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Le mythe du “génocide du peuple palestinien”, Pierre Lurçat

January 8 2024, 16:55pm

Posted by Pierre Lurçat

Le mythe du “génocide du peuple palestinien”, Pierre Lurçat

 

Alors que la Cour de justice de La Haye s'apprête à examiner la plainte pour génocide de l'Afrique du Sud contre Israël, je publie ici un extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, consacré au mythe du “génocide du peuple palestinien”. A travers les accusations récurrentes de génocide portées contre Israël et son armée, c’est en effet le discours mythique de l’antisémitisme séculaire qui se perpétue. P.L.

 

 

La présentation constante d’Israël et de son armée comme “tuant des Palestiniens” n’est pas une simple accusation polémique. Derrière l’accusation de meurtre délibéré, de “crimes de guerre” et de “génocide”, il y a un véritable discours mythique. Lisons à ce propos les remarques éclairantes de Pierre-André Taguieff, au sujet de l’affaire Al-Dura[1] :

 

Dans la construction du sionisme comme une entreprise génocidaire, les propagandistes font feu de tout bois : après avoir transformé les Palestiniens en symboles des pauvres, des humiliés et des offensés, puis en victimes de “l’impérialisme d’Israël”, ou plus largement d’un “complot américano-sioniste”, ils leur donnent le visage de prétendus “enfants-martyrs”. C’est en effet par assimilation avec la légende du crime rituel juif “que s’est opérée l’exploitation internationale, par toutes les propagandes antisionistes, du prétendu “assassinat par l’armée israélienne du jeune Palestinien Mohammed Al-Dura”.

 

Cette analyse relie de manière très significative l’affaire du petit Mohammed Al-Dura à l’accusation séculaire du “crime rituel”, qui est une des thématiques les plus anciennes de l’antisémitisme. La propagande contemporaine n’a en l’occurrence rien inventé : elle ne fait que recycler constamment des thèmes anciens, qu’elle puise dans l’imaginaire collectif et dans l’arsenal de la propagande antisémite, développé au cours des siècles.

 

Ajoutons qu’on ne saurait comprendre l’acharnement avec lequel les médias français et occidentaux présentent chaque Palestinien tué dans un “affrontement” (le plus souvent alors qu’il était lui-même l’assaillant) comme une “victime innocente”, si on ne tient pas compte de ce ‘subtexte’, ou fondement sous-jacent - conscient ou non - du mythe du crime rituel, à travers le prisme duquel le conflit israélo-arabe est constamment présenté. Ce mythe ancien est apparemment resté présent dans l’inconscient collectif occidental. C’est en faisant cette hypothèse et en gardant à l’esprit ces remarques préliminaires, que nous allons analyser le mythe du “génocide du peuple palestinien”. (...)

 

La filiation historique entre l’antisionisme et l’antijudaïsme

 

En réalité, ce mécanisme d’inversion permanent consistant à vouloir détruire l’adversaire tout en l’accusant de ses propres intentions n’a rien de nouveau. L’historien Georges Bensoussan écrit à ce propos que “tout discours meurtrier impute en effet à sa victime le dessein qu’il nourrit à son endroit[2]”. Pierre André Taguieff analyse également ce mécanisme, auquel il a donné le nom, que nous lui empruntons, d’inversion victimaire, dans ses “trois grands moments historiques”[3] : celui de l’antijudaïsme antique et médiéval, celui de l’antisémitisme moderne, et enfin celui de l’antisionisme contemporain. Cette perspective historique plus large nous permet de comprendre comment le mythe du “génocide du peuple palestinien” s’inscrit dans le droit fil de l’accusation de crime rituel, qu’il reprend à son compte et auquel il donne des formes nouvelles.

 

Un élément essentiel à la compréhension du mythe du génocide et des autres mythes de l’antisionisme contemporain est en effet celui de la filiation historique qui relie ce dernier à l’antisémitisme moderne et à l’antijudaïsme de l’Antiquité et du Moyen-Âge. Ce n’est pas par hasard que les analyses les plus éclairantes de l’antisionisme contemporain ont été faites par des historiens, comme Pierre-André Taguieff, souvent cité dans le cadre de notre ouvrage, et l’historien de l’antisémitisme Léon Poliakov, dont il poursuit les travaux. Un exemple récent nous est donné par le discours de Mahmoud Abbas en décembre 2019, dans lequel il a accusé Israël d’être responsable de la diffusion de drogues au sein de la société palestinienne[4]. En juin 2016, Abbas avait déjà accusé Israël d’empoisonner les puits et l’eau potable bue par les Palestiniens[5].

