Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

Les quatre fils de la Haggada vus par Jabotinsky

April 11 2025, 04:17am

Posted by Jabotinsky

 Les quatre fils de la Haggada vus par Jabotinsky

Ce texte, initialement publié à Pessah 1911 par le grand dirigeant sioniste, illustre la relation riche et complexe que Jabotinsky entretenait à l’égard de la Tradition juive et son amour profond pour le peuple d'Israël. Sur ce sujet, je renvoie le lecteur au premier volume des Ecrits sionistes qui viennent d’être réédités dans la Bibliothèque sioniste.

J’ai récemment évoqué l’actualité de Jabotinsky au micro d’Antoine Mercier. Hag Saméakh!

 

"Il existe une coutume juive ancestrale, lorsque l’on raconte la Sortie d’Egypte pendant la “nuit du Seder”, de considérer quatre fils, tous différents : le sage, le méchant, le naïf et celui qui ne sait pas interroger. Et il convient de répondre à chacun dans cet ordre, selon son caractère et sa faculté de compréhension.

 

Le fils sage fronce avec curiosité son front saillant, interroge de ses grands yeux et s’efforce de comprendre. Pourquoi les Egyptiens aimaient-ils tout d’abord nos ancêtres, les accueillaient à bras ouverts, puis se sont mis à les opprimer et à les maltraiter?...

 

Le second fils, le méchant, est assis avec nonchalance, croisant les jambes, montrant les dents d’un air moqueur et demande : “Quels sont ces coutumes et ces souvenirs bizarres que vous évoquez? Il aurait mieux valu oublier ces bêtises!”

 



 

Le troisième fils est innocent. Ses yeux expriment la droiture. Il ne fait pas partie de ceux qui aiment interroger, cherchant des contradictions. Le monde est simple à ses yeux ; il aime croire avec une foi primitive. A cet égard, Samson aussi était un homme innocent… “Père ! demande-t-il, Père! Quand notre situation s’améliorera-t-elle?”

 

Parle lui de la jeunesse juive dans les collèges de Berlin et de Vienne, de ces fils de commerçants juifs assimilés, qui portent avec fierté sur la poitrine les couleurs nationales : blanc, comme la neige dans notre “vallée des pleurs” ; bleu, comme vous, horizons enchanteurs ! Jaune, comme notre disgrâce.

 

Raconte lui comment le dramaturge parisien à succès et l’aubergiste pauvre de Galicie, habitué à trembler de peur face au “Pan” polonais, proclament à la face du monde: “Je suis Juif !”. Parle lui de ces poètes extraordinaires qui écrivent désormais dans notre langue, et combien celle-ci est belle et riche, et combien est heureux le peuple qui possède une telle langue…

 

Jabotinsky avec sa femme et leur fils Eri.

 

Le quatrième fils ne sait pas interroger. Il assiste au “seder” avec politesse et fait ce qu’on attend de lui, et il ne lui vient pas à l’idée de demander pourquoi ni comment… Sur ce point, je suis en désaccord avec la Haggada. La curiosité est une chose précieuse, mais il existe parfois une sagesse encore plus grande, un sens suprême, par laquelle l’homme accepte les choses transmises du passé comme allant de soi, sans demander quelles en sont les raisons et les conséquences. Cette sagesse doit être préservée.

 

Cette sagesse est avant tout celle de l’homme des foules juives. Le Juif plein d’amertume, pauvre d’apparence, cordonnier, tailleur, marchand ambulant, drapier, scribe, petit épicier… Celui qui gémit et qui lutte pour sa subsistance, mais le soir du shabbat, ce sont lui et ses semblables qui remplissent les synagogues… Il agonise mais ne meurt pas, va à sa perte mais n’est pas perdu, et s’attache aux mitsvot comme l’ont fait ses ancêtres, presque sans y penser, avec indifférence, avec cette foi inconsciente qui est sans doute plus chère à Dieu que l’extase.

 

Selon la tradition, tu dois raconter à ce fils tout ce qu’il ne sait pas demander. Mais à mon avis, il vaut mieux que le père aussi se taise, se contente d’embrasser le front - sans dire un mot - de ce fils, qui fait partie des plus fidèles parmi les gardiens de notre foi sacrée".

Z. Jabotinsky

 

N.d.T. Publié en russe dans les Odeyskaïa Novosti, avril 1911.

 

 

 

 

 

 

 Disponible sur Amazon, à la librairie du Foyer de Tel-Aviv et au centre Begin de Jérusalem

Disponible sur Amazon, à la librairie du Foyer de Tel-Aviv et au centre Begin de Jérusalem

See comments

« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »: Quand les militants juifs font leur mea culpa

March 27 2025, 14:54pm

Posted by Pierre Lurcat

François Mitterrand à la manifestation après Carpentras, mai 1990

François Mitterrand à la manifestation après Carpentras, mai 1990

A l'occasion de la venue en Israël de dirigeants politiques français du RN, je publie ici un extrait de mon dernier livre, L'étoile et le poing, dans lequel des militants juifs s'interrogent sur la validité de leur combat contre l'extrême-droite et sur l'éventuelle manipulation politique dont ils ont pu être victimes de la part du pouvoir à l'époque (celui de François Mitterrand). Ces témoignages sont une pièce à porter au dossier, l'histoire éclairant - ici comme ailleurs - l'actualité. P.L.

 

 

Une des questions soulevées par plusieurs des militants interrogés dans le cadre de notre enquête est celle d'une éventuelle instrumentalisation de l'activisme par le pouvoir politique. Le premier de mes interlocuteurs qui a avancé cette hypothèse est Rafael, entraîneur et dirigeant de l'OJD, qui parle non seulement d'une erreur d'appréciation politique de la part des mouvements activistes, mais aussi d'une véritable « manipulation » du pouvoir :

« Nous avons commis une grave erreur en nous focalisant sur l’extrême-droite néo nazie, car on a négligé l’islamisme et l’extrême-gauche… Trente ans plus tard, nous devons analyser cette erreur… Nous avons mis tous nos œufs dans le même panier. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on a été manipulés par le gouvernement, et j’en ai la preuve formelle! Je vais te raconter une anecdote pour illustrer mon propos, et j’en ai une dizaine du même acabit…

Un jour, il était une heure du matin, on apprend que des néonazis sont en train de sabler le champagne… On les attend à la sortie, rue Caillaux. On poursuit un garde du corps de Pierre Sidos… On lui tombe dessus… Le type a perdu l’usage de ses membres… Juste après des motards de la police nous aperçoivent et nous braquent avec leur arme, avant de nous embarquer au poste.

