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Parution du livre événement! L'étoile et le poing - Histoire secrète de l'autodéfense juive en France depuis 1967

February 17 2025, 09:08am

Posted by Pierre Lurçat

Parution du livre événement! L'étoile et le poing - Histoire secrète de l'autodéfense juive en France depuis 1967

 

Alors que l’existence juive est aujourd’hui menacée, le nouveau livre de Pierre Lurçat raconte pour la première fois une histoire jamais relatée à ce jour : celle de l’autodéfense juive en France depuis 1967. Du Bétar au SPCJ, en passant par l’OJD ou les Brigades juives : ces mouvements juifs activistes se sont illustrés dans la protection de la communauté juive, en ne reculant devant (presque) aucun moyen, pour affronter les ennemis des Juifs sur le territoire français.

 

L’étoile : c’est celle du drapeau bleu et blanc qui leur servait de référence. Le poing : c’est celui des militants qui ont affronté physiquement leurs adversaires idéologiques et politiques, parfois au cours de véritables batailles rangées – comme celle de l’université Censier dans les années 1970 – ou plus souvent d’actions secrètes, menées comme de véritables opérations clandestines. Le combat pour la liberté des Juifs d’URSS, le combat pour la mémoire aux côtés des époux Klarsfeld, et surtout la lutte acharnée contre l’extrême-droite néonazie: autant d’épisodes qui sont relatés en détail, à travers le récit des militants qui en ont été les protagonistes.

 

Fondé sur une enquête minutieuse, ce livre lève le voile sur un pan méconnu de l’histoire des Juifs en France après 1945. Il met en lumière l’engagement de plusieurs générations de Juifs – jeunes et moins jeunes, filles et garçons – en faveur d’Israël et de la défense de leur communauté. Il contribue ce faisant à écrire une page occultée de l’histoire des Juifs en France, alors même que ceux-ci sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur leur avenir dans la “patrie des droits de l’Homme”, où leur existence devient chaque jour plus incertaine.

 

Disponible sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies (en précisant l’éditeur B.o.D.)

 

Couverture dure

320 pages

ISBN : 9782810629145

Éditeur : BoD - Books on Demand

Disponible 12.02.2025

Prix de vente Livre : 24,00 EUR

 

Les demandes de Service de presse doivent être adressées à editionslelephant@gmail.com

Parution du livre événement! L'étoile et le poing - Histoire secrète de l'autodéfense juive en France depuis 1967

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“Un tel héroïsme n’a pas été vu, même à l’époque des Hasmonéens” - Hommage à S. J. Agnon, par Zeruya Shalev

December 31 2024, 08:24am

Posted by Pierre Lurçat

“Un tel héroïsme n’a pas été vu, même à l’époque des Hasmonéens” - Hommage à S. J. Agnon, par Zeruya Shalev

Le texte qu’on lira ci-dessous a été prononcé par Zeruya Shalev, à l’occasion de la réception du Prix Agnon 2024. Outre le grand écrivain, elle y évoque la figure de son père, le critique littéraire Mordehai Shalev. Au-delà de son intérêt pour comprendre l’œuvre de celle qui est considérée comme une des voix féminines les plus importantes de la littérature israélienne, contemporaine, il permet aussi de comprendre comment l’influence d’Agnon continue de s’exercer jusqu’à aujourd’hui parmi les auteurs israéliens, deux générations après la disparition du grand écrivain.

 

J’ajouterai une note plus personnelle : lorsque j’avais interviewé Zeruya Shalev en 2007, elle m’avait déclaré ne pas mêler littérature et politique. Elle a depuis changé d’avis sur ce sujet, en joignant sa voix à celles des intellectuels israéliens qui critiquent leur gouvernement - y compris dans des médias étrangers. C’est évidemment regrettable, mais je suis persuadé qu’elle demeure tout aussi patriote qu’elle l’était alors. (“Mon écriture se déploie dans un territoire qui est indépendant de la politique. Je ne veux pas prendre la posture du « prophète » qui prédit l’avenir. Le rôle de l’écrivain est de montrer la complexité et l’ambivalence de la réalité... Lorsque je suis à l’étranger, je m’efforce de présenter une opinion patriote mais non politique”).

Pierre Lurçat

 

Le coq Rabbi Zerah et Netha le cocher

 

“Imaginez-vous deux enfants en pyjama, dans un petit appartement de l’Agence juive, au sein d’une localité entourée de vergers dans la région du Sharon, au début des années soixante. Ils sont couchés dans leur lits, côte à côte et au milieu d’entre eux, assis sur une chaise, un jeune homme tient dans les mains un livre, le roman La dot des fiancées, qu’il lit avec lenteur et en mettant le ton. Chaque fois qu’il fait mine d’interrompre la lecture, les deux enfants sautent hors de leur lit, tapent des mains en criant “Agnon! Agnon!” comme des supporters de football dans leur tribune. C’est ainsi que mon frère Aner et moi, demandions chaque soir un “bis” que nous obtenions le plus souvent.

 

Ces heures de lecture avant le coucher étaient les plus heureuses de notre enfance, et pas seulement en raison de l’amour de la littérature ou de la précision de notre discernement et de notre goût, je dois le reconnaître. A la manière des enfants, nous étions totalement dépendants des humeurs de nos parents, et il ne fait aucun doute que notre père était heureux à ces moments.

