethnique…[1] »

 

Le diagnostic porté par l’écrivain russe de religion chrétienne il y a plus de cent ans pourrait bien constituer l’élément principal de la crise d’identité que traverse actuellement l’Etat d’Israël, sous couvert de débat politique et juridique. C’est en effet – au-delà du débat étroit sur la réforme judiciaire et le statut de la Cour suprême – la question cruciale de l’identité qui ressurgit aujourd’hui, avec une virulence rarement atteinte au cours des soixante-quinze années d’existence de l’Etat juif. Premier volet d’une série consacrée à la crise d’identité israélienne et à ses racines profondes.

 

Le conflit identitaire qui connaît actuellement une nouvelle poussée en Israël n’oppose pas seulement Juifs laics et religieux, partisans d’un Etat juif et sioniste et tenants d’un « Etat de tous ses citoyens », dont le caractère juif serait réduit à la portion congrue. Il oppose plus largement, pour reprendre une expression du Rav Léon Ashkénazi, ceux « qui sont venus en Israël pour ne plus être plus Juifs et ceux qui y sont venus pour l’être vraiment ».

 

La tentation cananéenne

 

Comme me l’a relaté Benny Ziffer, rédacteur en chef du supplément littéraire du quotidien Ha’aretz, le mouvement cananéen très influent dans les années 1950 a joué un rôle crucial dans la formation des élites politiques et culturelles israéliennes. « Les Cananéens voulaient faire évoluer le sionisme, et fonder un nationalisme sur le modèle français, dans lequel le lien à la terre n’aurait rien à voir avec la religion… Ils voulaient qu’Israël soit fondé sur le droit du sol et pas sur la filiation juive. Ils voulaient couper tous les liens avec le judaïsme. Ben Gourion a lutté contre eux car c’était quelque chose d’insupportable à ses yeux[2] ».

 

            La « tentation cananéenne »,  qui demeure présente jusqu’à aujourd’hui au sein d’une grande partie des anciennes élites israéliennes, n’exprime pas seulement un rejet du judaïsme de l’exil, de l’histoire et de la tradition juive. Elle signifie, à un niveau plus profond encore, le refus d’assumer la vocation d’Israël, telle que celle-ci est exprimée dans le Livre que le peuple Juif a donné à l’humanité et qui reste jusqu’à ce jour – malgré toutes les transformations intervenues dans la condition juive depuis trois mille ans – sa carte d’identité ; la Bible hébraïque. C’est en effet l’enjeu fondamental du conflit politique autour de la réforme judiciaire, qui touche en fait à la question cruciale de l’identité d’Israël en tant qu’Etat et en tant que nation.

 

Sommes-nous un « Etat comme les autres », un Etat occidental créé pour offrir un refuge aux Juifs persécutés, selon le modèle de l’Ouganda – un temps envisagé comme « asile de nuit » par le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl lui-même ?[3]  Sommes-nous un Etat juif, et si oui que signifie cette expression et comment faut-il l’interpréter ?[4]. De la réponse à cette question dépend largement le caractère de l’Etat et de ses institutions, mais plus encore, la nature des normes fondamentales autour desquelles ceux-ci s’organisent.

 

Comme le fait justement remarquer le rabbin Uri Cherki, c’est le caractère juif de l’Etat qui était la principale préoccupation du fondateur du sionisme politique et non son caractère démocratique. Ce n’est qu’à la suite du tour de passe-passe révolutionnaire accompli par le juge Aharon Barak dans les années 1990 que l’équation a été inversée et que le caractère démocratique de l’Etat est devenu l’aune à laquelle sont mesurées la légalité et la légitimité de toutes les décisions administratives, politiques, militaires et législatives. Bien plus encore qu’une simple question juridique et politique ou constitutionnelle, il y a là une question fondamentale qui touche aux normes fondatrices de l’Etat juif.