Je suis passé devant le juge d’instruction, le policier a déposé nous avoir vus en flagrant délit. De l’autre côté il y avait des parties civiles… Je me suis retrouvé devant le juge Pinceau, qui m’a dit ‘J’ai six témoins contre vous’. Je lui ai répondu ‘ce n’est pas moi’ et alors il m’a dit ‘Rentrez chez vous, vous êtes libre!’ Conclusion : nous avons été interpellés en flagrant délit de grande violence, et il n’est pas normal que nous soyons sortis au bout de quarante-huit heures, sans procès… »

Ce récit soulève plusieurs questions différentes : la première est celle d'une erreur de jugement politique dans l'appréciation de « l'ennemi principal », hypothèse qu'on retrouvera dans la bouche de plusieurs militants. La seconde est celle d'une instrumentalisation de l'activisme juif au service du pouvoir politique, accusation lourde de conséquences... Pour étayer son propos, Rafael évoque l'affaire de l'attentat de la rue Copernic :

« Après Copernic, tous les hommes politiques sont montés au créneau contre l’extrême- droite, alors qu’elle n’avait rien à voir là-dedans… »

- Tu ne l’as pas compris à l’époque ?

- Non, seulement beaucoup d’années plus tard. J’ai compris que Mitterrand avait utilisé l’extrême-droite pour asseoir son pouvoir… »

- Il n’y a pas eu de débat interne au mouvement ?

- A l’époque du Bné Zeev, on frappait indistinctement les deux extrêmes (Malliarakis, Sidos…). Mais avec l’OJD, c’était uniquement les nazis…

- En conclusion, penses-tu que les militants juifs de l’OJD ont été manipulés ?

- Je suis convaincu qu’on a fait une erreur et que celle-ci a été renforcée par la manipulation. Avec le recul, il est clair qu’il y avait un trop grand laxisme de la part de la police pour que cela ne soit pas lié à une manipulation politique, provenant de Joxe et de Mitterrand ».

- Dans quel but auraient-ils selon toi réalisé cette manipulation ?

- Je pense que plus on agitait le spectre de l’extrême-droite en tant qu’ennemi de la République, plus Mitterrand pouvait asseoir son pouvoir politique (comme dans l’affaire des Irlandais de Vincennes). J’ai la conviction qu’il a dit: ‘laissez faire les types de l’OJD, c’est  bon pour  nous !’Quand on a cassé le Palais des Congrès (lors de la réunion du GRECE), pas un seul de nos militants n’a été en prison, et la police est arrivée sur les lieux après notre départ…Mitterrand avait besoin d’agiter le spectre de l’extrême-droite… Ainsi les Juifs ont servi les calculs politiques de Mitterrand. Quand on a laissé sur le pavé un garde du corps (de Fredriksen?) presque mort, avec Ron, cela s’est fini par un non-lieu… L’explication selon laquelle Jean-Pierre Bloch ou Lecanuet intervenaient pour faire libérer nos militants ne suffit pas! »

Afin de tenter de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse, j'ai posé à plusieurs militants la question suivante : « L’importance de la FANE n’a-t-elle pas été surestimée ? »

Gérard S.: « A l’époque il y avait Pierre Sidos, qui était en perte de vitesse. La FANE était certes un groupuscule, mais ses militants étaient ouvertement pronazis. Ils faisaient partie d’un réseau international et entretenaient des relations étroites avec des militants néo-nazis anglais, belges, néerlandais, allemands… Ils n’étaient pas négationnistes, car ils disaient: ''Hitler n’a pas terminé le travail !'' »

Gérard G.: « Ils étaient une vingtaine. Ils avaient certes des idées radicales, mais ils ne faisaient pas grand-chose… A l’époque il n’y avait pas d’autre ennemi! Les mouvements français soutenant les Palestiniens n’existaient pas encore… On a cassé deux meetings et saccagé des librairies palestiniennes, mais cela restait marginal… »

Serge Volyner: « Pensez-vous que les mouvements juifs activistes se sont focalisés sur l’extrême-droite? Comme la FANE? – ça n’existait pas ! C’était des trublions… Ils étaient quarante! Cela ne valait pas la peine de leur péter la gueule… Mais peut-être est-ce l’âge qui me fait dire ça… On se calme avec l’âge ! »

Pilouche : « Penses-tu que cela était une erreur d’attaquer l’extrême-droite ? »

– Je pense que la communauté juive n’est pas chez elle… On n’est pas là pour régler les problèmes internes d’un pays : c’est au gouvernement de régler le problème, par exemple en dissolvant Ordre Nouveau, comme ils viennent de l’annoncer. Mais il est vrai que nous n’avons pas vu venir le danger arabe… Ceci dit, on a chargé plus de militants d’extrême-gauche à Censier que d’extrême- droite!

- Et que dis-tu de la thèse selon laquelle le mouvement juif activiste aurait été manipulé par le pouvoir politique ?

- Quand on attaquait l’extrême-droite, on était arrêtés et on sortait (du commissariat) au bout d’une heure… Mais c’était vrai également quand on attaquait l’extrême-gauche!

Gérard G.: « Pensez-vous que le mouvement activiste s’est trompé de cible en se focalisant sur l’extrême-droite? » – On était leur principal ennemi… dans les années 1980, ils avaient peur de nous! On était les ''rois de Paris…'' Quand Giscard a libéré le terroriste palestinien Abou Daoud, on était les seuls à manifester, du Palais Royal à l’Opéra. Notre slogan était « Du pétrole arabe contre du sang juif ». Aucun autre mouvement de la communauté n’a accepté de se joindre à nous… L’establishment communautaire refuse d’aller contre le pouvoir. L’extrême-droite était en fin de compte assez embryonnaire. Alors c’est vrai qu’on n’a pas été des visionnaires… Le seul dirigeant communautaire qui a eu le courage de lutter contre le pouvoir, c’est Roger Cukierman ».

« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »

L'idée selon laquelle les mouvements activistes se seraient trompés de cible est également partagée par Eliaou, qui porte un jugement sévère sur leurs choix politiques, sous forme d'autocritique

« En mars 1973, il y avait eu un meeting d’Ordre Nouveau à la porte de Versailles. Le Betar était partagé pour savoir s’il fallait aller avec les gauchistes ou avec O.N… On s’est totalement trompés en se battant contre la FANE, au lieu de se battre contre la politique arabe de De Gaulle, Pompidou, etc. On avait 50 ans de retard à vouloir se battre contre les nazis !

C’est une autocritique que je fais en mon nom et en celui du mouvement… On aurait dû mettre notre radicalité au service d’Israël, et pas au service de la « mémoire! » Quand il y a eu l’attentat de la rue des Rosiers, on a accusé l’extrême-droite, alors que c’était des terroristes arabes. La FANE n’avait pas d’argent ni de moyens… Comme à Carpentras, le gouvernement de Mitterrand a manipulé les Juifs!

