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morale et politique

Dans la tête d’un lecteur d’Ha'aretz (II) : Compassion pour Gaza et détestation des Juifs, Pierre Lurçat

June 3 2025, 07:30am

Posted by Pierre Lurçat

Hananel Guez portant la dépouille de son bébé

Hananel Guez portant la dépouille de son bébé

Dans notre précédente chronique de la folie ordinaire du journal Ha’aretz, nous avons relaté comment le quotidien des élites israéliennes jouait avec l’accusation de génocide comme un enfant joue avec des allumettes, contribuant ainsi – tout comme les intellectuels juifs qui reprennent ce narratif – à allumer le brasier de la haine antijuive en Occident et partout dans le monde. Dans la chronique d’aujourd’hui, nous voudrions donner un autre exemple de cette folie ordinaire.

 

Israël tout entier a pleuré en voyant la photo terrible de Hananel Guez, mari de Tsala h.y.d, lâchement assassinée par un terroriste arabe il y a deux semaines, portant en terre le linceul minuscule abritant la dépouille mortelle de leur fils, qui est décédé après que les efforts prolongés pour le sauver aient finalement échoué. Israël tout entier ? Non… Une petite frange radicale du public israélien préfère apparemment verser ses larmes sur les “enfants de Gaza” et réserve toute sa compassion à nos ennemis et à leurs enfants.

 

Le quotidien Ha’aretz donnait vendredi un exemple particulièrement cruel et révoltant de cette attitude inhumaine, qui se pare des vertus de la “compassion” sélective dont sont tellement friands les “belles âmes” de la gauche israélienne et juive. Dans sa chronique télévision en dernière page du quotidien, Roguel Halper se livre à un exercice de déshumanisation du père et mari endeuillé Hananel Guez, exercice qui ne dépareillerait pas les pages du Stürmer nazi ou de ses équivalents du monde arabo-musulman contemporain.

 

Les diffusions télévisées des oraisons funèbres lors de l’enterrement des colons de Judée-Samarie, victimes du terrorisme ou de la guerre, sont devenus l’équivalent fondamentaliste juif des sermons incitant à la haine des imams radicaux dans les mosquées le vendredi. Sous couvert de deuil, est diffusée une théorie raciale de suprématie juive kahaniste et messianiste. L’oraison funèbre prononcée par Hananel Guez lors de l’enterrement de son fils, le bébé Ravid Haïm, décédé deux semaines après l’attentat qui a coûté la vie à sa mère Tsala près de l’implantation de Bruchin, a été entièrement diffusée sur la 14e chaîne…

 

Cette oraison parlait du rêve de chasser tous les Arabes et de renforcer la vision du monde messianiste. “Alors que faut-il faire ?”, a-t-il demandé de manière provocatrice. “C’est très simple. Nous devons réaliser le transfert. De tous”. Il a appelé “tous les Arabes” à “partir à Honolulu” ou “sur la lune”, en rappelant à Nétanyahou que Trump expulsait les émigrants illégaux. On pouvait penser que de son point de vue, les Palestiniens habitants de Judée-Samarie sont tous les émigrants illégaux, mais en réalité c’est encore pire. Selon lui, ce sont des “bêtes sauvages” qu’aucun autre pays n’accepterait sur son territoire”.

 

“Alors qu’il portrait en terre son bébé, Guez n’a eu aucune compassion pour les enfants, les pères et mères des autres peuples, des autres familles… Il a appelé à exécuter sans délai “tous ces assassins”. Dans le studio, la représentante de l’organisation fasciste (sic) “Réservistes – génération de la victoire” a expliqué qu’au lieu de s’occuper d’un terroriste isolé, il fallait s’occuper de tout son village, de sa culture, en bref, de “tous ces assassins”...

 

Cet article – qui est conforme à la vision du monde de la plupart des journalistes de Ha’aretz et d’une grande partie de son lectorat (heureusement en forte diminution depuis le 7 octobre) – montre que la compassion est toujours sélective. Ceux qui éprouvent de la compassion pour les habitants de Gaza, pour ces “civils innocents” qui ont participé aux pogromes du 7 octobre et qui continuent de soutenir le Hamas jusqu’à ce jour, n’ont aucune compassion pour les victimes juives du terrorisme arabe. Pire : ils les détestent ouvertement, comme le démontre cette chronique de la folie ordinaire.

 

Le Talmud avait énoncé il y a longtemps cette vérité éternelle : “Celui qui a pitié des méchants est cruel envers les Justes”. C’est le cas du journal Haaretz et de tous ceux qui, en Israël comme à Paris, prétendent verser des larmes sur les “enfants de Gaza” tout en vilipendant les pionniers de Judée-Samarie. Comme l’écrivait récemment le linguiste Jean Slamovicz au sujet de Delphine Horvilleur, “cette victimisation des agresseurs” procède d’un “narcissisme vertueux” et d’une “arrogance morale” qui contribue à “renforcer l’antisionisme”. On ne saurait mieux dire.