 

 
Le mythe du “génocide du peuple palestinien”, Pierre Lurçat

Cette accusation était de toute évidence la remise au goût du jour d’un thème antisémite ancien, largement répandu au Moyen-Age. La légende des “Juifs empoisonneurs” réapparaît ensuite au 16e siècle, sous la plume de Martin Luther, qui affirmait que “si les Juifs pouvaient nous tuer tous, ils le feraient volontiers, certes, spécialement ceux qui exercent la médecine[6]. Plus tard, cette accusation revient sur le devant de la scène à l’époque contemporaine, lors de la tristement célèbre affaire du “complot des Blouses blanches”, orchestré par Staline en janvier 1953. Plus récemment encore, l’accusation d’empoisonnement est formulée à l’encontre d’Israël, lors du décès de Yasser Arafat en novembre 2004, dans un hôpital français.

 

Cet exemple - parmi beaucoup d’autres - permet de comprendre comment fonctionne le discours antisioniste, et plus précisément comment il s’alimente à la source de l’antijudaïsme antique et de l’antisémitisme moderne. Il le fait en puisant dans l’éventail de stéréotypes négatifs concernant les Juifs, qui s’est constitué depuis des siècles. Le discours antisioniste radical, comme le discours antisémite “classique”, fait feu de tout bois : il puise indistinctement dans les accusations antijuives d’origine religieuse, chrétienne notamment. Citons encore Taguieff : “La sécularisation des accusations contre les Juifs, à l’exception de celle de déicide, n’a nullement interrompu, à partir du 18e siècle, le processus de transmission de leurs formes religieuses”[7].

 

De même, pourrait-on dire en extrapolant cette remarque, la sécularisation des accusations contre Israël dans l’antisionisme contemporain n’a pas interrompu le processus de transmission de thèmes antijuifs anciens, comme on le voit dans le discours d’un Mahmoud Abbas accusant Israël (et les rabbins) d’empoisonner les puits des Palestiniens.

 

(Extrait de P. Lurçat, Les Mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éditions l’éléphant 2021. En vente sur Amazon).

Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain – Éditions L’éléphant

 

 

[1] La Judéophobie des Modernes, op. cit. p. 300. Le 30 septembre 2000, la chaîne France 2 diffusait des images d’un échange de tirs au carrefour Netsarim, dans la bande de Gaza. Le correspondant Charles Enderlin affirmait que le jeune Mohammed Al-Dura avait été tué par des tirs israéliens. Cette affirmation qui ne reposait sur aucun élément incontestable donna lieu à des accusations contre Tsahal d’avoir délibérément tué Al-Dura. 

[2] In “Antisémitisme et négationnisme dans le monde musulman”, Revue d’histoire de la Shoah no. 180, janv-juin 2004. p. 12.

[3] Pierre-André Taguieff, « Un exemple d’inversion victimaire : l’accusation de meurtre rituel et ses formes dérivées », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne] 18/10/2019. http://journals.openedition.org/aad/3500

[4]Abbas accuse Israël d'être à l'origine de la corruption chez les Palestiniens”, i24news.tv, 20/12/2019

https://www.i24news.tv/fr/actu/international/moyen-orient/1576834118-abbas-accuse-israel-d-etre-a-l-origine-de-la-corruption-chez-les-palestiniens

[6] Trachtenberg, Joshua. 1983 [1943]. The Devil and the Jews : The Medieval Conception of the Jew and Its Relation to Modern Antisemitism (New Haven : Yale U. P.) Cité par Taguieff 2019.

[7] Pierre-André Taguieff, « Un exemple d’inversion victimaire : l’accusation de meurtre rituel et ses formes dérivées », 2019 https://journals.openedition.org/aad/3500#bodyftn11

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L’objectivité selon Le Monde (et d’autres médias français) : “Cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les Juifs” ?

December 5 2023, 08:04am

Posted by Pierre Lurçat

L’objectivité selon Le Monde (et d’autres médias français) :  “Cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les Juifs” ?

 

La “Une” du journal Le Monde du 4 décembre est éloquente : “Des frappes meurtrières écrasent un quartier de Gaza”. L’article, signé par la journaliste-militante Clothilde Mraffko, porte le “chapeau” suivant : “Une série de bombardements a détruit près d’une cinquantaine d’immeubles d’habitation, l’un des pires massacres depuis le début de la guerre à Gaza. L’armée israélienne a déclaré avoir éliminé un cadre du Hamas visé”. La suite de l’article est à l’avenant : Samedi 2 décembre à Chadjaya, un quartier de la ville de Gaza, l’armée israélienne a rasé un bloc entier d’habitations entier pour éliminer un cadre du Hamas, causant un carnage parmi la population. Selon la protection civile de l’enclave palestinienne, le bilan de cette opération se compte en centaines de morts, ce qui en fait, possiblement, le bombardement le plus meurtrier en près de deux mois de guerre.