(Extrait de L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, éditions l’éléphant/B.O.D.). En vente sur Amazon, B.O.D., au centre Begin de Jérusalem et à la librairie du Foyer à Tel-Aviv.

 

« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »: Quand les militants juifs font leur mea culpa

See comments

“Un tel héroïsme n’a pas été vu, même à l’époque des Hasmonéens” - Hommage à S. J. Agnon, par Zeruya Shalev

December 31 2024, 08:24am

Posted by Pierre Lurçat

“Un tel héroïsme n’a pas été vu, même à l’époque des Hasmonéens” - Hommage à S. J. Agnon, par Zeruya Shalev

Le texte qu’on lira ci-dessous a été prononcé par Zeruya Shalev, à l’occasion de la réception du Prix Agnon 2024. Outre le grand écrivain, elle y évoque la figure de son père, le critique littéraire Mordehai Shalev. Au-delà de son intérêt pour comprendre l’œuvre de celle qui est considérée comme une des voix féminines les plus importantes de la littérature israélienne, contemporaine, il permet aussi de comprendre comment l’influence d’Agnon continue de s’exercer jusqu’à aujourd’hui parmi les auteurs israéliens, deux générations après la disparition du grand écrivain.

 

J’ajouterai une note plus personnelle : lorsque j’avais interviewé Zeruya Shalev en 2007, elle m’avait déclaré ne pas mêler littérature et politique. Elle a depuis changé d’avis sur ce sujet, en joignant sa voix à celles des intellectuels israéliens qui critiquent leur gouvernement - y compris dans des médias étrangers. C’est évidemment regrettable, mais je suis persuadé qu’elle demeure tout aussi patriote qu’elle l’était alors. (“Mon écriture se déploie dans un territoire qui est indépendant de la politique. Je ne veux pas prendre la posture du « prophète » qui prédit l’avenir. Le rôle de l’écrivain est de montrer la complexité et l’ambivalence de la réalité... Lorsque je suis à l’étranger, je m’efforce de présenter une opinion patriote mais non politique”).

Pierre Lurçat

 

Le coq Rabbi Zerah et Netha le cocher

 

“Imaginez-vous deux enfants en pyjama, dans un petit appartement de l’Agence juive, au sein d’une localité entourée de vergers dans la région du Sharon, au début des années soixante. Ils sont couchés dans leur lits, côte à côte et au milieu d’entre eux, assis sur une chaise, un jeune homme tient dans les mains un livre, le roman La dot des fiancées, qu’il lit avec lenteur et en mettant le ton. Chaque fois qu’il fait mine d’interrompre la lecture, les deux enfants sautent hors de leur lit, tapent des mains en criant “Agnon! Agnon!” comme des supporters de football dans leur tribune. C’est ainsi que mon frère Aner et moi, demandions chaque soir un “bis” que nous obtenions le plus souvent.

 

Ces heures de lecture avant le coucher étaient les plus heureuses de notre enfance, et pas seulement en raison de l’amour de la littérature ou de la précision de notre discernement et de notre goût, je dois le reconnaître. A la manière des enfants, nous étions totalement dépendants des humeurs de nos parents, et il ne fait aucun doute que notre père était heureux à ces moments.

 

Avant même d’entamer sa lecture, alors qu’il croisait les jambes et ouvrait le livre à l’endroit où il s’était interrompu la veille, un sourire apparaissait sur ses lèvres et sa voix s’emplissait de bonheur dès la première phrase, comme s’il goûtait et offrait à ses enfants le plat le plus raffiné au monde. C’est ainsi que nous avons goûté pour la première fois les mots d’Agnon, souriants et agréables à l’oreille et à la bouche. Même lorsqu’ils parlaient de tristesse et de misère, comme celles des malheureuses files de Rabbi Youdel le ‘Hassid, dont les yeux étaient consumés de larmes et dont les cheveux avaient blanchi, alors que leur père était immobile comme un Golem et qu’aucun fiancé ne venait effacer leur honte.

 

Nous suivions avec plaisir les tribulations du père, contraint de recueillir des dons pour marier sa fille aînée. Les personnages du livre devenaient un élément de notre vie, les chevaux m’entraînaient dans leur course, avec le coq rabbi Zerah et Netha le cocher. De temps à autre, notre père s’étonnait et commentait le texte, parfois il éclatait de rire et nous à sa suite, et maman interrompait ses occupations pour se joindre à nous, parfois au milieu d’une peinture, le pinceau à la main, elle s’asseyait sur un des lits et riait avec nous.

 

Les histoires d’Agnon étaient présentes chez nous pendant les fêtes aussi. La question de savoir laquelle nous lirions le soir de fête était plus importante et plus intéressante à nos yeux que celle de savoir quel serait le menu de la fête, également en raison du fait que notre mère, qui avait grandi dans la Kvoutsa de Kinneret, n’avait pas un grand savoir en matière de cuisine. A Rosh Hashana nous lisions le plus souvent “L’orchestre”, tiré du Livre des exploits et pour Yom Kippour “L’autre talith” ou “Chez Hemdat”, “La maison” ou “Dans la maison de mon père” à Pessah, et parfois nous lisions une histoire en l’honneur du shabbat, tirée du Livre des exploits, à la place du Kiddoush ou de la bénédiction après le repas, que nous n’avions pas l’habitude de réciter.

 

Plus tard, lorsque nous avons grandi et avons quitté la maison de nos parents pour fonder notre propre foyer, il n’y avait pas plus heureux que notre père lorsque nous lui demandions de “nous lire Agnon” à l’occasion d’une fête ou d’une autre.

 

Au-delà du plaisir de la rencontre conjointe avec sa grande passion littéraire, il y avait aussi une intention et même un plaisir de nous exposer à la richesse infinie de la langue, des sentiments et des manières de les exprimer, et plus encore, de nous léguer et nous rendre accessible également les sources d’Agnon, les bagages culturels essentiels des sources juives. Et pas seulement à nous. En tant qu’enseignant et que critique littéraire, notre père s’efforça toute sa vie de faire connaître l’importance considérable de la littérature du Midrash et de la Haggada, du hassidisme et de la Kabbale, et il critiqua avec férocité la littérature hébraïque moderne qui s’était coupée des sources juives.

 

Tout cela m’influença évidemment de manière profonde, tout comme mon écriture. “C’est de lui que j’ai reçu le peu de style que je possède ainsi que l’esprit de la poésie qu’il m’a insufflé”, écrivait Agnon à propos de son père, le grand érudit qui fut aussi son maître, et je ne peux que reprendre à mon compte ses mots, avec reconnaissance et gratitude.

