Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

scientisme

Dans la bibliothèque de mon père (III) : Emmanuel Lévinas et le bilan du vingtième siècle

October 23 2022, 06:14am

Posted by Pierre Lurçat

François Lurçat z.l. (1927-2012)

François Lurçat z.l. (1927-2012)

 

לזכר אבי

 

Le siècle d’Einstein et de Planck était aussi le siècle d’Hitler… Il y a une ressemblance hideuse entre les principes du fascisme et les principes de la physique moderne

Vassili Grossman, Vie et Destin

 

La philosophie occupait une place de choix dans la bibliothèque de mon père, aux côtés de la poésie et de la physique, entre autres, car comme je l’ai relaté, “rien de ce qui est humain ne lui était étranger”. Parmi les multiples auteurs, anciens (Platon, Aristote) ou modernes (Léo Strauss, Husserl ou Nietzsche, sur lesquels je reviendrai), un auteur en particulier lui était cher : Emmanuel Levinas. Mon père avait commencé à le lire et à l’étudier bien avant la “mode Lévinassienne”, car aucune de ses lectures n’était motivée par une quelconque mode intellectuelle, phénomène qu'il ignorait totalement. Il l'avait découvert au début des années 1980, apparemment à l'occasion d'une série d'entretiens avec Philippe Nemo diffusés sur France Culture (et publiés ultérieurement sous le titre Éthique et infini[1]).

 

Lecteur assidu et pointilleux d’Emmanuel Levinas, il y avait notamment cherché des réponses à certaines des questions qui avaient nourri sa réflexion pendant plusieurs décennies. Si je devais tenter de résumer la question essentielle à laquelle Levinas l’avait aidé à répondre, je choisirais cette phrase tirée de Noms propres, qu’il aimait à citer : “Ne permettent-ils pas de présumer, derrière les propos en perdition, la fin d’une certaine intelligibilité, mais l’aube d’une autre ?’” Dans cette question cruciale, mon père avait sans doute été plus sensible à cette fin d’une intelligibilité – qu’il avait vécue dans sa propre existence de physicien et de professeur – qu’à “l’aube d’une autre”, qu’il avait été chercher ailleurs. Une autre citation, tirée du livre Les imprévus de l’histoire, permettra de préciser cette question : “ce sentiment qui commence à pénétrer la science moderne, gênée par des “crises” et des “paradoxes”, angoissée de voir que le sens même de ses jugements – si certains cependant – lui échappe…”

 

C’est en effet son expérience d’enseignant et de chercheur qui l’avait amené à se détourner de la recherche scientifique pour entamer une deuxième carrière, à l’approche de sa retraite de physicien : celle de philosophe des sciences. La critique radicale de la “social-science” et de l’idéologie scientiste qu’il mena – en collaboration avec ma mère, Liliane Lurçat – puisait à des sources multiples, parmi lesquelles figurait en bonne place la source hébraïque. Mais celle-ci, qu’il avait goûtée notamment en lisant le “Levinas juif” – celui des Lectures talmudiques et de Difficile Liberté – n’épuisait pas sa soif de connaissances insatiable.

 

À aucun moment en effet il n’avait cherché de raccourci, ni en tant que physicien réfléchissant sur la science, ni en tant que lecteur. Ainsi, muni de son outil de lecture préféré, le crayon à papier, il avait lu et relu les ouvrages de Levinas, y compris les plus ardus – et notamment Totalité et Infini ou Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, dont les belles éditions chez Martinus Nijhoff étaient couvertes de notes au crayon, portées lors de ses lectures successives (car il ne lisait pas les livres qu’une seule fois)[2]. Les dernières pages intérieures des livres qu'il aimait particulièrement étaient ainsi souvent emplies de notations, qui comportaient à la fois un “index” des sujets et auteurs abordés, la mention des thèmes qui intéressaient le plus mon père et ceux qu’il se promettait de creuser plus avant.

 

Parfois aussi, les notes intérieures aux livres prenaient la forme d’exclamations empreintes d’humour, ou parfois de colère (comme ce “Tu n’aimes pas les Juifs, Hannah !” que j’ai retrouvé dans un exemplaire des Origines du totalitarisme). Lecteur passionné, il avait cherché avec Levinas les moyens de mener à bien une critique du scientisme, qui allait bien plus loin que celle qu’on trouve parfois chez certains scientifiques (ce qui explique sans doute le désarroi et la déception avec lequel il évoquait ses collègues physiciens, tellement timorés dans leur critique de la science et apparemment incapables de parler avec lui des sujets qui lui tenaient à cœur). Mais ce n’était pas la seule question à laquelle la lecture de Levinas l’avait aidé à répondre.