 

C’est précisément cette question fondamentale des normes fondatrices – et à travers elles, de l’identité de l’Etat d’Israël – qui explique la virulence du débat actuel, tant à l’intérieur de la société israélienne qu’à l’extérieur. Débat crucial, dont l’enjeu véritable dépasse de loin les seuls aspects politiques, juridiques ou socio-économiques auxquels on le réduit le plus souvent : enjeu métapolitique, pourrait-on dire, ou même métaphysique. L’Israël de la chair est-il l’Israël selon l’esprit, pour l’exprimer en termes chrétiens, ou pour le dire dans le langage de la tradition hébraïque : l’Etat juif est-il bien le continuateur de la vocation juive ? Or c’est précisément l’éventualité que la réponse à cette question soit positive qui effraie tellement ceux qui, au sein du peuple d’Israël, voudraient renoncer à cette vocation. (à suivre…)

 

[1] Cité par Raya Epstein, Post-Zionism and Democracy, in Israel and the Post-zionists, A nation at risk, ed. Shlomo Sharan, Sussex Academy Press 2003.

[2] Interview publiée en partie dans le dernier numéro d’Israël Magazine, mars 2023.

[3] Sujet que j’aborde dans mon livre Israël, le rêve inachevé, chapitre 2.

[4] Je renvoie à ce sujet au remarquable numéro de la revue Pardès qui vient de paraître, intitulé “Qu’est-ce qu’un Etat juif?” et issu d’un colloque éponyme tenu à Jérusalem en 2022.

Le conflit identitaire israélien (I) :  La tentation cananéenne

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Haine abyssale contre la famille Nétanyahou : l’explication de Benny Ziffer, Pierre Lurçat

March 2 2023, 14:14pm

Benjamin et Sarah Nétanyahou (Olivier Fitoussi/Pool)

Benjamin et Sarah Nétanyahou (Olivier Fitoussi/Pool)

Dans l’interview passionnante qu’il m’a donnée le mois dernier pour Israël Magazine, Benny Ziffer, rédacteur en chef du supplément littéraire du journal Ha’aretz et proche de la famille Nétanyahou, revient sur la haine abyssale envers le Premier ministre et sa famille. Ses explications permettent de comprendre les images choquantes d’une foule de manifestants séquestrant Sarah Nétanyahou dans son salon de coiffure, au nom de leur conception bien particulière de la “démocratie”. P. Lurçat

 

Benny Ziffer : “Je suis satisfait du Premier ministre. J’espère qu’il sera assez dominant pour faire régner l’ordre (dans son gouvernement). A son âge, il est comme Ben Gourion, centriste non pas parce qu’il aurait évolué dans ses opinions mais parce que la gauche a soudain quasiment disparu et toute la carte politique a bougé. Je pense que tout comment Ben Gourion en son temps, il va transformer les partenaires les plus extrémistes de sa coalition en hommes politiques responsables. Le meilleur exemple concernant les LGBT. Quand Amir Ohana avait prononcé son discours d’investiture à la Knesset, les députés ultra-orthodoxes étaient sortis de la salle. Aujourd’hui ils sont restés !

Ben Gourion avait fait la même chose avec Itshak Shamir, ex-dirigeant du Lehi qui avait pris part à l’assassinat de Bernadotte. Il l’avait intégré dans les rangs du Mossad.

 

P.L Comment expliquer la haine abyssale envers Nétanyahou?

B.Z. Tout simplement, la jalousie. Bibi a le profil d’un homme de gauche… Son père était le rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque, avec Y. Leibowitz. Il fait partie des anciennes élites. Au sein de l’élite sioniste révisionniste, il a réussi. S’il avait fait une carrière universitaire, personne n’aurait trouvé à y redire… Son père était un outsider.

Je pense que la haine contre Bibi est aussi la prolongation de la haine contre Begin et contre la droite, qui est très ancienne.Aujourd’hui la droite ne s’excuse plus. Bibi est libéral. Son père avait été radical dans sa jeunesse, mais il est ensuite devenu un universitaire et un historien respecté. En tant qu’historien, on regarde les choses de l’extérieur…

 

Haine abyssale contre la famille Nétanyahou : l’explication de Benny Ziffer, Pierre Lurçat

 

P.L Et Sarah Nétanyanou ?

B.Z. Je pense que la haine à son égard est liée à la misogynie qui fait partie de l’éthos israélien… Cette vulgarité israélienne s’en prend toujours aux femmes.  Elle est à cet égard une victime idéale… Lorsque j’ai commencé à écrire sur Sarah Nétanyahou, les gens me disaient “J’ai vu qu’elle était comme ci et comme ça…” Alors qu’ils ne faisaient que colporter des rumeurs.