 

Les histoires d’Agnon et ses livres ont accompagné avec force mon adolescence. ”Le serment” qui m’enchanta dans ma jeunesse, “La dame et le colporteur” qui m’emplissait de crainte et “Fernheim” qui m’emplissait de douleur[1]. Je ressentais les épreuves de l’amour avec Hershel dans Une histoire simple, avec Itshak Kumer dans Le chien Balak, et avec le Dr Manfred Herbst dans Shira, et le jour de mon divorce, je portai une robe marron et lus “Un autre visage”.

 

Les histoires d’Agnon se sont imprégnées si profondément en moi, qu’en écrivant Vie conjugale, je ne pensai pas du tout à Tirtsa Mintz qui tente de réaliser son amour raté de sa mère pour Akavia Mazal, ni à Tehila dont le père avait enfreint le vœu de ses fiançailles, mais elles entrèrent dans mon livre sans que je distingue leur présence, et pas seulement elles. Il me semble que dans tous les livres que j’ai écrits, résonne le même modèle agnonien  tragique, avec lequel je lutte parfois, et auquel je m’abandonne parfois, avec le même naturel que nous éprouvons concernant le savoir acquis dans l’enfance.

 

De nombreuses oeuvres d’Agnon montrent qu’il est impossible d’échapper au destin juif tragique dans la dispersion. Est-ce qu’en terre d’Israël aussi, un tel destin nous est imposé, à Dieu ne plaise? Un chapitre sombre de l’histoire de notre peuple s’écrit actuellement sous nos yeux. Il est facile de désespérer, mais nous n’en avons pas le droit. Nous avons l’obligation de faire tout notre possible pour changer le cours des événements et pour écrite avec nos actes et avec nos personnes la suite de l’histoire.

 

Voici ce que déclarait Agnon au mois d’Av 1948, à la bibliothèque Schoken à Jérusalem: “Alors que nous sommes au milieu du feu, je veux dire quelque chose au sujet de nos frères et soeurs, nos fils et filles, chers enfants de Sion, héros d’Israël, armée de Dieu. La terre d’Israël est ouverte aux quatre vents et ils se tiennent au milieu du gué et la protègent  avec leur corps et leur âme, avec amour et force, avec courage et avec héroïsme, et un tel héroïsme n’a pas été vu même au temps des Hasmonéens”.

 

© Z. Shalev

et P. Lurçat pour la traduction française

 

[1] Plusieurs des histoires ici mentionnées ont été traduites en français dans le recueil 21 Nouvelles de S.J. Agnon, publié par Albin Michel en 1977.

Agnon avec Ben Gourion

Agnon avec Ben Gourion

See comments

L'histoire occultée de la révolte du ghetto de Varsovie

April 17 2025, 06:39am

Posted by Moshe Arens

Jeunes du Betar, Varsovie 1938

Jeunes du Betar, Varsovie 1938

 

La révolte du ghetto de Varsovie est devenue, à juste titre, le symbole de la résistance juive armée au nazisme et elle occupe une place essentielle dans la mémoire juive, tant en Israël qu’en diaspora. Pourtant, l’historiographie de cet épisode demeure encore, 80 ans après, sujette à une occultation liée à des raisons politiques. En effet, alors que tout le monde connaît le nom de Morde’hai Anielewicz et de l’Organisation Juive de Combat (OJC), la plupart ignorent celui d’un autre héros de la révolte du ghetto, Pavel Frenkel, et de l’organisation dissidente qu’il dirigeait, la ZZW (Union militaire juive), affiliée au Bétar.

Ghetto Varsovi, Betar, Pavel FrenkelGhetto de Varsovie, avril 1943 : une histoire occultée, interview de Moshé Arens

Moshé Arens, ancien ministre de la Défense israélien et ancien Bétari, a consacré un livre important à cet aspect occulté de l’histoire, sous le titre « Flags Over the Warsaw Ghetto - The Untold Story of the Warsaw Ghetto Uprising » (Gefen Books 2011). Dans une rare interview en français, accordée au journaliste Roland Süssmann, en 2006, il expliquait les raisons qui l’ont mené à consacrer plusieurs années aux recherches qui ont abouti à ce livre. Extraits.

R. Süssmann : « Qui étaient les premiers insurgés ? »

Moshé Arens : « Des jeunes qui avaient eu le courage, la vision et l’audace d’imaginer qu’une forme de résistance pouvait être envisagée et organisée… En fait, il existait deux mouvements de résistance : le premier, connu sous les initiales polonaises « Z.O.B. » (en français, O.J.C., Organisation juive de Combat), dirigé par Morde’hai Anielewicz qui avait alors 23 ans, et le second, désigné par les lettres capitales polonaises ZZW (« Irgoun Hazwaï Hayehoudai », union militaire juive), dirigé par Pavel Frenkel, également âgé de 23 ans. L’OJC comptait des membres issus de pratiquement toutes les organisations juives, y compris du Bund [N.d.R. Parti socialiste juif, non sioniste], des mouvements sionistes et même des communistes.

ghetto varsovi,betar,pavel frenkelghetto de varsovie,avril 1943 : une histoire occultée,interview de moshé arens

Pavel FRENKEL - Il n'existe aucune photo de lui...

 

Le ZZW était avant tout composé des membres du Bétar, ainsi que d’un certain nombre de personnes désirant combattre les Allemands et qui possédaient des armes. Il est donc important de souligner que, contrairement à ce qui est généralement admis, la révolte juive du ghetto de Varsovie n’a pas été conduite par une seule organisation, mais par deux, ce qui n’enlève évidemment rien à la bravoure et à la grandeur de Morde’hai Anielewicz et de ses hommes.

R.S. Le Bétar a-t-il joué un rôle important dans la révolte ?

M.A. Entre le 19 et le 28 avril 1943, la bataille la plus importante de la révolte a été menée sur la place Workanowsky sous le commandement de Pavel Frenkel. A l’issue de la première journée de conflit, ayant repoussé les Allemands, les combattants du Bétar ont hissé les drapeaux sionistes (celui d’Israël aujourd’hui) et de la Pologne sur le plus haut bâtiment du quartier. Les Allemands ont tenté de les déloger, estimant qu’il s’agissait d’un symbole dangereux car ils pouvaient être vus depuis de nombreux endroits de Varsovie. Himmler a alors téléphoné à Jürgen Stroop pour qu’il liquide le ghetto et surtout qu’il mette tout en œuvre pour enlever ces drapeaux. La bataille a fait rage pendant quatre jours avant que les Allemands, plus fort en nombre et en armes, gagnent la partie…

ghetto varsovi,betar,pavel frenkelghetto de varsovie,avril 1943 : une histoire occultée,interview de moshé arens

Emilka Kossower, combattante du ZZW

 

R.S. Combien de personnes étaient membres du groupe de Frenkel ?