 

Mais contrairement à ce que laisse entendre l’article du Monde, qui se fonde sur les chiffres invérifiables du Hamas, il ne s’agit ni d’un “massacre” ni d’un “carnage” (deux mots qui indiquent une intention criminelle) mais simplement de victimes collatérales d’un bombardement visant un dirigeant du Hamas. Comme l’a rappelé aujourd’hui Emmanuel Navon sur l’excellente chaîne Mosaïque, les victimes civiles tuées lors d’attaques contre des cibles militaires ne constituent aucunement un “crime de guerre”. Au contraire, c’est le fait d’utiliser sciemment des civils pour se dissimuler, comme le font systématiquement les dirigeants du Hamas, qui est proscrit par le droit de la guerre et par le droit international ! Petit rappel que devrait lire le président Macron, apparemment très mal informé sur le sujet…

 

Il faut ouvrir le journal pour avoir une vision un tant soit peu plus équilibrée sur le conflit : en pages intérieures, on peut ainsi lire en page de gauche un grand article intitulé “Chadjaya écrasé sous les frappes d’Israël”, et en page de droite un grand article intitulé “A Sdérot, la ville voisine de Gaza, figée dans la terreur du 7 octobre”. Au-delà du contenu même des deux articles, qui mériterait un long développement, c’est leur superposition qui interroge. Remarquons tout d’abord que le titre de l’article sur Gaza est en caractères gras, bien plus gros que celui de l’article sur Sdérot. Le premier article est précédé de quatre photos en couleur montrant les décombres d’immeubles à Gaza (il s’agit en fait d’images tirées du reportage d’un journaliste d’Al-Jazira, la chaîne qatarie pro-Hamas). L’article sur Sdérot ne comporte aucune photo.


            Mais au-delà même de ces procédés journalistiques cousus de fil blanc, admettons que le parallèle entre les deux articles soit parfait. Que signifie la symétrie établie par Le Monde entre Gaza et Sdérot? Imagine-t-on une double d’un journal français en pleine Deuxième Guerre mondiale, comportant un article consacré à Oradour sur Glane d’un côté, et un autre consacré à Dresde de l’autre ? La comparaison fait frémir… C’est pourtant précisément ce que fait Le Monde concernant la guerre à Gaza. L’objectivité journalistique selon Le Monde, c’est, comme disait Jean-Luc Godard (qui n’était pas un ami d’Israël), “cinq minutes pour Hitler (le Hamas), cinq minutes pour les Juifs”.

P. Lurçat

 

Je donnerai une conférence en ligne le 14.12 à 19h00 (Paris), dans le cadre de l’O.S.M,

sur le thème “Comment défendre Israël à l’ère de la post-vérité ?

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"Suprémacisme juif": aux origines d'une expression mensongèree

November 2 2022, 15:05pm

Posted by Pierre Lurcat

"Suprémacisme juif": aux origines d'une expression mensongèree

L’article qu’on trouvera ci-après (1) illustre un phénomène inquiétant, qu’on peut décrire comme la migration de certains éléments du discours antijuif dans le lexique des grands médias français. Plus qu’un simple phénomène sémantique, il s’agit d’une évolution significative, qui illustre la radicalisation du discours sur (contre) Israël dans les grands médias français, pièce supplémentaire à verser au dossier de l’antisémitisme/antisionisme actuel.

 

L’exemple choisi - l’expression de “suprémacisme juif” - n’est pas anodin. L’accusation de “racisme juif” (dont le suprémacisme est une forme extrême) est en effet, comme l’a démontré le politologue Pierre-André Taguieff dans ses nombreux travaux sur le sujet, un élément essentiel du discours antisémite/antisioniste contemporain. Plus précisément, c’est autour de cette accusation de “racisme juif”, aussi ancienne que l’antisémitisme lui-même, que se focalise le discours du “Nouvel Antisémitisme” apparu dans les années 2000.