Aujourd’hui, cela s’est calmé. Juste avant les élections, Raviv Drucker a fait un nouveau film sur les enregistrements de Sarah, et il n’a pas eu de rating. Je pense que quelque chose est arrivé lors des dernières élections. La gauche a été quasiment effacée.

 

P.L. Ils se sont autodétruits… Ils sont déconnectés de la réalité ?

B.Z. Ils se préoccupent de choses futiles… Ils ont dépensé toute leur énergie sur des histoires de haine personnelle. Ce qui est bien chez Nétanyahou c’est sa patience. “Le génie est une longue patience” (rires). Il a cette patience…

En Israël on n’aime pas les personnalités fortes, comme Sarah et comme Bibi Nétanyahou. Je compare cela à l’antisémitisme et je l’ai dit souvent. Sarah n’est pas une sainte… J’ai été souvent invité chez eux. Mais l’antisémitisme consiste à déceler chez quelqu’un une faiblesse et à en faire l’essentiel.

 

P.L C’est ce que Jabotinsky appelle “l’antisémitisme des choses”...

B.Z. Absolument. Weizmann a dit que l’antisémitisme consiste à détester les Juifs plus qu’ils ne le méritent… Faire d’un détail la chose essentielle. Depuis que les réseaux sociaux existent, on attend des dirigeants qu’ils soient parfaits…

L'interview de B. Ziffer dans ISRAEL MAGAZINE

L'interview de B. Ziffer dans ISRAEL MAGAZINE

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L’enjeu essentiel de la réforme judiciaire : rétablir les droits de la majorité, Pierre Lurçat

February 26 2023, 08:28am

Posted by Pierre Lurçat

L’enjeu essentiel de la réforme judiciaire : rétablir les droits de la majorité, Pierre Lurçat

 

Au vu du pouvoir hégémonique sans précédent que la Cour suprême israélienne a acquis au cours des trois dernières décennies, il est difficile de faire revenir les choses en arrière, au statu quo ante. Les juges de la Cour suprême israélienne ont acquis un pouvoir auquel ils ne semblent pas prêts de renoncer. C’est pourquoi le changement ne peut pas venir de l’intérieur du système judiciaire. Il ne peut venir que de la Knesset et du gouvernement. La vox populi a montré son impuissance lors des grandes manifestations du public ultra-orthodoxe dans les années 1990, qui n’ont amené aucun changement, pas plus que les différentes initiatives venant d’autres milieux (comme le projet de Constitution par consensus de Ruth Gabizon et de Yaakov Madan).

 

Comme je l’écrivais en 2020, "pour rétablir les droits du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce sont le gouvernement et la Knesset qui doivent eux-mêmes se faire l’instrument d’une contre-révolution démocratique. C’est ce qu’avait commencé à faire Ayelet Shaked lors de son mandat au ministère de la Justice. Il est indispensable qu’un grand parti politique adopte pour cheval de bataille le rétablissement de l’équilibre des pouvoirs et des prérogatives de la Knesset".

 

Ce qui est en jeu dans la réforme judiciaire actuelle en Israël est emblématique du débat politique dans de nombreux autres pays occidentaux, comme la France ou les USA. Ici comme là-bas, des “minorités tyranniques” ont réussi à imposer leurs vues, sur bien des sujets très divers, contre les conceptions majoritaires de leurs concitoyens. Sur des thèmes comme l’immigration ou l’identité nationale en France comme en Israël, mais aussi sur le droit de la famille, etc., ces minorités actives se sont servies du pouvoir judiciaire pour imposer leurs vues.

 

Ce n’est pas un hasard si la Cour suprême israélienne, autrefois considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, est aujourd’hui devenue une institution hyper politisée, qui a perdu son aura et sa réputation d’impartialité. Dans le sillage de la Révolution constitutionnelle, la Cour suprême israélienne est en fait devenue le principal obstacle au jeu des institutions démocratiques. En réalité, comme nous avons tenté de le montrer, le juge Aharon Barak, tout comme ses élèves et successeurs, est tout le contraire d’un démocrate.

 Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

 

En bon élève de Lénine, il a utilisé les institutions démocratiques et le langage du droit pour asseoir son pouvoir. En Israël comme ailleurs dans le monde occidental, les deux pouvoirs qui se sont érigés en “maîtres du jeu” démocratique sont précisément les deux pouvoirs non élus, qui ne rendent de compte à personne : le pouvoir judiciaire (expression dont nous avons montré le caractère problématique) et le pouvoir médiatique.

