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Le huitième front de la guerre d’Israël (II) Tsahal: armée du peuple ou “armée de la Cour suprême”?

December 15 2024, 13:50pm

Posted by Pierre Lurçat

Le huitième front de la guerre d’Israël (II) Tsahal: armée du peuple ou “armée de la Cour suprême”?

L’offensive menée par le “Deep State” sur le front judiciaire et les propos de l’ancien procureur de l’Etat appelant à l’insubordination montrent que les leçons du 7 octobre n’ont pas été tirées. Aux yeux du camp “tout sauf Bibi”, le Premier ministre demeure “l’ennemi à abattre”, même au milieu de la guerre existentielle qui dure depuis 14 mois. Second volet de notre article sur le “huitième front de la guerre”

Le huitième front de la guerre (I) Le « Deep State » contre la démocratie israélienne - VudeJerusalem.over-blog.com

Pendant les longs mois de crise et de luttes intestines qui ont précédé (et qui ont précipité) l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023, les manifestants anti-Nétanyahou ont employé l’expression sybiline de “crise constitutionnelle”, dont la signification était alors difficilement compréhensible. Comment peut-il y avoir une “crise constitutionnelle” dans un pays dénué de Constitution véritable?[1] Pour expliciter cette expression, les opposants au gouvernement affirmaient que l’armée devait obéir à la Cour suprême et non au pouvoir élu… Or ce scénario, qui paraissait alors très improbable, s’est en fait réalisé sous nos yeux, et il est sans doute une des explications du fiasco du 7 octobre.

 

La récente affaire Feldstein permet en effet de rassembler les morceaux épars du puzzle pour comprendre un aspect essentiel de l’échec phénoménal du 7 octobre : celui du renseignement et de l’information. Si le conseiller militaire du Premier ministre Eli Feldstein et d'autres soldats ont été incarcérés et maintenus au secret pendant de longues semaines, sans pouvoir rencontrer d’avocat, parce qu’ils avaient voulu communiquer des documents au Premier ministre (!), cela signifie que dans la nouvelle réalité politique créée par les tenants d’un “gouvernement des juges”, le Premier ministre n’est plus le pouvoir suprême.

 

Nous sommes aujourd’hui en mesure de comprendre que, dans les mois fatidiques qui ont précédé le 7 octobre, l’état-major de l’armée était devenu un pouvoir indépendant de tout contrôle politique, qui s’était coupé à la fois de la base de l’armée (comme l’illustre l’exemple tragique de ces courageuses observatrices de Tsahal, qui ont vainement averti leurs supérieurs de ce qui se passait à la frontière de Gaza) et de l’échelon politique, auquel l’armée est supposée obéir dans une démocratie véritable.

 

Or, dans la version déformée de la démocratie, élaborée par les tenants du “pouvoir des juges”, l’armée n’obéissait plus au gouvernement mais uniquement aux élites judiciaires-médiatiques-sécuritaires, qui constituent le pouvoir véritable du “Deep State” israélien… Ainsi le slogan agité comme un épouvantail de la “crise constitutionnelle” (“l’armée n’obéit pas au gouvernement mais à la Cour suprême”) était devenu une réalité ! Le fameux pouvoir judiciaire que redoutait David Ben Gourion s’est matérialisé et il porte une lourde responsabilité dans l’avant 7 octobre.

 

Ce à quoi nous avons assisté le 7 octobre, c’est ainsi l’absence de l’état-major, qui était occupé par sa lutte politique et totalement aveugle aux menaces du Hamas, et qui a volontairement refusé d’informer le Premier ministre jusqu’aux premières heures du samedi noir, et l’action héroïque des soldats et policiers qui ont sauvé la situation malgré l’impéritie de l’état-major. L’armée du peuple a sauvé le pays pendant que “l’armée de la Cour suprême” était aux abonnés absents !

 

Et depuis ? L’armée a certes été progressivement reprise en main par le gouvernement, surtout depuis que Yoav Galant a laissé la place à Israël Katz. Mais l’état-major continue de montrer ses vélléités d’indépendance vis-à-vis du pouvoir élu, comme l’a montré la récente sortie du porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, contre la loi Feldstein adoptée par la Knesset. L’offensive menée par le “Deep State” sur le front judiciaire et les propos de l’ancien procureur de l’Etat appelant à l’insubordination montrent que les leçons du 7 octobre n’ont pas été tirées. Aux yeux du camp “tout sauf Bibi”, le Premier ministre demeure “l’ennemi à abattre”, même au milieu de la guerre existentielle qui dure depuis 14 mois. (à suivre…)

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie sur ce sujet important le lecteur à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? exposant le débat constitutionnel israélien.