 

Levinas et le bilan du siècle

 

            La deuxième grande question, après celle de la critique de la science (pour laquelle la lecture de Levinas l’avait conduit à lire Husserl, qui fut une autre lecture capitale pour lui), fut celle du “bilan” du vingtième siècle. Bilan dans lequel le passif était de toute évidence l'aspect qui l’interrogeait : celui de la Shoah, du communisme auquel il avait adhéré dans sa jeunesse et du projet totalitaire qui avait survécu à la chute du Mur de Berlin. Dans un passage de son livre La science suicidaire, intitulé “Levinas et le bilan du siècle”, mon père écrivait ainsi :

 

            “Être radical, disait Marx, c’est prendre les choses par la racine. Levinas est plus radical que cela : il met en question la recherche même de la racine, cette vénérable tradition de la pensée européenne qui consiste à toujours vouloir remonter à l’origine… Reconnaître vraiment que l’histoire ne commence pas avec le penseur qui la pense, c’est renoncer aussi à faire de la philosophie un royaume protégé… Pour Levinas, les désastres du siècle ont aussi provoqué des effondrements philosophiques. Le projet révolutionnaire a abouti au totalitarisme ; la science, née pour embrasser le monde, le livre à la désintégration”.

 

Cette question de la responsabilité de la science – et plus généralement de l’Occident – dans les catastrophes du vingtième siècle occupa une grande partie de ses réflexions. Il trouva un écho de cette préoccupation chez un écrivain russe qui lui était particulièrement cher, Vassili Grossman. Ce dernier aborde en effet ce thème précis, à travers le personnage du physicien juif Strum. Celui-ci s’interroge, après la mort de sa mère, sur son identité juive et sur la ressemblance entre la vision de l’homme du fascisme et celle de la science moderne. “La physique moderne parle d’une plus ou moins grande probabilité des phénomènes dans tel ou tel ensemble d’individus physiques. Le fascisme ne se fonde-t-il pas, dans sa terrifiante mécanique, sur les lois d’une politique quantique, sur une théorie des probabilités politiques ?[3]

 

Chez Levinas, mon père trouva une manière nuancée d’aborder la question de l’héritage de l’Occident, qui évitait le double écueil de la supériorité morale (aujourd’hui bien disparue, il est vrai) d’une part, et de l’auto-dénigrement d’autre part. Comme il l’explique dans un passage intitulé de manière éloquente “Accepter l’héritage : actif et passif” : “Approche nouvelle de vieilles questions, que Levinas développe de manière strictement philosophique, mais dont il a trouvé l’inspiration dans la tradition juive – l’autre source de la culture européenne. (“L’Europe, c’est la Bible et les Grecs”, rappelle-t-il souvent.) Approche qui permet aussi, me semble-t-il, de poser de façon nouvelle la question de notre héritage. Car la fausse alternative où s’est enfermée notre pensée massifiée – dénigrer la culture européenne, ou mépriser les autres – est liée à un individualisme extrême, et en partie à une conception purement juridique de la responsabilité”.

 

Le Levinas juif et le Levinas philosophe

 

            Lecteur passionné de Levinas, mon père avait apprécié tout autant celui des Lectures talmudiques que celui de Totalité et Infini. À première vue, ces deux parties de son œuvre étaient distinctes, séparées tant du point de vue du style de l’écriture que du public visé, et jusqu’aux éditeurs, les éditions de Minuit ayant publié son œuvre d’exégèse des textes juifs, tandis que ses textes proprement philosophiques étaient publiés ailleurs. Levinas lui-même avait semblé encourager une telle dichotomie, répondant à la question de Philippe Nemo, qui lui demandait si on pouvait “interpréter [son] œuvre ultérieure comme une tentative pour accorder l’essentiel de la théologie biblique avec la tradition philosophique et son langage” dans les termes suivants : “Je n’ai jamais visé explicitement à ‘accorder’ ou à ‘concilier’ les deux traditions[4].