 

Avant même d’entamer sa lecture, alors qu’il croisait les jambes et ouvrait le livre à l’endroit où il s’était interrompu la veille, un sourire apparaissait sur ses lèvres et sa voix s’emplissait de bonheur dès la première phrase, comme s’il goûtait et offrait à ses enfants le plat le plus raffiné au monde. C’est ainsi que nous avons goûté pour la première fois les mots d’Agnon, souriants et agréables à l’oreille et à la bouche. Même lorsqu’ils parlaient de tristesse et de misère, comme celles des malheureuses files de Rabbi Youdel le ‘Hassid, dont les yeux étaient consumés de larmes et dont les cheveux avaient blanchi, alors que leur père était immobile comme un Golem et qu’aucun fiancé ne venait effacer leur honte.

 

Nous suivions avec plaisir les tribulations du père, contraint de recueillir des dons pour marier sa fille aînée. Les personnages du livre devenaient un élément de notre vie, les chevaux m’entraînaient dans leur course, avec le coq rabbi Zerah et Netha le cocher. De temps à autre, notre père s’étonnait et commentait le texte, parfois il éclatait de rire et nous à sa suite, et maman interrompait ses occupations pour se joindre à nous, parfois au milieu d’une peinture, le pinceau à la main, elle s’asseyait sur un des lits et riait avec nous.

 

Les histoires d’Agnon étaient présentes chez nous pendant les fêtes aussi. La question de savoir laquelle nous lirions le soir de fête était plus importante et plus intéressante à nos yeux que celle de savoir quel serait le menu de la fête, également en raison du fait que notre mère, qui avait grandi dans la Kvoutsa de Kinneret, n’avait pas un grand savoir en matière de cuisine. A Rosh Hashana nous lisions le plus souvent “L’orchestre”, tiré du Livre des exploits et pour Yom Kippour “L’autre talith” ou “Chez Hemdat”, “La maison” ou “Dans la maison de mon père” à Pessah, et parfois nous lisions une histoire en l’honneur du shabbat, tirée du Livre des exploits, à la place du Kiddoush ou de la bénédiction après le repas, que nous n’avions pas l’habitude de réciter.

 

Plus tard, lorsque nous avons grandi et avons quitté la maison de nos parents pour fonder notre propre foyer, il n’y avait pas plus heureux que notre père lorsque nous lui demandions de “nous lire Agnon” à l’occasion d’une fête ou d’une autre.

 

Au-delà du plaisir de la rencontre conjointe avec sa grande passion littéraire, il y avait aussi une intention et même un plaisir de nous exposer à la richesse infinie de la langue, des sentiments et des manières de les exprimer, et plus encore, de nous léguer et nous rendre accessible également les sources d’Agnon, les bagages culturels essentiels des sources juives. Et pas seulement à nous. En tant qu’enseignant et que critique littéraire, notre père s’efforça toute sa vie de faire connaître l’importance considérable de la littérature du Midrash et de la Haggada, du hassidisme et de la Kabbale, et il critiqua avec férocité la littérature hébraïque moderne qui s’était coupée des sources juives.

 

Tout cela m’influença évidemment de manière profonde, tout comme mon écriture. “C’est de lui que j’ai reçu le peu de style que je possède ainsi que l’esprit de la poésie qu’il m’a insufflé”, écrivait Agnon à propos de son père, le grand érudit qui fut aussi son maître, et je ne peux que reprendre à mon compte ses mots, avec reconnaissance et gratitude.

 

Les histoires d’Agnon et ses livres ont accompagné avec force mon adolescence. ”Le serment” qui m’enchanta dans ma jeunesse, “La dame et le colporteur” qui m’emplissait de crainte et “Fernheim” qui m’emplissait de douleur[1]. Je ressentais les épreuves de l’amour avec Hershel dans Une histoire simple, avec Itshak Kumer dans Le chien Balak, et avec le Dr Manfred Herbst dans Shira, et le jour de mon divorce, je portai une robe marron et lus “Un autre visage”.

 

Les histoires d’Agnon se sont imprégnées si profondément en moi, qu’en écrivant Vie conjugale, je ne pensai pas du tout à Tirtsa Mintz qui tente de réaliser son amour raté de sa mère pour Akavia Mazal, ni à Tehila dont le père avait enfreint le vœu de ses fiançailles, mais elles entrèrent dans mon livre sans que je distingue leur présence, et pas seulement elles. Il me semble que dans tous les livres que j’ai écrits, résonne le même modèle agnonien  tragique, avec lequel je lutte parfois, et auquel je m’abandonne parfois, avec le même naturel que nous éprouvons concernant le savoir acquis dans l’enfance.

 

De nombreuses oeuvres d’Agnon montrent qu’il est impossible d’échapper au destin juif tragique dans la dispersion. Est-ce qu’en terre d’Israël aussi, un tel destin nous est imposé, à Dieu ne plaise? Un chapitre sombre de l’histoire de notre peuple s’écrit actuellement sous nos yeux. Il est facile de désespérer, mais nous n’en avons pas le droit. Nous avons l’obligation de faire tout notre possible pour changer le cours des événements et pour écrite avec nos actes et avec nos personnes la suite de l’histoire.

 

Voici ce que déclarait Agnon au mois d’Av 1948, à la bibliothèque Schoken à Jérusalem: “Alors que nous sommes au milieu du feu, je veux dire quelque chose au sujet de nos frères et soeurs, nos fils et filles, chers enfants de Sion, héros d’Israël, armée de Dieu. La terre d’Israël est ouverte aux quatre vents et ils se tiennent au milieu du gué et la protègent  avec leur corps et leur âme, avec amour et force, avec courage et avec héroïsme, et un tel héroïsme n’a pas été vu même au temps des Hasmonéens”.

 

© Z. Shalev

et P. Lurçat pour la traduction française

 

[1] Plusieurs des histoires ici mentionnées ont été traduites en français dans le recueil 21 Nouvelles de S.J. Agnon, publié par Albin Michel en 1977.