Le huitième front de la guerre d’Israël (II) Tsahal: armée du peuple ou “armée de la Cour suprême”?

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Israël : vers le retour de la réforme judiciaire? Pierre Lurçat

November 18 2024, 11:08am

Posted by Pierre Lurcat

La procureure de l’Etat Baharav-Myara

La procureure de l’Etat Baharav-Myara

 

Comment interpréter la déclaration du ministre Yariv Levin, remettant à l’ordre du jour le projet de réforme judiciaire? « Le temps est venu d’apporter un soutien total à la réforme du système judiciaire et des forces de l’ordre, et de mettre fin à l’anarchie, au déchaînement, à l’insubordination et aux tentatives de porter atteinte au Premier ministre», a-t-il affirmé sur les réseaux sociaux après l’attaque aux fusées éclairantes contre le domicile du Premier ministre à Césarée. S’agit-il d’une réaction à chaud incontrôlée, ou bien d’un véritable ballon d’essai, annonciateur de nouvelles initiatives visant à remettre sur le tapis le projet très contesté de réforme judiciaire ?

 

En réalité, ce “réchauffement” du front de la guerre judiciaire est - un peu comme celui du front de la guerre entre Israël et le Hezbollah, une riposte tardive, faisant suite à de longs mois de retenue de la part du gouvernement sur ce sujet sensible. Car c’est bien le camp des “tout sauf Bibi” qui a tiré le premier, en menant ces dernières semaines un véritable blitz juridico-médiatique, visant ni plus ni moins que la destitution du Premier ministre, en pleine guerre existentielle contre des ennemis voués à la destruction d’Israël.

 

C’est ainsi que doivent être interprétées les arrestations insensées d’un officier et d’un employé du cabinet du Premier ministre, mis au secret pendant plus de 10 jours et empêchés de rencontrer un avocat, en vertu d’une procédure exceptionnelle réservée aux terroristes considérés comme des “bombes à retardement”. Ce n’est pourtant pas la première fois que le Shin-Beth, le service de sécurité intérieure, utilise des outils policiers réservés aux terroristes contre des citoyens juifs israéliens.

 

Ces dernières décennies, il le faisait contre des habitants de Judée-Samarie, eux aussi traités comme de dangereux “terroristes”, le plus souvent sans aucun fondement factuel ou légal. Mais c’est la première fois que ce traitement à la limite de la légalité est utilisé contre un collaborateur du cabinet du Premier ministre. Ce faisant, le Shin-Beth a dévoilé au grand jour son visage authentique : celui d’une police politique, digne des pires régimes totalitaires.

 

En l’occurrence, c’est ainsi le Shin-Beth – avec le soutien de la Cour suprême (abusivement présentée comme “rempart de la démocratie”) et de tout  l’establishment judiciaire et médiatique – qui a posé une véritable “bombe à retardement”, visant à faire imploser le gouvernement, et démontrant une fois de plus que le “Deep State” israélien (expression que nous allons expliciter) donne préséance à sa guerre politique contre le gouvernement sur toute autre considération.


Dans la suite de cet article, nous tenterons de comprendre le lien entre cette “affaire”, les rapports entre l’armée et le gouvernement et la responsabilité du “Deep State” dans le 7 octobre.

P. Lurçat

NB Lire aussi sur ce sujet, l'article du blog Danilette, Des graves histoires, suite - Danilette's

Avec Yariv Levin à la Knesset, janvier 2012

Avec Yariv Levin à la Knesset, janvier 2012

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Cour suprême d'Israël : nouvelle victoire du “Deep State” contre le peuple et ses représentants

January 5 2024, 14:32pm

Posted by Pierre Lurçat

Cour suprême d'Israël : nouvelle victoire du “Deep State” contre le peuple et ses représentants

Israël : nouvelle victoire du “Deep State” contre le peuple et ses représentants

 

La décision scandaleuse rendue par la Cour suprême cette semaine a une double signification, politique et juridique. Juridiquement, elle signifie pas moins qu’une “Deuxième Révolution constitutionnelle”, dont les conséquences sont encore plus étendues que celles de la première, menée par le juge Aharon Barak dans les années 1990 (que j’ai relatée dans mon livre Quelle démocratie pour Israël ?). A l’époque, il s’agissait de faire de la Cour suprême le “premier pouvoir” en Israël, en lui donnant un pouvoir d’annulation des lois et actes de l’administration et une compétence de contrôle constitutionnel la plus large possible, qu’aucune loi ne lui avait jamais conférés, et en la plaçant ainsi au-dessus de la loi et de la Knesset.