 

En vidant de son sens la notion d’État juif et démocratique, la Cour suprême israélienne, depuis Aharon Barak, a porté atteinte au fragile équilibre sur lequel repose la société israélienne, constituée de secteurs multiples, porteurs de valeurs diverses et souvent contradictoires. Il importe aujourd’hui de rétablir cet équilibre, en restaurant un indispensable consensus national et en renforçant le caractère juif de l’État. Contrairement aux conceptions radicales d'Aharon Barak, le caractère juif de l’État ne menace pas la démocratie israélienne, il en est le ciment. C’est le vide engendré par le rejet du projet de droit israélien fondé sur les sources hébraïques qui a ouvert la voie à la situation actuelle.

 

Le but du sionisme politique a en effet toujours été de créer un État juif (avec certes des divergences quant au contenu de cette notion). Le caractère démocratique de cet État allait de soi, mais n’a jamais été un objectif en soi. Paradoxalement, c’est l’atteinte au caractère juif de l’État qui a affaibli de manière dangereuse le jeu démocratique des institutions, en imposant au peuple israélien des valeurs étrangères. Réaffirmer le caractère juif de l’État permettra de préserver la démocratie israélienne. La contre-révolution constitutionnelle a commencé, mais est loin d’être achevée. L’enjeu, en Israël comme ailleurs, dépasse de loin le seul problème institutionnel et politique. Il s’agit aussi et surtout de préserver l’idéal démocratique et de rendre au peuple le droit de choisir son destin.

Pierre Lurçat

(Extrait adapté de mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, revue Pardès no. 67 2021)



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LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

Tel Aviv

PAF : 30 shekels. 

(Sans réservation)

 Venez nombreux poser vos questions

 

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Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » Pierre Lurçat

February 21 2023, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël »  Pierre Lurçat

Contrairement à une "fake news" véhiculée par certains médias israéliens, l'actuelle réforme menée par le ministre de la Justice ne sort pas de nulle part, et n'a rien à voir avec le procès intenté à Benjamin Nétanyahou. Elle a été longtemps et soigneusement préparée par l'actuel ministre de la Justice, Yariv Levin, qui m'en avait parlé dans l'interview qu'il m'avait accordée en janvier 2012, il y a tout juste 11 ans. Je republie ici l'article paru dans Israël Magazine P.L.

Par une froide journée de janvier, je me suis rendu à la Knesset pour rencontrer Yariv Levin, représentant de la « jeune garde » du Likoud qui a fait parler de lui récemment en proposant plusieurs textes de lois sur des questions sensibles, comme l’élection des juges à la Cour suprême ou la lutte contre le boycott d’Israël. Malgré son image de député très combattif et activiste, c’est un homme affable, au discours posé et réfléchi. Il se présente comme le « législateur le plus actif » au sein du Likoud – ayant initié ou participé à la rédaction de nombreuses propositions de lois sur des sujets aussi importants que la protection du patrimoine foncier, les conditions de détention trop faciles faites aux terroristes ou la suppression des droits sociaux de l’ex-député félon Azmi Bishara. Rencontre avec un homme politique qui veut donner, enfin, le pouvoir réel – et pas seulement la majorité à la Knesset – à la droite israélienne.

Yariv Levin me reçoit dans son bureau de président de la « Commission de la Knesset ». C’est un député relativement jeune (il a 43 ans) issu d’une famille politiquement engagée : les parents de sa mère faisaient partie de l’Irgoun, et l’oncle de celle-ci, Eliahou Lenkin, était le commandant de l’Altalena, le fameux bateau affrété par l’Irgoun qui fut bombardé, avec sa précieuse cargaison d’armes destinées aux combattants de la guerre d’Indépendance et des dizaines de Juifs à bord – dont plusieurs survivants de la Shoah – sur l’ordre du commandant du Palma’h, un certain Itshak Rabin… Le « Sandak » lors de la circoncision de Yariv Levin n’était autre que Menahem Begin, à l’époque chef de l’opposition et futur Premier ministre.