M.A. Les deux organisations réunies ne comptaient pas plus de 300 personnes. Ce qui déterminait le nombre de combattants, c’était la quantité d’armes dont chaque organisation disposait. L’arme la plus répandue était le pistolet, qui était opposé aux armes automatiques, à l’artillerie légère et aux petits tanks de l’armée allemande.

 

ghetto varsovi,betar,pavel frenkelghetto de varsovie,avril 1943 : une histoire occultée,interview de moshé arens

Militants du Betar de Varsovie, 1938

Le ZZW était avant tout composé des membres du Bétar

R.S. Comment expliquez-vous que les deux organisations de révolte ne se soient pas réunies?

M.A. L’OJC était avant tout constituée d’organisations de gauche de tendance socialiste et marxiste, y compris le Bund, organisation juive socialiste antisioniste. D’ailleurs, les membres du Bund se sont joints à l’OJC très tard ; ils ne souhaitaient pas participer à une organisation de combat juive, mais seulement socialiste, incluant des socialistes polonais. Cela démontre à quel point d’anciennes idéologies étaient encore prédominantes dans les esprits à l’intérieur du ghetto de Varsovie, même après la grande vague de déportations…

 

ghetto varsovi,betar,pavel frenkelghetto de varsovie,avril 1943 : une histoire occultée,interview de moshé arens

 

Toutes ces tendances estimaient que le Bétar n’était constitué que d’un groupe de ‘fascistes’, perpétuant ainsi la division qui existait déjà entre Jabotinsky et les sionistes socialistes. En fait, le Bétar a été exclu dès le début de l’organisation des groupes de résistance. Dans les semaines précédant le début de la révolte, après que la majorité de la communauté juive ait été déportée, il avait été question d’unification, mais l’idée de s’adjoindre des hommes considérés comme ‘fascistes’ était inacceptable pour l’OJC. Comme Frenkel et ses hommes disposaient d’un armement plus important, les représentants de Morde’hai Anielewicz leur avaient proposé de se joindre à eux non pas en tant que groupe, mais à titre individuel. Les hommes de Frenkel ayant un entraînement militaire supérieur aux membres de l’OJC, une telle offre était inacceptable pour eux ! Au vu des circonstances, toute cette affaire semble assez étonnante, car les Allemands ne faisaient pas de distinction entre les différents révoltés…

ghetto varsovi,betar,pavel frenkelghetto de varsovie,avril 1943 : une histoire occultée,interview de moshé arens

R.S. Comment Pavel Frenkel a-t-il terminé sa vie ?

M.A. La majorité de ses camarades sont tombés pendant la bataille de la place Woranowsky. Frenkel a survécu et réussi, accompagné de quelques combattants, à quitter le ghetto. A la fin de la révolte il s’est caché dans Varsovie et a été découvert par les Allemands au courant du mois de juin 1943. Une bataille sérieuse a alors été engagée, au cours de laquelle il a été tué avec tous ses hommes.

Extraits d’une interview à Shalom Magazine, automne 2006. L’intégralité de l’interview peut être consultée sur Internet à l’adresse http://www.shalom-magazine.com/pdfs/46/Fr/ ARENS%20FR_46.pdf.

 

See comments

Infiltrés chez les néo-nazis de la FANE - Un dîner d’anniversaire d’Adolf Hitler… le soir de Pessa’h !

April 15 2025, 16:58pm

Posted by Pierre Lurçat

Infiltrés chez les néo-nazis de la FANE - Un dîner d’anniversaire d’Adolf Hitler… le soir de Pessa’h !

(Extrait de mon livre L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967)

Dans les années 1970 et au début des années 1980, les mouvements néo-nazis sont une préoccupation constante pour les militants juifs et sionistes activistes, qui les considèrent comme la menace la plus réelle pour la communauté juive en France. Pendant plusieurs années, Eliaou, Moshé et leurs camarades travaillent sur le « dossier » de la mouvance néo-nazie en France, et notamment sur une organisation qui va bientôt être au cœur de l'actualité, la FANE.

 

La Fédération d'action nationale et européenne (FANE) est un groupuscule d'extrême-droite français ouvertement national-socialiste, fondé le 8 avril 1966 et dirigé par Mark Fredriksen, employé de banque converti à l'activisme en faveur de l’Algérie française après son service militaire effectué dans les paras. Plusieurs fois dissoute dans les années 1980, la FANE contribue à diffuser en France les thèses négationnistes. Pour évoquer ce sujet, j'ai rencontré Moshé, ancien shalia'h (responsable) du Betar à Paris et ami de longue date. Notre entretien a lieu à la terrasse d'un café à Jérusalem :

« Quand je suis rentré en France, en vacances, en 1980, mes amis étaient toujours occupés par la FANE… Ils voulaient qu’on aille poser des micros dans leur local. Je leur ai dit qu’il suffisait d’infiltrer quelqu’un ! Comme je venais de faire l’armée en Israël, je pensais que cela n’était pas plus dangereux que d’être soldat… », me raconte Moshé, ajoutant que « c’est la différence entre un Juif de diaspora et un Hébreu ». Sitôt dit, sitôt fait : Moshé devient « Philippe », militant ultra-nationaliste dans les rangs de la FANE… Ses yeux brillent encore lorsqu’il évoque ces événements, qui remontent à plus de trente ans.

 

« Pour entrer dans les rangs d’un mouvement néo-nazi il fallait que je me constitue une nouvelle identité. Physiquement cela ne posait pas de problème, car j’ai le type ‘aryen’ (il sourit…) Mais il me fallait absolument des nouveaux papiers d’identité ! J’ai emprunté la carte d’identité d’un jeune militaire, qu’on avait ‘braqué’ à la sortie de son domicile, à 6 heures du matin, avec une arme à feu. J’avais trouvé son nom dans l’annuaire et parlé au téléphone avec sa femme, qui avait gobé tout ce qu’on lui racontait. ‘Je vous appelle de la part de l’adjudant !’

Un dîner d’anniversaire d’Adolf Hitler… le soir de Pessa’h !

