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Lettre ouverte à Alain Finkielkraut qui prétend que “Le problème d’Israël c’est Nétanyahou et non le Hamas”

April 30 2024, 06:53am

Posted by Pierre Lurçat

Lettre ouverte à Alain Finkielkraut qui prétend que  “Le problème d’Israël c’est Nétanyahou et non le Hamas”

Cher Alain Finkielkraut,

 

En lisant votre récente interview au Figarovox, j’ai eu la même réaction que celle de ma grand-mère (qui parlait la même langue que la vôtre), lorsqu’elle apprenait une nouvelle attristante: “Oï a Broch!”. Hélas, nos grands-mères respectives ne sont plus de ce monde, pas plus que nos parents, et je me plais à penser que vos propos concernant Israël seraient mieux informés et plus sages, si vous aviez écouté les conseils de vos parents, étant enfant. Car nous savons bien que les mauvaises fréquentations mènent inéluctablement aux mauvaises idées et aux mauvaises actions.

 

Or, à force d’inviter dans votre émission « Répliques » des personnages aussi peu fréquentables que Jean-Pierre Filiu (dont le blog hébergé par Le Monde déverse chaque semaine son venin contre Israël) ou Alain Gresh (qui fut jadis journaliste au Monde diplomatique et ami personnel de Tariq Ramadan, célèbre prédateur sexuel et prédicateur proche des Frères musulmans), vous finissez par penser (presque) comme eux… (Ce qui ne veut évidemment pas dire que vous êtes comme eux).

 

Ainsi, lorsque vous écrivez que “Nétanyahou est le problème parce qu’il bloque toutes les issues, ferme toutes les portes, sabote consciencieusement toutes les solutions. Alors même que Tsahal plaide pour le retour de l’autorité palestinienne à Gaza, le premier ministre israélien s’y refuse obstinément. Pourquoi ? Parce qu’il perdrait aussitôt le soutien des extrémistes de son gouvernement”, vous n’énoncez pas seulement un truisme du prêt-à-penser occidental actuel concernant Israël, mais vous confortez aussi les lecteurs du FigaroVox dans les opinions les plus détestables concernant notre pays.

 

Et lorsque, poursuivant sur votre lancée, vous affirmez : “Un dirigeant, comme son nom l’indique, donne une direction, or Nétanyahou ne dirige Israël vers rien de discernable. L’homme qui, le soir de l’attaque iranienne, s’est courageusement réfugié dans la maison ultrasécurisée d’un ami milliardaire, ne gouverne plus pour ce qu’il croit être le bien d’Israël, mais pour la survie de sa majorité...” vous ajoutez l’insulte à la calomnie. Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, en matière de courage physique, Benjamin Nétanyahou n’a de leçon à recevoir de personne, y compris de vous. (Vous n’avez même pas eu celui de venir nous rendre visite au lendemain du 7 octobre, contrairement à votre camarade de l’ENS, Bernard-Henri Lévy, qui est venu immédiatement pour affirmer sa solidarité, sans attendre comme vous d’être invité par l’Institut français).

 

Notre Premier ministre, auquel vous faites reproche de s’être réfugié dans une “maison ultrasécurisée”, a maintes fois fait preuve de son courage dans sa vie, depuis l’époque de la Sayeret Matkal où il a servi comme ses deux frères, et jusqu’à ces dernières années, lui et sa famille subissant des attaques quotidiennes de la part de ces manifestants de Kaplan dont vous semblez partager la détestation totalement irrationnelle à son encontre. Si vous lisiez moins l’édition anglaise du Ha’aretz ou Le Monde, vous sauriez qu’il est très malvenu de lui faire ce reproche. Votre fascination pour la gauche israélienne et pour ce que vous vous obstinez à appeler le “camp de la paix” (comme s’il y avait en Israël un “camp de la guerre”...) a quelque chose de presque religieux, à l’instar de la fascination que vous avez récemment avoué ressentir pour la “proposition chrétienne”.


            Vos propos sont d’autant moins excusables que vous revenez d’un séjour en Israël, où vous n’avez pas seulement rencontré ceux qui pensent comme vous (ce qui est toujours agréable). Comme ce collègue de l’université de Tel Aviv qui vous a confié cette “perle” (puisque vous êtes devenu sur le tard pêcheur de perles) : “Le problème d’Israël ce n’est pas le Hamas, c’est Nétanyahou”, ou comme ces manifestants de Kaplan, qui ont pu vous expliquer tout le mal qu’ils pensent de notre Premier ministre. Non, vous avez aussi rencontré, comme me l’a confié un participant à ce déjeuner, un petit groupe d’Israéliens francophones de droite, qui auraient pu vous faire changer d’avis, si votre esprit n’était pas aussi fermé que la coquille d’une huître perlière…

 

            Lors de cette rencontre privée à Raanana, vous avez même déclaré à un des participants que vous regrettiez de ne pas être venu à Jérusalem (l’Institut français vous ayant invité à Tel-Aviv et à Haïfa). Hélas, trois fois hélas ! Si vous aviez fait montre d’un peu plus de curiosité, au lieu de vous en tenir au programme fixé par les contraintes géopolitiques (et pétrolières, comme disait Golda Meir) du quai d’Orsay - qui ne reconnaît pas la souveraineté israélienne sur notre capitale, comme chacun sait - vous auriez pu venir visiter notre capitale et rencontrer, là encore, des gens qui pensent autrement.