J’invite mes lecteurs à continuer de signer la lettre ouverte / pétition que j’ai adressée à D. Horvilleur à ce sujet, ici : https://chng.it/nKbYJ9zmFm

 

P. Lurçat

Dans la tête d’un lecteur d’Ha'aretz (II) :  Compassion pour Gaza et détestation des Juifs, Pierre Lurçat

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“Tu Quoque BHL !” Réponse à Bernard-Henri Lévy, Pierre Lurçat

May 23 2025, 11:49am

Posted by Pierre Lurçat

BHL au Festival international des écrivains à Jérusalem

BHL au Festival international des écrivains à Jérusalem

 

Cher BHL,

 

Depuis le 7 octobre 2023, vous êtes devenu un modèle de solidarité juive et de soutien à Israël. Parmi les intellectuels juifs de France notamment, vous étiez un des seuls (le seul ?) qui êtes venu nous soutenir ici, sur place, dès le 8 octobre, toutes affaires cessantes, pour exprimer votre soutien inconditionnel et votre identification avec notre Etat et notre peuple, durement atteints par l’attaque monstrueuse du Hamas. J’ajoute que vous êtes sans doute un des rares intellectuels qui, loin de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, peut légitimement se targuer de savoir ce qu’est la guerre et d’avoir arpenté les champs de bataille contemporains, en Europe, en Afrique et ailleurs.

 

Votre courage et votre lucidité politique étaient encore plus marquants lorsque, dans le concert international de détestation d’Israël, de son gouvernement et de son Premier ministre, vous aviez déclaré (je cite de mémoire) qu’on “ne remplace pas un dirigeant en plein milieu d’une guerre existentielle”. Pour quelqu’un qui est comme vous un intellectuel de gauche, bien plus proche du fameux “camp de la paix” (qui n’a jamais apporté que des guerres et des souffrances à Israël) que du camp national, c’était non seulement une preuve de clairvoyance, mais aussi une preuve de courage.

 

Au vu de tout cela, votre dernière prise de position, lors du Festival international des écrivains à Jérusalem, n’est que plus étonnante et décevante. Vous écrivez notamment : “la question est de savoir s'il est permis ou non au défenseur d'Israël que je suis de critiquer, quand il le mérite, Israël. Elie Wiesel ou Emmanuel Levinas pensaient que non et soutenaient qu'une obligation de réserve incombe aux Juifs qui ne s'exposent pas aux risques de l'aventure sioniste. Et ainsi raisonnent ceux qui, ces jours-ci, reprochent à Delphine Horvilleur, Joann Sfar, Marc Knobel, ou à mon amie Anne Sinclair d'avoir pris la parole pour exprimer leur trouble face à la reprise des bombardements sur Gaza”.

 

Combien auriez-vous été mieux inspiré de suivre le noble d’exemple d’Elie Wiesel et d’Emmanuel Levinas, au lieu de vous ranger aux côtés de Delphine Horvilleur et cie ! Comment un intellectuel de votre trempe peut-il préférer la compagnie de ces derniers, dont le nom sera oublié dans quelques années ou décennies, à celui des premiers, dont l’œuvre continuera d’être lue et étudiée dans longtemps ? Mais le plus choquant dans votre discours, pour une oreille israélienne, n’est pas votre identification avec votre amie Anne Sinclair ou avec la rabbine Delphine Horvilleur. Il est dans la citation de votre propre livre, où vous écrivez que « le visage des enfants innocents tués dans les bombardements de Khan Younès ou de Rafah m'empêchait littéralement de dormir… »

 

Car voyez-vous, cher BHL, ce qui empêche des millions d’Israéliens de dormir, depuis le 7 octobre 2023, ce ne sont pas les visages des “enfants innocents de Gaza”, mais ceux de nos otages, ceux de nos soldats tombés au champ d’honneur, ceux des familles endeuillées, des pères et mères, des frères et sœurs, des jeunes fiancées et des orphelins qui ont rejoint l’immense “famille du deuil” (mispha’hat ha-she’hol)... Vous qui prétendez connaître et aimer Israël, vous auriez dû le savoir et le comprendre.

 

Le défenseur d’Israël intrépide que vous êtes (et que vous resterez, j’en suis certain) aurait dû s’imposer la retenue et le silence, au lieu de joindre votre voix éminente à celles de pitoyables figures médiatiques, qui ont rompu la vanne de la critique interne, au moment même où Israël fait face à une offensive politique, diplomatique et médiatique sans précédent, dont le principal instigateur n’est autre que votre président, Emmanuel Macron, qui bat tous les records d’hostilité à Israël, dans la longue histoire de trahison et de veulerie de la diplomatie française.

 

Oui, vous auriez dû vous retenir d’affirmer qu’”Il est monstrueux de donner à croire, par exemple, comme font les deux ministres d'extrême droite du gouvernement Netanyahou, qu'il n'y a pas de « civils innocents » à Gaza”. De tels propos sont une insulte à la vérité et à la justice ! Car voyez-vous, ce ne sont pas seulement “deux ministres d’extrême-droite” qui pensent qu’il n’y a pas de civils innocents à Gaza. C’est le constat de tout un peuple, y compris notre président, Itshak Herzog, que personne ne peut soupçonner d’être “d’extrême-droite”, qui avait déclaré au lendemain du 7 octobre que “c’est une nation tout entière qui est responsable” des crimes du Hamas.