Je me souviens très bien de la première réunion à laquelle j’ai participé. Il y avait toutes sortes de gens : un intello, un ancien légionnaire, un flic... Cela a un peu démystifié l’image que je me faisais des néo-nazis. Malgré tout, quand j’avais peur d’être démasqué, je pensais à la Shoah… Plus tard j’ai dîné avec Mark Fredriksen… j’ai dîné plusieurs fois avec ces nazis. J’ai même mangé du jambon. Un soir, je me trouve nez-à-nez avec Yves Jeanne, un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale. Il me racontait ses souvenirs de la Division Charlemagne ! »

 

Ancien Waffen-SS français, Jeanne a dirigé dans les années 1960 l’Internationale néonazie fondé en 1962 sous le nom de World Union of National Socialists (Union mondiale des nationaux- socialistes). « Il avait des tendances homosexuelles, ce qui me mettait mal à l’aise, et il faisait toujours des plaisanteries du genre ‘A Dachau les Juifs mangeaient mieux que moi'. Je suis rentré chez moi à 5 heures du matin, je n’ai pas dormi de la nuit… J’ai tellement été choqué par cette rencontre que pendant plusieurs jours, j’avais peur de rester en groupe avec d’autres Juifs ! »

 

Quelques semaines plus tard, Moshé est invité au dîner du 20 avril, date anniversaire d’Adolf Hitler. Manque de chance, cela tombe le soir de Pessa’h, la Pâque juive, fête la plus importante du calendrier juif. « Je suis allé voir le grand-rabbin de Paris pour lui demander l’autorisation de passer Pessa’h avec les nazis », me raconte-t-il avec une nuance ironique dans la voix. Réponse du rabbin : « pas question ». Moshé se conformera à cet avis autorisé…”

 L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, éditions L’éléphant/B.O.D. 2025, 320 pages, 25 EUR. Disponible sur Amazon, sur commande dans toutes les librairies et au centre Begin de Jérusalem.

____________________________________________________________

Un ouvrage historique important dont le thème redevient d'actualite.

Emmanuelle Adda, Accueil - Actualité Juivehttps://www.actualitejuive.com/

Dans ce livre intitulé L’Étoile et le Poing Pierre Lurçat retrace une histoire très peu étudiée, soit le militantisme juif activiste.

Olivier Ypsilantis, Zakhor Online

 

Infiltrés chez les néo-nazis de la FANE - Un dîner d’anniversaire d’Adolf Hitler… le soir de Pessa’h !

See comments

“Coup d’Etat des juges” : la situation en Israël bien pire que celle de la France

April 4 2025, 12:03pm

Posted by Pierre Lurçat

La Knesset : dans une démocratie, le seul maître est le peuple.

La Knesset : dans une démocratie, le seul maître est le peuple.

Ivan Rioufol a raison de dénoncer – dans les colonnes de Causeur – le “coup d’Etat des juges”, qui font fi du processus électoral démocratique. De son côté, Elisabeth Lévy se demande s’il faut “avoir peur de la Justice en expliquant que les hommes politiques ne doivent pas être jugés plus sévèrement que les autres. En tant qu’Israélien observant de loin la vie politique française, je ne peux que lui donner raison. Mais j’ajoute que la situation en Israël est encore bien plus grave.

 

La justice israélienne est en effet allée plus loin qu’aucune autre démocratie occidentale, en confisquant le pouvoir du peuple pour instaurer une véritable “juristocratie”. La Cour suprême, en particulier depuis l’époque du juge Aharon Barak, est ainsi devenue la plus activiste au monde. Elle s’autorise aujourd’hui à annuler non seulement les actes de l’administration et les décisions gouvernementales ou sécuritaires (en restreignant la capacité de l’armée de combattre le terrorisme), mais également à retoquer les lois, y compris les lois fondamentales au statut supra-législatif.

 

Cette évolution est commune à l’ensemble des pays démocratiques. Mais ce qui rend la situation plus préoccupante encore en Israël est le fait que nous n’avons pas de véritable Constitution. Or, c’est précisément en abusant de ce vide juridique et constitutionnel que le juge Barak a prétendu “créer” de toutes pièces une “Constitution”, en se fondant sur deux lois fondamentales votées en catimini par la Knesset en 1992, dont il a prétendu qu’elles devaient servir à exercer un contrôle de constitutionnalité le plus étendu[1]. “C’est l’unique Constitution au monde qui est née de la décision d’un tribunal”, avait alors ironisé le juge Moshe Landau, ajoutant : “Elle est sortie du tribunal comme une déesse grecque, Pallas Athéna, est sortie du front de Zeus”.

 

Depuis lors, le pouvoir exorbitant de la Cour suprême et des pouvoirs non élus en général n’a fait que croître, au détriment de celui de l’exécutif et du législatif, réduit à une véritable peau de chagrin. “Il nous est interdit d’empiéter sur le domaine du législateur”, avait déclaré le premier Président de la Cour suprême, Moshe Zamoura, en 1948. Aharon Barak a fait exactement le contraire, donnant naissance à une “monstruosité” juridique : une Cour suprême exerçant le contrôle de constitutionnalité le plus étendu au monde, en l’absence de Constitution véritable.

 

Le pouvoir sans limite de la Cour suprême la plus activiste au monde relève en fait, comme l’avait observé Pierre Manent, d’un véritable “pouvoir spirituel” (que le politologue israélien Menahem Mautner a qualifié quant à lui de “fondamentalisme laïc”). C’est ce pouvoir exorbitant que beaucoup souhaitent aujourd’hui limiter en Israël, pour rappeler aux juges et à tous ceux qui l’auraient oublié que dans une démocratie, le seul maître est le peuple.

P. Lurçat

 

NB Cet article a été proposé au site Causeur qui a refusé de le publier, son rédacteur en chef étant un « anti-Bibi » résolu qui ne supporte pas la contradiction. La devise du magazine – auquel je contribue depuis plusieurs années – « Surtout si vous n’êtes pas d’accord », ne veut donc rien dire, hélas, quand il est question de la politique israélienne !

 

[1] Je renvoie à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? Editions l’éléphant 2023 pour un exposé plus complet de ce processus.

“Coup d’Etat des juges” : la situation en Israël bien pire que celle de la France

See comments

Rencontres israéliennes: Me Ephraim Demri, l’avocat-bouclier des soldats de Tsahal

April 3 2025, 11:56am

Posted by Pierre Lurçat

Rencontres israéliennes: Me Ephraim Demri, l’avocat-bouclier des soldats de Tsahal

A lire dans le dernier numéro d'Israël Magazine qui vient de paraître: l'entretien exclusif que m'a accordé Me Ephraim Demri, l'avocat qui est au coeur des affaires les plus brûlantes de l’actualité! Affaire Feldstein, défaillances du Shin-Beth avant et après le 7 octobre, haine de Nétanyahou qui aveugle les dirigeants des services de sécurité et de l’armée, etc. Extraits:

Ma rencontre avec Me Ephraim Demri se déroule dans les salons de l’hôtel du Théâtre à Jérusalem. Il a beaucoup fait parler de lui ces derniers mois, étant au cœur de nombreuses affaires très médiatisées qui ont défrayé la chronique. Celle des soldats de Sde Teiman, accusés à tort d’avoir “violé” un terroriste arabe du 7 octobre, ou celle du “Meraguel”, le mystérieux espion arrêté au cœur d’une base ultrasecrète de Tsahal quelques semaines après le 7 octobre, dans des circonstances mystérieuses.