 

Ailleurs, il était encore plus explicite : “Je sépare très nettement ces deux sortes de travaux : j’ai même deux éditeurs, l’un qui publie mes textes dits confessionnels, l’autre qui publie mes textes dits purement philosophiques. Je sépare les deux ordres[5]. A y regarder de plus près pourtant, la séparation entre le Levinas exégète et le philosophe n’était pas si absolue. La dichotomie apparente s’effaçait en effet dans le rapport d’antériorité qu’il instaurait entre la tradition philosophique occidentale et la tradition juive : “ À aucun moment la tradition philosophique occidentale ne perdait à mes yeux son droit au dernier mot ; tout doit, en effet, être exprimé dans sa langue ; mais peut-être n’est-elle pas le lieu du premier sens des êtres, le lieu où le sensé commence[6]. À cet égard, sans jamais renoncer à la langue philosophique, Levinas avait sans doute tenté de faire entrer dans le vocabulaire philosophique le nom de Dieu. Peut-être même avait-il tenté de faire entendre, dans le paysage philosophique du vingtième siècle qu’il avait bien connu, la parole d’un Dieu qui n’était pas seulement le “Dieu des philosophes”, mais aussi celle du “Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob”, pour reprendre l’expression de Pascal.

 

Vers la même époque où il s’était plongé dans la lecture de Levinas, mon père avait aussi entamé sa lecture des grands textes juifs. Animé par la même soif de comprendre qui l’avait conduit à explorer pendant trois décennies le monde des particules élémentaires, il avait lu le Pentateuque, dans la traduction de Munk avec ses commentaires et dans celle de Chouraqui, le Nefesh ha-Hayim et d’autres textes classiques publiés aux éditions Verdier, parmi lesquels les Aggadot du Talmud de Babylone. Esprit rationnel et scientifique, il avait aussi connu sa crise mystique, qui avait failli l’emmener aux portes de l’église (ma mère, comme dans une histoire juive, avait dû lui rappeler que notre famille n’avait qu’une religion, la seule religion, qu’on ne pratiquait pas : le judaïsme)... A suivre.

 

 

[1] E. Lévinas, Ethique et Infini, dialogues avec Ph. Nemo, Fayard/France Culture 1982.

[2] Je pourrais dire, si la comparaison n’était pas devenue aujourd’hui banale et employée si souvent à mauvais escient, que mon père lisait Lévinas comme on lit une page de Talmud…

[3] V. Grossman, Vie et destin, L’âge d’homme / Le livre de poche 1980.

[4] E. Lévinas, Ethique et Infini, op. cit. p.19.

[5] François Poirié, Emmanuel Lévinas qui êtes-vous ? La manufacture 1987, p. 111.

[6] Ethique et Infini, op. cit. p.20.

Raïssa et Emmanuel Levinas avec leur fils Michaël au début des années 60

Raïssa et Emmanuel Levinas avec leur fils Michaël au début des années 60

See comments

Yuval Noah Harari et le judaïsme (II) : Homo Sapiens ou créature à l’image de Dieu?

August 16 2019, 07:55am

Posted by Pierre Lurçat

 

L’homme perdant son privilège d’être à part, à l’image de Dieu, n’a pas plus de droit que tout autre mammifère.

G. Vacher de Lapouge

 

Dans la première partie de cet article, nous avons vu comment Yuval Harari avait été sacré “penseur le plus important du monde” par un hebdomadaire français et nous sommes interrogés sur les raisons de son succès planétaire. Israélien niant toute originalité au judaïsme et sacrifiant à la mode du dénigrement de son pays, il est en effet devenu non seulement un auteur de best sellers, mais aussi la coqueluche des médias, des chefs d’Etat et autres VIP à travers le monde. Plusieurs personnalités comme Bill Gates, Emmanuel Macron ou Barack Obama ont publiquement vanté ses livres et fait leur promotion. Comment et pourquoi un obscur professeur d’histoire médiévale de l’université de Jérusalem est-il devenu l’hôte de l’Élysée et du sommet de Davos, et qu’est-ce que cela peut nous apprendre sur le monde actuel? 

 

E. Macron faisant la promotion du livre de Harari


 

Dans ce second volet de notre article, nous voudrions nous attacher à une autre dimension, tout aussi importante, de l’idéologie défendue par Harari : celle qui concerne sa définition de l’homme. Avant d’aborder les conceptions de Yuval Harari, une remarque préliminaire s’impose : notre époque a de plus en plus de mal à distinguer les énoncés scientifiques des énoncés métaphysiques ou idéologiques. Entre  l’affirmation que “l’homme fait partie du règne animal”, et la citation en exergue, selon laquelle “l’homme perdant son privilège d’être à part, à l’image de Dieu, n’a pas plus de droit que tout autre mammifère”, peu de lecteurs savent aujourd’hui affirmer avec certitude que la première est un énoncé scientifique classique (dont on peut cependant discuter la validité, comme tout énoncé scientifique) et la seconde un énoncé purement idéologique, ou métaphysique.