 

C’est en réalité le témoignage unanime des otages libérés et des soldats de retour de Gaza : oui, que cela vous plaise ou non, tout Gaza est pro-Hamas, tout Gaza soutient les pogromes du 7 octobre ! Alors, il est facile de disqualifier ces témoignages, en se rangeant derrière les impératifs trompeurs d’une morale abstraite et coupée des réalités, comme votre collègue Alain Finkielkraut, qui avait eu le culot de reprocher à l’ex-otage Mia Shem d’avoir déclaré en revenant de Gaza que “tout Gaza est terroriste”! Nier le témoignage unanime des otages et des soldats, c’est une forme de négation de la Shoah du 7 octobre, ni plus ni moins. D’un intellectuel comme vous, nous sommes en droit d’attendre autre chose. 

Mais votre erreur la plus grave consiste à affirmer trouver “vertigineuse” « l'idée que l'on puisse avoir à choisir, un jour, surtout dans ce pays, entre la défense de ses frontières et la fidélité à ses valeurs ». Car la défense des frontières d’Israël, comme nous le savons tous encore plus depuis le 7 octobre, est la valeur suprême et sacrée. Cela, tout Israélien le sait aujourd’hui pour l’avoir appris dans sa chair, y compris les habitants des kibboutz de l’Hashomer Hatzaïr que vous avez visités. L’immense “Hilloul Hashem” (profanation du Nom divin) du 7 octobre sera réparé par le “Kiddoush Hashem” (sanctification du Nom divin) que le peuple d’Israël accomplit sous nos yeux, en rétablissant des frontières sûres, au Nord, sur le Golan (en occupant le Golan syrien), à l’Est et au Sud, à Gaza, et aussi en Judée-Samarie, cœur de notre héritage. Shabbat shalom.

P. Lurçat

NB Mon nouveau livre, L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, sort ces jours-ci. Il est disponible sur Amazon et B.O.D.

 

“Un ouvrage historique important dont le thème redevient d'actualite”.

 

Emmanuelle Adda, Actu J

 

Dans ce livre intitulé L’Étoile et le Poing Pierre Lurçat retrace une histoire très peu étudiée, soit le militantisme juif activiste.

Olivier Ypsilantis, Zakhor Online

 

L’important travail de Pierre Lurçat nous invite à aller beaucoup plus loin que la seule histoire des groupuscules d’autodéfense.

Emmanuel Legeard, historien

 

“Tu Quoque BHL !”  Réponse à Bernard-Henri Lévy, Pierre Lurçat

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Gaza : qui utilise l'arme de la faim ? Réponse à Delphine Horvilleur et à d’autres Juifs égarés

May 9 2025, 11:24am

Posted by Pierre Lurçat

Gaza : qui utilise l'arme de la faim ?  Réponse à Delphine Horvilleur et à d’autres Juifs égarés

 

Une enquête du quotidien Israel Hayom révèle que, contrairement aux accusations portées contre Israël par de nombreuses ONG et relayées par les médias occidentaux, l'aide humanitaire continue d'entrer à Gaza. Le Hamas ne se prive pas, de son côté, d'utiliser "l’arme de la faim", en s'appropriant depuis le début de la guerre l'aide humanitaire qu'il exploite cyniquement pour asseoir son pouvoir sur la population de Gaza, tout en refusant obstinément de libérer les civils israéliens pris en otage il y a plus de 18 mois.

 

Cette réalité largement occultée ne doit pas nous empêcher de poser la question : est-il légitime pour une démocratie, en guerre contre un ennemi aussi implacable que le Hamas, de vouloir contrôler l'aide humanitaire ? Israël est-il moralement fondé à ne pas laisser l'aide humanitaire parvenir aux mains de l'organisation islamiste radicale ? Pour répondre à cette question, il faut se répartir du regard simpliste et manichéen que posent trop souvent les médias sur la guerre à Gaza et sur ses conséquences pour la population civile

 

Comme l'avait dit jadis Golda Meir, si les Arabes déposaient les armes, il y aurait la paix. Mais si Israël dépose les armes, il cessera d’exister. Cela est d'autant plus vrai s'agissant du Hamas, qui porte l'entière responsabilité de la guerre actuelle et de la situation à Gaza. Chaque fois que l'on mentionne la question de l'aide humanitaire et de l'approvisionnement de Gaza, il faut rappeler cette vérité essentielle : il suffirait que le Hamas libère les otages (cruellement privés de nourriture et de traitements médicaux, en contravention avec toutes les règles du droit humanitaire, sans que les ONG ne s'en émeuvent) pour que la situation actuelle prenne fin.

 

Il est regrettable que des organisations juives comme JCall reprennent à leur compte le narratif mensonger du Hamas, en accusant Israël d'affamer la population de Gaza et en faisant porter la responsabilité de la situation actuelle au gouvernement israélien. Cette attitude est d’autant plus condamnable lorsqu’elle émane de personnalités juives qui prétendent exercer un magistère moral, à l’instar du rabbin Delphine Horvilleur qui accuse elle aussi Israël « d’affamer des innocents et de condamner des enfants » (sic). Comment espérer que le monde civilisé comprenne et soutienne Israël, si des personnalités juives reprennent à leur compte les pires calomnies de la propagande anti-israélienne ?

