Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

revolution constitutionnelle

Crise constitutionnelle ou conflit de pouvoirs ? (I) La seconde phase de la “Révolution constitutionnelle” a commencé

September 1 2023, 09:33am

Posted by Pierre Lurçat

Crise constitutionnelle ou conflit de pouvoirs ? (I) La seconde phase de la “Révolution constitutionnelle” a commencé

Depuis plusieurs semaines, l’expression de « crise constitutionnelle » ne cesse d’être employée et brandie comme un épouvantail, ou parfois comme une menace. A l’approche de l’audience de la Cour suprême sur la Loi supprimant le critère de raisonnabilité, il importe de définir ce que signifie cette expression et de se demander en quoi elle est ou non pertinente pour décrire le débat politique et juridique actuel en Israël.

 

Traditionnellement, l’expression de « crise constitutionnelle » désigne une situation dans laquelle la Constitution ne prévoit aucune solution pour résoudre une crise politique. Parmi les exemples classiques de crise constitutionnelle, on peut citer les cas de sécession d’États de l’Union aux États-Unis (avant la guerre de Sécession), ou le mariage du roi Edouard VIII avec Wallis Simpson en Angleterre, en 1936. Ces deux exemples mettent en évidence la différence fondamentale avec le cas d’Israël aujourd’hui : contrairement aux États-Unis et à l’Angleterre, Israël ne possède en effet pas de Constitution, au sens précis du terme. On ne peut donc employer le terme de « crise constitutionnelle » à proprement parler, mais plutôt celui de « crise politique », ou de conflit institutionnel.

 

Il s’agit en effet avant tout d’un conflit de pouvoir, qui connaît actuellement un nouveau climax, avec la possible annulation par la Cour suprême de l’amendement à la Loi fondamentale sur le critère de raisonnabilité. En apparence, la décision de la Cour suprême de juger recevables les multiples recours formés contre l’amendement à la Loi sur le pouvoir judiciaire adopté le mois dernier n’avait rien d’exceptionnel. A peine la loi était-elle votée que – quelques minutes plus tard seulement – les premiers recours affluaient au secrétariat de la Cour suprême. Les acteurs habituels – Mouvement pour la qualité du gouvernement, etc. – avaient préparé leurs recours bien avant le vote de la Knesset…

 

Mais derrière cette apparence de « normalité », quelque chose d’inhabituel – et même d’extraordinaire – est en train de se jouer. Car la loi votée le mois dernier n’est pas une loi ordinaire, mais un amendement à une Loi fondamentale. Rappelons qu’une Loi fondamentale (Hok Yessod) a une valeur supra-législative, ou quasi-constitutionnelle. Comme je l’explique dans mon livre sur le sujet*, les Lois fondamentales sont les chapitres d’une future Constitution, dont l’adoption formelle a été empêchée jusqu’à ce jour pour de multiples raisons. Profitant de ce vide constitutionnel, le président de la Cour suprême Aharon Barak a depuis les années 1990 initié une « Révolution constitutionnelle », par laquelle il a prétendu faire de la Cour suprême un véritable « Conseil constitutionnel », c.-à-d. un juge de la constitutionnalité des lois et des actes du gouvernement et de l’administration.

 

Le raisonnement du juge Aharon Barak, devenu depuis une théorie admise par une majorité des membres de l’establishment judiciaire, est que les deux lois fondamentales de 1992 (Loi sur la dignité de l’homme et sur la liberté professionnelle) sont la « Déclaration des droits de l’homme » d’Israël et qu’à ce titre, elles doivent être respectées par tous, sous le contrôle de la Cour suprême. Le « hic » de cette théorie est qu’elle a été élaborée de manière unilatérale par le juge Barak et par ses partisans, sans avoir été jamais validée par la Knesset ou par le peuple, et ce en l’absence de Constitution véritable.

 

Si la Cour suprême devait – comme cela est de plus en plus probable – annuler une Loi fondamentale, il y aurait là une deuxième étape de la « Révolution constitutionnelle », ou même une « deuxième Révolution constitutionnelle », encore plus dramatique que la première de l’avis de certains commentateurs. Dans la première “Révolution constitutionnelle » de 1992, en effet, la Cour suprême s’était placée au-dessus de la Knesset en tant que pouvoir législatif, en s’autorisant de manière unilatérale à annuler des lois. Si elle annulait une Loi fondamentale, cela voudrait dire qu’elle est aussi désormais au-dessus de la Knesset en tant que pouvoir constituant (ou quasi-constituant), puisqu’elle s’arrogerait le droit d’annuler une loi à valeur quasi-constitutionnelle (ou constitutionnelle de l’avis de ceux qui considèrent que les Lois fondamentales ont une valeur constitutionnelle).