 

La Deuxième révolution constitutionnelle – celle de la juge Esther Hayot, qui marche dans les pas de son maître Barak dont elle est la fidèle disciple – va encore plus loin. Elle donne en effet à la Cour suprême un pouvoir sans équivalent dans aucune démocratie au monde, celui d’invalider des Lois fondamentales, ayant une valeur supra-législative et quasi-constitutionnelle. En termes simples, la Cour suprême devient ainsi un “super-législateur” et un pouvoir supra-législatif et supra-exécutif, qui peut désormais annuler toute décision, toute loi et toute Loi fondamentale: son pouvoir est sans aucune limite. Le gouvernement des juges atteint un niveau sans précédent, au détriment du pouvoir des élus, réduit à la portion congrue.

 

Politiquement, cette monstruosité juridique signifie que le “Deep state” israélien vient de porter - en plein milieu d’une guerre existentielle dont l’enjeu est la survie de l’Etat juif, un coup sans précédent à la démocratie et à l’équilibre des pouvoirs. La seule considération qui a guidé la juge Hayot et les 12 juges qui ont voté en faveur du pouvoir théorique d’annulation de Lois fondamentales – était celle d’accroître encore les pouvoirs déjà exorbitants de la Cour suprême. Comme l’écrivait la commentatrice israélienne Caroline Glick, “l’usurpation du pouvoir des élus par “l’État profond” au cours des trois dernières décennies est la question politique la plus brûlante en Israël aujourd’hui”. Ce diagnostic toujours actuel revêt une gravité décuplée alors que les ennemis extérieurs menés par l’Iran et la Russie ont imposé à Israël la guerre la plus longue de son existence depuis 1948. La Cour suprême s’est ainsi rangée définitivement dans le camp de ceux qui affaiblissent Israël face à ses ennemis.

 

Pierre Lurçat

 

NB J’ai évoqué la décision de la Cour suprême au micro de Daniel Haïk sur Radio Qualita

 

 

ILS ONT LU “QUELLE DÉMOCRATIE POUR ISRAEL?”

 

“Une étude magistrale et édifiante!” 

Jean-Pierre Allali, Crif.org

 

Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

 

Liliane Messika, écrivain Mabatim

 

“Pierre Lurçat balaye en quelques pages les slogans de la gauche israélienne qui manifeste aujourd’hui massivement au nom de la « défense de la démocratie » contre le « coup d’Etat ». “ 

 

Yves Mamou, Revue politique et parlementaire

 

 

Cour suprême d'Israël : nouvelle victoire du “Deep State” contre le peuple et ses représentants

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Israël : le « Deep State » contre-attaque, Pierre Lurçat

January 22 2023, 10:02am

Posted by Pierre Lurçat

La Cour suprême d'Israël

La Cour suprême d'Israël

J'évoquais hier matin la situation politique en Israël au micro de Richard Darmon sur Studio Qualita

Qui met en péril la démocratie en Israël ? - IMO#198 (studioqualita.com)

 

 

Israël : le « Deep State » contre-attaque, Pierre Lurçat

L’offensive généralisée contre la réforme judiciaire et contre le gouvernement nouvellement élu en Israël dépasse de beaucoup le cadre restreint du débat politique et juridique. Elle procède en fait d’une tentative désespérée du « Deep State » en Israël de regagner le pouvoir qu’il vient de perdre dans les urnes.

 

« Deep State » (« l'État profond ») : l'expression évoque le titre d'une série d'espionnage. S'agit-il d'un véritable « État dans l'État », ou plus simplement du pouvoir de l'administration et des groupes de pression, qui s'oppose parfois à celui des élus du peuple ? Plus précisément, il pourrait s’agir de tous ceux qui – au sein de l’administration, de l'armée, de l’économie ou des médias – se donnent pour tâche non pas de servir l’Etat, le peuple et le gouvernement qu’il s’est donné, mais au contraire de renverser ce dernier par des moyens non démocratiques, pour servir leurs propres intérêts, matériels ou idéologiques.