 

Vous auriez même pu venir au Mur occidental, pour y verser quelques larmes sur l’état de la société française et sur le délitement de la langue de Molière que vous déplorez à juste titre. Sans abuser de la patience de mes lecteurs, je ne résiste pas au plaisir masochiste de citer une dernière “perle” de votre interview au Figaro : “En s’alliant avec les partis fanatiques d’Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich, Benyamin Nétanyahou a commis une faute impardonnable. Il est, à ce titre et à quelques autres, le pire premier ministre de l’histoire d’Israël”. C’est votre cuistrerie et votre prétention qui sont, cher Alain Finkielkraut, impardonnables, pour quelqu’un qui fait profession d’être intellectuel.

 

Le titre de “pire Premier ministre” de l’Etat d’Israël est certes disputé par plusieurs candidats, dont celui qu’apprécient vos amis de Kaplan, Yaïr Lapid, auquel il appartient sans doute, ou peut-être à un des deux Ehoud, Olmert ou Barak, mais certainement pas à Benjamin Nétanyahou. Et si ce titre devait être décerné un jour, ce n’est certainement pas à vous, qui ne connaissez presque rien de notre pays, qu’il appartiendra de le faire. Retournez donc à vos moutons et à vos perles, cher Alain, et laissez à ceux qui vivent en Israël et qui courent le risque de cette “noble aventure” dont parlait Lévinas, le soin de choisir leurs dirigeants et leur avenir.

Pierre Lurçat

 

Lire aussi :

Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Si votre esprit n'était pas fermé comme une huître perlière...

Si votre esprit n'était pas fermé comme une huître perlière...

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Les intellectuels juifs face à la guerre de Gaza (IV) : Ceux qui refusent d’écouter les témoins du massacre

January 17 2024, 07:39am

Posted by Pierre Lurçat

Mia Shem

Mia Shem

 

Il faut absolument écouter le témoignage glaçant de l’ex-otage franco-israélienne Mia Shem, qui relate le calvaire qu’elle a subi le 7 octobre et dans les semaines qui ont suivi, capturée par le Hamas puis détenue pendant de longues semaines à Gaza. “J’ai vécu une Shoah”, déclare-t-elle, et ces quelques mots en disent plus long que bien des analyses savantes. Il faut écouter le témoignage de Mia Shem, car c’est celui d’une survivante du “jour de Shoah” que nous ont infligé nos ennemis de Gaza, et parce que son témoignage est l’égal – par son contenu sinon par son style – de celui des survivants de la précédente Shoah, des Primo Levi et des Aharon Appelfeld.

 

Après la Shoah, disait le philosophe Emil Fackenheim, nous avons le devoir de ne pas donner de victoire posthume à Hitler. Après la nouvelle Shoah que le Hamas a tenté de perpétrer contre Israël (la “Shoah en keffieh”, selon l’expression du regretté Paul Giniewski), nous avons l’obligation de ne pas donner de victoire posthume au Hamas et aux autres ennemis d’Israël, lorsque leurs dirigeants auront été tous éliminés. Mais le premier devoir est celui d’écouter les survivants. Or c’est précisément ce que certains intellectuels juifs refusent de faire.

 

Dans une longue interview donnée récemment à la chaîne LCI, le philosophe Alain Finkielkraut a ainsi tenu des propos stupéfiants et scandaleux sur le témoignage de Mia Shem. Reconnaissant tout d’abord que sa déclaration “j’ai vécu une Shoah” est terrible, il affirme dans la foulée avoir été “beaucoup choqué” sicde la déclaration de Mia Shem selon laquelle “tout le monde est terroriste à Gaza”. Selon lui, prétendre qu’il n’y a “pas de civils innocents à Gaza” est comparable au propos de l’indigéniste Houria Bouteldja, affirmant qu’il “n’y a pas d’Israélien innocent”.

 

La comparaison établie par A. Finkielkraut montre deux choses : la première, c’est que comparaison n’est pas raison. Comparer le propos de l’otage franco-israélienne Mia Shem à celui de Houria Bouteldja n’est pas seulement indécent, c’est également stupide. Mais cette comparaison montre aussi que Finkielkraut, en dépit de son intelligence et de son courage intellectuel, vit dans un univers conceptuel très éloigné de celui d’Israël, éloignement qui le rend totalement incapable de comprendre la réalité de notre Etat et des problèmes existentiels qu’il affronte.

 

Le propos d’A. Finkielkraut atteste à la fois d’un refus d’écouter les victimes du 7 octobre (imagine-t-on un intellectuel juif faire la même chose avec un rescapé de la Shoah ?), et d’un refus conceptuel de donner crédit à leur témoignage. La société israélienne tout entière, après le 7 octobre, a entrepris un immense travail de remise à zéro de compteurs et de remise en cause, travail qui n’est pas terminé. On peut attendre des intellectuels juifs de diaspora qu’ils fassent la même chose. Cette capacité de se remettre en question est en définitive ce qui distingue l’intellectuel dogmatique, enfermé dans ses convictions et ses propres références, de l’intellectuel ouvert à l’événement et à la nouveauté qu’il comporte.