Agnon avec Ben Gourion

Agnon avec Ben Gourion

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5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat

October 1 2024, 06:43am

Posted by Pierre Lurçat

5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat

 

Seder hadash” (“nouvel ordre”) : jamais une opération militaire n’aura aussi bien porté son nom. L’opération magistrale menée par Tsahal au cœur de Beyrouth, qui a permis l’élimination du chef du mouvement islamiste chiite et principal “proxy” de l’Iran, a en effet de grandes chances de marquer l’aube d’une ère nouvelle au Moyen-Orient et d’un nouvel ordre régional. En supprimant méthodiquement les dirigeants du Hezbollah, Israël n’est pas seulement en train d’écarter la menace sur sa frontière Nord – préparant ainsi le retour dans leurs foyers des dizaines de milliers d’habitants déplacés au début de la guerre, il y a tout juste un an – mais il est aussi en passe de remodeler la carte de la région tout entière.

 

            La longue attente des habitants du nord d’Israël aura donc fini par être récompensée. Car il est clair aujourd’hui que la guerre au Liban ne s’arrêtera pas, tant que la sécurité n’aura pas été rétablie sur la frontière Nord. Mais au-delà de cette première victoire sur le front libanais, c’est en réalité tout l’équilibre stratégique qui est en train d’être modifié radicalement. Il faut se souvenir, pour comprendre l’étendue de ce changement, du fameux discours prononcé par Hassan Nasrallah en 2006, dans lequel il comparait Israël à une toile d’araignée.

 

Le plus grave n’était pas cette croyance – bien ancrée parmi les ennemis d’Israël – qu’ils allaient finir par réaliser leur projet génocidaire envers l’Etat juif honni (croyance qui n’est évidemment pas étrangère à l’attaque du 7 octobre). Non, le plus grave était sans doute que certains dirigeants et membres de l’establishment militaire israélien ont eux aussi fini par voir Israël – à travers le regard de ses ennemis – comme un Etat faible, et par redouter le Hezbollah, devenu à leurs yeux un ennemi invincible, face auquel l’armée israélienne n’avait aucune chance de vaincre.

 

Ainsi, paradoxalement, ce n’est pas seulement le “complexe de supériorité” souvent évoqué, au sein de Tsahal, qui a mené au 7 octobre, mais c’est en fait un double complexe d’infériorité-supériorité : supériorité technologique indéniable, accompagnée d’un sentiment d’infériorité morale. La stratégie offensive mise en œuvre depuis plusieurs semaines sur le front Nord – au terme de longs mois de guerre à Gaza – est ainsi en train de porter ses fruits, non seulement en remodelant la carte de la région, mais aussi et surtout, en rétablissant l’élément essentiel de la sécurité d’Israël : sa capacité de dissuasion.

 

La dissuasion de Tsahal restaurée

 

La notion de dissuasion est multiforme et difficile à appréhender, mais on peut la définir succinctement en disant qu’elle repose sur deux éléments : les capacités militaires, et la volonté de les utiliser. Dans le cas d’Israël, le premier élément était bien présent, mais c’est le second qui faisait défaut, surtout depuis les retraits successifs du Sud-Liban et de Gaza, qui ont contribué à faire croire à nos ennemis que nous étions affaiblis au point de nous retirer derrière des barrières et des “murs de sécurité”, attitude qui a toujours été interprétée comme un signe infaillible de la faiblesse de l’ennemi, depuis l’époque de la Bible.

 

            Depuis lors, c’était en réalité Israël qui était dissuadé face au Hamas et au Hezbollah, cas classique de ce qu’on appelle la dissuasion du faible au fort. Or, c’est précisément cet élément moral de la dissuasion qui a été rétabli en l’espace de quelques semaines, face au Hezbollah – et face à l’Iran son patron. Ce faisant, Israël a accompli un progrès décisif en direction de la restauration du “Mur d’acier” – concept créé par Jabotinsky il y a un siècle et devenu le pilier de la doctrine stratégique d’Israël. Contrairement aux fausses idées, devenues monnaie courante à partir des années 1990, la sécurité d’Israël ne repose en définitive pas seulement sur la supériorité technologique, ni sur la conclusion d’accords de paix – par définition réversibles et provisoires – mais avant tout sur la volonté démontrée d’assurer à tout prix notre existence, sans craindre la guerre. “Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit”, selon les mots du prophète Zachari. Chana tova à tous mes lecteurs, que l’année 5785 soit celle de la victoire totale sur nos ennemis !

P. Lurçat

5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat

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Pouvoir du peuple ou pouvoir des élites ? La question centrale du débat politique israélien

March 16 2025, 17:18pm

Posted by Pierre Lurçat

Ronen Bar et B. Nétanyahou

Ronen Bar et B. Nétanyahou

En marge de la destitution annoncée du chef du Shin-Beth Ronen Bar par le gouvernement, c’est la question fondamentale de savoir à qui appartient le pouvoir de décision ultime en démocratie qui ressurgit de nouveau. Premier volet d’une série d’articles sur la « question centrale du débat politique israélien ».

 

Dans l’affaire de la conseillère juridique du gouvernement Gali Baharav-Myara, comme dans celle du chef du Shin-Beth Ronen Bar, c’est toujours la même question qui est posée et qui revient sans cesse, depuis des mois et des années. Bien plus que de savoir si le gouvernement détient la compétence – qui semble aller de soi aux yeux de certains et qui pose problème aux yeux des autres – de destituer la conseillère ou le chef du Shabak, c’est une question bien plus fondamentale qui est posée : celle de la nature de la démocratie israélienne, et de la démocratie en général.