 

Quelle que soit l'acception précise qu'on lui donne, ce concept permet de comprendre les causes profondes de la situation politique sans précédent que traverse l'État d'Israël depuis plusieurs années. En effet, comme l’écrivait en 2018 la commentatrice israélienne Caroline Glick, « l’usurpation du pouvoir des élus par “l’État profond” au cours des trois dernières décennies est la question politique la plus brûlante en Israël aujourd’hui ».

 

Contrairement au slogan que l'on entend dans les rues d'Israël depuis plusieurs semaines – c'est-à-dire depuis la victoire éclatante de la droite aux dernières élections – ce n'est en effet pas la démocratie qui est mise en danger par le nouveau gouvernement et par son ambitieux projet de réforme judiciaire. C'est au contraire le pouvoir des adversaires de la démocratie qui vacille aujourd'hui, et c'est la raison des cris d'orfraie de leurs partisans, qui se déchaînent actuellement à l'intérieur comme à l'extérieur d'Israël. Qui sont ces représentants du « Deep State » ?

 

Ils sont présents au sein de tous les pouvoirs non élus. A la Cour suprême évidemment, qui est devenue depuis plusieurs décennies le premier pouvoir en Israël, en s'arrogeant un droit de regard exorbitant sur toutes les décisions de l'administration, de l'armée et du gouvernement, ainsi qu’un droit d'annulation des lois qui ne lui a jamais été légalement octroyé, créé ex nihilo par le juge et ancien président de la Cour suprême Aharon Barak. Ils sont aussi largement représentés dans les grands médias israéliens, dont l'hostilité à Benjamin Netanyahou n'a pas faibli depuis son premier mandat dans les années 1990. Ils sont également présents au sein de l'establishment militaire, dans l'université, dans le monde de la culture et partout où le pouvoir non élu s'exerce dans un sens contraire à celui du gouvernement légalement constitué.

 

On comprend dès lors la peur panique dont sont aujourd'hui saisis ces représentants du Deep State d'Israël et ceux qui les soutiennent et les financent en dehors d'Israël. A l'instar du New Israel Fund, qui vient d'annoncer publiquement, dans un geste sans précédent, son soutien aux manifestations contre le gouvernement, alors même que celui-ci prépare un projet de loi contre le financement par des fonds étrangers d’ONG israéliennes d’extrême-gauche. Il est compréhensible dans ces circonstances que le « Deep State » se sente menacé et qu'il lance aujourd'hui une brutale contre-offensive, pour tenter de priver les électeurs israéliens de leur victoire.

Pierre Lurçat

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Le “Deep State” contre l’État de droit : Les racines de la crise politique en Israël

November 22 2019, 08:45am

Posted by Pierre Lurçat

 

Deep State, "l'État profond": l'expression évoque le titre d'une série d'espionnage. S'agit-il d'un véritable "État dans l'État", ou plus simplement du pouvoir de l'administration et des groupes de pression, qui s'oppose parfois à celui des élus du peuple ? Plus précisément, il pourrait s’agir de tous ceux qui - au sein de l’administration, de l'armée, de l’économie ou des médias - se donnent pour tâche non pas de servir l’Etat, le peuple et le gouvernement qu’il s’est donné, mais au contraire de renverser ce dernier par des moyens non démocratiques, pour servir leurs propres intérêts, matériels ou idéologiques. Quelle que soit l'acception précise qu'on lui donne, ce concept permet de comprendre les causes profondes de la situation politique sans précédent que traverse l'État d'Israël depuis plusieurs mois… Comme l’écrit la commentatrice israélienne Caroline Glick, “l’usurpation du pouvoir des élus par “l’État profond” au cours des trois dernières décennies est la question politique la plus brûlante en Israël aujourd’hui”. (1)


 


 

Crise politique et institutionnelle

 

