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Le règne de l’intempestif : Nos vies confisquées par les médias sociaux

November 22 2021, 09:30am

Posted by Pierre Lurçat

 

Troisième volet d’un nouveau “feuilleton philosophique”, dans lequel je poursuis la réflexion entamée dans mon livre Seuls dans l’Arche, en analysant les conséquences de la révolution technologique et numérique sur la vie et sur la pensée humaine. P.L

 

A-t-on déjà réfléchi à la signification de ces “avertissements” placés dans de nombreux journaux en ligne, minutant le temps exact que prendra la lecture de chaque article? Ils veulent nous dire que notre temps est “compté”... Non pas, certes, au sens où l’entendent les philosophes et les poètes (“Ô temps, suspend ton vol!’) mais plutôt au sens d’une information concrète et objective, comme les fiches signalétiques qu’on trouve au dos des paquets de céréales et d’autres aliments fabriqués industriellement. “Ce gâteau contient 150 calories” et “cet article consommera 5 minutes de votre vie”. Ces avertissements placés en tête des articles semblent nous inciter à épargner notre temps et à l’utiliser à bon escient, mais il s’agit d’un leurre, car le temps n’a jamais été autant gaspillé qu’aujourd’hui. 

 

Dans la vie moderne, où l’homme dispose de plus de loisirs et de “temps libre” - c’est-à-dire non occupé par le travail et par les tâches domestiques - qu’il n’en a jamais eu, il semble pourtant que le temps libre soit devenu une denrée plus rare que jadis. Dans les pages qui suivent, nous voudrions interroger le rapport au temps de l’homme actuel et la manière dont les innovations technologiques, souvent supposées lui faire “gagner du temps”, lui en font non seulement perdre, mais lui font plus encore perdre la notion même du temps et de sa valeur authentique.

 



 

L’histoire des avancées techniques, depuis l’invention des moyens de transport mécanisés, est celle d’une conquête toujours plus poussée de l’espace, marquée par la rapidité grandissante des véhicules terrestres, aquatiques et aériens. Chaque avancée s’est traduite par la possibilité de se déplacer plus rapidement, et donc de gagner du temps. Pourtant, la notion du temps sous-jacente à ce progrès technique est demeurée fondamentalement la même… A quel moment a-t-elle véritablement changé? Pour tenter de le comprendre, il faut interroger les notions de “loisir” et de “temps libre”, qui tendent à s’estomper dans la civilisation technologique contemporaine, en apparence si soucieuse de mesurer et de décompter notre temps. 

 

Un “temps décousu”

 

Le paradoxe apparent d’un monde globalisé, dans lequel le temps libre est de plus en plus important (allongement de la vie, diminution du temps de travail et avancement de l’âge de la retraite) et où il devient pourtant de plus en plus rare, s’explique par le glissement de sens qui s’est opéré de manière insensible, concernant l’idée même que nous nous faisons du temps et de la manière de l’employer. Dans son livre Amusing Ourselves to Death, paru en 1985, Neil Postman fait remonter à l’invention du télégraphe la transformation radicale de la notion du temps introduite par la technologie et par les médias de masse. “La contribution du télégraphe au discours public a consisté à valoriser ce qui était sans rapport avec la vie des gens et à développer l’impuissance”, écrivait-il alors, expliquant que celui-ci “nous a amené un monde de temps décousu et d’attention décousue”. Cette dernière remarque s’avère aujourd’hui prémonitoire. C’est précisément cette expérience d’un temps décousu qui s’est imposée avec une force décuplée depuis lors, avec l’avènement des téléphones portables et des réseaux sociaux. 



 

 

“L’attention décousue” dénoncée par Postman il y a plus de trente ans est ainsi devenue un phénomène majeur du monde actuel, observé avec impuissance par les professeurs - pour lesquels il constitue un problème majeur - et par plusieurs analystes critiques de la civilisation contemporaine. L’analyse que fait Postman de la société américaine dans les années 1970 et 1980 décrit en effet de manière prémonitoire ce qui est devenu aujourd’hui le lot de l’humanité tout entière. Citant Daniel Boorstin, qui considère que “la principale création de la civilisation graphique” est le “pseudo-événement”, Postman en tire l’idée d’une “civilisation submergée par l’intempestif”. On ne saurait mieux décrire la civilisation des écrans actuelle, dans laquelle l’image est encore plus envahissante et intempestive qu’à l’époque où écrivait l’auteur de Se distraire à en mourir.

 

Mais l’attention “décousue” n’est pas  le seul fait des élèves et des étudiants, dont la concentration est gravement atteinte et qui éprouvent le plus grand mal à rester assis une heure d’affilée en écoutant un professeur, en salle de classe ou devant leur écran. En réalité, l’atteinte à la concentration concerne tout un chacun. Personne n’échappe à cette “distraction” généralisée et à cette difficulté grandissante d’être focalisé sur l’activité présente, sans être à tout moment perturbé par l’appel intempestif ou la notification d’un “nouveau message”, comme si nous étions devenus nous-mêmes des machines, recevant à tout moment des informations nouvelles qu’il importerait de traiter et d’intégrer dans notre propre vécu.

 

Une métaphore devenue réalité

 

C’est là sans doute un des effets les plus nocifs et les plus durables des nouveaux médias, qui ont effectivement réussi à transformer dans une large mesure notre cerveau en machine, traitant des flux permanents d’informations. Cette  pauvre métaphore - celle qui décrit l’esprit humain comme une simple machine de “traitement de l’information” - s’est ainsi transformée en sinistre réalité! Le constat selon lequel le problème avec les théories concernant l’être humain n’est pas le fait qu’elles soient fausses, mais bien celui qu’elles ont tendance à devenir vraies, s’est avéré une fois de plus vérifié.

 

Mais ce n’est pas seulement notre capacité d’écoute et de concentration qui est remise en cause par l’omniprésence des écrans. C’est, plus fondamentalement, notre capacité de diriger notre pensée, notre attention et notre vie tout entière…  A la différence des publicités d’autrefois, qui captaient notre attention de manière ponctuelle, les écrans et les nouveaux médias captent celle-ci avec une fréquence et une intensité grandissantes, au point que nous sommes devenus des cibles permanentes de leurs messages intempestifs.

 

Intempestifs, ils le sont à un tel point, que nous avons fini par oublier ce que ce mot veut dire… Autrefois, était considéré comme intempestif l’appel téléphonique qui survenait à un moment inopportun. Mais dans le monde actuel, l’homme bombardé de messages et d’incitations permanentes n’a plus guère la faculté de trier ce qui est intempestif de ce qui ne l’est pas : il se doit de répondre, de réagir, ou simplement de lire et d’ingérer le flux constant des informations qui le visent et le transforment en cible passive et volontaire. L’esclavage volontaire que nous avons évoqué dans ces colonnes (1) ne transforme pas seulement notre vie sociale et nos relations avec les autres. Il modifie notre perception du monde et notre vie intérieure : sentiments, capacité de réflexion et d’introspection, imagination…

 

L’intempestif devient la norme

 

L’aspect le plus visible et le plus souvent décrit de cette nouvelle réalité, celui qui concerne les facultés cognitives, est loin d’être le plus marquant ou le plus radical (2). Ce qui est en jeu, de manière plus essentielle encore, c’est notre capacité même à penser, activité fondamentale qui consiste selon Platon dans le “dialogue silencieux qu’on a avec soi-même” (3). C’est précisément ce dialogue silencieux qui est aboli par le bruit incessant des appareils qui nous entourent, qu’on ne peut supprimer simplement en les mettant “sur silencieux”, car leur silence continue de nous interpeller et de nous solliciter à chaque instant. (Pour nous en convaincre, il suffit de placer un téléphone portable sur silencieux à quelques mètres de nous et de mesurer au bout de combien de temps nous irons le consulter, pour voir tout ce qui “s’est passé” pendant que nous avons fait l’effort de ne pas le consulter…)

 

 

  Le phénomène de dépendance décrit et analysé chez les enfants par la psychologue Liliane Lurçat à propos de la télévision s’est désormais élargi et généralisé, au point de concerner tout un chacun, enfants et adultes. “L’enfant vit une situation où il est immobilisé et dominé en permanence, une situation qui entrave sa conquête de l’autonomie et de la liberté" écrivait-elle en 2008 (4). Or cette description pourrait tout aussi bien s’appliquer aujourd’hui aux adultes, captivés par leur écran de téléphone à tout moment et en tout lieu. Il n’est en effet aucun endroit qui échappe à l’emprise du téléphone : salles de concert, lieux de prière et de recueillement, cérémonies funéraires ou nuptiales.... Aucun sacré n’est désormais inviolable, face à l’intrusion constante des téléphones qui nous assaillent et nous sonnent à chaque instant.