 

Le 7 octobre – comme d’autres événements qui ont marqué l’histoire juive depuis ses débuts – appelle à la réflexion et à l’écoute. Il nous oblige à repenser ce que nous croyions comme acquis, à nous remettre en question. Et il nous oblige à écouter et à accepter les témoignages des otages. Nul ne peut écouter le témoignage glaçant de Mia Shem et son terrible propos – irréfutable dans sa clarté morale – sur le fait qu’il n’y avait pas d’innocents à Gaza. Vérité difficilement audible en Occident, mais vérité tout de même.

 

Pierre Lurçat

Ma conférence "Comment restaurer la dissuasion d'Israël" est en ligne ici, abonnez-vous à ma chaîne YouTube pour accéder à mes dernières conférences !

 

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (III) : entre mobilisation et “business as usual” - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

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Pour en finir avec le pacifisme juif (I) : Le mensonge du « camp de la paix »

November 30 2023, 15:17pm

Posted by Pierre Lurçat

Pour en finir avec le pacifisme juif (I) : Le mensonge du « camp de la paix »

 

En 1929, au lendemain des pogromes qui ensanglantèrent le Yishouv juif en Eretz-Israël, Jabotinsky écrivait ces lignes toujours actuelles : « J’ai rencontré des dizaines de fois nos pacifistes, et à chaque rencontre je leur demande : comment se fait-il que vous ne prêchiez vos conceptions que parmi les Juifs ? Allez donc chez les Arabes, et allez savoir chez eux à quelles conditions ils accepteraient de faire la paix »[1]. Ce défaut des pacifistes juifs qui prêchent leurs compatriotes, dénoncé par Jabotinsky en 1929, est resté présent en Israël depuis 100 ans. Premier volet d’une série d’articles sur le pacifisme juif.

 

Le pacifisme aveugle, il y a cent ans comme aujourd’hui, menace la pérennité de l’existence d’un Etat juif souverain, au milieu d’un environnement encore largement hostile. Aujourd’hui comme hier, la paix repose sur la préparation à d’éventuels conflits, selon l’adage latin toujours actuel (« Si vis pacem, para bellum »), ou selon les mots de Jabotinsky : « le seul moyen de parvenir à un accord [de paix] est d’ériger un mur de fer ». Dans une émission récente, Alain Finkielkraut affirmait avoir toujours soutenu le « camp de la paix » israélien.

 

Comme beaucoup d’autres observateurs, en Israël et en dehors, il a rappelé que les victimes juives des kibboutz avoisinants de Gaza étaient tous des Israéliens de gauche, pour la plupart « partisans de la paix » et dont certains militaient activement en faveur des habitants de Gaza, qu’ils aidaient à se rendre en Israël pour y subir des traitements médicaux. Aux yeux de Finkielkraut, comme d’autres, le fait que les victimes du Hamas étaient pacifistes en faisait apparemment des « bons Israéliens » (« les kibboutz, c’est pas Itamar Ben Gvir ou Smotrich », expliquait-il sur LCI). Comme si les crimes du Hamas auraient été moins abjects si leurs victimes avaient été des électeurs du parti sioniste religieux et pas du défunt Meretz…

 

Le « camp de la paix », héritage du communisme

 

« Camp de la paix” ? L’expression ferait sourire, si elle ne rappelait de sinistres souvenirs. Elle remonte – rappel historique pour les nouvelles générations nées après l’effondrement du Mur de Berlin – à l’Union soviétique et à ses satellites. Le « Mouvement de la paix » était dans l’après-guerre (pendant la guerre froide dont on a oublié aujourd’hui la signification) la courroie de transmission du PCUS et du communisme stalinien au sein des pays occidentaux et de leur intelligentsia, qui était déjà à l’époque le ventre mou de l’Occident. L’expression est donc un héritage empoisonné du communisme stalinien et elle est tout aussi mensongère à l’égard d’Israël aujourd’hui, qu’elle l’était concernant l’Occident alors.

 

            Le mensonge du « camp de la paix » consiste principalement à faire croire à l’opinion internationale qu’il y aurait en Israël des bons pacifistes d’un côté et des opposants à la paix de l’autre. En réalité, comme le rappelait Jabotinsky il y a cent ans, en répondant aux pacifistes de son temps, « La paix avec les Arabes est certes nécessaire, et il est vain de mener une campagne de propagande à cet effet parmi les Juifs. Nous aspirons tous, sans aucune exception, à la paix ». Toutefois, comme il l’écrivait dans son fameux article « Le mur de fer »,  la question d’un règlement pacifique du conflit dépend exclusivement de l’attitude arabe. Propos qui demeurent d’une brûlante actualité jusqu’à ce jour. (à suivre…)

P. Lurçat

 

NB Mon nouveau livre, Face à l’opacité du monde, est disponible sur Amazon, B.O.D et dans les bonnes librairies. Je l’ai évoqué au micro d’Antoine Mercier sur sa nouvelle chaîne Mosaïque.

 

 

[1] Publié sous le titre “La paix” dans Rassviet, 3 novembre 1929, Paris. Repris en français dans le recueil Le Mur de fer, éditions l’éléphant 2022.