 

C’est donc une décision dramatique qui risque d’être prise dans les prochaines semaines, dont l’enjeu concerne le fragile équilibre des pouvoirs – déjà menacé par la première Révolution constitutionnelle – et le bon fonctionnement de la jeune démocratie israélienne. Dans la suite de cet article, nous verrons pourquoi il est problématique pour la Cour suprême de se prononcer sur la Loi fondamentale restreignant le critère de raisonnabilité. (à suivre…)

P. Lurçat

 

Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? publié aux éditions l’éléphant, est disponible sur B.o.D, Amazon, à la librairie du Temple à Paris, à la librairie française de Tel-Aviv et auprès de l’éditeur à Jérusalem (editionslelephant@gmail.com)

 

See comments

Démocratie de la majorité ou “démocratie des valeurs?” Pierre Lurçat

March 28 2023, 11:57am

Posted by Pierre Lurçat

Aharon Barak

Aharon Barak

La Révolution constitutionnelle de 1992 et ses fondements idéologiques (I)

Pour comprendre comment la réforme judiciaire lancée il y a trois mois a été suspendue sous la pression de la rue et du « Deep State » israélien, il faut revenir quatre décennies en arrière, aux débuts de la Révolution constitutionnelle du juge Aharon Barak. C’est en effet ce dernier qui a imposé sa vision prémonitoire d’une « démocratie des valeurs », préférable selon lui à la démocratie de la majorité. Extrait de mon nouveau livre à paraître après Pessah. P.I.L.

NB J’étais ce matin l’invité de Daniel Haïk sur Radio Qualita pour commenter le discours de Benjamin Nétanyahou.

 

C’est seulement avec l’arrêt Bank Mizrahi de 1995 que la signification véritable des deux lois fondamentales de 1992 est apparue au grand jour. Dans cet arrêt, la Cour suprême a été appelée à examiner la question de savoir si la Knesset possédait ou non le pouvoir d’élaborer une Constitution et de limiter ainsi sa propre autorité législative (en s’interdisant de légiférer des lois anticonstitutionnelles), et si les lois fondamentales promulguées par la Knesset jouissaient d’un statut supra-législatif. Dans son avis majoritaire (celui du juge Barak), la Cour suprême a jugé que le pouvoir de la Knesset d’adopter une Constitution découlait de son pouvoir constituant.

 

Le juge Barak fonde son jugement sur la considération suivante, qui éclaire d’un jour particulier l’ensemble de la Révolution constitutionnelle qu’il a menée : « Une démocratie de la majorité seule, qui ne s’accompagne pas d’une démocratie de valeurs, n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société ». Cette phrase, qui ne concerne pas directement le sujet de l’arrêt Bank Mizrahi, donne une des clés d’interprétation de la vision du monde du juge Barak en général et de sa conception de la démocratie en particulier, qui est aujourd’hui largement partagée par les opposants à la réforme judiciaire. Pour la résumer, nous pourrions dire qu’elle renferme une conception de la démocratie différente de la conception traditionnelle.

 

Ainsi, quand Barak oppose la « démocratie de la majorité » à la « démocratie des valeurs », il sous-entend que la majorité seule ne suffit pas à définir le régime démocratique, tel qu’il le conçoit. A ses yeux, le principe de la majorité n’est qu’une coquille vide, s’il ne s’accompagne pas de la « vraie démocratie », celle des valeurs. Cette opposition rappelle celle, d’inspiration marxiste, entre « démocratie formelle » et « démocratie réelle ». Aharon Barak n’a pourtant rien d’un marxiste, même si la manière dont il a théorisé et mené à bien la Révolution constitutionnelle, seul et sans demander l’avis de quiconque, peut faire penser aux autres grands théoriciens des révolutions des siècles passés.

 

« Démocratie de la majorité » ou « démocratie des valeurs » ?

 

L’idée que la « vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité, afin de protéger les valeurs de la société » semble aujourd’hui aller de soi. Plus encore, pour beaucoup de nos contemporains, l’essence même de la démocratie réside précisément dans ces « valeurs de la société », bien plus que dans les règles de fonctionnement et dans les principes constitutifs du régime démocratique, qui sont considérés comme presqu’insignifiants. N’est-ce pas ce que nous disent aujourd’hui les opposants à la réforme judiciaire en Israël, qui manifestent au nom des droits de l’homme, mais aussi des droits des femmes, des droits LGBT, des droits des migrants, etc. ? Ces droits catégoriels, en particulier, semblent exprimer à leurs yeux la quintessence de la démocratie, bien plus que les élections libres et démocratiques et leur résultat… (Surtout, bien entendu, quand ce résultat est contraire à leurs opinions politiques).

 

Cette nouvelle conception de la démocratie, qui tend à s’imposer récemment en Occident et qui correspond à la notion d’un « Etat des droits » plutôt que d’un Etat de droit, est problématique pour au moins deux raisons. La première, qui a été souvent relevée depuis plusieurs décennies, tient au fait qu’elle évacue la notion essentielle du bien commun, pilier de la démocratie dans son acception classique, au profit des intérêts catégoriels. Bien entendu, on peut légitimement considérer que le bien commun consiste précisément à voir défendus la somme de tous les intérêts catégoriels… Mais l’inconvénient d’une telle définition est évident : que faire lorsque certains intérêts catégoriels entrent en conflit les uns avec les autres? C’est précisément ce qui se produit lorsque la Cour suprême doit trancher, par exemple, entre les droits des habitants des quartiers Sud de Tel-Aviv et ceux des migrants. Je laisse le lecteur deviner quels sont les droits auxquels elle donne la préférence…