 

S’il n’est plus d’intempestif, c’est donc que la notion même du temps a changé. Ce qui est désormais aboli, c’est la notion d’un temps propice à chaque chose, ou la séparation entre plusieurs moments de la journée, de la semaine et de la vie. À travers l’appel constant que le téléphone portable nous adresse, à travers l’injonction permanente d’y répondre ou d’y prêter attention, c’est notre maîtrise du temps qui est menacée et souvent irrémédiablement atteinte. La civilisation technologique nous contraint à ingérer des flux d’information ininterrompus, en nous soumettant à un bombardement d’images et d’émotions permanent. C’est là que réside sans doute son piège le plus dangereux ; elle nous prive de la distinction essentielle entre un temps du travail et un temps du repos, un temps consacré au labeur et un temps où l’être humain laisserait son esprit divaguer au fil de son imagination, sans être guidé par aucune contrainte extérieure…

 

La plus grande illusion de la “libération” de l’homme moderne par le rétrécissement du temps de travail tient précisément au caractère envahissant de ces instruments d'asservissement que constituent les outils de la civilisation de l’image… En réalité, la civilisation des écrans - forme moderne de la civilisation de l’image dont Postman avait analysé l’émergence avec la télévision - abolit la distinction essentielle entre le travail et le loisir, que l’humanité a mis des millénaires à conquérir. Paradoxalement, c’est ainsi au moment où l’homme paraissait être délivré de la “malédiction” du travail (selon l’expression de la Bible, “Tu gagneras ton travail à la sueur de ton front”) qu’il se trouve en réalité privé du loisir véritable, au sens d’un temps dont il disposerait véritablement. Le temps nous a été confisqué. (à suivre…)

Pierre Lurçat

 

1. Voir notre article “La fin de la réminiscence”.

2. Une description assez terrifiante des effets des écrans sur les facultés cognitives est donnée par le psychiâte allemand Manfred Spitzer dans son livre Le ravages des écrans, Les pathologies à l’ère numérique, L’échappée 2019. Il faut saluer le travail de cette petite maison d’édition qui a donné accès au lecteur francophone à de nombreux ouvrages importants.

3. Cité par H. Arendt, La vie de l’esprit, Introduction p. 21 P.U.F. 1981.

4. La manipulation des enfants par la télévision et par l’ordinateur, p. 75. Éditions François-Xavier de Guibert 2008.

NOUVEAU : en vente à la librairie Au fil d'Ariane, située dans les locaux de Qualita à Jérusalem

 

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Zemmour, la France et l’Orient simplifié

November 13 2021, 21:27pm

Posted by Pierre Lurçat et Philippe Karsenty

Réconcilier la France avec son passé et tout faire pour préserver son avenir, ce programme justifie aux yeux d’Éric Zemmour quelques entorses à la vérité historique et au langage trop lisse de ses adversaires politiques. Oui, il y a bien du Donald Trump en lui, car tout comme ce dernier voulait « Make America Great Again », Éric Zemmour affirme que la « France n’a pas dit son dernier mot ».

Article paru dans Causeur

 

Une tribune libre de Philippe Karsenty et Pierre Lurçat

 


Au micro de Jean-Marc Morandini sur CNews, Éric Zemmour déclarait à son interlocutrice, une Franco-marocaine voilée de Drancy, « La France, c’est sacré ». Ces mots ne sont pas un slogan électoral : ils définissent le cœur de l’identité – et aussi du programme électoral – d’Éric Zemmour. Que ce programme soit incarné par un Français né de parents juifs d’Algérie est à la fois symbolique et anachronique. Oui, il y a sans doute quelque chose d’anachronique dans le discours de Zemmour, que ses détracteurs dépeignent injustement comme un « nostalgique de Pétain ».

Les juifs aussi ne s’assimilent plus vraiment

Anachronique, son éloge d’une assimilation sans partage, à laquelle n’adhèrent plus les représentants officiels du judaïsme français. Anachronique, et pourtant terriblement actuel. Pendant que les grands médias et tous ceux qui prétendent parler au nom du « camp du Bien » se délectent de comparaisons abusives et de « reductio ad hitlerum », expliquant doctement comment Zemmour entend « réhabiliter Vichy » et absoudre la France de tous ses crimes, celui-ci aborde, sans complexes et avec un langage que certains comparent à celui de l’ex-président des États-Unis Donald Trump, la réalité bien tangible de la vie quotidienne de millions de Français. Des Français écrasés d’impôts et humiliés dans leur fierté nationale, qui ne se reconnaissent plus dans le discours politique dominant, dont sont tellement absents les sujets tabous de l’immigration, de l’islam et de l’identité nationale.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Z le maudit

En réalité, pour appréhender le discours d’Éric Zemmour et comprendre les raisons de son succès, il faut se départir des clichés de la doxa médiatique, pour tenter d’entendre ce qu’il dit de la France – qu’il a mise au cœur du débat électoral, comme l’a observé Alain Finkielkraut – et ce qu’il dit aux Français. Le clivage qui s’est instauré depuis quelques semaines entre une France pro-Zemmour et une France anti-Zemmour, clivage qui a déjà donné lieu à de violentes manifestations des mal-nommés « Antifa », n’oppose pas « droite » et « gauche », concepts qui ont perdu depuis longtemps une grande partie de leur pertinence politique.

Anywheres contre Somewheres

Ce clivage oppose ce que l’essayiste britannique David Goodhart appelle les « gens de partout » (Anywheres) et le « peuple de quelque part » (Somewheres). Zemmour incarne de toute évidence ces Français qui se sentent appartenir à la terre de France et à son histoire et qui – pour reprendre ses propres termes – croient encore au Destin français, tout en se sentant exilés dans leur propre pays et en souffrant de voir bafouer les symboles de la France et ses représentants, lorsque son drapeau est piétiné ou que ses policiers sont agressés et insultés. Sa dénonciation du « Grand remplacement » est partagée par tous ceux qui le vivent au jour le jour.

Et les Français juifs ? Ils sont eux aussi, à l’instar de l’ensemble des Français, partagés entre les deux camps, celui des « gens de partout » et celui du « peuple de quelque part ». Zemmour, qui se dit « non sioniste » mais « pas antisioniste », a prononcé sur i24 des déclarations concernant Israël qui font de lui le plus pro-Israélien de tous les hommes politiques français, en déclarant qu’il n’y aurait pas d’État palestinien et que Jérusalem était la capitale d’Israël. Foulant aux pieds les principes de la politique arabe de la France depuis des lustres, il a montré que son patriotisme français n’était pas contradictoire avec une amitié véritable entre la France et Israël, bien au contraire (même s’il n’a apparemment pas vraiment pris la mesure de la menace iranienne).

A lire aussi, David Goodhart: Royaume-Uni: «Il est beaucoup plus facile de parler de l’immigration aujourd’hui qu’il y a vingt ans»

Ce qui n’empêche pas certains – et notamment le grand-rabbin de France Haïm Korsia – de l’accuser d’être « antisémite » après avoir mis en doute sa judéité. Ce faisant, ce dernier sort de sa fonction de rabbin pour devenir un acteur politique. Pour comprendre cette situation, il faut se rappeler que la politique française repose largement sur ce que le sociologue Shmuel Trigano appelle « l’adoration du corps de la victime », qui va de pair avec l’hostilité au peuple Juif vivant. C’est la même France officielle, qui depuis 25 ans verse ainsi des larmes de crocodile sur les victimes de la Shoah, tout en développant des politiques hostiles à Israël et en soutenant les organisations terroristes comme le Hamas et le FPLP, qui sont les pires assassins de Juifs des temps modernes.

Il faut alors se rappeler des mots de Jacques Chirac, en juillet 1995, s’apitoyant sur les Juifs morts de la Shoah pour mieux condamner et diaboliser ensuite les Juifs vivants en Israël, qui cherchaient à se défendre contre les organisations terroristes palestiniennes. Oint de son blanc-seing de défenseur des Juifs morts, Jacques Chirac se sentait alors d’autant plus libre d’armer ceux qui voulaient détruire l’État d’Israël. Il n’est pas étonnant de retrouver aujourd’hui du côté des anti-Zemmour des chiraquiens qui n’ont jamais su, ou voulu, s’opposer à ses politiques hostiles à Israël. Comme Haïm Korsia, qui a fait préfacer un de ses livres par Jacques Chirac, ou comme Frédéric Salat-Baroux, qui a embrassé le chiraquisme au point d’épouser la fille de l’ancien président.