Pour en finir avec le pacifisme juif (I) : Le mensonge du « camp de la paix »

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Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques

October 29 2023, 09:14am

Posted by Pierre Lurçat

Alain Finkielkraut, BHL et Benny Levy z.l.

Alain Finkielkraut, BHL et Benny Levy z.l.

Lire la première partie :

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Une délégation du CRIF a effectué un voyage éclair en Israël pour se rendre compte sur place des atrocités du Hamas. Au retour de ce déplacement, l’ancien président du CRIF, Richard Prasquier, a publié un article dont j’extrais la ligne suivante : ”A proprement parler, ce voyage ne nous a rien appris que nous aurions ignoré”. Si je souligne cette phrase précisément, c’est parce qu’elle permet de comprendre un mécanisme cognitif omniprésent dans la manière dont nous regardons et analysons les événements. Nous sommes atterrés par l’horreur, emplis de colère et d’effroi, mais en définitive, nous avons tendance à juger l’événement, si terrible et inédit dans l’horreur qu’il soit, à l’aune de ce que nous savons déjà.

 

Ce biais cognitif bien connu – et qui a été encore renforcé par les effets des médias sociaux, qui nous confortent sans cesse dans nos opinions – est présent chez chacun de nous, y compris les intellectuels et ceux qui ont pour activité quotidienne d’analyser, avec autant de sang-froid que possible, les événements. Or, face à l’événement, le devoir premier de l’intellectuel n’est-il pas de tenter de s’abstraire de ses préjugés, de ses croyances bien ancrées et de ses habitudes de pensée ? Cette guerre, dont beaucoup disent en Israël qu’elle marque un tournant décisif dans notre histoire, ne devrait-elle pas être l’occasion de porter un regard neuf sur le monde ? Essayons de voir, à travers quelques exemples, si les intellectuels juifs ont réussi, depuis le 7 octobre, à s’élever au-dessus d’eux-mêmes pour être à la hauteur de la situation.

 

Est-ce que “Toutes les vies se valent” ?

 

L’historien israélien (exilé aux Etats-Unis) Omer Bartov se félicite, dans les colonnes du Monde, d’avoir signé la pétition contre l’occupation “The Elephant in the room”, expliquant : “Notre mise en garde était la suivante : l’« éléphant dans la pièce », c’était l’occupation, un enjeu auquel ce mouvement de protestation refusait en grande partie de se confronter. Moins de deux mois plus tard, le sort des Palestiniens sous domination israélienne ou sous siège israélien nous a littéralement explosé à la figure. En ce sens, j’ai été choqué et horrifié, mais pas surpris”. Ce faisant, il reprend à son compte le double mensonge de “l’occupation” et du “siège israélien” de Gaza, comme si l’attaque du Hamas était dirigée contre telle ou telle politique israélienne et non contre les Juifs en tant que tels… Piètre analyse pour un spécialiste de la Shoah !

 

            Dans le même journal, le philosophe Jacob Rogozinsky pointe justement la fausseté de l’argument moral selon lequel “toutes les vies se valent”, employé pour dénoncer la riposte israélienne, en rappelant cette évidence : “Nous devons faire la différence entre une stratégie militaire qui entraîne comme « conséquence indirecte » la mort de civils et une stratégie génocidaire pour laquelle l’assassinat en masse de civils est un « but en soi ». Rogozinsky s’oppose sur ce point précis à Judith Butler, la “papesse” de la théorie du genre, qui prétend dénoncer les manifestations pro-Hamas à Harvard, tout en affirmant quenous devons nous efforcer de comprendre les raisons de la formation de groupes comme le Hamas, à la lumière des promesses rompues d’Oslo et de cet « état de mort, à la fois lente et subite » qui décrit bien l’existence des millions de Palestiniens vivant sous occupation, et qui se caractérise par une surveillance constante, la menace d’une détention sans procès, ou une intensification du siège de Gaza pour priver ses habitants d’eau, de nourriture et de médicaments..”

 

            Le propos de Butler est révélateur de l’état de confusion morale qui règne dans les universités américaines et françaises, confusion à laquelle les intellectuels juifs n’échappent pas. A ce sujet précisément, Alain Finkielkraut a raison de rappeler que le “wokisme est antisémite” et que ce n’est nullement un hasard si les théories fumeuses qui sont devenues une véritable idéologie dominante (voir sur ce sujet le livre éclairant de Shmuel Trigano) aboutissent à prendre la défense du Hamas contre Israël… Dans un registre différent, l’intellectuel américain Michael Walzer explique dans la revue K que « la justice exige la défaite du Hamas, pas la vengeance contre les Palestiniens ». Cette thématique est développée par plusieurs intellectuels juifs, qui établissent une distinction nette entre « justice » et « vengeance », ce dernier terme étant connoté négativement à leurs yeux. Ils oublient ce faisant que le mouvement sioniste a aussi été l’expression d’une réappropriation par le peuple juif de la violence, après que la vengeance ait été si longtemps réservée à Dieu seul (« Que D. venge son sang ! » est l’expression traditionnelle de cette réalité propre à l’exil).

 

« Contextualiser » les exactions du Hamas ?