 

Or, si le lecteur contemporain a du mal à distinguer ces deux types d’énoncés, c’est parce que la science elle-même, trahissant sa mission, s’est érigée en “donneuse de leçons” sur tous les sujets, et est largement devenue, à de nombreux égards, une idéologie, voire même parfois une nouvelle religion. Lorsque des scientifiques sont invités à s’exprimer sur des sujets qui échappent à leur compétence, et notamment lorsqu’ils s’octroient le droit (ou le devoir) d’exprimer leur conception de l’homme, en prétendant savoir mieux que quiconque ce qu’est l’homme, ce qu’il doit être et ce qu’il deviendra, nous ne sommes plus en présence d’un discours fondé sur la connaissance, mais d’un discours idéologique (1).

 


C’est précisément ce que fait Youval Harari, dans son livre Sapiens et dans les nombreuses interviews et articles qu’il a donnés depuis la parution de son premier livre. Son affirmation “Nous sommes encore des animaux, et nos capacités physiques, émotionnelles et cognitives demeurent façonnées par notre ADN” est un énoncé idéologique, même s'il la présente comme une évidence scientifique. S’il est devenu un véritable gourou, sacré “penseur le plus important au monde” et premier «intellectuel global du XXIe siècle» (expressions qui ne veulent pas dire grand chose), c’est précisément parce qu’il répond aux attentes des médias, d’une partie du grand public et de certains hommes politiques, pour qui "la science" (et tout discours se parant de l’autorité de la science) est devenue la nouvelle idéologie dominante.

 

Une “Histoire de l’humanité pour les nuls”?

 

 

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le succès planétaire rencontré par Harari et la prétention sans limite avec laquelle il prétend écrire l’histoire de l’humanité tout entière et son avenir… Son livre Sapiens est en effet une sorte “d’Histoire de l’humanité pour les nuls”, dont le succès doit être mesuré à l’aune de la volonté de tout savoir sans se fatiguer, caractéristique de notre époque. On peut juger de la profondeur intellectuelle de la “pensée Harari” en lisant sa réponse à un journaliste français : l’historien du Moyen Age que je suis est en mesure de vous révéler deux scoops : le passé, en général, n’était pas marrant du tout et, surtout, il n’a aucune chance de revenir !”

 

Cognitivisme et négation de l’homme

 

Au-delà de son aspect médiatique et superficiel, la pensée de Yuval Harari est aussi marquée par le cognitivisme et par l’idée très en vogue que les neurosciences permettraient de comprendre l’homme dans sa totalité, qu’il exprime dans son livre Homo deus : « peut-être un jour des percées dans la neurobiologie nous permettront-elles d’expliquer le communisme et les croisades en termes strictement biochimiques ». Cette idée, est-il besoin de le souligner, est à mille lieues de la notion hébraïque de l’homme, créature à l'image de Dieu dont la connaissance totale échappe à la science. On sait aujourd’hui”, affirme-t-il encore avec un aplomb sans limite, “que les fondements de la morale sont apparus des millions d’années avant l’humanité. Les chimpanzés ont des codes éthiques que l’évolution a adaptés pour favoriser la coopération au sein du groupe…”

 

Selon Harari, l’âme n’existe pas, “puisque les chercheurs qui ont scruté tous les recoins du cœur et du cerveau humain ne l'ont jamais découverte” (2). Son argumentation est celle des scientifiques obtus, comme les décrivait l’écrivain israélien David Shahar à travers son personnage du « savant allemand ampoulé », dans La Nuit des Idoles, lequel soutenait lui aussi l'inexistence de l'âme. « La science prouvait qu'il n'existait rien qui put s'appeler une "âme". L'âme n'existait pas ; elle n'était qu'une création des poètes, des fondateurs de religions, ou d'un certain genre de philosophes ».