 

Que nous disent en effet ceux qui contestent au gouvernement élu cette compétence, sinon que le pouvoir des élus met en danger des valeurs bien plus importantes à leurs yeux que la notion de pouvoir du peuple, à laquelle s’est résumé pendant des siècles le concept de démocratie ? Pour comprendre leur raisonnement, il faut revenir au moment fondateur de la “Révolution constitutionnelle” menée par le juge Aharon Barak, celui de l’arrêt de la Cour suprême "Bank Mizrahi" de 1995.

 

Une démocratie de la majorité seule, qui ne s’accompagne pas d’une démocratie de valeurs, n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La démocratie authentique limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société”. Ces quelques mots tirés de l’arrêt Bank Mizrahi définissent la quintessence de la doctrine d’Aharon Barak, au nom de laquelle il a mené sa « Révolution constitutionnelle » en octroyant à la Cour suprême – et à travers elle, à tout un ensemble de pouvoirs non élus, judiciaires, militaires et sécuritaires – un pouvoir exorbitant, sans précédent et sans équivalent dans aucune démocratie occidentale[1]. Pour la résumer de manière très succincte, cette doctrine contient deux éléments essentiels.

 

Démocratie “formelle” ou démocratie “substantielle”?

 

Le premier est la suprématie de la “démocratie substantielle” (demokratia mahoutit) sur la “démocratie formelle” (demokratia formalit). Cet argument, récemment réitéré par Aharon Barak dans son dernier livre, L’Etat d’Israël comme Etat juif et démocratique, pourrait être acceptable par tous s’il était utilisé à bon escient et de manière raisonnable. Mais c’est tout le problème : au nom de la “démocratie substantielle”, les tenants de la Révolution constitutionnelle du juge Barak ont vidé de tout sens la “démocratie formelle” et le pouvoir des élus, dont ils ont fait un épouvantail et qu’ils s’emploient depuis plusieurs décennies à vider de son contenu.

 

Le second élément de la doctrine Barak est en effet l’idée qu’il faudrait sans cesse “limiter le pouvoir de la majorité”, qui serait par principe même un danger pour les droits des minorités (idée elle aussi acceptable dans une certaine mesure) et même un danger pour la démocratie elle-même ! C’est sur ce sophisme (“le pouvoir du peuple met en danger la démocratie”) que repose toute l’entreprise du juge Barak et de ses partisans, qui a ainsi abouti au résultat paradoxal et totalement illogique, que les “défenseurs de la démocratie” (substantielle) sont devenus les pourfendeurs de tous les organes de la démocratie (formelle): gouvernement, Knesset, et pouvoir des élus en général.

 

C’est ainsi qu’il faut comprendre le débat actuel sur le limogeage de la conseillère juridique du gouvernement ou du patron du Shin Beth. Aux yeux des partisans de la “démocratie substantielle” théorisée par le juge Barak, il est interdit au gouvernement élu de destituer des fonctionnaires non élus, qui incarnent selon eux le dernier rempart de la “démocratie” contre le soi-disant "danger" que représente le pouvoir du peuple. Derrière cette affirmation – en elle-même scandaleuse – se cachent, comme nous le verrons, plusieurs motivations encore plus scandaleuses, qui vont du refus du principe de la majorité au mépris pour le “peuple” et pour tous ceux qui représentent autre chose que l’ancienne élite laïque ashkénaze de gauche. (à suivre…)

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? pour un exposé de la Révolution constitutionnelle de 1992.

Pouvoir du peuple ou pouvoir des élites ? La question centrale du débat politique israélien

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Le rêve américain, d’Ayn Rand à Brady Corbet

March 14 2025, 15:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Le rêve américain, d’Ayn Rand à Brady Corbet

(Article paru dans Causeur.fr)

 

Ce qui rend le film The Brutalist si parlant et si fort, au-delà de ses qualités artistiques et cinématographiques, c’est son sujet à la fois tellement universel et tellement américain (et juif américain). Analyse d’un succès pleinement justifié.

 

Parmi les très nombreux articles portant sur The Brutalist, le film primé et acclamé de Brady Corbet – acteur et réalisateur américain dont c’est le troisième film – très peu ont prêté attention à une possible source d’inspiration : le roman d’Ayn Rand La source vive (The Fountainhead). Publié aux Etats-Unis en 1943, ce roman fut le premier grand succès de la romancière américaine et il fut adapté à l’écran en 1949 par King Vidor, avec Gary Cooper et Patricia Neal dans les rôles principaux.

 

La source vive raconte l’histoire d’un architecte individualiste et rebelle, dans le New York des années 1920. Son titre fait écho à une citation d’Ayn Rand : “L'ego de l'Homme est la source vive du progrès humain”. Née en 1905 dans une famille juive de St-Pétersbourg, nourrie de littérature russe et française, Rand avait émigré aux Etats-Unis en 1925. Sa philosophie individualiste et son éloge de “l’égoïsme rationnel” en ont fait une égérie des courants libertariens. Certains commentateurs décèlent aujourd’hui son influence dans la politique économique de Donald Trump.

 

Malgré la ressemblance des thèmes du film de Corbet et du roman de Rand, la romancière juive américaine et le héros du “Brutalist” incarnent pourtant une facette bien différente de l’histoire des immigrants juifs aux Etats-Unis. Le parcours d’Ayn Rand est en effet une “success story” sans faute. La jeune fille juive, arrivée à l’âge de 20 ans dans son nouveau pays, y connaît une réussite impressionnante, à la fois littéraire, commerciale et intellectuelle (au point que son roman le plus connu, La Grève, est parfois cité comme le livre le plus influent après la Bible). Des chefs d’Etat aussi différents que Ronald Reagan, Hillary Clinton ou Donald Trump se réfèrent à elle.