 

Dans le chapitre intitulé “Le mythe du juif raciste” de son ouvrage magistral sur la question, La judéophobie des Modernes, Des Lumières au djihad mondial”, P.A. Taguieff analyse ainsi la place de l’accusation de “racisme juif” dans le discours antijuif contemporain :

 

Les Juifs se plaignant d’être victimes du ‘racisme’, il fallait encore mettre en oeuvre une stratégie de rétorsion pour neutraliser l’argument en le retournant contre les victimes… Un sixième thème d’accusation est donc entré sur la scène antijuive : celui du Juif raciste, originellement - voire originairement- génocidaire, dont le “sioniste” supposé “raciste” représenterait la dernière incarnation historique. Ce nouveau thème d’accusation peut être considéré comme une réinvention, dans le contexte planétaire de la guerre contre Israël et le “sionisme”, de l’antique accusation de xénophobie/misanthropie, amalgamée à celle de barbarie… L’apparition de cette figure négative du Juif dans l’espace mondial a été l’occasion d’une cristallisation de toutes les représentations judéophobes...

 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer et analyser l’usage de l’expression “suprémaciste/suprématisme juif” dans le discours antijuif contemporain. On la retrouvait jusqu’à récemment chez de nombreux porteurs de l’idéologie antijuive, de Soral à Dieudonné en France, à David Duke aux Etats-Unis. Son adoption par les correspondants en Israël de grands quotidiens français n’est pas un fait anodin. (2) J’ajoute que l’exemple analysé ci-dessous n’est pas le seul. On pourrait citer aussi celui d‘apartheid (récemment utilisé dans les médias français au sujet de la loi Israël-Etat nation du peuple juif)  

Pierre Lurçat

 

(1) L’auteur est un professionnel des médias, qui a choisi de garder l’anonymat. Cet article paru initialement en 2019 n'a rien perdu de son actualité, alors que les médias français rendent compte des résultats des dernières élections en Israël.

(2) Il n’est pas non plus anodin que l’une de ces correspondants soit Danièle Kriegel, épouse de Charles Enderlin, l’auteur de la calomnie Al-Dura, que le professeur Richard Landes a qualifiée de “première accusation de crime rituel du vingtième siècle”... Cela fait beaucoup pour une seule famille.

 

« Suprémacisme juif »: quand la presse popularise un concept inexact, jusqu’alors utilisé par les anti-juifs

 

Jamais cette expression n’avait été utilisée dans la presse. Elle se retrouve soudain appliquée à propos de deux politiciens de droite radicale, membres de partis différents, aux idées virulentes contre les Arabes mais actifs de longue date dans la vie politique israélienne. L’innovation sémantique, qui s’est répandue dans quatre quotidiens français, en l’espace de quelques semaines, met aussi en lumière la rapide circulation des idées et des innovations sémantiques au sein du petit monde des correspondants de presse qui oeuvrent en Israël.

 

En Israël comme ailleurs, il existe des courants politiques radicaux. Il ne s’agit pas ici de défendre des politiciens de droite radicale, mais de signaler l’adoption soudaine d’un qualificatif inadapté pour les décrire.

 

Qu’est-ce que le suprémacisme

Le suprémacisme est « une idéologie de supériorité et de domination : elle affirme qu'une certaine catégorie de personnes est supérieure aux autres et doit les dominer ou les asservir, ou est en droit de le faire » ; on le décrit aussi comme une « idéologie raciste qui affirme qu'il existe une hiérarchie entre les êtres. »

 

L'accusation de « suprématisme juif », dont il est question ici, n’est pas anodine : elle rappelle la vieille antienne du « Juif raciste » qui est un élément central de l’antisémitisme contemporain, comme l'a montré Pierre-André Taguieff. On se rappelle de la résolution 3370 adoptée par l’ONU en 1975, avant d’être abrogée en 1991, qui avait condamné « le sionisme » comme une « forme de racisme et de discrimination raciale ».

 

La soudaine vulgarisation d’un concept

 

Le 21 février, le correspondant du Monde en Israël parlait d’un petit parti israélien, Otzma Yehudit, en évoquant à propos de la tentative d’alliance du Premier ministre Benjamin Nétanyahou avec ce parti « une chance réelle à cette formation suprémaciste juive d'entrer au Parlement ». D’après nos recherches, il était sans doute le premier journaliste à parler de « suprémaciste juif » dans un grand quotidien français.

 

Quelques jours plus tard, la correspondante du Point à Jérusalem, Danièle Kriegel, remettait à l’honneur le terme, placé pour la première fois dans un titre d’article :  


 

 

Otzma Yehudit est l’héritier du parti d’extrême droite « Kach » du rabbin Meïr Kahane qui fut dans les années 90 interdit pour cause d’incitation au racisme. L’article de Danièle Kriegel relatait comment la Cour suprême avait exclu des élections un candidat de ce parti aux législatives israéliennes, Michael Ben-Ari, en lui reprochant une attitude raciste.