 

David Shahar 

 

Au-delà de l’ignorance et du mépris qu’il semble manifester à l’égard du judaïsme, Harari est bien ainsi devenu le porte-parole d’une idéologie aujourd’hui banale, qui fait de l’homme un “paquet de neurones”, ou un “homme neuronal”, titre d’un livre écrit par un spécialiste des neurosciences qui avait connu un grand succès il y a plusieurs décennies (3). Il partage le credo de “l’animalité humaine”, devenu “aussi peu discutable que pouvait l’être naguère le créationnisme” (4). Son rejet de l’anthropocentrisme judéo-chrétien n’a rien d’original, puisqu’il est devenu le coeur de la vulgate scientifique contemporaine, qui repose sur l’idée essentielle de la négation de la spécificité de l’homme, “animal comme les autres”. Le réductionnisme scientiste et la volonté d’abolir tout caractère spécifique de l’homme ont abouti à l’idéologie anti-spéciste, dont les représentants les plus radicaux expliquent que la vie humaine ne vaut pas plus que celle de l’animal.


 

Homo Sapiens ou créature à l’image de Dieu?
 

De la biologie post-darwiniste à la Shoah et à l’antispécisme actuel

 

Or, ce débat ne concerne pas seulement les philosophes, les écrivains et les penseurs qui expriment ces thèses et ceux qui les réfutent. Car les énoncés concernant la nature de l’homme ne sont pas seulement des positions théoriques ou philosophiques : ils ont tendance - comme l’histoire du 20e siècle l’a démontré de manière tragique - à se transformer en réalités, parfois monstrueuses. Derrière l’énoncé que nous citions plus haut, “l’homme perdant son privilège d’être à part, à l’image de Dieu, n’a pas plus de droit que tout autre mammifère” (5), se cache ainsi un des théoriciens de l’eugénisme à fondement racial, Georges Vacher de Lapouge (1854-1936). 

 

Magistrat et anthropologue, lecteur de Darwin, Galton et Haeckel, il est un des précurseurs des théories racistes qui ont constitué l’ossature idéologique de la politique d’extermination nazie. Selon Zeev Sternhell, Lapouge en France et Otto Amnon en Allemagne sont les deux auteurs qui ont combiné “darwinisme social et racisme”. Après la Shoah, les théories raciales ont été frappées de discrédit. Mais certains auteurs ont néanmoins été réhabilités depuis. Ainsi, Jean Rostand peut écrire que "En dépit de certaines outrances eugénistes, et surtout racistes, Vacher de Lapouge doit être considéré comme un précurseur en génétique”. 

 

Dans la troisième partie de cet article, nous verrons que la négation de l’humanité de l'homme n’a rien de nouveau sur le plan philosophique. Mais les horreurs auxquelles elle a abouti au vingtième siècle, qui ont culminé dans la Shoah, rendent plus que jamais nécessaire aujourd’hui une réévaluation de l’idéologie contemporaine, qui conteste la notion hébraïque du Tselem, c'est-à-dire la spécificité de l’être humain. Contre cette idéologie, et contre les fausses prophéties de Yuval Noah Harari, il faut faire entendre la voix authentique venue de Jérusalem, celle qui résonne du Sinaï depuis trois millénaires : “Et tu choisiras la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance”.

 

Pierre Lurçat

 

Notes

1. Sur l’évolution récente de la science et sur sa prétention à dicter ce qu’est l’humain, je renvoie aux ouvrages de François Lurçat, et notamment L’autorité de la science, Cerf 1995.

2. Voir Astrid de Larminat, “Homo Sapiens et Homo Deus: la nouvelle bible de l'Humanité ?” Le Figaro 8/9/2017.

3. Sur le livre de Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, je renvoie à l’analyse qu’en fait François Lurçat dans L’autorité de la science et à mon article “Athènes sans Jérusalem, le rejet des racines hébraïques au coeur du suicide de l’Occident”.

4. Étienne Bimbenet, Le complexe des trois singes, essai sur l’animalité humaine, Seuil 2017.

5. Ce texte est cité par l’historien Zeev Sternhell dans une communication au colloque de l’EHESS, “L’Allemagne nazie et le génocide juif”, Seuil 1985. Sur Vacher de Lapouge, voir notamment Pierre-André Taguieff, “Sélectionnisme et socialisme dans une perspective aryaniste : théories, visions et prévisions de Georges Vacher de Lapouge (1854-1936)”, Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2000 No. 18.  Pour des développements plus importants sur Lapouge et le mouvement eugéniste-raciste, Pierre-André Taguieff  La Couleur et le Sang. Doctrines racistes à la française (1998), nouvelle édition Paris, Mille et une nuits/Fayard, 2002, pp.  199-326 ; ainsi que larticle qui lui est consacré dans le Dictionnaire historique et critique du racisme (Paris, PUF, 2013)

See comments