Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

trumpeldor

“Il est bon de mourir (et de vivre) pour notre pays” 1920 - 2020 : Les cent ans de Tel Haï et l’importance du récit héroïque pour Israël

March 8 2020, 12:48pm

Posted by Pierre Lurçat

 

“Tov la-mout béad Artsenou” : “Il est bon de mourir pour notre pays”. Les derniers mots prononcés par Yossef Trumpeldor, tombé il y a tout juste cent ans aujourd’hui, en défendant Tel-Haï et les autres yishouvim de Haute-Galilée contre une attaque de Bédouins, sont toujours d’actualité. La cérémonie marquant cet anniversaire était à l’image de l’Israël actuel. Mais quel est l’héritage de Trumpeldor, et en quoi importe-t-il pour Israël aujourd’hui?

Il y a cent ans, la nation juive renaissant sur sa terre retrouvée avait soif de symboles, et le récit de Tel-Haï et de sa fin héroïque en est rempli. Il réunit en effet, autour du héros manchot de Port-Arthur, monté en Eretz-Israël pour participer à l'édification de l'Etatf juif, plusieurs figures marquantes du sionisme de l’époque, comme Zeev Jabotinsky ou Berl Katznelson, mais aussi des organisations comme le Shomer, premier groupe de défense armé, la Haganah, ancêtre de Tsahal, ou encore la Légion juive, première force armée à s’être battue sous un drapeau juive pendant la Première Guerre mondiale.

 

Jabotinsky avec un groupe de membres du Betar devant la tombe de Trumpeldor

 

Selon Georges Bensoussan, “Comme Massada, Tel Haï est une défaite juive, mais l’événement va devenir ce mythe national qui transfigure les faits, permet de redresser l’image de soi en exerçant une influence considérable sur la jeunesse juive de diaspora comme sur celle du Yishouv…” En effet, “Tel Haï réalise les trois principaux objectifs du sionisme: l’immigration, l’implantation et la “régénération” de l’homme juif par le travail physique, en particulier par le travail de la terre”. L’affirmation selon laquelle Tel Haï (ou Massada) serait une “défaite juive” est évidemment discutable (1). Quoi qu’il en soit, l’esprit de Trumpeldor, symbolisé par le lion de Tel-Haï, allie bravoure sans limite, idéalisme et esprit de sacrifice : autant de valeurs dans lesquelles ont grandi des générations de jeunes Israéliens depuis un siècle.

 

Ce n’est pas un hasard si le public nombreux qui assistait jeudi dernier à la cérémonie du 100e anniversaire était principalement constitué - aux côtés de représentants de la Knesset, du gouvernement, de l’armée et d’anciens de la Haganah - de jeunes des mouvements de jeunesse, notamment le Betar et le Noar halomed véhaoved. Voici comment Jabotinsky, fondateur du Betar (acronyme signifiant "Alliance au nom de Joseph Trumpeldor"), décrit le héros de Tel-Haï, aux côtés duquel il fonda la Légion juive (2):

“Avec un seul bras, il faisait plus de choses que ce que font et feront la plupart des hommes avec leurs deux mains. Sans aide extérieure, il se lavait, se rasait et s'habillait, faisait ses lacets, cousait des pièces aux coudes de ses habits, coupait son pain ; j'ai entendu dire qu'en Eretz-Israël il était considéré comme un des meilleurs laboureurs, et par la suite, à Gallipoli, comme un des meilleurs cavaliers et des meilleurs tireurs. Sa chambre était rangée avec un ordre exemplaire – tout comme ses pensées. Tout son comportement était empreint de calme et de générosité ; depuis longtemps il était végétarien, socialiste et détestait la guerre – mais il ne faisait toutefois pas partie de ces pacifistes qui sont assis les bras croisés, pendant que d'autres se battent pour eux”.

Yossef Trumpeldor labourant avec son bras unique

 

Le socialisme de Trumpeldor explique l’admiration que lui vouait Berl Katznelson, idéologue du sionisme travailliste, tandis que ses qualités d’homme et de combattant sont ce qui attira chez lui Jabotinsky, fondateur de l’aile droite du mouvement sioniste. La personnalité de Trumpeldor était en effet suffisamment riche, pour réunir autour de lui des hommes aussi distants et opposés que Jabotinsky et Katznelson, et pour que son nom soit vénéré par les jeunes du Betar, comme par ceux des mouvements sionistes de gauche. Paradoxalement, lorsque le Yishouv débattit de la question de savoir si les hameaux juifs de Haute-Galilée, isolés face aux attaques arabes, devaient être évacués, Jabotinsky plaida en faveur du retrait, tandis que ce furent Katznelson et Tabenkin - les deux principaux idéologues du sionisme de gauche - qui s’opposèrent à tout retrait, qui serait interprété comme un signe de faiblesse par les Arabes… (3) 