 

Le journaliste Guillaume Erner tombe dans le même travers lorsqu'il oppose, dans un récent billet d'humeur sur France Culture, l’idéal sioniste de la génération de Golda Meir au radicalisme du gouvernement israélien actuel. En réalité, la "dame de fer" d'Israël avait été elle aussi confrontée à un dilemme similaire à celui que le Hamas a imposé à Israël, dans la guerre cruelle qu’il a déclenchée le 7 octobre 2023.

 

C’était lors de la guerre de Kippour. Après le choc initial et la surprise de l’attaque conjointe syro-égyptienne, lancée le jour le plus sacré du calendrier juif, Israël se ressaisit et parvint à encercler la Troisième Armée égyptienne dans le désert du Sinaï. Celle-ci se trouva alors à court de provisions d’eau. Face aux demandes incessantes des Américains, pour qu’Israël laisse passer un ravitaillement pour les soldats égyptiens, Golda rétorqua : “Qu’ils nous rendent d’abord nos soldats prisonniers !” Et elle eut gain de cause.

 

Ce rappel historique montre que la réalité de la guerre est plus complexe que les raccourcis trompeurs des éditorialistes. Ceux qui prétendent s’inquiéter d’un “affaissement moral” ou qui dénoncent une “forme aseptisée de barbarie” soi-disant pratiquée par Israël se trompent et trompent leurs lecteurs. Car la guerre terrible dans laquelle le Hamas a entraîné Israël sur l'instigation de l'Iran, est la plus longue mais aussi la plus juste des guerres qu'Israël mène pour sa survie depuis 1948.

Pierre Lurçat

 

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Réponse à Frédéric Encel, qui accuse Israël d’être une « voyoucratie » et au CRIF qui cautionne ses propos

January 12 2023, 17:10pm

Posted by Pierre Lurçat

F. Encel recevant un Prix du Ministère français des Affaires étrangères : géopoliticien ou politicien?

F. Encel recevant un Prix du Ministère français des Affaires étrangères : géopoliticien ou politicien?

 

Cher Frédéric,

 

Tu me permettras de te tutoyer, en souvenir de notre ancienne amitié, lorsque nous étions étudiants à Paris et que tu n’avais pas encore entamé ton brillant parcours à l’institut de sciences politiques de Grenoble. A l’époque, nous partagions la même passion pour Israël et pour le sionisme, qui nous paraissait alors un idéal lointain. Trois décennies et demie plus tard, nos chemins ont divergé ; tu as mené ta carrière en France, qui t’a mené aux « sommets » de la géopolitique française, tandis que j’ai fait mon alyah et vis à Jérusalem depuis 30 ans.

 

Si je t’écris aujourd’hui publiquement, c’est parce que tu viens de publier sur le site du CRIF une interview dans laquelle – tout en revendiquant une « géopolitique humaniste » (sic) et en prônant une « Europe puissante » – tu qualifies Israël de « voyoucratie ». Je ne remets pas en question tes compétences de géopoliticien, que tu as prouvées en publiant plusieurs livres intéressants, depuis ta Géopolitique de Jérusalem que j’avais lue autrefois. Non, cher Frédéric, ce qui m’attriste et me choque, c’est la manière dont tu disqualifies le nouveau gouvernement israélien et voues aux gémonies notre petit pays, dans des termes qui conviendraient mieux au Monde diplomatique ou à L’Humanité qu’à un site communautaire juif (lequel aurait été mieux inspiré de ne pas laisser passer ces propos outranciers et insultants).

 

Car vois-tu, « voyoucratie » signifie, selon le Larousse, le « Pouvoir exercé par des voyous », ou le « gouvernement des voyous ». Est-ce vraiment ainsi que tu considères notre pays, la seule démocratie du Moyen-Orient, comme nous le proclamions alors, lorsque nous militions ensemble dans les rangs du Tagar, mouvement des étudiants juifs de France ? J’ai du mal à le croire. Je préfère penser que tu es, toi aussi, désinformé, à force de lire Le Monde et les autres médias français et que tu devrais venir plus souvent ici, au lieu d’asséner tes jugements à l’emporte-pièce depuis Paris.

 

Si l’envie te prenait de nous rendre visite, je pourrais te faire rencontrer Betsalel Smotrich, qui n’a selon toi « rien à faire au sein du gouvernement d’un État de droit » (depuis quand es-tu devenu l’autorité morale, habilitée à décider qui a le droit de siéger au gouvernement d’Israël ?) Tu constaterais que c’est un homme très intelligent et qui pourra sans aucun doute t’en apprendre beaucoup sur notre pays et sur notre Etat, que tu crois connaître. On peut certes ne pas partager ses opinions ou celles d’Itamar Ben Gvir, c’est ton droit le plus strict. Moi-même, en tant que traducteur et disciple de Jabotinsky, je peux comprendre ceux qui préféraient le Likoud d’autrefois à celui d’aujourd’hui. Mais je ne m’autoriserai jamais à insulter le gouvernement israélien comme tu le fais aujourd’hui.