La situation actuelle, que les médias israéliens décrivent par le terme hébraïque de "plonter" (sac de nœuds), n'est pas tant un blocage des institutions et des mécanismes électoraux, que l'aboutissement d'un long processus d'érosion du pouvoir politique, celui de la Knesset et de l'exécutif, face à la montée en puissance d'un véritable “pouvoir judiciaire”, plein de morgue et d'hybris. Si l'on voulait dater le début de ce processus de manière précise, on pourrait prendre comme point de départ la fameuse affaire du compte en dollars, en 1977, durant laquelle le Premier ministre avait été contraint de démissionner pour avoir détenu quelques centaines de dollars sur un compte aux États-Unis, ce qui s’expliquait tout naturellement par le fait qu’il y avait été ambassadeur (2). Cette infraction dérisoire permit au procureur de l’État de l’époque d’affirmer son pouvoir, en obtenant la démission du Premier ministre. C’est au cours de cette affaire que fut ainsi fixé le dangereux précédent, selon lequel un dirigeant élu "devait" démissionner, lorsqu'il était inculpé par le procureur de l'État. 

 

Ce que la plupart des commentateurs ont alors (et depuis lors) célébré comme une victoire de l'État de droit contre la "corruption", était en réalité une pure et simple invention juridique, qui marqua le début d'un processus d'effritement des  prérogatives de l'exécutif, rognées par un "pouvoir judiciaire" de plus en plus puissant, processus dont nous voyons aujourd'hui les conséquences dramatiques. Il n'est pas anodin que le Premier ministre d'alors s'appelait Itshak Rabin. Quant au procureur de l'État, il n'était autre qu'Aharon Barak, le théoricien et le maître d'œuvre de la "Révolution constitutionnelle", qui a permis à la Cour suprême de devenir la cour la plus activiste du monde et le premier pouvoir en Israël. Ce faisant, il a  ébranlé le fragile équilibre des trois branches de l'État, exécutif, législative et judiciaire, en créant un “pouvoir judiciaire” qui n’a pas sa place dans une démocratie authentique. (3)


 

Itshak et Léa Rabin


 

Ceux qui voudraient aujourd'hui que Benjamin Netanyahou démissionne, avant même d'être inculpé, ou dès lors qu'il le sera, ne font que tirer les conséquences logiques du précédent créé à l'époque par Aharon Barak. Mais ce précédent, quoiqu'on pense de son opportunité morale et politique, n'avait juridiquement aucun fondement solide. D'après la Loi fondamentale sur le Gouvernement, en effet, seule la Knesset est habilitée à destituer un Premier ministre en exercice, selon une procédure détaillée et précise. La théorie de la "démission forcée" du Premier ministre a été créée ex nihilo par le juge Aharon Barak, qui se considère lui même comme "créateur du droit" et donc comme au-dessus des lois - même fondamentales - comme il l'affirme explicitement dans ses nombreux écrits. (4)

 

Putch judiciaire et chantage politique

 

Si la "praklitout" (le cabinet du procureur de l'État) se comporte aujourd'hui avec une telle arrogance - au point que le ministre de la Justice lui-même a cru bon de dénoncer ses pratiques, lors d'une intervention sans précédent dans l'histoire d'Israël - c'est précisément au nom de cette conception erronée et dangereuse, qui voudrait que des employés de l'État puissent défaire ce que les électeurs ont décidé. Que ces employés parlent au nom du droit et de "l'État de droit" ne change rien à l'affaire. La comparaison avec la procédure d'impeachment américaine est instructive : aux États Unis, seul le Congrès peut décider de lancer une telle procédure, exceptionnelle.

 

Dans l'État d'Israël d'aujourd'hui, la compétence exorbitante que s'est arrogée, sans fondement légal véritable, le procureur de l'État lui permet ainsi de faire tomber n'importe quel Premier ministre, avec la complicité active de la police et de médias complaisants. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans les affaires Netanyahou, comme l'a reconnu Avishai Mandelblit dans un accès de sincérité. Si Netanyahou démissionne, les procédures seront annulées, avait-il expliqué l’été dernier, comme l’avait à l’époque révélé le Jerusalem Post ! Or de deux choses l'une : s'il a commis une infraction, il doit être poursuivi même après son éventuelle démission, ce qui montre bien que l'objectif poursuivi par Mandelblit est avant tout politique.