Chirac à Jérusalem en 1996

C’est sans doute aussi pour dénoncer cette contradiction que le candidat Zemmour ne s’encombre d’aucun « politiquement correct » quand il aborde le sujet de Vichy. Réconcilier la France avec son passé et tout faire pour préserver son avenir, ce programme justifie aux yeux d’Éric Zemmour quelques entorses à la vérité historique et au langage trop lisse de ses adversaires politiques. Oui, il y a bien du Donald Trump en lui, car tout comme ce dernier voulait « Make America Great Again », Éric Zemmour affirme que la « France n’a pas dit son dernier mot ». Seul l’avenir nous dira s’il permettra de « Restaurer la grandeur de la France ».

Ph. Karsenty et P. Lurçat

 

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1995-2021 : 26 ans après, le mensonge de "l'incitation ayant conduit au meurtre" toujours vivace

November 10 2021, 07:48am

Posted by Pierre Lurçat

Le fameux poster fabriqué par un agent provocateur, Avishai Raviv

Le fameux poster fabriqué par un agent provocateur, Avishai Raviv

 

Le titre hébreu du film “Yamim Noraim” (“Les jours redoutables”, expression désignant traditionnellement la période entre Rosh Hachana et Kippour) ne correspond pas du tout à son titre anglais, sous lequel il a été présenté en avant-première au festival de Toronto : “Incitement”. Cela n’a rien d’exceptionnel dans le monde du cinéma, mais en l’occurrence, cette divergence est significative, car le titre anglais en dit bien plus long sur le contenu du film que celui en hébreu. Incitement est en effet un film politique, présentant sous couvert de thriller psychologique (dont on connaît la fin d’avance), une thèse politique dérangeante et mensongère. La thèse du film peut se résumer par son titre, "Incitation", et par les quelques lignes que le réalisateur a choisi de placer en dernière image du film : on peut y lire que “Yigal Amir a déclaré qu’il n’aurait pas commis son crime sans l’aval de rabbins qui lui ont donné leur autorisation. Malgré cela, aucun rabbin n’a été poursuivi pour l’assassinat de Rabin”. 

 

Cette thèse dérangeante s’articule autour de deux ou trois arguments essentiels, que le film assène à coups de massue, du début jusqu’à la fin. “Yigal Amir a été influencé par des rabbins”, “L’assassinat a été précédé d’une campagne d’incitation, à laquelle a notamment participé le chef de l’opposition de l’époque - et Premier ministre actuel - Benjamin Nétanyahou” (1). “Les motivations d’Yigal Amir étaient autant religieuses que politiques”. Ces trois messages n’ont rien de nouveau. Ils ont été répétés à profusion depuis le 5 novembre 1995, car dès le lendemain du crime, celui-ci a été exploité politiquement par le camp auquel appartenait Itzhak Rabin. La thèse de l’incitation au meurtre par des rabbins a pourtant été infirmée par le tribunal de district de Tel-Aviv dans son jugement, dans des termes non équivoques (2). Elle continue malgré cela d’être soutenue par de nombreux protagonistes, comme l’ancien chef des services secrets intérieurs (Shin-Beth) au moment de l’assassinat, Carmi Gillon, qui continue de clamer qu’Yigal Amir a été “incité par des rabbins”.


 

“Incitation” - Une thèse politique mensongère (image de fiction tirée du film)


 

Comme l’écrit le critique du journal Maariv, Yaron Zilberman mêle sans cesse les images d’archives aux scènes de fiction, créant une confusion artistique qui sert son message politique. La confusion volontairement entretenue entre fiction et documentaire, entre narration et argumentaire politique, est dans l'air du temps. A l'heure de la post- vérité, peu importe de savoir si des rabbins ont effectivement donné un blanc seing à Yigal Amir, comme le prétend le film, alors même que la justice israélienne a dit le contraire… Comme il importe peu de savoir quel a été le rôle véritable d’Avishaï Raviv, l’agent provocateur du Shin Beth - les services secrets intérieurs - qui a véritablement poussé au meurtre un Yigal Amir encore hésitant. (3) 

 

A l'ère où seul compte le narratif, qui se préoccupe encore de vérité historique, ou de vérité tout court?  Le plus grave, en l’occurrence, est sans doute ce qu'on enseigne aux enfants des écoles d'Israël. Croiront-ils eux aussi, comme l'affirme ce film, que le bras de l'assassin de Rabin a été armé par des rabbins qui n'ont jamais été inquiétés, au nom d'une Torah qui inciterait au crime? A cet égard, il y a beaucoup à dire sur la manière dont le film (et au-delà du film, tout un pan de la culture israélienne contemporaine) décrit la tradition juive, ses éléments et ses symboles. Ainsi, dans une scène marquante du film, la veille de l’assassinat, on voit Yigal Amir fasciné et presque envoûté par les lettres d’un rouleau de Torah sur lequel son père, scribe, est en train de travailler. 


 

Une vision caricaturale du judaïsme


 

D’autres scènes montrent des rabbins de manière caricaturale. On hésite pour savoir si l’auteur du film est simplement ignorant, ou s’il déteste vraiment (comme d’autres artistes israéliens) notre Tradition et ses représentants. Une question centrale posée par le film - de manière réductrice et très orientée - est celle de savoir si le “Din rodef” (l’obligation de tuer un Juif pour l’empêcher de perpétrer un meurtre qu’il s’apprête à commettre), soi-disant appliqué à Rabin par certains rabbins - “justifiait” son exécution au regard de la loi juive. Toute personne un tant soit peu versée dans l’histoire juive sait que les peines de mort mentionnées dans la Torah ne sont quasiment jamais appliquées. Le film repose largement sur cette ambiguïté, qu’il ne contribue pas à lever, préférant l’exploiter au service de sa thèse politique.

 

Et malgré tout cela, le film de Zilberman n’est pas dénué de qualités. Il tient en haleine, et la performance de certains des acteurs est remarquable. Notamment celle de l’acteur principal, Yehuda Nahari Halevi, d’origine yéménite comme Amir. Il réussit à incarner son personnage de manière forte et crédible, en dépit de la manière assez caricaturale dont sont dépeintes ses relations avec son entourage (son père, personnage assez falot, qui tente de le dissuader, tandis que sa mère ne cesse de vanter son intelligence, et les jeunes filles qu’il courtise). Yigal Amir n’est pas du tout décrit comme un monstre, mais bien comme un être humain et il est rendu presque sympathique (!), tellement le réalisateur est obnubilé par le désir de montrer qu'il a été incité et manipulé par des rabbins.


 

Yehuda Nahari Halevi : impressionnant de vérité
 

Le réalisateur Yaron Zilberman a de toute évidence été séduit par ce sujet fort et complexe. Il a visiblement été déchiré entre l’attrait du sujet, la possibilité de faire un thriller psychologique captivant, ce à quoi il n’est parvenu que partiellement, et la volonté de faire passer un message politique, éculé et largement mensonger, mais toujours efficace. Hélas, c’est cette deuxième possibilité qu’il a choisie. Le résultat est un film d’autant plus dangereux qu’il est séduisant, par le message simpliste qu’il véhicule et par sa capacité de nuisance politique.

Pierre Lurçat

Notes :

 

(1) Comme l’a montré le journaliste du quotidien Ha’aretz, Anshel Pfeffer, dans sa récente biographie de Nétanyahou, ce dernier n’a jamais “incité” à l’assassinat d’Itshak Rabin, directement ou indirectement. Ce sont, comme l’écrit Pfeiffer (peu suspect de sympathies pour la droite israélienne, et lui-même membre de la corporation journalistique) “les médias israéliens qui ont inventé le narratif de ‘l’incitation qui aurait conduit au meurtre de Rabin’. Et qui ont dépeint Nétanyahou comme ‘le principal responsable de cette incitation’. 

 

(2) En réponse à l’affirmation d’Yigal Amir qui avait lui-même fait état de rabbins qu’il aurait consulté sur le sujet, le juge Edmond Lévy président du tribunal de Tel-Aviv a écrit dans le jugement : “Ma conclusion est que la démarche qu’il a pu effectuer auprès d’un quelconque rabbin, directement ou indirectement, pour s’assurer que la victime avait le statut de “Din rodef”, n’était destinée qu’à obtenir un aval a posteriori à l’action que l’accusé avait déjà décidé de réaliser. D’où la conclusion supplémentaire, que la tentative de donner à l’assassinat de Rabin une justification halachique est déplacée et constitue un abus cynique et grossier de la hala’ha [loi juive] à des fins étrangères au judaïsme”. Jugement du tribunal de Tel-Aviv, 498/95, Etat d’Israël contre Yigal Amir,

Jugement (en hébreu) : http://www.nevo.co.il/Psika_word/mechozi/M-PE-2-003-L.doc

 

(3) C’est Raviv, on ne le rappellera jamais assez, qui avait ainsi imprimé le fameux poster de Rabin en uniforme SS, utilisé jusqu’à aujourd’hui comme argument contre le public sioniste-religieux, auquel Amir avait été assimilé.