 

La Deuxième Guerre mondiale avait vu des cohortes d’intellectuels se déshonorer dans la collaboration, mais ce qui est nouveau, aujourd’hui, c’est de voir des intellectuels refuser de trancher, en prétendant “contextualiser” (y compris lorsqu’ils prétendent ne pas le faire !) la violence du Hamas. Leur absence de critères moraux clairs aboutit à un magma intellectuel dans lequel, pour reprendre l’expression d’un humoriste français, on donne “cinq minutes de parole aux Juifs et cinq minutes aux nazis” (du Hamas). Comme l’explique justement Raphael Enthoven, “Les gens qui croient approfondir les choses en justifiant la barbarie du Hamas par le contexte géopolitique sont, à leur insu, les relais actifs d’une entreprise d’extermination qui n’a besoin, pour passer à l’acte, que d’un alibi”.

 

            Alain Finkielkraut lui-même, malgré tout son courage maintes fois démontré et toute sa bonne volonté, ne tombe-t-il pas dans le même travers, lorsque – après avoir bien démonté l’argumentation qui trouverait des justifications ou des motivations politiques aux exactions du Hamas, et expliqué que “pour le Hamas, l’Etat juif est une ecchymose sur l’épaule de l’islam” – il affirme que “Nétanyahou est un dirigeant catastrophique… dont la réforme judiciaire visait à laisser les coudées franches aux colons de Cisjordanie…” Cet argument fallacieux a été répété et décliné à maintes reprises depuis le 7 octobre. Selon une version un peu différente, l’armée israélienne aurait failli à la frontière de Gaza parce qu’elle était occupée à “protéger les colons de Cisjordanie”...

 

L’argument n’est pas seulement moralement absurde (en quoi les habitants juifs de Judée-Samarie seraient-ils moins dignes d’être défendus que les autres Israéliens ?). Il est aussi erroné sur le plan militaire et stratégique. La première leçon, simple et presqu’évidente, des terribles événements du 7 octobre, est que la frontière d’Israël se situe là où vivent et habitent des Juifs. Leçon qu’avaient bien compris les pères fondateurs de notre Etat, de Jabotinsky à Ben Gourion. Lorsque l’armée a expulsé les habitants du Goush Katif, sur l’ordre d’Ariel Sharon, elle a placé en première ligne les habitants du pourtour de Gaza. Les circonstances dramatiques nées de l’attaque du Hamas exigent de chacun de nous, à son niveau, de prêter le serment d’André Neher pendant la guerre des Six Jours, en  identifiant “le tout de sa pensée, de son action, de sa personne avec Israël, avec sa lutte, corps et âme, en résolution d’acier, en disponibilité de jour et de nuit…” Que D. protège nos soldats et notre peuple jusqu'à la victoire! (à suivre…)

P. Lurçat

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques

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Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise, Pierre Lurçat

November 14 2022, 09:40am

Posted by Pierre Lurçat

Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise, Pierre Lurçat

 

Cher Alain Finkielkraut,

 

J’avais tout d’abord pensé adresser cette lettre ouverte à Gad Elmaleh et à vous conjointement, pour les raisons que vous allez bientôt comprendre. Finalement, j’ai décidé de vous l’envoyer à vous seul. J’ai souvent ri - comme beaucoup - en regardant les sketches de Gad, y compris celui où il évoque sa préférence pour les enterrements catholiques, tellement plus grandioses et impressionnants que les enterrements juifs… J’ai ri alors, parce que j’ignorais évidemment que l’humoriste parlait très sérieusement et que ce “ballon d’essai” annonçait d’autres révélations bien plus fracassantes encore. Celle qu’il dit avoir reçue de la Vierge Marie, qui “l’accompagne à chaque instant, y compris sur scène” et celle qu’il a faite tout récemment au grand public, de sa conversion à la religion catholique.

 

J’ai donc choisi de vous écrire à vous seul, cher Alain Finkielkraut. Car bien entendu, votre cas n’a rien à voir avec celui de l’humoriste. J’aurais presque envie de dire que tout vous sépare... Il est originaire du Maroc, alors que vous êtes né à Paris de parents Juifs venus de Pologne, tout comme mes grands-parents. Il est un homme de spectacle, alors que vous êtes un homme de pensée et de plume. Il se dit attiré par la religion catholique depuis tout jeune, alors que vous êtes un philosophe non croyant et ne pratiquez aucune religion. Et pourtant… Dans votre dernière émission Répliques, en compagnie de l’acteur Fabrice Lucchini, avec lequel vous entretenez des liens d‘amitié, vous répondez à une question très personnelle sur vos liens avec la religion catholique[1]. Je cite mot à mot votre échange :

 

“Fabrice Lucchini : Ce qui est beau c’est votre amour de Pascal, illustré admirablement dans l’émission avec Pierre Manent… J’ai l’impression que vous êtes à deux doigts,..

A Finkielkraut : De me convertir ?

F. L. Je le dis solennellement, vous qui êtes d’une communauté qui n’est pas chrétienne, vous êtes à deux doigts de franchir… Un Finkielkraut chrétien, un Finkielkraut réconcilié, voilà ce qui va se passer dans les mois qui vont arriver…

A.F. (Rires)

F.L Oui, auditeurs de France Culture, ce moment est rare… Cet homme qui a si bien parlé du judaïsme, cet homme qui a démontré sa passion pour la langue française, n’est pas loin de se convertir !