Avec de tels antécédents, il n’est pas étonnant que Levin ait attrapé très jeune le virus de la politique ! Il a en effet débuté son activité publique alors qu’il était étudiant, après avoir servi dans les Renseignements militaires (où il a dirigé un cours de traduction de l’arabe au sein de l’armée). Après avoir exercé la profession d’avocat,  il a été élu vice-président du Barreau d’Israël, ce qui lui a permis de connaître de l’intérieur le monde judiciaire. C’est sans doute une des raisons qui l’ont amené à se pencher de près sur le dossier brûlant de l’élection des juges à la Cour suprême. Il y a quelques semaines encore, Levin déclarait ainsi que cette institution, souvent considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, avait été accaparée par « une minorité de groupuscules d’extrême-gauche qui voulaient imposer leurs valeurs à la société tout entière… »

Pour changer cette situation, il s’est attaqué à la racine du problème : le système d’élection des juges à la Cour suprême, qui explique que la majorité des juges représentent le courant laïc de gauche, alors qu’il n’y a presque aucun juge religieux ou habitant de Judée Samarie… La question de l’élection des juges n’est pas purement technique, car comme me l’explique Yariv Levin, sous la présidence du juge Aharon Barak, la Cour suprême s’est attribué des compétences exorbitantes, au mépris du principe de séparation des pouvoirs, essentiel au fonctionnement de la démocratie. A ses yeux, Barak incarne la « dictature juridique ». Sous sa présidence, la Cour suprême a ainsi voulu transformer Israël en « État de tous ses citoyens », en effaçant progressivement le caractère juif de l’État.

Un autre sujet qui l’occupe est celui du boycott et de la délégitimation d’Israël sur la scène internationale. A cet égard, il a initié une loi pour retirer tout financement public aux organismes qui soutiennent le boycott. Comme me l’explique Yariv Levin, « la majorité du peuple en Israël penche vers la droite, mais la gauche et l’extrême-gauche bénéficient du soutien de pays étrangers ». L’exemple le plus criant est celui du rapport Goldstone, dont toutes les accusations mensongères ont été formulées par des groupuscules israéliens financés par l’Union européenne ! Face à ces interventions intolérables dans la politique israélienne, Levin œuvre sans relâche pour rendre à Israël sa souveraineté et son indépendance.

Rendre à Israël sa souveraineté

Le point commun entre tous les combats qu’il mène est le constat qu’il faut rendre le pouvoir au peuple, qui en a été dépossédé par plusieurs facteurs, parmi lesquels il cite notamment la bureaucratie, les médias, la Cour suprême et l’intervention de pays étrangers dans la vie politique israélienne. « Il ne suffit pas d’être au pouvoir », résume Levin. « Il faut rendre à la Knesset les compétences qui lui ont été prises par le pouvoir judiciaire et par la bureaucratie ». Un exemple de cette situation est celui des conseillers juridiques, qui ont acquis au cours des dernières décennies un pouvoir grandissant, au point que « les conseillers juridiques des ministres sont devenus les véritables décideurs », ce qui est en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs et l’essence de la démocratie.

En conclusion de notre entretien, je demande à Yariv Levin si Jabotinsky, le père fondateur de la droite israélienne, et Menahem Begin ont encore une place dans la vie politique actuelle. Il me répond sans hésiter de manière affirmative : « Il est réjouissant de voir qu’après avoir été longtemps mis à l’écart et oublié, Jabotinsky est aujourd’hui très présent dans la vie politique ». Levin affirme trouver dans les écrits de « Jabo » une source constante d’inspiration pour son action. 

Jabotinsky, qui était un grand démocrate, avait évoqué jadis la possibilité qu’un citoyen arabe soit vice-président du futur État juif. « Mais il n’avait évidemment pas pensé à quelqu’un comme Hanin Zouabi », ironise Levin, faisant allusion à la députée arabe qui était montée sur le bateau  terroriste Marmara. Très actif dans la défense des citoyens druzes israéliens, Levin s’oppose farouchement à la reconnaissance de droits nationaux pour les Arabes palestiniens. Il a aussi promu la loi sur le référendum, pour que tout abandon de souveraineté sur une partie d’Israël soit soumis à un vote populaire. 

Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » - Israel Magazine

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CONFERENCE EXCEPTIONNELLE!

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

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(Sans réservation)

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Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

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