 

The Brutalist, de son côté, relate plutôt la “face sombre” du rêve (juif) américain. Lorsque Laszlo Toth, le héros du film, débarque à Ellis-Island, il a derrière lui un parcours réussi d’architecte à Budapest, mais sa carrière est brisée par le nazisme. Rescapés de Dachau et de Buchenwald, lui et sa femme finiront par se retrouver aux Etats-Unis, après des années de séparation. Au-delà du traumatisme durable de la Shoah, c’est surtout l’ambivalence de l’attitude américaine envers les Juifs qui est relatée avec talent par le film de Corbet. L’admiration que voue à Toth son bienfaiteur Harrison von Buren se double en effet d’un mépris à peine voilé, qui culmine dans la scène marquante du viol en Italie.

 

Grand film à petit budget, porté par l’excellent acteur Adrien Brody (Le pianiste), The Brutalist raconte l’histoire universelle du combat pour la vie et pour la survie, dans un environnement étranger et souvent hostile. Comme l’expliquait Le Corbusier, à propos du courant architectural “brutaliste” – qui donne au film son titre – “l’urbanisme est brutal parce que la vie est brutale”. Mais le film de Corbet réussit à décrire cette brutalité avec retenue et de manière subtile. Son succès planétaire bien mérité est la preuve que le cinéma a encore et toujours quelque chose à nous dire.

P. Lurçat

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Pierre-André Taguieff: Itinéraire d’un intellectuel philosémite, par Pierre Lurçat

March 10 2025, 08:05am

Posted by Pierre Lurçat

Pierre-André Taguieff: Itinéraire d’un intellectuel philosémite, par Pierre Lurçat
Pierre-André Taguieff: Itinéraire d’un intellectuel philosémite, par Pierre Lurçat

J'ai interviewé P.A. Taguieff pour Israël Magazine. L'historien des idées y revient sur son parcours intellectuel et personnel. Extraits:

Pierre Lurçat : Vous êtes l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, dont plusieurs portent sur l’antisémitisme et sa forme contemporaine, l’antisionisme. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce sujet, et d’où vient votre proximité avec le peuple Juif ?

Pierre-André Taguieff : Les meilleurs amis de mes parents, à Paris, étaient des Juifs russes que ma mère, secrétaire de Mairie d’un village du Massif central durant l’Occupation, avait aidés. J’ai été fortement imprégné par cette culture judéo-russe. En 1965-1966, à la faculté de Nanterre, j’ai rencontré Talila, qui chantait en hébreu aussi bien qu’en yiddish. Nous nous sommes beaucoup aimés et cet amour a été aussi pour moi une nouvelle porte d’entrée dans la culture juive. J’ai publié en septembre 1979 une étude musicologique intitulée « Fragments de la chanson yiddish », avec des traductions de Talila. Après la naissance de notre fille Flore, lorsqu’on me demandait si j’étais juif, je répondais : « Je suis juif par ma fille. »

PL. On vous présente parfois comme l’élève du grand historien de l’antisémitisme Léon Poliakov, pouvez-vous préciser ?

PAT. En 1979-1980, après l’avoir lu avec passion, j’ai rencontré Léon Poliakov. Nous avons aussitôt sympathisé. Il m’a encouragé à publier mes premières études sur la question antijuive.  C’est ainsi que j’ai fait paraître en 1982 un article dans la revue Sens, titré significativement « L’antisionisme arabo-islamophile ».

Au cours de ces mêmes années, mes conversations avec Vladimir Jankélévitch, dont j’avais suivi auparavant les conférences à la Sorbonne m’ont également beaucoup inspiré. J’ai consacré à sa pensée une étude publiée en 1985, peu après sa mort, dans les Cahiers Bernard Lazare : « Vladimir Jankélévitch : les apories de l’éthique et la musique de la métaphysique ».

Enfin, en 1982-1983, par l’intermédiaire de mon amie Élisabeth de Fontenay, j’ai rencontré Claude Lanzmann, qui m’a proposé d’écrire dans Les Temps Modernes.  En novembre 1989, j’y ai publié un long article titré « La nouvelle judéophobie. Antisionisme, antiracisme, anti-impérialisme », préfiguration de mon livre paru en janvier 2002, La Nouvelle Judéophobie

PL. Êtes-vous déjà venu en Israël ?

PAT. À l’âge de 18 ans, j’ai voyagé à travers Israël pendant deux mois avec un ami français, occasion de rencontrer des Israéliens de milieux très divers. C’était en juillet-août 1965. Un voyage-découverte qui m’a autant appris qu’enthousiasmé...

(Lire la suite dans le dernier numéro d'https://israelmagazine.co.il/https://israelmagazine.co.il/)

Taguieff et Talila (c) Collection personnelle PAT

Taguieff et Talila (c) Collection personnelle PAT

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Oded Lifshitz (1940-2023): vie et mort d’un pacifiste israélien

March 5 2025, 08:40am

Posted by Pierre Lurçat

Oded Lifshitz (1940-2023): vie et mort d’un pacifiste israélien

(Article paru dans Causeur.fr)

Oded Lifshitz, dont la dépouille mortelle a été ramenée en Israël dans le cadre des négociations entre Israël et le Hamas le 20 février dernier, n’était pas seulement un des fondateurs du kibboutz Nir Oz et un militant pacifiste. Journaliste et figure du mouvement kibboutzique, il était aussi un idéaliste invétéré. Son itinéraire et sa mort tragique aux mains du Hamas illustrent de manière emblématique l’erreur de ceux qui ont cru – envers et contre tout – à une paix possible avec leurs voisins de Gaza.