 

Quant aux « actes tout à fait répréhensibles aux yeux de la loi israélienne » qu’auraient commis « Smotrich et Ben Gvir » selon toi, je te rappellerai ici quelques faits de notre jeunesse militante, puisque tu te permets de juger et de condamner sans appel les ministres du gouvernement de notre Etat. Quand nous étions tous deux militants du Tagar, branche étudiante du Betar, certains notables de la communauté nous qualifiaient aussi de « voyous ». A l’époque, tu savais bien que la justice était de notre côté, quand nous sifflions Robert Badinter au Vel D’Hiv, quand nous taguions « Arafat assassin » sur les murs, ou quand nous défilions fièrement avec le drapeau d’Israël dans les rues de Paris. Cela faisait-il de nous des « voyous » ?

 

Mais sans doute cette lettre est vaine, car tu évolues aujourd’hui dans des sphères bien différentes de celles que nous fréquentions jadis. Peut-être est-ce pour cela que tu te crois désormais autorisé à décider qui doit siéger dans le gouvernement israélien… et qui a la « compétence dans les domaines sécuritaires et/ou militaires » (quelles sont les tiennes pour écrire cela ?) J’ai appris que tu avais été nommé Chevalier de l’ordre du mérite et que tu avais reçu un « Grand Prix de géopolitique » décerné par le ministère des Affaires étrangères et que t’a remis le ministre en personne ! Je me suis laissé dire que tu entretenais des relations très amicales avec M. Le Drian, ce même ministre du quai d’Orsay qui « mettait en garde Israël contre le risque d’apartheid” » (« Oï a broch » aurait dit ma grand-mère).

 

Bien entendu, ceci ne justifie pas cela. On peut faire carrière en France, sans pour autant renoncer à ses convictions et à son passé. Il n’est plus nécessaire, comme à l’époque de Heine, de se convertir ou de renoncer à son identité pour être un bon Français. Qualifier Israël de « voyoucratie » ne t’apportera aucune distinction et aucun honneur (à moins que tu ne brigues le poste de ministre des Affaires étrangères ?) Je te prie donc, cher Frédéric, au nom de nos engagements et de notre lointaine amitié, de relire tes propos et de réfléchir à leur sens. L’erreur est humaine, mais comme tu le sais bien, « perseverare diabolicum ». Je terminerai par le salut traditionnel du Betar, dont tu n’as peut-être pas oublié le sens, celui de Yossef Trumpeldor, de Jabotinsky et des autres héros de notre jeunesse, Tel-Haï !


Pierre Lurçat

 

PS A Monsieur Yonathan Arfi, président du CRIF,

 

Est-ce vraiment le rôle du CRIF de publier des propos qui incriminent Israël et son gouvernement, surtout lorsqu’ils sont ceux d’un géopoliticien juif, considéré (à tort ?) comme pro-israélien ? Comment pourrez-vous encore protester quand les médias français insultent Israël et le qualifient de « démocratie illibérale » ou de « démocratie illusoire », si le CRIF lui-même cautionne le qualificatif de « Voyoucratie » apposé à l’Etat juif ? Et comment pensez-vous être accueilli par un ministre du gouvernement d’Israël lorsqu’il saura ce que vous publiez sur votre site ?

 

 

VERBATIM – LES PROPOS DE F. ENCEL SUR LE SITE DU CRIF

 

« Sur l’État hébreu, ce qui me préoccupe plus que la droitisation et le nationalisme – après tout, un nationaliste fervent, Begin, fit la paix avec l’Égypte, et un autre, Sharon, évacua toute la bande de Gaza – c’est la voyoucratie. Smotrich et Ben Gvir ont tenu des propos et commis des actes tout à fait répréhensibles aux yeux de la loi israélienne et, en outre, n’ont strictement aucune compétence dans les domaines sécuritaires et/ou militaires qu’ils prétendent révolutionner. Ces individus objectivement extrémistes n’ont à mon sens rien à faire au sein du gouvernement d’un État de droit, et pas davantage un Arié Derhy déjà lourdement condamné dans l’exercice de ses fonctions ministérielles et à nouveau mis en examen ! Jamais nulle part la voyoucratie n’est positive. »

L'entretien du Crif - Frédéric Encel, géopolitologue et essayiste : "Aux Européens d’avancer vers l’Europe puissance !" | Crif - Conseil Représentatif des Institutions Juives de France

F. Encel à la tribune d'une conférence du Tagar, 1992

F. Encel à la tribune d'une conférence du Tagar, 1992

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A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

June 19 2022, 07:14am

Posted by Pierre Lurçat

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

 

L’écrivain israélien A.B. Yehoshua est décédé alors que s’ouvrait en Israël la “semaine du livre”, la manifestation littéraire qui est aussi une grande “fête du livre”, qui vient clore le cycle des fêtes du printemps israélien. Il est aussi mort avant le shabbat où nous lisons la parachat Chela-Lekha, qui relate la faute des explorateurs. A certains égards, Yehoshua faisait partie, avec ses collègues Amos Oz et David Grossman, des « modernes explorateurs » que sont ces intellectuels israéliens qui n’ont eu cesse, depuis cinquante-cinq ans, de mettre en garde leur pays et ses dirigeants contre les dangers d’une « corruption morale » et de multiples catastrophes dont l’unique cause serait, selon eux, « l’occupation des territoires »

 

Disons d’emblée qu’A. B. Yehoshua fut le seul des trois (à ce jour) à accepter de remettre en cause la rhétorique apocalyptique et moralisante de « La Paix Maintenant », dont ils étaient devenus tous trois, à des degrés différents, les porte-parole patentés. En acceptant de se remettre en question pour rejeter la logique des « deux États » et de la création d’un « État palestinien » en Judée-Samarie, Yehoshua a fait preuve à la fois d’une tardive lucidité et d’une forme de courage, inhabituelle dans les sphères de la gauche israélienne. Il était en effet bien plus facile de répéter comme un mantra les slogans éculés de La Paix Maintenant et de gagner ainsi la sympathie des médias – en Israël comme à l’étranger – et le statut confortable et lucratif d’écrivains du « camp de la paix ».