 

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Débattre au bord du gouffre ou perpétuer la France : Trois réflexions sur le phénomène Zemmour, Pierre Lurçat

November 4 2021, 15:37pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Il faut écouter la longue interview que le presque-candidat Éric Zemmour a accordée à Benjamin Petrover sur i24 News. Il y dévoile plusieurs éléments importants de sa vision du monde, et se livre à un débat passionnant avec le philosophe Alain Finkielkraut. En tant qu’Israélien et que sioniste, je suis évidemment très éloigné de ses conceptions et je ne pense pas, comme je l’ai écrit ici, que les Juifs soient concernés collectivement par le destin français. Mais on ne peut pour autant se désintéresser entièrement de l’avenir d’un pays qui abrite la deuxième communauté juive du monde en dehors d’Israël, et qui est aussi le pays où nous avons grandi.

 

1. Zemmour antisémite? La double erreur du rabbin Korsia

 

En qualifiant Éric Zemmour de “Juif antisémite”, le grand rabbin Haïm Korsia a commis une double erreur. Erreur factuelle, car rien ne permet de qualifier ainsi M. Zemmour, indépendamment de ce que l’on pense de ses opinions et de ses engagements. Erreur politique surtout, car il est dangereux de transformer le débat qui oppose aujourd’hui une France pro-Zemmour et une France anti-Zemmour en débat judéo-juif. Éric Zemmour est aujourd’hui candidat (pas encore déclaré) à l’élection présidentielle, il n’est pas candidat à la présidence du CRIF ou du Consistoire. 

 

Le rabbin Korsia, avec Emmanuel Macron

 

Les institutions juives de France, comme je l’ai dit ce matin au micro de Daniel Haïk, seraient bien inspirées de faire preuve d’un peu de réserve et d’intelligence politique, au lieu de foncer tête baissée dans un débat intra-communautaire dont rien ne peut sortir de bon pour les Juifs. D’autant plus que la position sur laquelle se tient Éric Zemmour, celle du “Français de confession juive”, était celle que défendaient autrefois ces mêmes institutions juives - Consistoire et CRIF - qui ont depuis adopté la logique du communautarisme, pour le meilleur et pour le pire. Le communautarisme a certes permis au judaïsme français de vivre et de s’épanouir pendant plusieurs décennies. Mais il a aussi tenu lieu de dangereux précédent, en créant une brêche dans laquelle se sont engouffrés les tenants d’un islam de France, qui n’a rien à voir avec le judaïsme et encore moins avec le franco-judaïsme.

 

2. Le sionisme d’Éric Zemmour et celui de Léon Blum

 

En déclarant sur i24 que Jérusalem est la capitale d’Israël (et en faisant cette déclaration, répétons-le, en tant que candidat à la magistrature suprême de la République française), Éric Zemmour s’inscrit dans une tradition philo-sioniste française, qui n’a rien à voir, quoiqu’en disent les historiens patentés, avec Barrès ou Maurras. Cette tradition est celle de Léon Blum, qui déclarait "Je suis un Français - fier de son pays, fier de son histoire, nourri autant que quiconque, malgré ma race, de sa tradition." Déclaration à laquelle Zemmour pourrait souscrire entièrement. 

 

Blum, Français fier de son pays, était aussi fier de son judaïsme et il s’engagea résolument en faveur de l’idée sioniste, comme le rappelle André Blumel dans un article passionnant (1). C’est dans cette tradition de patriotisme français philo-sioniste que s’inscrit Éric Zemmour, même s’il est politiquement très éloigné d’un Léon Blum. Ajoutons que les caricatures qui le visent rappellent aussi celles qui visaient jadis le Premier ministre Léon Blum...

 

La mémoire de Léon Blum honorée au kibboutz Kflar Blum

 

3. Débattre de l’histoire de France au bord du gouffre?

 

Il est consternant de lire les nombreuses tribunes d’historiens plus ou moins sérieux, qui publient dans les colonnes du journal Le Monde leurs savantes dissertations sur l’histoire de Vichy ou sur l’affaire Dreyfus, en se livrant à de futiles comparaisons (2).  L’affaire Dreyfus, est-il besoin de le rappeler, est terminée depuis plus d’un siècle. On se demande quel malin plaisir les médias français trouvent à raviver de vieilles blessures nationales guéries depuis longtemps et à souffler sur les braises pour ranimer de vaines polémiques. La France excelle dans les vaines polémiques.

 

Mais le phénomène Zemmour mérite mieux que les débats judéo-juifs ou que les querelles d’historiens. Comme l’affirme Alain Finkielkraut, que personne n’ira suspecter d’antisémitisme, Zemmour a le mérite de la sincérité et surtout celui d’avoir remis la France au coeur du débat électoral. Que la France soit aujourd’hui au bord de la guerre civile ou qu’elle y soit déjà plongée, le temps n’est plus aux vaines polémiques.

 

La France au coeur de la campagne présidentielle : Éric Zemmour

 

Comme le rappelle Éric Zemmour à Alain Finkielkraut, dans leur débat télévisé sur i24, on aimerait parler longuement de littérature, de l’histoire de France et de tous ces sujets chers aux Français juifs qu’ils sont, mais l’heure est trop grave pour se dérober aux questions tellement plus urgentes et essentielles. On ne débat pas de poésie au bord du gouffre. “Aujourd’hui il faut (choisir entre) vivre ou mourir” conclut Zemmour face à Finkielkraut qui acquiesce, avec des mots qui évoquent les versets du Deutéronome.”Tu choisiras la vie, afin que tu vives, toi et tes descendants”. Zemmour, on le voit, n’est pas si éloigné du judaïsme qu’on ne pourrait le croire.

P. Lurçat

1. Voir http://judaisme.sdv.fr/perso/lblum/bl-sion.htm

2. Georges Bensoussan a répondu de manière convaincante à l’une de ces tribunes, en réfutant les comparaisons entre le discours de Zemmour et les discours fascistes. Voir https://www.causeur.fr/antisemitisme-communautarisme-edouard-drumont-eric-zemmour-polemique-2-166616


 

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Quand Le Monde prend la défense du FPLP, organisation terroriste palestinienne

November 1 2021, 11:00am

Posted by InfoEquitable

La décision israélienne d’attribuer le statut d’organisations terroristes à six ONG palestiniennes liées au FPLP fait l’objet d’un article du correspondant du quotidien Le Monde en Israël, Louis Imbert, intitulé « En classant six ONG parmi les « organisations terroristes », Israël frappe au cœur la société civile palestinienne ».

 

Les six ONG incriminées pour leurs liens avec le FPLP (dont le logo ne fait pas mystère de son intention de conquérir toute l’ancienne Palestine mandataire, et donc d’éliminer Israël)

 

Tout en reconnaissant que le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) est « considéré comme une organisation terroriste par Israël et par l’Union européenne », l’article le qualifie de « mouvement issu du nationalisme arabe et du marxisme, pionnier de la résistance palestinienne, qui fut un temps la faction la plus active après le Fatah ».

Rappelons que le FPLP, fondé par George Habache en 1967, est considéré comme incarnant une ligne plus radicale encore que celle du Fatah au sein de l’OLP, et qu’il est l’auteur de très nombreux attentats en Israël et dans le monde, depuis les détournements d’avions dans les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui. Pour la période récente, on peut citer, parmi tant d’autres, l’assassinat du ministre israélien du Tourisme, Rehavam Zevi, le 18 octobre 2011 à Jérusalem, l’attentat d’Itamar en juin 2002, au cours duquel une famille israélienne avait été décimée, ou encore le massacre de la synagogue de Har Nof en 2014.

 

Les victimes de l’attentat d’Itamar

Cela n’empêche pas Le Monde de titrer son article « Israël frappe au cœur la société civile palestinienne », en reprenant à son compte la terminologie employée par l’Autorité palestinienne, qui qualifie la décision israélienne « d’assaut perturbant contre la société civile palestinienne ». Pour justifier l’emploi de l’expression trompeuse de « société civile », au sujet d’ONG liées au mouvement terroriste, l’article du correspondant du Monde explique que ces ONG « ont pignon sur rue » (ce qui est le cas de tous les mouvements terroristes palestiniens) et qu’elles « jouent un rôle éminemment politique ». Ce dernier point ne contredit pas le fait qu’elles soient liées au mouvement terroriste FPLP, toutes les organisations terroristes palestiniennes jouant à la fois la carte politique et celle de la violence armée.