 

Nous avons reçu un coup terrible de ceux-là mêmes que nous avions tant aidé…” a déclaré sa veuve, Yocheved Lifshitz, elle-même détenue par le Hamas et libérée au bout de 50 jours. “Oded était un combattant de la paix. Il entretenait d’excellentes relations avec les Palestiniens, et une des choses qui me font le plus de mal c’est qu’ils l’ont trahi”, a-t-elle expliqué lors d’une cérémonie organisée par le Centre Pérès pour la paix. De fait, quelle mort plus terrible peut-on imaginer pour un militant pacifiste, que d’être assassiné par ceux-là mêmes pour lesquels il s’était battu toute sa vie ?

 

Journaliste au quotidien de gauche Al-Hamishmar, Oded Lifshitz avait ainsi protesté contre la création de localités juives en Judée-Samarie dès le lendemain de la guerre des Six Jours. Il s’était également opposé à l’expropriation des bédouins de la région de Rafiah au moment de la création de la localité de Yamit dans le Sinaï (laquelle fut par la suite évacuée par le gouvernement de Menahem Begin). Lifshitz était aussi, comme l’a rappelé récemment Amnon Lord dans les colonnes d’Israël Hayom, un des premiers journalistes israéliens – sinon le premier journaliste au monde – à pénétrer dans les camps de Sabra et Chatila après les massacres commis par les phalangistes chrétiens libanais.

 

Toute la carrière journalistique et politique d’Oded Lifshitz était celle d’un pacifiste et d’un idéaliste invétéré. A cet égard, il incarne l’erreur de ceux qui – au sein des kibboutz frontaliers de Gaza – avaient cru pouvoir tisser des liens d’amitié avec leurs voisins de l’autre côté de la frontière, en les aidant à recevoir des soins médicaux en Israël et en leur faisant traverser la barrière de sécurité pour les transporter dans leurs véhicules personnels. L’idéalisme de Lifshitz et de tous les autres représentants du pacifisme israélien est certes sympathique en apparence, mais il est en réalité dangereux. L’enfer est pavé de bonnes intentions, comme le savent bien les Israéliens depuis le 7-Octobre.

 

En nourrissant et en soignant les habitants de Gaza, Oded et ses camarades n’ont nullement atténué la haine inextinguible de ceux-ci envers Israël. Les exactions commises le 7-Octobre - contre les habitants des kibboutz frontaliers de Gaza et contre les jeunes soldates observatrices non armées - ont été commises non seulement par les soldats du Hamas, mais aussi par les civils de Gaza. La leçon terrible doit être apprise pour les générations à venir : le pacifisme n’apporte jamais la paix. Il est un poison mortel qui anéantit nos capacités de défense et nous expose aux attaques mortelles de nos ennemis.

 

Le pacifisme israélien – depuis la lointaine époque du “Brith Shalom” dans les années 1930 et jusqu’à nos jours – réapparaît à chaque génération, reposant sur la promesse fallacieuse de mettre fin au conflit et sur l’annonce mensongère de la “der des der”. Mais loin d’apporter la paix, il est le plus souvent le meilleur moyen de générer de nouvelles guerres et de nouveaux massacres. “Si vis pacem, para bellum”.

P. Lurçat

NB Mon nouveau livre, L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, sort ces jours-ci. Il est disponible sur Amazon et B.O.D.

Oded Lifshitz (1940-2023): vie et mort d’un pacifiste israélien

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Attention danger ! Le Ramadan a commencé... La violence et le sacré dans l’islam (II)

February 28 2025, 13:32pm

Posted by Pierre Lurçat

Attention danger ! Le Ramadan a commencé... La violence et le sacré dans l’islam (II)
Attention danger ! Le Ramadan a commencé... La violence et le sacré dans l’islam (II)

 

Avec le début du mois du Ramadan, marqué comme chaque année par une nouvelle vague de violences en Israël et partout dans le monde, il est utile de s’interroger sur le sujet, largement tabou, du lien entre Islam et violence. Deuxième volet d’une série d’articles sur l’islam, la violence et le sacré. (Lire la première partie ici)

 

Dans l’islam, le sacré a quelque chose à voir avec la violence… L’attaque meurtrière du 7-Octobre a été dénommée “Déluge d’Al Aqsa”, non pas pour désigner un objectif militaire (Jérusalem), dont le Hamas n’a que faire (après tout, les cibles de ses attaques étaient des habitants de kibboutz laïques de gauche, pas des Juifs religieux de Jérusalem), mais pour signifier à un niveau plus profond qu’aux yeux du Hamas, la violence et la guerre ont un rapport intime avec la sacralité musulmane et avec les “lieux saints” de l’islam (Al Aqsa).

 

Pour comprendre ce lien paradoxal, il faut s’interroger sur les rapports entre le sacré et la violence depuis les origines de l’islam et jusqu’à nos jours. Ma première hypothèse, lorsque j’ai publié mes deux livres sur l’islam, le premier sur les Frères musulmans (Le sabre et le Coran, publié en 2005) et le second sur les convertis à l’islam radical (Pour Allah jusqu’à la mort, paru en 2008), était que cette violence était une “dérive” politique radicale des mouvements islamistes contemporains… Hypothèse que j’ai empruntée à de nombreux auteurs, experts du sujet et auteurs d’ouvrages de référence sur les Frères musulmans et sur l’islam radical.