A.F. Je pourrais répondre quand même…”

 

L’entretien alors change de sujet, car Fabrice Lucchini déclame une fable de La Fontaine et on reste sur l’impression que l’échange précédent était une farce… Mais votre interlocuteur revient à la charge, comme un missionnaire zélé, avec un plaisir gourmand dans la voix :

 

F.L. Et la conversion Alain ?

A.F.  Alors… Et ensuite je reviendrai à la question de la langue. Non il n’est pas question que je me convertisse, mais il est vrai que je suis… fasciné par la proposition chrétienne[2]. Je ne me convertirai pas, parce que les Juifs persistent dans leur être, quand bien même ils ne croient plus en Dieu, majoritairement… C’est d’ailleurs pour moi-même un mystère, mais c’est comme ça. Pour ce qui est de la proposition chrétienne, je suis fasciné par le fait que le Christ a dit sur la Croix, “Mon Dieu, Mon Dieu, ou mon Père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Non seulement il l’a dit ; mais c’est dans les Evangiles. Et la peinture, les grands chefs d’œuvre de la peinture, sont des descentes de Croix. Donc, le christianisme nous montre la mort… Il ne nous dissimule rien de la mort. Alors il retire à la mort son dard venimeux, il y a la résurrection du Christ, peut-être, mais il y la mort..

Et il y a cette phrase bouleversante, je trouve que c’est le génie du christianisme et ça je n’ai pas peur de le dire, parce qu’aucune religion n’est allée jusque-là, jusque faire mourir son Messie, mourir Dieu même. Voilà ce que j’aime, mais il n’est pas question de conversion…

F.L. Ce n’est pas évident, votre exaltation... Pourquoi c’est unique ?

A.F. Tout d’un coup il y a la finitude, la souffrance de la mort, dont le Christ lui-même, par laquelle passe le Christ… Et au cœur de l’Evangile, au cœur de la Bonne nouvelle, il y a cette phrase-là, pourquoi m’as-tu abandonné., je trouve que c’est au cœur de la croyance quelque chose d’incroyable”.

 

Si j’ai retranscrit intégralement cet échange étonnant, qui ne défigurerait pas un roman de votre ami Philip Roth ou de son jeune émule Joshua Cohen, c’est parce qu’il nous dit beaucoup sur la condition juive en France (et ailleurs en exil) aujourd’hui. Bien entendu, vous avez, tout comme Gad Elmaleh, choisi le ton de l’humour et de la farce pour aborder ce sujet délicat et douloureux. Mais il n’aura échappé à aucun de vos auditeurs que, rebondissant sur l’amorce se voulant drôle de Lucchini, qui prend à parti les auditeurs de France Culture en prétendant annoncer votre conversion, vous avez répondu le plus sérieusement du monde, et malgré votre refus de la conversion, votre ami Lucchini n’a pas été déçu…

 

Je ne fais pas partie des “gardiens de la foi” juive, et mon propos n’est pas de vous faire reproche d’envisager une conversion, que vous dites écarter sans hésitation et sans la moindre ambiguïté, contrairement à votre compatriote Gad Elmaleh. La question, à mes yeux, dépasse de loin celle de la conversion, qui est d'ailleurs beaucoup plus répandue qu’on ne le pense. Après tout, des milliers de Juifs se convertissent chaque jour à toutes sortes de religions, parfois sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Il y a eu et il y a encore des Juifs communistes, des Juifs trotskystes, des Juifs staliniens, et il y a aujourd’hui des Juifs bouddhistes, des Juifs wokistes et même des Juifs convertis à l’islam radical[3]

 

Ce qui est grave à mes yeux, c’est la fascination que vous dites ressentir pour le christianisme, et la manière dont vous l’expliquez à votre interlocuteur, en citant le passage des Evangiles, “Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné”... Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, cette phrase que vous dites bouleversante et qui illustre à vos yeux le “génie du christianisme”, cette phrase n’est pas chrétienne, mais bien juive, puisqu’elle est tirée des Psaumes du Roi David ! “Eli, Eli, lama hazavtani ?” est un verset du Psaume 22, bien connu de tout Juif qui respecte sa tradition, verset qui a été souvent mis en musique par des artistes israéliens contemporains. En faire la preuve éclatante du “génie du christianisme” est aussi erroné que d’affirmer, par exemple que le christianisme aurait “inventé” l’idée d’amour ou que "tu aimeras ton prochain comme toi-même" serait une maxime chrétienne.

 

Voilà toute la tragédie que révèle cet échange badin entre deux amoureux de la littérature française sur France Culture : il révèle l’étendue insondable de l’assimilation juive en France et de son corollaire, l’ignorance ! Oui, on peut être comme vous, cher Alain Finkielkraut, un lettré et un amoureux des Lettres françaises, avoir été élu à l’Académie française, et être dans le même temps, un ‘Am-Haaretz[4]. J’imagine la déception que notre ami commun Benny Lévy éprouverait en écoutant cet échange, et quelle admonestation il aurait pu vous faire, lui qui avait vainement tenté d’inculquer quelques notions de judaïsme à ses deux anciens camarades de la rue d’Ulm, BHL et vous…

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En vous réécoutant, en constatant une fois de plus combien était sincère votre rejet de la conversion et votre fascination concomitante pour le Christ (oui le Christ, dont vous prononcez le nom sans la moindre réserve ; "Oï ya broch!" comme disait ma grand-mère, qui parlait la même langue que la vôtre), j’ai repensé à un grand écrivain et un grand Juif français, Edmond Fleg. Fleg avait en effet tout comme vous été fasciné par le Christ. Mais cela se passait avant la Shoah, et il n’avait pas 73 ans comme vous mais une vingtaine d’années. Il avait lui aussi joué avec l'idée de la conversion et était même parti visiter la Palestine d'alors, "sur les traces du Christ".