 

« Camp de la paix » ? L’expression ferait sourire, si elle ne rappelait de sinistres souvenirs. Elle remonte – rappel historique pour les nouvelles générations nées après l’effondrement du Mur de Berlin – à l’Union soviétique et à ses satellites. Le « Mouvement de la paix » était dans l’après-guerre (pendant la guerre froide dont on a oublié aujourd’hui la signification) la courroie de transmission du PCUS et du communisme stalinien au sein des pays occidentaux et de leur intelligentsia, qui était déjà à l’époque le ‘ventre mou’ de l’Occident. L’expression est donc un héritage empoisonné du communisme stalinien et elle est tout aussi mensongère à l’égard d’Israël aujourd’hui, qu’elle l’était concernant l’Occident alors.

2.

 

Le livre que vient de publier Nili Oz (1), veuve de l’écrivain Amos Oz, sur son mari, intitulé Amos sheli, est d’une lecture agréable et instructive à la fois. On y découvre un jeune homme sensible et sûr de lui, qui a connu le succès dès son premier livre et a apostrophé publiquement tous les dirigeants israéliens, depuis David Ben Gourion jusqu'à Benyamin Netanyahou. Oz – né Klausner – est issu d’une famille bien connue de l'aristocratie sioniste de droite (son oncle était l'historien Yossef Klausner). Son départ au kibboutz Houlda, après le décès tragique de sa mère, fut l’occasion pour lui de “réévaluer” toutes les valeurs dans lesquelles il avait élevé.

 

En rejetant le monde intellectuel de la famille Klausner, il ne s’éloigna pas seulement de son père (dont il avait rejeté jusqu’au nom de famille). Il fit surtout cause commune avec ses professeurs de l’université hébraïque, Hugo Shmuel Bergman, fondateur avec Martin Buber de « l’Alliance pour la paix », qui prônait « une fraternité sentimentale entre Juifs et Arabes et le renoncement au rêve d’un Etat hébreu afin que les Arabes nous permettent de vivre ici, à leur botte… » (2), rêve utopique que ses parents considéraient comme totalement coupé du réel et défaitiste.

 

Dans son livre, Nili Oz qui fut la fidèle compagne d’Amos pendant soixante ans, se flatte que son mari ait été le premier à dénoncer “l’occupation” des territoires libérés en 1967, « avant Yeshayahou Leibowitz ». Effectivement, avec la ‘houtspa qui le caractérisait, le jeune Amos – âgé de moins de 30 ans – publia dans le quotidien Davar une tribune adressée au ministre de la Défense Moshé Dayan, pleine de verve et de fiel, affirmant que « nous n’avons pas libéré Hébron et Ramallah… nous les avons conquis ». Et il poursuivait : « l’occupation corrompt » (expression devenue un slogan de la gauche israélienne après 1967), « même l’occupation éclairée et humaine est une occupation ».

 

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

3.

 

Ad repetita… Aujourd’hui comme jadis, lors des débuts de notre histoire nationale et de la première conquête d’Eretz-Israël au temps de Josué (livre de la Bible qu’une ministre de la Culture prétendit bannir à l’époque des accords d’Oslo), une poignée de membres de l’élite de notre peuple se sont érigés en donneurs de leçons, en « nouveaux égarés du désert », comme l’écrivait le regretté André Neher en 1969. Avoir donné au terme biblique de « Kibboush » une connotation péjorative n’est pas le moindre péché de ces modernes explorateurs, qui ont instillé la peur dans l’esprit des Israéliens et les ont fait douter de la justesse de notre présence sur cette terre.

 

Ironie de l’histoire : l’Israël d’avant 1967 était lui aussi le fruit d’une (re)conquête et d’une victoire militaire – celle de 1948 – et la plupart des kibboutzim de l’extrême-gauche, de l’Hashomer Hatzair et du Mapam, étaient bâtis sur les ruines de villages arabes, comme Amos Oz le rappelle sans sourciller, en évoquant le kibboutz Houlda de sa jeunesse. Les pionniers de Judée-Samarie après 1967, eux, n’ont détruit aucun village arabe pour construire leurs maisons. Si « l’occupation corrompt », alors pourquoi s’arrêter à celle de 1967 et ne pas remonter jusqu’à 1948 ?