 

Mais depuis lors, et surtout depuis le 7-Octobre, j’ai dû me rendre à l’évidence : la violence est intrinsèque à l’islam, car elle découle de sa vision la plus enracinée et la plus authentique du sacré, et non d’une quelconque dérive contemporaine… La meilleure “preuve” (si besoin était) est le fait terrible – et quasiment occulté par les médias occidentaux – que les horreurs du 7-Octobre ont été commises principalement par des civils de Gaza, ces mêmes civils que leurs voisins juifs habitant les kibboutz frontaliers emmenaient en Israël pour y bénéficier de soins médicaux… Humains, trop humains!

 

A cet égard, Abdelwahab Meddeb s’est trompé : l’islamisme n’est pas la “maladie de l’islam”, mais bien la forme contemporaine de l’islam le plus authentique, tel qu’il s’est développé depuis les origines. Comment comprendre ce rapport étroit entre violence et sacré ? Pour tenter d’apporter une réponse à cette question cruciale, il faut se souvenir que dans l’islam, comme cela a été rappelé depuis le 7-Octobre, il n’existe pas de valeurs autonomes et universelles, et pas d’impératif moral catégorique, philosophique ou religieux. Tout musulman doit se conforter aux préceptes et à l’exemple du Prophète… Or, c’est là que le bât blesse, le Prophète n’était pas – comme Moïse ou Jésus – un homme de paix ou un simple prédicateur, mais avant tout un chef de guerre, cruel et barbare.

 

Deuxième rappel historique, l’islam – comme l’a bien montré Dominique Urvoy – est traversé par une ambivalence fondamentale, entre un narratif triomphant (celui du Coran de Médine) et un narratif victimaire (celui de La Mecque). Or ce “double discours” persiste jusqu’à nos jours. Quand le Hamas attaque Israël, il prétend se “défendre” (tout comme Hitler affirmait se “défendre” contre le soi-disant “péril juif”). Et la porte-parole du Hamas en France, Rima Hassan, explique elle aussi que les exactions et les crimes du Hamas sont “conformes au droit international”, puisque celui-ci autorise les peuples colonisés à “se défendre”... (à suivre…)

P. Lurçat

 

NB Mon nouveau livre, L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, sort ces jours-ci. Il est disponible sur Amazon et B.O.D.

Qui a tué François Duprat, le fondateur du Front national ? Les mouvements juifs d'autodéfense se sont-ils imposés des limites dans le recours à la violence ? Quels étaient leurs liens avec les époux Serge et Béate Klarsfeld ? Le combat contre l'extrême droite néonazie était-il justifié ? Les mouvements juifs ont-ils été protégés par le pouvoir politique, notamment à l'époque de François Mitterrand ? Ont-ils été manipulés dans un but politique ? Autant de questions auxquelles vous trouverez des réponses en lisant L'étoile et le poing - Histoire secrète de l'autodéfense juive en France depuis 1967.

 

Mon premier livre sur l'islam, paru en 2005

Mon premier livre sur l'islam, paru en 2005

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Comment vaincre face à un ennemi inhumain : “Terroriser les barbares”

February 21 2025, 12:38pm

Posted by Pierre Lurçat

Comment vaincre face à un ennemi inhumain :  “Terroriser les barbares”

 

Dans son poème programmatique, Chir Betar, Jabotinsky avait énoncé cet impératif pour le peuple Juif : devenir un “peuple intelligent, généreux et cruel”. Ces mots qui peuvent sembler énigmatiques – rédigés il y a plus de cent ans – prennent un sens nouveau et très actuel aujourd’hui. Au-delà de l’intelligence et de la générosité qui sont très répandues aujourd’hui dans la société israélienne, c’est en effet la troisième qualité qui fait défaut à notre peuple, face à des ennemis barbares assoiffés de sang juif.

 

Humains, trop humains”! L’expression de Nietzsche décrit parfaitement le talon d’Achille d’Israël dans sa guerre existentielle contre le Hamas. Comment triompher du mal absolu, lorsqu’on incarne le Bien et les valeurs morales léguées par Israël à l’humanité ? La question, au-delà de ses aspects philosophiques et théologiques, a des conséquences bien concrètes qu’on peut énoncer ainsi : comment Israël, son armée et sa population peuvent-ils vaincre, face à un ennemi qui aime la mort et qui éprouve une véritable jouissance à commettre le mal ?

 

Dans un article éclairant publié en 2007 dans la revue Forum Israël[1], le rabbin Oury Cherki abordait cette problématique, tout en montrant l’inanité de l’expression – qui revient sans cesse dans le débat public depuis le 7 octobre – de “civils innocents” à propos des habitants de Gaza. “Dieu, Lui, juge les hommes. Il sait qui est juste et qui est injuste. Mais partir à la guerre pour tuer des coupables et épargner des innocents, c’est se tromper sur la nature même de la guerre… L’ennemi est à considérer en tant qu’entité collective, c’est une chose qui a été oubliée et qui est le symptôme d’une dégradation morale qu’il faut dénoncer”.

 

Dans la suite de son article, le Rav Cherki aborde également la nécessité d’être cruels face à des ennemis inhumains, en citant le Rav Kook:  “Nous savons tous que la guerre est cruelle. Les guerres bibliques l’étaient déjà. Considérez ce que dit la Torah du traitement qu’il convient d’appliquer aux Cananéens et à Amalek. Dans une correspondance avec un de ses élèves, le Rav Kook donne très succinctement les fondements d’un code éthique de la guerre. En réponse au Rav Moshé Zaidel qui lui avant demandé pourquoi la tradition impose des guerres si violentes et parfois si cruelles, le Rav Kook répondit :

 

Pour ce qui est des guerres, il était impossible, à une époque où nos voisins étaient des loups sauvages que seul Israël ne fasse pas la guerre, car alors, les nations se seraient réunies pour nous exterminer. Bien au contraire, c’était une chose indispensable, il fallait terroriser les barbares, en employant également des moyens cruels, tout en gardant l’espoir d’amener l’humanité à ce qu’elle devrait être.