 

La deuxième raison est plus essentielle encore. Si l’on admet que la démocratie est aujourd’hui « substantielle » et non plus « formelle », c’est-à-dire définie par la défense des « valeurs de la société », qui est habilité à définir ces valeurs ? Et comment faire lorsqu’elles ne sont pas partagées par tous et qu’apparaissent des conflits de valeurs? Le danger que renferme la conception d’Aharon Barak à cet égard réside précisément dans le fait qu’il considère que le juge est seul habilité à définir, apprécier et interpréter ce que sont ces « valeurs de la société »... C’est en effet la clé du rôle novateur qu’il attribue au juge, dans ses écrits théoriques sur le sujet comme dans ses jugements. A ses yeux, le juge est l’interprète des valeurs sociétales, et c’est à ce titre qu’il s’est arrogé le droit d’annuler des lois de la Knesset.

 

(Extrait de mon livre Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? à paraître aux éditions L’éléphant, avril 2023).

Démocratie de la majorité ou “démocratie des valeurs?” Pierre Lurçat

See comments

Israël - Rendre aux élus du peuple le pouvoir confisqué par les élites et par la Cour suprême

November 10 2022, 12:17pm

Posted by Pierre Lurçat

J'aborde au micro de Daniel Haïk sur Studio Qualita la question cruciale de la réforme judiciaire au lendemain des élections, pour rendre à la Knesset et aux élus du peuple israélien le pouvoir qui leur a été confisqué par les élites de gauche et par la Cour suprême..

https://youtu.be/j6vHczEa85Y

(Sur ce sujet, je renvoie aussi à mon article paru dans la revue Pardès : "Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël" - Article disponible sur demande à pierre.lurcat@gmail.com 

 

 

Israël - Rendre aux élus du peuple le pouvoir confisqué par les élites et par la Cour suprême

See comments

La Houtspa sans limite de la Cour suprême israélienne

July 15 2021, 10:48am

Posted by Pierre Lurçat

La Cour suprême d’Israël a dernièrement pris deux décisions très remarquées sur deux dossiers importants et lourds de conséquences. Le premier, la Loi “Israël - Etat-nation du peuple Juif”, a fait l’objet d’une décision de 10 juges sur 11 (l’avis minoritaire étant celui du Juge arabe chrétien Georges Kara), qui a rejeté les pourvois formés contre cette Loi fondamentale par des associations antisionistes, soutenues par l’Union européenne notamment.

 

Dans la deuxième décision, emblématique elle aussi, la Cour suprême a fait droit au recours des associations LGBT en se prononçant en faveur de la GPA pour les couples homosexuels, plaçant ainsi Israël en pointe des pays qui autorisent cette pratique controversée (qui est interdite en France). J’ai évoqué ces deux décisions au micro de Daniel Haïk de Studio Qualita.

 

 

Le point commun entre ces deux décisions, apparemment contradictoires, est que la Cour suprême s’érige dans les deux cas en arbitre ultime - et pour ainsi dire exclusif - du débat public et politique sur des sujets cruciaux, qui touchent aux valeurs et aux normes fondamentales de l’Etat et de la société israélienne, valeurs sur lesquelles il n’existe aucun consensus.

 

En l’absence de tout consensus - et en l’absence même d’une Constitution qui l’autoriserait à mener un “contrôle de constitutionnalité” - la Cour suprême s’est ainsi arrogée, avec une arrogance inégalée dans aucun autre pays - le droit d’invalider des lois de la Knesset (y compris des Lois fondamentales), sans aucun mandat légal pour le faire (comme le reconnaît dans son avis un des juges ayant participé à la décision sur la Loi Israël Etat-nation, David Mintz).

 

L’actuelle présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut:

Une “houtspa” sans limite

 

Poursuivant sur la lancée du Juge Aharon Barak (1), instigateur de la “Révolution constitutionnelle” dans les années 1990 et partisan d’un activisme judiciaire sans limite, la présidente Esther Hayout entend ainsi préserver le pouvoir exorbitant que s’est arrogée la Cour suprême et développer la politique arrogante par laquelle celle-ci s’est transformée en premier pouvoir, au mépris de la Knesset, du gouvernement et des principes fondamentaux de toute démocratie authentique.

P. Lurçat

 

(1) Sur le juge Barak et sa “Révolution constitutionnelle”, je renvoie le lecteur aux articles suivants: “Aharon Barak et la religion du droit”. (partie I) et “Le fondamentalisme juridique au coeur du débat politique israélien” (Partie II), ainsi qu’à mon intervention au Colloque de Dialogia “Où va la démocratie israélienne?”, devant faire l’objet d’une publication dans le prochain numéro de la revue Pardès.

________________________________________________________________________

VIENT DE PARAÎTRE - Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain

EN LIBRAIRIE - Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain

Éditions l’éléphant - Jérusalem 2021. En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon. Les demandes de service de presse doivent être adressées à pierre.lurcat@gmail.com

 
 

See comments