 

Le récit de ce voyage est un magnifique témoignage de “Techouva”, de retour à son peuple, à sa terre et à la tradition de ses pères. Livre que je vous invite à relire, cher Alain Finkielkraut, en même temps que le livre des Psaumes et celui de Kohelet.  Je vous invite donc à étudier votre héritage juif, avant d'en percevoir la beauté plagiée dans la religion et dans la culture des autres. Vous y trouverez les trésors que notre peuple a donnés à l'humanité et vous verrez aussi que, quoi qu'en pense Fabrice Lucchini et quoi que vous en pensiez vous-même, le christianisme n’a rien à "proposer" à Israël, pas plus aujourd’hui qu’hier.

Pierre Lurçat

 

 

 

[1] Je remercie vivement mon ami Michael Grynszpan qui m’a signalé cet échange et l’émission dont il est tiré.

[2] La proposition chrétienne est le titre du dernier livre de Pierre Manent, auquel A. Finkielkraut a consacré récemment une émission. J'ajoute que j'avais lu et apprécié en son temps le remarquable Cours de philosophie politique de P. Manent.

[3] Sujet que j’ai abordé naguère dans mon livre Pour Allah jusqu’à la mort, Enquête sur les convertis à l’islam radical.

[4] Je précise que cette expression ne désigne pas un lecteur du journal Ha’aretz que vous connaissez trop bien, cher Alain, mais un homme sans éducation.

L’adoration de Jésus enfant, Gerrit van Honthorst

L’adoration de Jésus enfant, Gerrit van Honthorst

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Sarah, Eric, Alain et les autres… Lettre à trois Juifs inaccomplis, à la veille de Yom Kippour, Pierre Lurçat

September 15 2021, 10:08am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans quelques heures, le soleil descendra à l’horizon et tout notre pays sera plongé dans l’atmosphère incomparable de la Journée la plus sacrée du calendrier juif, Yom Kippour. Chez nous, en Israël, cette journée a - plus encore que les autres fêtes - une saveur bien particulière qu’on ne peut ressentir qu’ici, dans notre pays ancien-nouveau, sur notre grande et petite terre que le monde entier nous dispute et vers laquelle se tournent à chaque instant les yeux de tous… C’est le moment que je choisis pour m’adresser à vous, trois Juifs de France, trois “coreligionnaires” - comme on disait autrefois - expression désuète et trompeuse, car ce que nous partageons a peu à voir avec la “religion”.

 

 

Je commencerai par vous, Sarah. Lorsque j’ai entendu parler de vous dans les médias, et que j’ai lu votre déclaration, “Je suis de confession juive, mais je me sens de culture chrétienne. Chez moi, Charles Péguy est aussi important que la Torah…”, je n’ai pas tant été choqué qu’ému et aussi un peu attristé. Car voyez-vous, j’aurais pu dire la même chose quand j’avais 15 ans. J’ai grandi, comme vous, dans une maison où la culture française était bien plus importante que la culture juive. J’ai vibré en lisant les pages de Gaston Bonheur sur l’histoire de France, et je me suis identifié à ses héros, à Clovis et à Jeanne d’Arc, bien plus qu’à ceux de l’histoire d’Israël dont j’ignorais jusqu’au nom.

C’est pourquoi j’éprouve une certaine sympathie pour votre sincérité et pour votre parcours. Comme vous aussi, j’ai étudié dans les meilleures écoles et lycées parisiens, et j’aurais sans doute pu choisir moi aussi de faire carrière dans la fonction publique. Si j’ai pris une autre voie, c’est uniquement parce que j’avais assez jeune reçu le vaccin sioniste, qui m’a inoculé contre la maladie de l’assimilation et de l’exil. Je me souviens encore de l’émotion ressentie, à vingt ans, en lisant les mots toujours actuels de Theodor Lessing, philosophe juif allemand qui parlait de ces “Jeunes Juifs qui préfèrent embrasser des carrières judiciaires ou littéraires… au lieu de porter des pierres sur la route de Jérusalem” (1). La première fois que j’ai lu son livre-testament, j’ai su immédiatement que telle serait ma vocation, et que j’irais - tout comme mon grand-père, le Haloutz - “porter des pierres” sur la route de Jérusalem, où je vis depuis bientôt trente ans.