Homme affable et volubile, il a grandi à Tibériade, au sein d’une famille juive tunisienne passée par Marseille, avant de “monter” en Israël en 1958. Son cabinet s’occupe de droit pénal et a notamment défendu le rabbin Eliezer Berland, ou des escrocs franco-israéliens dont il préfère ne pas donner le nom. Sa clientèle comporte aussi des hommes politiques de tous bords. Nous évoquons tout d’abord l’affaire des soldats poursuivis pour “violences” contre des terroristes du Hamas.

Pierre Lurçat : Comment trouvez-vous le temps de défendre pro bono* des soldats de Tsahal ?

Ephraim Demri : Les soldats passent avant tout. Si un soldat me téléphone maintenant et qu’il a besoin d’être défendu, je quitte tout pour m’occuper de lui. Lorsque la femme d’un des soldats arrêtés à Sde Teiman est venue me voir, elle m’a dit qu’elle voulait que je sois son avocat. J’ai représenté cinq des dix soldats interpellés. Deux ont été inculpés.

P.L. Tous les soldats ont été libérés depuis ?

E.D. Oui. Cinq soldats ont été accusés de violences sexuelles envers des terroristes du 7 octobre. Par la suite il s’est avéré que le film vidéo qui les incriminait était fabriqué…

P.L. Au début, le tribunal pensait que le film était authentique ?

E.D. Oui, et je vais vous expliquer pourquoi. Les juges militaires font confiance au procureur militaire, car 90% d’entre eux viennent du cabinet du procureur militaire. Ils partent du présupposé que ce que dit le procureur est vrai. Durant l’arrestation d’un des soldats, le représentant du procureur a expliqué qu’il détenait des preuves confidentielles.

La suite dans le prochain numéro d'Israel Magazine

https://israelmagazine.co.il/

Photo : PL Pierre Lurcat

 

 
Rencontres israéliennes: Me Ephraim Demri, l’avocat-bouclier des soldats de Tsahal

See comments

Le « Deep State » israélien responsable du 7-Octobre ? (I)

March 24 2025, 10:27am

Posted by Pierre Lurçat

Le « Deep State » israélien responsable du 7-Octobre ? (I)

La décision du gouvernement israélien de limoger la conseillère juridique du gouvernement – devenue ces dernières années, et encore plus ces derniers mois, un adversaire résolu du gouvernement qu’elle est supposée “conseiller” aux termes de la loi – est un premier pas, important même s’il n’est pas définitif, vers le rétablissement des droits de la majorité, de la Knesset et des pouvoirs élus en général, face à la montée en puissance du “Deep State” au cours des trois dernières décennies.

 

Comme je l’ai expliqué la semaine dernière au micro d’Ilana Ferhadian sur Radio J, l’usurpation du pouvoir légitime par le Deep State est la question la plus brûlante de la politique israélienne depuis au moins trois décennies. Dans ces circonstances, il faut se féliciter de la nouvelle pugnacité dont fait preuve le Premier ministre B. Nétanyahou, après avoir longtemps hésité à affronter le “pouvoir judiciaire” et les autres représentants du Deep State. Sa longue hésitation reposait sans doute sur la peur légitime, liée au chantage que le pouvoir judiciaire et le Shin-Beth exercent contre tous ceux qui leur résistent, peur qui a aujourd’hui apparemment disparu.

 

Cette nouvelle pugnacité s’explique aussi pour une raison très simple, qui n’est aucunement liée au soi-disant “Qatar-Gate” – nouvelle arme de propagande créée par le camp des “Tout sauf Bibi” pour faire du Premier ministre le bouc émissaire de l’après-7 Octobre. Cette raison n’a rien à voir avec les péripéties de la politique israélienne : elle vient en effet de l’autre côté de l’Atlantique. C’est l’exemple du Président américain Donald Trump, qui incarne depuis son arrivée au pouvoir un exemple et un modèle à suivre pour Israël.

 

Donald Trump n’est en effet pas seulement le meilleur (et quasiment le seul) allié d’Israël dans sa guerre existentielle contre le Hamas et les autres proxies de l’Iran. Il est aussi un exemple à suivre pour lutter victorieusement contre le Deep State, qui empêche le pouvoir démocratique de lutter efficacement contre ses ennemis extérieurs, aux Etats-Unis comme en Israël.

 

La leçon la plus actuelle et la plus importante sans doute du 7 -Octobre est que le Deep State est, comme me l’a expliqué Me Ephraim Demri dans un entretien qui paraîtra début avril dans Israël Magazine, le principal responsable de l’échec colossal des services de sécurité et de l’armée, gangrenés par l’idéologie wokiste et post-sioniste et obnubilés par leur combat idéologique contre leurs adversaires politiques, qui leur a fait oublier qu’il y avait un ennemi véritable de l’autre côté de la frontière. (à suivre…)

P. Lurçat

 

NB Mes livres sont en vente sur Amazon, B.O.D. et sur commande dans toutes les librairies de France. Ils sont disponibles en Israël à la boutique du centre Begin à Jérusalem, et à l’excellente librairie du Foyer à Tel-Aviv.

Le « Deep State » israélien responsable du 7-Octobre ? (I)

See comments

Pouvoir du peuple ou pouvoir des élites ? La question centrale du débat politique israélien

March 16 2025, 17:18pm

Posted by Pierre Lurçat

Ronen Bar et B. Nétanyahou

Ronen Bar et B. Nétanyahou

En marge de la destitution annoncée du chef du Shin-Beth Ronen Bar par le gouvernement, c’est la question fondamentale de savoir à qui appartient le pouvoir de décision ultime en démocratie qui ressurgit de nouveau. Premier volet d’une série d’articles sur la « question centrale du débat politique israélien ».

 

Dans l’affaire de la conseillère juridique du gouvernement Gali Baharav-Myara, comme dans celle du chef du Shin-Beth Ronen Bar, c’est toujours la même question qui est posée et qui revient sans cesse, depuis des mois et des années. Bien plus que de savoir si le gouvernement détient la compétence – qui semble aller de soi aux yeux de certains et qui pose problème aux yeux des autres – de destituer la conseillère ou le chef du Shabak, c’est une question bien plus fondamentale qui est posée : celle de la nature de la démocratie israélienne, et de la démocratie en général.

 

Que nous disent en effet ceux qui contestent au gouvernement élu cette compétence, sinon que le pouvoir des élus met en danger des valeurs bien plus importantes à leurs yeux que la notion de pouvoir du peuple, à laquelle s’est résumé pendant des siècles le concept de démocratie ? Pour comprendre leur raisonnement, il faut revenir au moment fondateur de la “Révolution constitutionnelle” menée par le juge Aharon Barak, celui de l’arrêt de la Cour suprême "Bank Mizrahi" de 1995.