Le Monde établit d’autre part un parallèle entre la décision israélienne et les « actes de violence de la part de colons israéliens », dont l’article dénonce la recrudescence, expliquant que « Depuis le début de la récolte des olives, en octobre, quelque 1300 arbres ont notamment été détruits ou endommagés par des colons, selon les Nations unies ». En quoi cela rendrait-il la décision israélienne concernant les ONG liées au FPLP critiquable ? L’auteur ne l’explique pas. Il faut lire entre les lignes pour saisir la logique de l’argument : la violence (supposée) est du côté israélien, celui des « colons », tandis que la violence terroriste avérée des organisations palestiniennes membres de l’OLP est qualifiée par le quotidien français de « résistance palestinienne », dont le FPLP serait le « pionnier ».

 

Le titre du Monde du 23/10/2021. L’expression « régime israélien » a été remplacée par celle « d’Etat hébreu » après un tweet d’InfoEquitable dénonçant cet usage normalement réservé aux gouvernements de pays non démocratiques.

 

Pourquoi donc Israël a-t-il décidé d’agir contre ces ONG ? Là encore, il faut lire entre les lignes. Al-Haq, qui se présente comme une ONG de « défense des droits de l’homme », est en réalité un des principaux acteurs du « lawfare » – la guerre juridique contre Israël – et de la campagne de boycott du BDS. Ses liens établis avec le FPLP ont justifié le refus de visas d’entrée en Israël et en Jordanie à son directeur général. Dans un jugement datant de 2007, cité par NGO Monitor, la Cour suprême d’Israël écrivait à son sujet : « le requérant est apparemment Dr. Jekyll et M. Hyde, une partie de son temps consiste à diriger une organisation des droits de l’homme et l’autre à militer au sein d’une organisation qui n’a aucun scrupule à assassiner, qui n’a aucun rapport avec les droits, bien au contraire, qui rejette le droit le plus fondamental de tous, sans lequel il n’y a pas d’autres droits, à savoir le droit à la vie… »

C’est précisément ce double visage des ONG palestiniennes, qui soutiennent des organisations terroristes comme le FPLP, avec lesquelles elles entretiennent des liens structurels étroits, que Le Monde dissimule à ses lecteurs, en occultant les arguments israéliens justifiant la décision visant les six ONG… Contrairement à l’affirmation de l’article, selon laquelle « Israël ne s’est pas estimé tenu d’apporter la preuve [de ses accusations] », les preuves en question ont été publiées à de nombreuses reprises par l’Etat hébreu. En 2019, un long document publié par le gouvernement israélien, intitulé de manière éloquente « Terroristes en costume », présentait ainsi les « liens entre les ONG qui font la promotion du BDS et les organisations terroristes », parmi lesquelles figurent, outre le FPLP déjà mentionné, le Hamas et le Djihad islamique.

 

 

Sur ce sujet important, comme sur d’autres, les lecteurs du Monde, autrefois considéré comme le « quotidien de référence » français, ne seront donc pas informés. Une fois de plus, la couverture de l’actualité israélienne par le quotidien du soir français est marquée par l’adoption croissante du « narratif » palestinien et de la sémantique antisioniste.

 

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Georges Brassens et la chanson israélienne, Pierre Lurçat

October 25 2021, 16:03pm

Posted by Pierre Lurçat

 

A Gabrielle,

amoureuse d’Israël

et de la culture française

Joyeux anniversaire!

 

Le double anniversaire de la naissance du chanteur français (né le 22 octobre 1921) et de son décès (le 29 octobre 1981) est l’occasion de nous pencher sur l’influence qu’il a eue sur la chanson israélienne, notamment au travers de traductions et d’adaptations de ses chansons par certains des plus grands auteurs-compositeurs et interprètes israéliens. Remarque préliminaire : les liens entre la culture israélienne et la France sont un vaste continent, qui reste encore à explorer…(1) Dans les années 1950 et 1960 notamment, de nombreux écrivains et artistes israéliens se sont rendus en France et ont traduit ou adapté en hébreu de nombreuses œuvres françaises, de la littérature classique à la chanson populaire.

 

La première version de “Banaï chante Brassens”, 1974

 

Parmi les artistes israéliens qui ont chanté des chansons inspirées de Brassens en hébreu, Yossi Banaï fait figure de précurseur. Après un séjour à Paris, Yossi Banaï devint l’un des promoteurs de la chanson française en Israël. En 1969, il produisit le spectacle, « Il n’y a pas d’amours heureux », spectacle qui fut entièrement consacré aux chansons de Georges Brassens. Son disque “Yossi Banaï chante Brassens”, sorti en 1974 et réédité par Ed-Harzi en 1997, reprend certains des titres les plus connus de Brassens, parmi lesquels Le Gorille, Chanson pour l’Auvergnat ou Le parapluie. Ces chansons ont été traduites et/ou adaptées en français par des artistes, paroliers ou écrivains talentueux tels que Naomi Shemer, Dan Almagor, ou Yaakov Shabtaï.



 



 

Outre Banaï, il faut mentionner d’autres chanteurs aussi variés que Corinne Allal (qui a notamment interprété une version adaptée d’Au bois de mon coeur, sous le titre Ey Sham baLev, traduction d’Ehoud Manor), ou encore Chava Alberstein. Cette dernière a ainsi interprété la chanson “Véyoyo gam”, adaptation israélienne de La femme d’Hector de Brassens, qui a aussi été chantée par la troupe Lahakat Ha-Nahal en 1958, sur des paroles de Dan Almagor (lesquelles n’ont rien à voir avec les paroles de La femme d’Hector).



 



 

La chanson Véyoyo Gam a connu un grand succès et été reprise également par Yardena Arazi et Ofra Haza en 1979 (regardez-les ici, c’est un régal!) (2). Plus récemment Shlomi Shaban a interprété une version israélienne de Trompe la mort, traduite par Uri Manor. Comment expliquer le succès non démenti des chansons et mélodies de Brassens auprès de si nombreux auteurs et interprètes israéliens, jusqu’à aujourd’hui? Je laisse la question ouverte aux suggestions de mes lecteurs, qui sont les bienvenues.

 

 

Pierre Lurçat

 

1. Lire notamment notre article “Les écrivains israéliens et la France, un amour partagé” et “David Shahar, un écrivain israélien amoureux de la Bretagne”, repris dans mon livre Israël, le rêve inachevé.

2. Voir l’excellent blog Obegshabbat auquel nous avons puisé de précieuses informations. https://onegshabbat.blogspot.com/2011/04/blog-post_07.html


 

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Qui veut la peau du député français Meyer Habib? Un article aux relents antisémites signé France-Inter, Pierre Lurçat

October 21 2021, 06:43am

Posted by Pierre Lurçat


 

Les sites antisémites les plus radicaux du Web francophone ne s’y sont pas trompés. “L’étau se resserre autour de Meyer Habib”, titre ainsi “Egalité et Réconciliation”, le site du très sulfureux Alain Soral, tandis que le site islamiste Oumma.com titre avec moins d’emphase : “Positionnement pro-Likoud, actionnaire de sociétés non déclarées en France: une enquête de France Inter sur Meyer Habib”. En fait d’enquête, il s’agit d’un article publié sur le site de France-Inter le 15 octobre dernier, et pompeusement signé par la “Cellule Investigation de Radio France”.

 



 

Cette “cellule d’investigation” n’a pas eu besoin d’investiguer très loin : son papier est une compilation d’informations connues de tous et glanées sur le Net, pour lesquelles les journalistes de Radio France ont simplement demandé des commentaires, exclusivement à charge, auprès de certains anciens diplomates israéliens et de concurrents de Meyer Habib aux élections législatives. Drôle de conception de l’investigation.

 

Ainsi, les liens amicaux entre Habib et l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou n’ont rien d’une information (et encore moins d’un scoop), puisqu’ils sont affichés au grand jour par les deux protagonistes et connus de tous depuis de nombreuses années. Ce qui n’empêche pas France Inter d’écrire que “[Meyer Habib] a longtemps été le relais à l’Assemblée et à l’Elysée [de Nétanyahou], quitte à  s’opposer aux positions diplomatiques françaises”.