 

Thierry Oberlé, correspondant du Figaro, reprit ensuite le terme à son compte :

 

 

L’innovation a rapidement fait tache d’huile. Fin mars, à son tour, le correspondant de Libération, Guillaume Gendron, s’est mis à utiliser ce langage – pour parler d’un autre candidat :


 

 

Aux yeux de Guillaume Gendron, c’est Moshe Feiglin, candidat du parti « Zehout », qui mérite ce qualificatif.

 

Qui sont Ben Ari et Feiglin

Michael Ben Ari et Moshe Feiglin ne sont pas des nouveaux venus. Ils ont tous deux servi comme députés à la Knesset par le passé. Notre propos n’est pas ici de cautionner ou non leur politique ou le jugement de la Cour suprême. Il est clair que les deux candidats ont des positions radicales, très dures contre les Arabes.

 

Michael Ben-Ari voudrait expulser la majorité des Arabes d’Israël et de tous les territoires disputés, qu’il aimerait annexer. Pour lui, toute personne qui « ose parler contre un Juif » doit être un homme mort, prônant sa « suppression par un peloton d’exécution comme les Arabes le comprennent le mieux… ». Il a beau avoir précisé plus tard que sa remarque s’adressait au leadership du Hamas et non à tous les Arabes et qu’il n’était « pas contre tous les Arabes, seulement contre ceux qui ne sont pas loyaux envers l’Etat d’Israël », il ne donne pas dans la modération.

 

Moshe Feiglin, lui, est un ancien membre du Likoud qui a par la suite fondé le parti Zehout. Durant sa période au Likoud, il a même été vice-président de la Knesset, un poste très en vue ; pourtant, nous n’avons trouvé aucune trace de description de ce personnage comme un suprémaciste dans les médias durant toute cette période. Moshe Feiglin, outre ses idées originales « libertariennes » évoquées par Guillaume Gendron, voudrait lui aussi « aider » les Arabes à émigrer dans les pays voisins (non seulement ceux des territoires disputés, mais aussi ceux qui sont aujourd’hui israéliens…).

 

Les idées des deux politiciens peuvent-elles être qualifiées de suprémacistes ?

 

Le Ku Klux Klan, le nazisme, l’apartheid sont des idéologies qui ont prôné la supériorité raciale d’un groupe sur un autre. Plutôt qu’une supériorité raciale juive, il semble qu’Otzma Yehudit et Zehout préconisent une séparation – un « chacun chez soi » : les Juifs en Israël, les Arabes dans les pays alentours où ils disposent du droit à l’auto-détermination… On peut tout à fait réprouver cette idée – c’est d’ailleurs le cas de la majorité des électeurs israéliens qui sont peu nombreux à soutenir ces partis. Mais le terme de « suprémacisme » n’est sans doute pas le plus adéquat.

 

Cela n’empêche pas des adversaires politiques de Michael Ben Ari de penser qu’il « croit à la supériorité de la race ». Dans une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP), on lit en effet que « Tamar Zandberg, à la tête du parti de gauche Meretz, a affirmé dans un communiqué que "la place des gens qui croient à la supériorité de la race est derrière les barreaux et pas au Parlement". » Pour autant, si elle a rapporté l’opinion de la cheffe du Meretz qui a œuvré devant le tribunal pour l’interdiction de Michael Ben Ari, l’AFP s’en est tenue à qualifier ce dernier de « leader d’extrême droite », ce qui correspond certainement à son positionnement sur l’échiquier politique israélien.

 

 

 

Un usage inédit

 

En tout état de cause, une recherche de l’expression de « suprémacisme juif » sur Google semble indiquer que son utilisation par des médias généralistes francophones est inédite. Jusqu’alors, elle était l’apanage de sites soraliens ou musulmans radicaux. C’est aussi le titre d’un ouvrage de David Duke, véritable suprémaciste blanc et ancien chef du Ku Klux Klan…

 

Ceux qui veulent diaboliser les Juifs doivent être ravis que plusieurs grands quotidiens donnent soudain du crédit à la thèse jusqu’alors marginale de l’existence d’une tendance « suprémaciste juive ». Ils ne manqueront pas de s’en servir pour tenter de dénigrer l’ensemble des Juifs (oubliant que certains des plus virulents adversaires d’Israël, comme le Hamas ou le Hezbollah, pourraient sans doute bien davantage être qualifiés de suprémacistes, d’autant que ces courants sont beaucoup plus influents qu’Otzma Yehudit et Zehout ne le sont en Israël). Les journalistes ont la responsabilité de peser les mots. Ils ont failli sur ce plan en adoptant soudainement un vocable aussi controversé.

 

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