 

Une démocratie de la majorité seule, qui ne s’accompagne pas d’une démocratie de valeurs, n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La démocratie authentique limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société”. Ces quelques mots tirés de l’arrêt Bank Mizrahi définissent la quintessence de la doctrine d’Aharon Barak, au nom de laquelle il a mené sa « Révolution constitutionnelle » en octroyant à la Cour suprême – et à travers elle, à tout un ensemble de pouvoirs non élus, judiciaires, militaires et sécuritaires – un pouvoir exorbitant, sans précédent et sans équivalent dans aucune démocratie occidentale[1]. Pour la résumer de manière très succincte, cette doctrine contient deux éléments essentiels.

 

Démocratie “formelle” ou démocratie “substantielle”?

 

Le premier est la suprématie de la “démocratie substantielle” (demokratia mahoutit) sur la “démocratie formelle” (demokratia formalit). Cet argument, récemment réitéré par Aharon Barak dans son dernier livre, L’Etat d’Israël comme Etat juif et démocratique, pourrait être acceptable par tous s’il était utilisé à bon escient et de manière raisonnable. Mais c’est tout le problème : au nom de la “démocratie substantielle”, les tenants de la Révolution constitutionnelle du juge Barak ont vidé de tout sens la “démocratie formelle” et le pouvoir des élus, dont ils ont fait un épouvantail et qu’ils s’emploient depuis plusieurs décennies à vider de son contenu.

 

Le second élément de la doctrine Barak est en effet l’idée qu’il faudrait sans cesse “limiter le pouvoir de la majorité”, qui serait par principe même un danger pour les droits des minorités (idée elle aussi acceptable dans une certaine mesure) et même un danger pour la démocratie elle-même ! C’est sur ce sophisme (“le pouvoir du peuple met en danger la démocratie”) que repose toute l’entreprise du juge Barak et de ses partisans, qui a ainsi abouti au résultat paradoxal et totalement illogique, que les “défenseurs de la démocratie” (substantielle) sont devenus les pourfendeurs de tous les organes de la démocratie (formelle): gouvernement, Knesset, et pouvoir des élus en général.

 

C’est ainsi qu’il faut comprendre le débat actuel sur le limogeage de la conseillère juridique du gouvernement ou du patron du Shin Beth. Aux yeux des partisans de la “démocratie substantielle” théorisée par le juge Barak, il est interdit au gouvernement élu de destituer des fonctionnaires non élus, qui incarnent selon eux le dernier rempart de la “démocratie” contre le soi-disant "danger" que représente le pouvoir du peuple. Derrière cette affirmation – en elle-même scandaleuse – se cachent, comme nous le verrons, plusieurs motivations encore plus scandaleuses, qui vont du refus du principe de la majorité au mépris pour le “peuple” et pour tous ceux qui représentent autre chose que l’ancienne élite laïque ashkénaze de gauche. (à suivre…)

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? pour un exposé de la Révolution constitutionnelle de 1992.

Pouvoir du peuple ou pouvoir des élites ? La question centrale du débat politique israélien

See comments

Le rêve américain, d’Ayn Rand à Brady Corbet

March 14 2025, 15:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Le rêve américain, d’Ayn Rand à Brady Corbet

(Article paru dans Causeur.fr)

 

Ce qui rend le film The Brutalist si parlant et si fort, au-delà de ses qualités artistiques et cinématographiques, c’est son sujet à la fois tellement universel et tellement américain (et juif américain). Analyse d’un succès pleinement justifié.

 

Parmi les très nombreux articles portant sur The Brutalist, le film primé et acclamé de Brady Corbet – acteur et réalisateur américain dont c’est le troisième film – très peu ont prêté attention à une possible source d’inspiration : le roman d’Ayn Rand La source vive (The Fountainhead). Publié aux Etats-Unis en 1943, ce roman fut le premier grand succès de la romancière américaine et il fut adapté à l’écran en 1949 par King Vidor, avec Gary Cooper et Patricia Neal dans les rôles principaux.

 

La source vive raconte l’histoire d’un architecte individualiste et rebelle, dans le New York des années 1920. Son titre fait écho à une citation d’Ayn Rand : “L'ego de l'Homme est la source vive du progrès humain”. Née en 1905 dans une famille juive de St-Pétersbourg, nourrie de littérature russe et française, Rand avait émigré aux Etats-Unis en 1925. Sa philosophie individualiste et son éloge de “l’égoïsme rationnel” en ont fait une égérie des courants libertariens. Certains commentateurs décèlent aujourd’hui son influence dans la politique économique de Donald Trump.

 

Malgré la ressemblance des thèmes du film de Corbet et du roman de Rand, la romancière juive américaine et le héros du “Brutalist” incarnent pourtant une facette bien différente de l’histoire des immigrants juifs aux Etats-Unis. Le parcours d’Ayn Rand est en effet une “success story” sans faute. La jeune fille juive, arrivée à l’âge de 20 ans dans son nouveau pays, y connaît une réussite impressionnante, à la fois littéraire, commerciale et intellectuelle (au point que son roman le plus connu, La Grève, est parfois cité comme le livre le plus influent après la Bible). Des chefs d’Etat aussi différents que Ronald Reagan, Hillary Clinton ou Donald Trump se réfèrent à elle.

 

The Brutalist, de son côté, relate plutôt la “face sombre” du rêve (juif) américain. Lorsque Laszlo Toth, le héros du film, débarque à Ellis-Island, il a derrière lui un parcours réussi d’architecte à Budapest, mais sa carrière est brisée par le nazisme. Rescapés de Dachau et de Buchenwald, lui et sa femme finiront par se retrouver aux Etats-Unis, après des années de séparation. Au-delà du traumatisme durable de la Shoah, c’est surtout l’ambivalence de l’attitude américaine envers les Juifs qui est relatée avec talent par le film de Corbet. L’admiration que voue à Toth son bienfaiteur Harrison von Buren se double en effet d’un mépris à peine voilé, qui culmine dans la scène marquante du viol en Italie.

 

Grand film à petit budget, porté par l’excellent acteur Adrien Brody (Le pianiste), The Brutalist raconte l’histoire universelle du combat pour la vie et pour la survie, dans un environnement étranger et souvent hostile. Comme l’expliquait Le Corbusier, à propos du courant architectural “brutaliste” – qui donne au film son titre – “l’urbanisme est brutal parce que la vie est brutale”. Mais le film de Corbet réussit à décrire cette brutalité avec retenue et de manière subtile. Son succès planétaire bien mérité est la preuve que le cinéma a encore et toujours quelque chose à nous dire.

P. Lurçat

See comments

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 > >>