 


Mon grand-père, Joseph Kurtz

Je comprends que vous ayiez fait le choix inverse, et je souhaite que vous réussissiez dans vos entreprises, sans toutefois oublier que vous êtes une “Bat Israël”, une fille de notre peuple. En lisant le nom de Péguy, j’ai évidemment pensé à un autre de nos “coreligionnaires”, Alain Finkielkraut. Modèle de l’assimilation judéo-française, fils d’émigrés venus de Pologne comme mes grands-parents, qui est entré à l’Académie française. Qui n’a pas été ému en écoutant votre discours, Alain, dédié à vos parents et grands-parents, en vous entendant évoquer votre “nom à coucher dehors, (qui) est reçu aujourd’hui sous la coupole de l’institution fondée, il y aura bientôt quatre siècles, par le cardinal de Richelieu”... Moi aussi, cher Alain, j’ai comme vous “appris à honorer ma langue maternelle qui n’était pas la langue de ma mère” et le nom de Richelieu évoquait bien plus de souvenirs à mon oreille (les romans d’Alexandre Dumas qui ont enchanté mon enfance) que ceux du roi David ou du prophète Jérémie… 

 

Mais je suis bien conscient de la tragédie que cela représente, pour moi, et pour notre peuple. Que des enfants juifs de Paris, de New York ou de Moscou grandissent loin de notre tradition, de notre histoire et de notre peuple, voilà la tragédie, qui a pour nom assimilation… Quand je lis sous votre plume, que “J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle, et que son « après » n’avait rien d’attrayant”, je ne peux évidemment que souscrire à cette déclaration d’amour. Je ne fais pas partie de ceux qui ont quitté la France comme on quitte un navire en perdition. Non! J’ai suivi avec inquiétude, depuis trois décennies, le long enfoncement de mon pays d’enfance dans le marasme politique et idéologique où elle se trouve aujourd’hui plongée. J’ai même écrit quelques livres pour éclairer mes anciens compatriotes sur les dangers de l’islam politique. 



 

 

Je partage donc votre inquiétude et votre amour, cher Alain. Mais j’ai depuis lors renoncé à l’illusion de croire que c’était à nous, Juifs, qu’il appartiendrait de sauver la France contre ses démons et d’être en quelque sorte les derniers Français de France… Et cela m’amène à vous, Eric. Je suis votre engagement avec intérêt et je n’éprouvais pas jusqu’à récemment la répulsion que votre nom provoque chez certains. Que vous soyez un patriote français ne me choque pas du tout. Après tout, quitte à rester en France, autant que cela soit avec conviction et avec la volonté de tout faire pour que ce pays reste fidèle à son histoire et à ses traditions. 

 

Là où je ne vous suis pas, c’est lorsque vous vous identifiez totalement et sans réserve à cette histoire et à ces traditions, sans voir ce qu’Alain déclarait en entrant sous la Coupole : “C’est de France, et avec la complicité de l’État français, que mon père a été déporté...Le franco-judaïsme a volé en éclats,  les Juifs qui avaient cru reconnaître dans l’émancipation une nouvelle sortie d’Égypte, ont compris qu’ils ne pouvaient pas fuir leur condition”.  (Si seulement l’auteur de ces paroles en avait tiré toutes les conséquences…)

 

 

J’ai été choqué comme tout Juif qui se respecte par votre dernière sortie et par vos paroles malencontreuses, dans lesquelles vous faites reproche aux familles Sandler et Monsonego d’avoir enterré leurs enfants assassinés en Israël. J’ai repensé en lisant vos phrases choquantes aux mots de Péguy, ce grand Français que vous trois, Eric, Alain et Sarah, lisez et appréciez ; “Heureux ceux qui sont morts pour une terre charnelle, mais pourvu que ce fût dans une juste guerre”... Ces mots qui me touchent comme vous n’évoquent pas pour moi les morts de Sedan ou de Verdun, mais ceux de Massada et de Tel-Haï. Ils m’évoquent un héros juif, Yossef Trumpeldor, qui a écrit d’autres mots impérissables : “Tov la-mout béad Artsénou”, “Il est bon de mourir pour son pays”.

 

Or voyez-vous, cher Alain, Eric et chère Sarah, s’il est bon de mourir pour son pays, encore faut-il ne pas se tromper de pays. Si les parents des enfants Sandler et de la petite Myriam Monsonégo ont choisi d’enterrer leurs enfants dans la terre d’Israël, ce n’était pas par mépris pour la France et son histoire, mais plus simplement parce qu’ils avaient compris dans leur chair ce que vous vous refusez tous les trois à admettre, en dépit de votre érudition et de vos écrits savants. L’histoire de France n’est pas la nôtre, sa terre n’est pas mienne et son avenir n’est pas celui du peuple Juif. 

 

 

Que vous ayiez choisi de croire au “Destin français”, cher Eric, et de servir la France par vos écrits, cher Alain, et par votre carrière, chère Sarah, ne peut effacer cette réalité que Lévinas et Jankélévitch connaissaient bien, il y a déjà de nombreuses années. On peut échapper au destin juif - vécu par certains comme un malheur - en voulant épouser l’histoire, la culture et le destin d’un autre peuple. On peut être un bon Juif français, et même devenir un “Français d’origine juive”, mais on ne peut, pour vous citer, cher Alain, échapper à “l’irrémissibilité de l’être juif” (2). On peut par contre, refuser le malheur juif pour choisir le “dur bonheur d’être Juif” (André Neher) et assumer librement sur notre Terre retrouvée la vocation juive et israélienne. Gmar Hatima tova.

Pierre Lurçat

1. In Th. Lessing, La haine de soi juive. Je cite de mémoire.

2. L’expression est d’Emmanuel Lévinas.

 

 

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