 

Meyer Habib (à gauche), avec E. Macron et B. Nétanyahou

 

La belle affaire! Depuis quand un député français est-il obligé de s’aligner sur la politique étrangère de son pays? A moins que ce député ne s’appelle Meyer Habib et qu’il ne soit Juif… Le mot n’est pas prononcé, mais l’accusation de double allégeance est en arrière-plan de l’article de France Inter à chaque ligne. Il n’est pas même besoin de lire entre les lignes… “Imaginer un seul instant que Benyamin Nétayahou puisse révéler à Meyer Habib des secrets qu’il ne faut pas dire, c’est extrêmement troublant et déstabilisant”, explique ainsi Elisabeth Garreaut, ancienne élue consulaire proche de LREM.

 

Accusation reprise par un ancien diplomate israélien à Paris, Danny Shek. Hormis ces deux personnalités, toutes les sources de France Inter sont anonymes (si tant est qu'elles existent vraiment). “Un ministre de l’époque, proche du chef de l’Etat”, “Une personnalité française, connue pour ses positions pro-palestiniennes”, “un cadre du Likoud”... En clair, il s’agit d’une enquête à charge fondée sur des témoignages anonymes (on aurait presqu’envie d’écrire, des “dénonciations anonymes”). 

Meyer Habib avec Emmanuel Macron (photo : site de France-Inter)



 

Un règlement de comptes aux relents antisémites

 

Les auteurs de cette “enquête” ne sont pas totalement inconnus dans le P.A.F.  Frédéric Métézeau a été correspondant de Radio France à Jérusalem. Il affirme dans une interview avoir le “goût de la nuance”, ce qui ne l’empêche pas de renvoyer dos-à-dos le Hamas, mouvement islamiste totalitaire, et “l’extrême-droite raciste” israélienne. Quant à Emmanuelle Elbaz-Phelps, elle est présentée par France-Inter comme une “journaliste franco-israélienne sur la chaîne publique Kan 11”. Elle collabore également au site Mediapart. Entre 2014 et 2016, elle a été attachée de presse à l’ambassade de France en Israël.  Double allégeance journalistique?

 

Les voeux de Meyer Habib pour Rosh Hachana, pièce à charge de l’enquête de France Inter

 

La question qui se pose est de savoir pourquoi cette enquête à charge est publiée aujourd’hui, et dans quel but. En tant que défenseur d’Israël à l’Assemblée nationale française, Meyer Habib ne manque certes pas d’ennemis. Pourquoi l’attaquer maintenant sur ses  relations avec le Premier ministre israélien Nétanyahou, alors que celui-ci est à présent dans l’opposition? Une explication possible est que cet article ait été publié en réaction à l’initiative courageuse du député Meyer Habib de diriger une commission d’enquête parlementaire sur les défaillances de la justice française dans l’affaire de l’assassinat de Sarah Halimi. 

 

Au cours des auditions de cette commission, l'avocat Nathanaël Majster a ainsi évoqué le risque d’une récidive de l’assassin de la sexagénaire d’origine juive, que la justice française a refusé de juger. Que le positionnement courageux de Meyer Habib dans l’affaire Halimi ait de quoi irriter certains membres de la justice française est évident. Que certains veuillent régler des comptes avec lui aux moyens d’une “enquête” aux relents antisémites est un peu plus étonnant. Mais quand il est question des Juifs en France, aujourd’hui, tout est possible.

 

Pierre Lurçat

La récente Guerre des dix jours entre le Hamas et Israël a déclenché une nouvelle vague d’hostilité envers l’Etat juif, accusé de commettre des crimes de guerre, d’opprimer les Palestiniens ou d’être un Etat d’apartheid. A travers ces accusations multiples et diverses se fait jour un discours structuré, élaboré depuis plusieurs décennies, celui de l’antisionisme contemporain, qui se décline autour de quelques thèmes majeurs.

Le présent ouvrage analyse l’antisionisme comme une véritable idéologie, pour en comprendre les ressorts et les failles. Il apporte un regard informé sur ce sujet, rendu encore plus brûlant par la crise du Covid-19, qui a ravivé les flammes de la haine envers les Juifs et Israël. Après avoir analysé les différents mythes de l’antisionisme contemporain, il esquisse l’espoir de dépasser l’antisionisme, en instaurant une nouvelle relation entre Israël et ses voisins.

Le rapprochement spectaculaire entre Israël et plusieurs pays arabes du Golfe – qui s’est récemment traduit par la signature des Accords Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn – illustre la reconnaissance véritable de l’existence du peuple Juif dans sa réalité historique et géographique, par plusieurs pays musulmans, reconnaissance lourde de conséquences.

La signification théologique de ces accords est en effet plus importante encore que leur portée politique et économique. A contre-courant de la théologie arabe de la substitution, ces accords permettront peut-être de détruire le fondement théologique de l’antisionisme musulman et d’inaugurer une nouvelle ère dans les relations judéo-arabes, porteuse d’espoir pour la région et pour le monde entier.


Table des matières


Introduction – L’antisionisme contemporain, une idéologie multiforme aux racines
anciennes
Chapitre 1 – Le mythe de la Nakba et la création de l’État d’Israël
Chapitre 2 – Le mythe du génocide du peuple palestinien
Chapitre 3 – Le mythe de l’État d’apartheid
Chapitre 4 – Le mythe du Shoah Business
Chapitre 6 – Le mythe du peuple palestinien souffrant
Conclusion : dépasser l’antisionisme?

Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain. Pierre Lurçat. Éditions l’éléphant – Jérusalem 2021.

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

Les demandes de service de presse doivent être adressées à pierre.lurcat@gmail.com

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Le cinéma israélien et la guerre : “Image of Victory” d’Avi Nesher, un chef d’œuvre, Pierre Lurçat

October 17 2021, 11:56am

Posted by Pierre Lurçat

 Le cinéma israélien et la guerre :  “Image of Victory” d’Avi Nesher, un chef d’œuvre, Pierre Lurçat

 

Le cinéma israélien, tel Janus, possède une double face. D’un côté, il y a le cinéma fait par des Israéliens qui n’aiment pas leur pays et qui font de leur désamour (ou de leur haine de soi) un argument commercial pour promouvoir leurs films - souvent médiocres - auprès d’un public occidental antisioniste, acquis d’avance à leurs thèses masochistes et défaitistes. Dans cette catégorie, qui obtient régulièrement des Lions d’Or à Berlin et des Prix à Cannes, on trouve certains films d’Amos Gitaï, de Samuel Maoz et, plus récemment, de Nadav Lapid, palme d’Or toutes catégories de l’auto-dénigrement.

 

La seconde face du cinéma israélien est celle de réalisateurs souvent méconnus en Europe et ailleurs, qui n’ont pas vendu leur dignité et leur fierté nationale pour un plat de lentilles et dont les films abordent des thèmes bien différents. Avi Nesher est un des représentants les plus talentueux de cette face lumineuse du septième art israélien. Né en 1953 à Ramat-Gan, de parents rescapés de la Shoah, il est l’auteur d’une vingtaine de long-métrages. Son dernier film, “Tmounat Nitsahon” (Image of Victory) est sans doute le plus abouti d’une œuvre riche et variée.



 

Une des scènes les plus drôles d’Image of Victory

 

Nesher y relate l’histoire tragique du kibboutz Nitsanim pendant la guerre d’Indépendance, alors que le village arabe voisin abrite un bataillon de volontaires égyptiens des Frères musulmans, qui vont tenter par tous les moyens d’éradiquer la “colonie” juive et d’apporter au Roi Farouk “l’image victorieuse” dont il a besoin pour sauver sa réputation. Cet épisode est raconté à travers le récit d’un jeune cinéaste égyptien, Hassanin, venu filmer la bataille et qui se remémore ces événements dramatiques, trente ans plus tard, au moment de la signature des accords de Camp David (1).


 

 

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Le cinéma israélien face à la guerre

 

La qualité du film de Nesher tient notamment à la méthode narrative originale et au talent de ses interprètes, parmi lesquels il faut citer le jeune Amir Khoury, et bien entendu l’actrice principale, Joy Rieger, habituée des films de Nesher (on a déjà pu la voir dans Sipour Aher (Other Story) en 2018 et dans Ha-hatayim (Past Life) en 2016. Dans Image of Victory, Rieger se révèle comme une grande actrice et c’est elle qui donne au film une grande partie de son intensité dramatique. A travers le personnage de Mira ben Ari, c’est tout l’héroïsme des femmes combattantes d’Israël qui est racontée dans le film, peut-être pour la première fois. L’histoire de la participation féminine aux guerres d’Israël est en effet un sujet rarement abordé dans le cinéma israélien.