 

Ces propos du Rav Kook d’une actualité stupéfiante apportent la réponse à une question cruciale, et donnent la clé de l’attitude nécessaire de la part d’Israël pour vaincre face au Hamas et face à des ennemis inhumains en général. “Terroriser les barbares” devrait devenir le slogan de Tsahal et d’Israël. Au lieu de se complaire dans la posture de victimes et d’adopter des normes éthiques inspirées d’une vision chrétienne (que les nations de culture chrétienne n’appliquent pas elles-mêmes), Israël doit impérativement mettre à jour le “code éthique de Tsahal”* en s’inspirant des propos du rabbin Avraham Kook. L’enjeu est ni plus ni moins que notre survie.

P. Lurçat

NB Mon nouveau livre, L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, sort ces jours-ci. Il est disponible sur Amazon et B.O.D.

*Voir aussi : Comment vaincre face au Hamas : Pourquoi le « Code éthique de Tsahal » est devenu obsolète, Pierre Lurçat

 

 

[1] O. Cherki, “Une éthique juive de la guerre”, in Forum-Israël no. 4, juin 2007.

Comment vaincre face à un ennemi inhumain :  “Terroriser les barbares”

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Comment vaincre un ennemi pire que les nazis? Réflexions sur la guerre d’Israël contre le mal absolu

February 11 2025, 09:30am

Posted by Pierre Lurçat

Pire que les nazis: mise en scène du Hamas

Pire que les nazis: mise en scène du Hamas

 

Dans une interview revigorante sur la chaîne Mosaïque, le philosophe Jacques Dewitte faisait récemment remarquer que le Hamas était, à certains égards, pire que les nazis. Les images terribles des trois otages libérés samedi, dont l’état physique et le regard empli d’effroi font penser aux rescapés des camps de la mort nazis, nous rappellent que le Hamas n’a en effet rien à envier aux nazis dans son comportement à l’égard des Juifs. Depuis le 7 octobre, la comparaison a été faite à maintes reprises, souvent pour souligner la ressemblance, parfois pour marquer certaines différences entre le Hamas et les nazis.

 

Au-delà des débats théoriques, historiques ou philosophiques, cette comparaison doit permettre de tirer des leçons très concrètes pour Israël et pour le peuple Juif sur un sujet essentiel. Il s’agit de l’objectif de “victoire totale” contre le Hamas, défini comme un des objectifs de la guerre après le 7 octobre 2023. Comment en effet a été obtenue la victoire totale contre le nazisme en 1945, sinon en détruisant non seulement l’armée allemande et l’Etat nazi mis en place par Hitler, mais en infligeant aussi à l’Allemagne tout entière et à ses alliés une défaite totale, dont les images des destructions des villes allemandes sont devenues le symbole ?

 

Détruire Gaza pourquoi ?

 

A cet égard, la destruction de Gaza est un élément essentiel de la victoire totale à laquelle Israël aspire. Loin d’être un effet collatéral ou une conséquence indirecte – souhaitable ou pas – de la guerre voulue par le Hamas, il s’agit d’un impératif à la fois militaire, stratégique et moral. On ne combat pas le mal absolu avec des pincettes, ou pour dire les choses autrement, on ne détruira pas le Hamas sans infliger aux habitants de Gaza une nouvelle “Nakba”, dont ils se souviendront pour les décennies et les siècles à venir.

 

Un tel message est évidemment difficile à faire passer dans notre monde actuel, qui a oublié les distinctions élémentaires entre le bien et le mal, entre des otages innocents et des terroristes aux mains tachées de sang, qu’Israël est contraint de libérer pour faire revenir ses citoyens détenus à Gaza… Mais la question va bien au-delà de savoir si notre position peut être comprise par les chancelleries et les opinions publiques en Occident et ailleurs : elle est de savoir si nous sommes convaincus de la justesse de notre cause et de tout ce que cela implique.

 

Contenir le mal ou l’anéantir ?

 

A cet égard, la fameuse “Conceptsia” dont Israël débat depuis le 7 octobre comporte – outre ses éléments psychologiques, moraux et militaires – une dimension qu’on pourrait qualifier de théologique. Il s’agit de savoir si le mal absolu peut être simplement “contenu” (comme Israël le pensait avant le 7 octobre) au moyen d’un “mur de sécurité”, ou s’il doit être combattu et anéanti. L’erreur principale de l’avant 7 octobre pourrait ainsi être décrite comme la croyance qu’Israël – représentant du bien absolu – peut coexister avec le mal absolu incarné par le Hamas et par ses alliés.

 

La découverte la plus lourde de signification faite par la société israélienne dans son ensemble après le 7 octobre est ainsi celle de la réalité du Mal. Comme l’écrivait le philosophe Jacques Dewitte dans un article éclairant paru en 2011, “le mal existe, ou plus exactement, il persiste, il insiste…” C’est précisément l’existence de ce mal à nos frontières que nous avons oubliée pendant plusieurs décennies, et que l’attaque du 7 octobre est venue nous rappeler. Aujourd’hui, chaque Israélien et chaque Juif dans le monde sait que face au mal absolu incarné par le Hamas et par les tortionnaires de Gaza, par l’Iran et ses alliés et par tous ceux qui rêvent de nous détruire, il n’y a qu’une seule attitude possible : couper la tête de la pieuvre et anéantir tous nos ennemis, sans relâche et sans pitié. Am Israël Haï!

P. Lurçat

Le philosophe Jacques Dewitte

Le philosophe Jacques Dewitte

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