 

Nous sommes ici au coeur de la réalité paradoxale de la crise politique actuelle. Ceux qui n'ont que les mots d'État de droit a la bouche, ne cherchent en réalité qu'une seule chose, regagner par un artifice juridique le pouvoir qu'ils ont perdu par les urnes (5). Et c'est précisément parce qu'ils sont convaincus que l'ère Netanyahou touche à sa fin, que la formation d'une coalition devient impossible et presque superflue… A quoi bon négocier en effet, si Benny Gantz peut espérer obtenir le pouvoir sans effort, d'ici quelques mois ou quelques semaines, quand le procureur aura "démis" Netanyahou de ses fonctions ? Dans un régime où le Premier ministre est “démis” par un procureur, les élections deviennent un luxe inutile.


 

Des élections superflues : Nétanyahou et Gantz

 

Pourtant, il est important de le répéter, il ne s'agit pas seulement d'un affrontement entre partisans et adversaires de M. Netanyahou. Car le pouvoir démesuré du procureur de l'État et de ses alliés pourra demain s'exercer contre tout Premier ministre élu, fût-il de gauche, comme Itshak Rabin a l'époque du compte en dollars. Cette épée de Damoclès, qui plane désormais sur la tête de tout dirigeant élu n'est pas, comme voudraient le faire croire ses partisans, un "chien de garde" de la démocratie. Elle est bien plutôt, comme l'a expliqué l'avocat américain Alan Dershowitz, un "chien d'assaut" contre la démocratie et ses institutions. Et nous en revenons ici au problème de l'État dans l'État, - ou de la "praklitout dans la praklitout" - pour reprendre l'expression du ministre de la justice Amir Ohana. 

 

Le "Deep state" israélien ne menace pas seulement le pouvoir de Benjamin Netanyahou. Il menace et porte atteinte - et a déjà porté un coup dangereux - au fonctionnement de la démocratie israélienne. Le remède à cette situation préoccupante existe, et il ne réside pas dans la réforme du système électoral, comme on l'entend souvent dire. Le remède passe par l'annulation du pouvoir exorbitant de la Cour suprême et du procureur de l'État, en redonnant aux élus du peuple, à la Knesset et au gouvernement, les compétences qui leur reviennent selon les lois fondamentales de l'État d'Israël, expression de la volonté générale et de la souveraineté populaire. Il faut mettre fin au Deep State pour préserver la démocratie.

Pierre Lurçat

 

(1) https://carolineglick.com/israels-deep-state-takes-aim-at-netanyahu/ Parmi les autres auteurs ayant parlé du Deep State à propos d’Israël, le Dr Martin Sherman, ancien conseiller du Premier ministre Itshak Shamir. http://www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/23539

(2) Un règlement interne du ministère des Finances autorisait une telle détention, comme le rappela plus tard le ministre de la Justice Yaakov Neeman. Voir https://frblogs.timesofisrael.com/le-jour-ou-itshak-rabin-fut-contraint-a-demissionner-par-aharon-barak-2/

(3) Comme le rappelle Pierre Manent, spécialiste de philosophie politique, dans des pages très éclairantes d’un ouvrage paru il y a une quinzaine d’années, la notion d’État de droit et celle de séparation des pouvoirs qui en découle, donnent lieu à de fréquentes fausses interprétations. En particulier, écrit-il, “On se trompe souvent sur la thèse de Montesquieu, ou on s’en fait une idée confuse. Il n’y a pas pour lui le pouvoir judiciaire. La forme et la fonction de celui-ci dépendent du régime politique. Dans le régime monarchique, dans la France du temps de Montesquieu, il importe que le judiciaire soit véritablement un pouvoir distinct et consistant, faute de quoi le régime serait despotique… Dans le régime républicain moderne, la fonction et la nature du judiciaire sont toutes différentes. La liberté y est produite et garantie par le jeu des deux autres pouvoirs (législatif et exécutif, P.L.) et par les effets que ce jeu induit. Le judiciaire n’y est donc pas le gardien de la liberté, comme il l’était dans la monarchie. Et même, pour aider à la liberté, il doit en quelque sorte disparaître comme pouvoir”. Cf. P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Gallimard 2004.

(4) Voir notamment A. Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2001.

(5) Voir notre article “La faculté de l’inutile : la justice israélienne au service des ennemis de la démocratie”. http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/02/la-faculte-de-l-inutile-la-justice-israelienne-au-service-des-ennemis-de-la-democratie-par-pierre-lurcat.html

 

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