 

Les plus conséquents parmi les chantres du pacifisme israélien, comme Martin Buber, ont poussé leur funeste logique jusqu’à l’absurde, en affirmant que l’idée même d’un État national juif en Eretz-Israël était immorale. En réalité, comme le rappelait Jabotinsky il y a cent ans, en répondant aux pacifistes de son temps, « La paix avec les Arabes est certes nécessaire, et il est vain de mener une campagne de propagande à cet effet parmi les Juifs. Nous aspirons tous, sans aucune exception, à la paix ». Toutefois, comme il l’écrivait dans son fameux article « Le mur de fer », la question d’un règlement pacifique du conflit dépend exclusivement de l’attitude arabe. Propos qui demeurent d’une brûlante actualité jusqu’à ce jour.

P. Lurçat

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

1. Nili Oz, Amos Sheli, Keter 2022.

2.  Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Gallimard 2004, p. 21.

 

Le quatrième volume de la Bibliothèque sioniste, consacré aux textes de Jabotinsky sur la question arabe en Israël et intitulé Le mur de fer. Les Arabes et nous, paraîtra dans les prochaines semaines.

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Les facteurs moraux dans la politique étrangère d’Israël

June 15 2022, 07:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

La conférence organisée mardi 7 juin par le Jewish People Policy Institute, think tank basé à Jérusalem, abordait un sujet important : celui des facteurs moraux dans la politique étrangère de l’État d’Israël. L’intitulé exact de la conférence était “L’Ukraine comme fable: les facteurs moraux dans la politique étrangère d’Israël”, mais les exemples abordés par les différents intervenants dépassaient le seul cadre de la guerre en Ukraine. Parmi ceux-ci, la “guest star” était Tamir Pardo, ancien patron du Mossad entre 2011 et 2015.

 

Ce colloque passionnant permit ainsi au grand public, entre autres, de découvrir le visage et les opinions de l’ancien patron du Mossad. Dans son intervention, après avoir souligné la complexité du sujet, il n’hésita pas à porter un regard parfois très critique sur la politique étrangère israélienne, sur des dossiers aussi sensibles que le Hamas, les relations avec la Turquie ou le génocide arménien (imagine-t-on une attitude semblable de la part d’un ancien responsable des services secrets français?)

 

Tamir Pardo



 

Évoquant la décision dramatique de libérer 1000 terroristes - dont de nombreux assassins condamnés - contre le soldat israélien Gilad Shalit  (dont les conséquences furent catastrophiques), décision prise pendant son mandat et vraisemblablement contre son avis, Pardo s’est interrogé : pourquoi la suprématie accordée aux valeurs “morales” (d’ailleurs très discutables) dans l’affaire Shalit, par rapport aux intérêts politiques et stratégiques, ne se retrouve pas dans d’autres dossiers, comme celui du génocide arménien?

 

L’État d’Israël face au génocide arménien 

 

Sur ce sujet important, et rarement évoqué en Israël, Pardo a rappelé qu’Israël persiste jusqu'à ce jour dans son refus de reconnaître le genocide arménien, en arguant de la préséance donnée aux relations avec la Turquie, alors que celle-ci ne se prive pas de soutenir ouvertement les ennemis les plus radicaux de l’État juif et d’abriter sur son territoire le Hamas et ses mouvements affiliés, comme cela était apparu notamment lors de l’affaire du Marmara.

 

Abordant la guerre en Ukraine, Pardo a là aussi critiqué la politique “réaliste” de l’État hébreu, rappelant qu’Israël n’avait rejoint les condamnations internationales de l’agression russe qu’à la suite de pressions américaines, et que l’État juif s’abstenait néanmoins de participer aux sanctions internationales contre la Russie de Poutine, à l’exception des seules sanctions bancaires. En présentant le colloque, la directrice générale de l’Agence juive Amira Aharonowitz avait rappelé qu’Israël s’était posé la question de savoir si son aide humanitaire devait concerner uniquement les Juifs, ou l’ensemble des réfugiés. 

 

Dans son intervention, Tamir Pardo mentionna également ce dilemme (classique dans l’histoire juive) et conclut qu’une morale qui ne concernait que les Juifs n’était pas une morale authentique. En écoutant l’ex-patron du Mossad parler des “facteurs moraux de la politique étrangère israélienne”, je me suis fait la réflexion qu’Israël avait encore du chemin à faire pour trouver la voie étroite entre une “Realpolitik” qui ferait fi de toute considération morale, d’une part, et une politique motivée par de pures considérations morales angéliques qui ferait fi des réalités, d’autre part. L’expérience des 70 années d’existence étatique montre que l’État juif a souvent oscillé entre ces deux extrêmes, et qu’il a donné parfois dans un excès d’angélisme et de moralisme et parfois dans un excès de RealPolitik. La politique étrangère d’Israël, avec ses réussites et ses échecs, est encore un domaine en friche.


Pierre Lurçat

 

NB J’ai abordé le même thème lors d’un colloque organisé il y a deux ans par la Loge Robert Gamzon du Bnai-Brith à Jérusalem

 

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La guerre en Ukraine et la souffrance des poissons, Pierre Lurçat

March 2 2022, 08:18am

Posted by Pierre Lurçat

Des militaires ukrainiens se préparent à la riposte dans la région de Lougansk

Des militaires ukrainiens se préparent à la riposte dans la région de Lougansk

1.