 

Joy Rieger aux côtés d’Avi Nesher, sur le tournage de Sippour Aher



 

Outre ses grandes qualités cinématographiques, Image of Victory est ainsi l’occasion pour Nesher de rétablir la vérité historique, en adoptant délibérément un ton dénué de tout pathos, mais sioniste et patriote. Il n’est pas anodin que son film porte précisément sur la Guerre d’Indépendance - guerre qui vit s’affronter la jeune armée israélienne face aux armées de cinq pays arabes, combat de David contre Goliath, aujourd’hui largement oublié par le cinéma israélien, qui préfère en général parler de guerres moins héroïques (à ses yeux au moins) et des problèmes de conscience du soldat israélien, au lieu de porter aux nues l’héroïsme des fondateurs de notre pays. 

 

Face à la réalité de la guerre imposée à Israël depuis 1948, le cinéma israélien a en effet souvent adopté une attitude simpliste de dénonciation ou d’auto-critique, surtout depuis 1973. Selon certains commentateurs, Image of Victory entrerait dans la catégorie des films anti-guerre, se plaçant dans la lignée des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick (2). Rien n’est plus éloigné de la vérité : Nesher n’a pas fait un film contre la guerre, mais un film qui dépeint la guerre d’Indépendance dans toute sa grandeur tragique.

Capra : un cinéma de guerre engagé
 

Dans un passage clé du film, le jeune cinéaste égyptien fait l’éloge du film de Capra, Pourquoi nous nous battons, tourné en 1943 pour expliquer l’engagement américain dans la guerre. En réalité, ce n’est pas Hassanin qui s’inspire de Capra, en filmant des volontaires égyptiens dont l’engagement n’a rien d’héroïque, mais c’est Nesher lui-même, renouant ainsi avec la tradition d’un cinéma de guerre patriote et humaniste, qui décrit avec humanité les soldats des deux côtés, sans tomber dans le pacifisme et le défaitisme.

 

En ramenant sous le feu des projecteurs la période glorieuse de l’Indépendance, Nesher tord aussi le coup aux adeptes du narratif mensonger de la “Naqba”, aujourd’hui adopté par de larges secteurs de l’establishment culturel et politique israélien. Son film n’est pas seulement un chef d’œuvre sur le plan cinématographique, mais aussi une œuvre de justice et de vérité sur le plan historique. Un film qui mérite d’entrer au Panthéon du septième art israélien. 

Pierre Lurçat

1. Personnage inspiré du journaliste égyptien Mohamed Hassanein Heikal.

2. Voir https://www.jpost.com/israel-news/culture/avi-neshers-image-of-victory-is-a-triumph-of-cinema-review-680175 


 

 

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Joy Rieger dans un précédent film d’Avi Nesher, Past Life


 

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Angela Merkel, l’Allemagne et Israël : une amitié parfaite?

October 12 2021, 11:40am

Posted by Pierre Lurçat

 

“L’amitie entre Israël et l’Allemagne” célébrée par les médias ces jours-ci, alors que la chancelière Angela Merkel effectue une “visite’d’adieu” en Israël, est un sujet complexe, qui mérite sans doute mieux que les slogans et expressions hâtivement employées pour caractériser la relation entre les deux pays. A de nombreux égards, les relations entre Israël et l’Allemagne - qui n’ont pas toujours été aussi amicales en apparence qu’aujourd’hui - en disent long sur les motivations cachées de chacun des protagonistes, tant du côté juif que du côté allemand. 

 

Elles sont marquées par le souvenir de la Shoah qui demeure omniprésent, de manière parfois visible et souvent superficielle, et parfois souterraine et plus profonde. En 1953, lorsque David Ben Gourion a signé l’accord de réparation avec Adenauer, Israël était plongé dans un débat public et politique dont on a oublié aujourd’hui la virulence. Avec le recul, il est probable que la position du Vieux Lion - fondée sur le pragmatisme absolu et sur la nécessité de recevoir l’argent des réparations - était la bonne, et non celle du chef de l’opposition, Menahem Begin, reposant sur des arguments purement moraux (aussi fondés qu’ils aient été). Ce débat entre Realpolitik et morale se poursuit jusqu’à nos jours (1).

 

M. Begin lors des manifestations contre l’accord de réparation, Tel-Aviv 1952

 

Pendant ses 16 années au pouvoir, Angela Merkel a fait du droit d'Israël à se défendre face à ses ennemis l'une des priorités de la politique étrangère de l'Allemagne, dont le pays, sous le nazisme, est responsable de la Shoah, le génocide juif”. Cette affirmation tirée d’une dépêche de l’AFP est évidemment simplificatrice et trompeuse. Aucun pays au monde, sauf peut-être l’Amérique de Donald Trump, n’a jamais fait du droit d’Israël à se défendre une priorité de sa politique étrangère.

 

Le journaliste israélien Eldad Beck, longtemps correspondant en Allemagne du journal Yediot Aharonot, puis d’Israël Hayom, est un des meilleurs connaisseurs des relations bilatérales actuelles entre les deux pays. Comme il l’expliquait récemment (2), il “faut comprendre que l’Allemagne n’est pas Merkel”. Pendant les 16 années de ses mandats de chancelière, elle a en effet le plus souvent été alliée au parti social-démocrate, qui défend des conceptions largement anti-israéliennes.

 

C’est le parti social-démocrate qui était à la tête du ministère des Affaires étrangères et de celui de la Coopération internationale, tous deux bastions d’une politique pro-palestinienne affirmée. C’est ainsi que l’Allemagne, sous la présidence de Merkel, a pu financer des ONG anti-israéliennes, qui sont le fer de lance du combat contre l’Etat juif sur la scène politique et médiatique internationale, notamment au moyen du fameux “Lawfare”, devenu une des armes les plus efficaces des ennemis d’Israël.



 

“L’Allemagne n’est pas Merkel”

 

La confusion dénoncée par Eldad Beck entre l’amitié personnelle d’Angela Merkel et la politique de l’Allemagne tient à des raisons multiples. L’une d’entre elles est le fait que l’Etat juif n’a pas encore su élaborer une politique étrangère digne de ce nom, oscillant entre une politique mue par la seule raison d’Etat (sur la question arménienne par exemple) et une politique dictée uniquement par les sentiments, et notamment par le vieux complexe d’infériorité juif, hérité des longs siècles de l’exil.

 

Pendant l’exil en effet, la politique des communautés juives était motivée par le souci d’entretenir de bon rapports avec les souverains, pour qu’ils deviennent les “protecteurs des Juifs”, parfois contre leurs propres sujets animés d’intentions hostiles (3). C’est cette politique de la survie en exil qui perdure parfois jusqu’à nos jours, à travers la politique étrangère de l’Etat juif, qui se comporte à certains égards comme le “Juif des Etats”, en cherchant à tout prix la protection et l’amitié des chefs d’États puissants (Etats-Unis, Allemagne, etc.), parfois au détriment de ses intérêts bien compris, confondant ainsi les relations inter-personnelles entre dirigeants et les relations étatiques.

 

Merkel à Yad Vashem: une légitimité fondée sur la Shoah?



 

Sur ce sujet crucial, comme sur d’autres, la révolution sioniste n’est pas terminée car, comme le disait un dirigeant israélien, il est “plus difficile de faire sortir le ghetto du Juif que de faire sortir les Juifs du ghetto”... La politique étrangère d’Israël comporte encore un reste de la mentalité exilique, toujours présente dans l’éthos politique israélien. On en donnera pour exemple le fait que le passage obligé de chaque dirigeant étranger en visite en Israël (pas seulement allemand) soit à Yad Vashem, comme si la légitimité de la présence juive en terre d’Israël était fondée sur les crimes de la Shoah...

 

Israël n’a pas encore suffisamment assis sa présence sur la scène internationale en tant que puissance régionale, et se comporte encore trop souvent comme un pays peu sûr de lui et très peu dominateur, pour utiliser les qualificatifs d’un dirigeant français. L’Etat juif, “siège de la Royauté divine dans le monde” selon l’expression du Rav Kook, n’a pas encore achevé la transformation du Juif de l’exil en Hébreu et la transformation de l’Etat juif en Etat fort, pleinement souverain, porteur de la Parole divine et Lumière des Nations.

Pierre Lurçat

 

1. L’ancien ambassadeur ouest-allemand en Israël Niels Hansen parlait quant à lui d’une “Realpolitik morale”. Voir l’article intéressant de Dominique Trimbur, “« Des relations normales au caractère particulier » : La RFA, Israël et le Moyen-Orient dans les années 1980”, Allemagne Aujourd’hui, 2016/1.

https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2016-1-page-205.htm#re18no18

2. https://hamodia.com/prime/israeli-journalist-confronts-truth-germany/

3. comme le relate l’historien Yossef Haim Yerushalmi dans son beau livre Serviteurs des rois et non des serviteurs

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Mon dernier livre, Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, a été récemment publié aux éditions L’éléphant. Il est disponible sur Amazon et dans les bonnes librairies françaises d’Israël.



 



 

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Sadate à Jérusalem – le « faux Messie » de la paix

October 7 2021, 12:20pm

Posted by Pierre Lurçat

40 ans après l'assassinat de Sadate, le narratif du "soldat de la paix" s'est imposé. Dans l'extrait suivant de mon livre La trahison des clercs d'Israël, je présente une vision iconoclaste du dirigeant arabe qui avait compris, bien avant les autres, quel était le talon d'Achille d'Israël. P.L.

 
image.png
Sadate (à droite)

Le premier à avoir compris, dans le camp arabe, la transformation qu’avait subie l’État d’Israël au lendemain de la « guerre d’octobre » fut Anouar Al-Sadate. Un certain discours le présente aujourd’hui, à l’instar de Rabin, comme un « faucon devenu colombe ».

Mais ce raccourci journalistique est faux et trompeur, pour l’un comme pour l’autre. Il faut relire le dernier discours de Rabin à la Knesset [1] pour comprendre qu’il n’a jamais renié son passé ; et il faut relire le discours de Sadate à Jérusalem, pour comprendre qu’il est lui aussi resté fidèle à ses engagements et à sa vision, conforme à la doctrine politique de l’Égypte établie depuis la Révolution des officiers libres en 1952.

Le plus farouche ennemi d’Israël, admirateur d’Hitler dans sa jeunesse[2], ne s’est pas transformé du jour au lendemain en ami des Juifs : il a tout simplement compris que la meilleure façon de vaincre Israël était de se servir de la paix comme d’un cheval de Troie pour affaiblir et diviser l’opinion israélienne, et pour obtenir par la négociation ce que les armées arabes n’avaient pu remporter sur les champs de bataille. 

 

D’une société idéaliste à une société individualiste

Un des ouvrages qui a le mieux décrit cette transformation en Israël est celui d’un sociologue de l’université de Haïfa, Oz Almog [3], qui a montré le passage d’une société idéaliste et collectiviste (celle de la génération de 1948 ou « génération de l’État ») à une société plus matérialiste et individualiste, celle de l’après-guerre de Kippour.

Cette transformation a pris des formes multiples, touchant tous les domaines de la société et de la vie publique et privée (les médias, les arts, les rapports hommes-femmes, etc.). Mais c’est dans le domaine politique que ses conséquences ont été les plus marquantes.

Le soldat des guerres d’Indépendance et des Six jours, animé par l’énergie du désespoir (celle des combattants de 1948, dont beaucoup sont tombés les armes à la main face à un ennemi supérieur en nombre mais beaucoup moins motivé ; et celle des soldats de 1967, conscients de protéger leur pays contre la menace d’extermination proférée par Nasser) s’est transformé en un soldat fatigué de se battre, qui doutait de la justesse de sa cause.

Ces doutes sont apparus au grand jour dès le lendemain de la guerre de Kippour et ont culminé lors de la Première Guerre du Liban, en 1982. Sadate avait bien compris ce sentiment de lassitude animant la société israélienne lorsqu’il est venu à Jérusalem, non pas pour offrir une « paix des braves », selon l’image d’Epinal, mais pour exiger d’Israël qu’il accepte toutes ses conditions.

Ce faisant, il a fixé le dangereux précédent de la « paix contre les territoires », paradigme trompeur accepté par Israël qui subsiste jusqu’à ce jour.

Le faux Messie de la paix, hier et aujourd’hui

Dans son beau livre Être Israël, publié en France quelques mois après les accords de Camp David [4], le journaliste Paul Giniewski raconte trente années de reportages et de voyages en Israël, de 1948 à 1978.

Avec talent et justesse, il décrit l’euphorie qui a gagné la société israélienne lors de la visite de Sadate à Jérusalem. Dans un chapitre intitulé « 1977 : brève rencontre avec le Messie », il relate ses sentiments mitigés à l’écoute du discours de Sadate devant la Knesset :

« J’écoute. Ma déception augmente. Le mot paix revient de plus en plus souvent : [Sadate :] « Je prononce le mot paix, et que la miséricorde de Dieu tout-puissant soit sur vous, et que la paix vienne pour nous tous. Paix sur toutes les terres arabes, et paix sur Israël ! ».

Mais en même temps, l’accusation devient de plus en plus précise. Sadate est venu à la Knesset pour dénoncer Israël ! (…) Je viens d’entendre ce qui, chez les Arabes, fait l’unanimité des modérés et de ceux du camp du refus. Les uns réclament la destruction d’Israël. Les autres acceptent son existence, au prix de concessions qui conduiront à sa destruction : la restitution des territoires, un État palestinien. La différence est dans les mots, dans le style, mais pas dans le but final. .. »

Et Giniewski rapporte aussi les mots de Golda Meir, la dame de fer d’Israël, interrogée sur les accords de Camp David par un journaliste, qui lui déclare : « Sadate et Begin méritent le prix Nobel de la paix ». Elle sourit : – « Peut-être aussi l’oscar du cinéma ? ». A la buvette du Parlement, où les députés se congratulaient avant le discours [de Sadate], je l’entends dire de sa voix désabusée : – Vous attendez le Messie ? Quand nous sommes allés au kilomètre 101 [5], [le général] Aharon Yariv négociait avec un officier égyptien. Nous avons aussi cru que c’était le Messie. Mes enfants, quand le Messie viendra, il ne s’arrêtera pas au kilomètre 101 ».

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Jourdain depuis lors, après l’assassinat de Sadate et celui de Rabin. L’euphorie née de la visite de Sadate à Jérusalem s’est depuis longtemps dissipée, et même la gauche israélienne, qui avait voulu faire d’Arafat un partenaire de paix, a dû déchanter.

Le Messie n’est pas venu à Camp David, ni à Oslo, et il n’a même pas appelé au téléphone, comme l’a chanté Chalom Hanoch. Mais le messianisme de la paix, lui, est bien vivant. Et toujours aussi dangereux, comme tous les faux Messies.

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016)

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[1] Le 5 octobre 1995, Rabin prononça un discours politique qui devait être son dernier devant le Parlement israélien (Knesset), dans lequel il exposa sa vision des futures frontières de l’État d’Israël après les accords d’Oslo.

Il y mentionna notamment son refus d’un retour aux « frontières de 1967 », l’importance de conserver des « blocs d’implantations » en Judée-Samarie et de maintenir le Jourdain comme frontière de sécurité et son refus de voir Jérusalem redivisée. Voir Dore Gold, « Rabin’s lats Knesset speech », Israel Hayom 2/11/2012.

[2] Voir à ce sujet la lettre adressée par Sadate à Hitler dans le journal cairote El-Moussaouar, le 18 septembre 1953 : « Mon cher Hitler, Je vous félicite du fond du cœur. Même s’il vous semble que vous avez été battu, en réalité vous êtes le vainqueur. Vous avez réussi en créant des dissensions entre le vieux Churchill et ses alliés, les fils de Satan. L’Allemagne vaincra car son existence est nécessaire à l’équilibre mondial. Elle renaîtra en dépit des puissances de l’Ouest et de l’Est. Il n’y aura pas de paix sans que l’Allemagne redevienne ce qu’elle a été…

Pour le passé, je pense que vous avez commis quelques fautes, comme d’ouvrir trop de fronts et [de ne pas avoir su parer à] l’imprévoyance de Ribbentrop face à l’experte diplomatie britannique. Mais ayez confiance en votre pays, et votre peuple réparera ces faux pas.

Vous pouvez être fier d’être devenu immortel en Allemagne. Nous ne serions pas surpris si vous y apparaissiez de nouveau ou si un nouvel Hitler se levait dans votre sillage. » (Lettre reproduite par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz dans Le radeau de Mahomet, Lieu Commun, 1983, réédité chez Flammarion en 1984).

[3] Farewell to Srulik – Changing Values Among the Israeli Elite, Zmora Bitan and Haifa University Press, 2004 [hébreu].

[4] Paul Giniewski, Être Israël, Stock 1978.

[5] Lieu où se déroulèrent les pourparlers de cessez-le-feu entre le général israélien Aharon Yariv et le général égyptien Gamassi qui mirent officiellement fin à la guerre de Kippour.

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