Après plusieurs décennies de calme à l’intérieur des frontières de l’Europe, l’invasion russe en Ukraine a fait l’effet d’un coup de canon dans un ciel serein. Ce qui a volé en éclats avec l’offensive militaire russe est avant tout le rêve utopique d’une “paix perpétuelle”, sur lequel repose largement l’idée européenne née après 1945… Pour comprendre comment l’Europe a pu se laisser endormir ainsi, il suffisait de lire la “Une” du quotidien Le Monde daté du 25 février, consacrée à l’invasion russe de l’Ukraine, juste en dessous de laquelle se trouvait un article portant ce titre presque surréaliste : “Briser le silence sur la souffrance des poissons”.

 

 

Ce que signifie cette juxtaposition digne de Prévert, c’est que l’Europe est aujourd’hui largement coupée des réalités du monde, après avoir longtemps vécu dans une sorte d’utopie, où les sujets véritables (guerre, immigration, islam…) étaient le plus souvent escamotés, au bénéfice de débats idéologiques (Wokisme, féminisme radical, etc.) ou d’innocentes utopies, comme la question de la souffrance animale. De ce point de vue, les événements dramatiques actuels sont l’occasion de redescendre sur terre et de revenir à la dure réalité.

 

 

2.

“Est-ce bon pour les Juifs?” A la vieille question qui accompagne chaque événement de l’histoire mondiale, les réponses ne sont aujourd’hui pas unanimes. Un argument que l’on entend souvent ces derniers jours consiste à attribuer aux Ukrainiens actuels les crimes de leurs grands-parents. Vladimir Poutine ne s’est pas privé d’utiliser ce vieux poncif de la politique communiste, hérité de l’Union soviétique (n’oublions pas qu’il fut agent du KGB pendant de longues années, celles de sa formation idéologique), en interpellant sans vergogne  les Occidentaux : “Vous soutenez les nazis?”

 

Poutine, une petite personne qui se prend pour un grand empereur" - rts.ch  - Monde

Poutine officier du KGB

 

La question de l’attitude du peuple ukrainien pendant la Shoah est un sujet important, mais qui n’a aucun rapport avec le conflit actuel (de même que la question de Vichy ne devrait pas jouer un quelconque rôle dans le débat électoral français). Les régimes qui transforment l’histoire en enjeu idéologique et politique ne sont en général pas des régimes démocratiques, ou bien ce sont des démocraties gangrenées par l’idéologie dominante, ou par d’autres maladies actuellement très répandues.

 

En 1914, alors que le souvenir des pogromes d’Ukraine et de Russie était encore très vivace, Jabotinsky eut l’intuition que le mouvement sioniste devait s’allier avec l’Angleterre et la Russie contre les empires centraux, pour faire avancer la cause sioniste. Cette intuition s’avéra entièrement fondée, mais il eut beaucoup de mal à la faire accepter par les autres dirigeants juifs, foncièrement hostiles à toute alliance avec la Russie honnie. Ce que démontre cet exemple – parmi de nombreux autres – c’est que le souvenir des malheurs passés du peuple Juif ne doit pas servir de boussole exclusive pour déterminer sa politique au jour le jour.

 

3.

Ce qui nous amène à la position d’Israël dans le conflit en Ukraine. La valse-hésitation des dirigeants israéliens en dit long – au-delà de l’amateurisme démontré par le gouvernement Lapid-Bennet sur beaucoup de sujets – sur  la difficulté pour l’Etat juif de faire la part de ses intérêts géostratégiques et de ses choix politiques dans la guerre actuelle… J’avoue ne pas être entièrement convaincu, ni par les tenants d’un soutien inconditionnel d’Israël à l’Ukraine, ni par ceux d’une politique exclusivement guidée par les seuls intérêts géostratégiques et militaires d’Israël.

 

A cet égard, toute l’intelligence d’une politique étrangère digne de ce nom consiste à trouver l’équilibre entre ces différents intérêts et à ne pas adopter une ligne de conduite qui ferait totalement fi des arguments moraux, ou qui négligerait entièrement la Realpolitik. Comme je l’expliquais lors d’un colloque à Jérusalem consacré à la “politique extérieure juive d’Israël” (1), la politique étrangère d'Israël doit trouver la voie étroite et le juste milieu entre la morale pure et une politique qui “aurait les mains propres parce qu’elle n’aurait pas de mains” d’un côté, et la Realpolitik totalement froide et dénuée de considérations morales de l’autre (2).

Pierre Lurçat

 

1. Colloque en ligne sur le site Akadem,

https://akadem.org/sommaire/colloques/israel-un-etat-juif-dans-l-arene-internationale/la-politique-exterieure-juive-d-israel-20-06-2019-112402_4842.php

2. Comme l’écrivait Emmanuel Lévinas dans un texte intitulé “Politique après!”, publié dans le numéro spécial de la revue Les Temps modernes consacré au colloque israélo-palestinien de mars 1979 : “N’y aurait-il donc rien à chercher entre le recours aux méthodes dédaigneuses de scrupules dont la Realpolitik fournit le modèle et la rhétorique irritante d’un imprudent idéalisme, perdu dans des rêves utopiques, mais tombant en poussière au contact du réel…?”

Raïssa et Emmanuel Levinas avec leur fils Michaël au début des années 60

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