Mais au delà de l'histoire, la question importante est de savoir en quoi son exemple importe-t-il encore, cent ans après sa mort. Pour répondre à cette question, il faut lire le Chir Betar, l’hymne rédigé par Jabotinsky en 1932, qui avait à l’esprit la figure de Trumpeldor en l’écrivant : « Hébreu, dans la misère même, tu es Prince – Que tu sois esclave ou vagabond – Tu naquis fils de Roi […] – Mourir ou conquérir la montagne – Yodefet, Massada, Betar ».

 

 

Le lion de Tel Haï, sculpture d'Avraham Melnikov, photo Judith Assouly

Si l’esprit de sacrifice de Trumpeldor importe encore aujourd’hui, c’est précisément parce qu’il ne va plus de soi, comme à son époque. La décennie qui vient de s’écouler a certes été la plus “calme” pour Israël du point de vue sécuritaire, malgré la menace iranienne et les affrontements sporadiques, autour de la bande de Gaza et ailleurs. Mais ce calme tout relatif s’est accompagné d’une atteinte sans précédent à la capacité de dissuasion de Tsahal et d'une baisse de motivation chez les jeunes Israéliens, pour servir dans les unités combattante.

Celles-ci ne font que refléter l’état d’esprit général de la société. Quand les médias entretiennent l’idée que la situation autour de Gaza est normale, et quand ils encensent des héros défaitistes (comme Gilad Shalit), ou des anti-héros (comme Naama Issachar), tout en oubliant les véritables héros que sont Hadar Goldin et Oron Shaul ; quand aucun dirigeant politique ou militaire n’a le courage de riposter efficacement aux tirs de roquettes ; et quand la Cour suprême adopte le narratif de l’ennemi, en validant la candidature de députés arabes qui glorifient le terrorisme, l’esprit de Tel-Haï est en danger.

Aucune société ne peut perdurer sans mythe fondateur, sans héros et sans conserver la volonté de se battre. Un pays dont les citoyens ont perdu tout esprit de sacrifice est en risque de disparaître (4). C’est pourquoi l’exemple de Joseph Trumpeldor garde toute son importance, aujourd’hui comme hier. “Il est bon de mourir pour notre pays” n’est pas un slogan dépassé. Il est tout aussi vital aujourd'hui, qu'il l'était hier, comme l’exprime le salut traditionnel du Betar, “Tel Hai!”

Pierre Lurçat

 

(1) G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, Fayard 2002, p.804. Dans ce livre magistral, véritable somme inégalée de l’historiographie du sionisme en français, Bensoussan semble parfois hésiter entre deux conceptions opposées de l’histoire du sionisme, pour adopter les conceptions très actuelles de l’histoire comme “mythe”, écrivant par exemple que “le mot de Trumpeldor devient ce ‘fait historique’ colporté en vue de l’édification des jeunes âmes, c’est certes un faux historique. Mais ce faux est vrai aussi au sens où il fait écho à la communauté imaginée par la mémoire collective”. (Cette dernière expression, “communauté imaginée”, fait apparemment référence au concept de Benedict Anderson).

(2) Jabotinsky, Histoire de ma vie, les provinciales 2012.

(3) Voir G. Bensoussan, op. cit. p. 803. On mesure combien la gauche israélienne actuelle - ou ce qui en reste - s'est éloignée de ses pères fondateurs.

(4) Voir notamment sur ce sujet, concernant la France, le livre d’Alexandra Laignel, Pourquoi serions-nous encore prêts à mourir aujourd’hui?, Paris, Cerf 2017.

See comments

"Le Lion de Tel-Haï" - Portrait de Joseph Trumpeldor par Jabotinsky

March 5 2020, 08:44am

A l'occasion du "Yom Tel-Haï" - la journée du souvenir des héros de Tel-Haï - qui est commémorée aujourd'hui, le journal Ha'aretz publiait récemment dans son supplément littéraire un article passionnant sur la correspondance de Joseph Trumpeldor. Dans une lettre émouvante adressée à son père, le héros de Port Arthur relate sa blessure et son amputation, ajoutant ces mots: "J'espère que mon bras droit, avec lequel j'écris la présente lettre, me servira fidèlement et rendra jaloux ceux qui ont leurs deux mains..." (20 janvier 1905). On constatera en lisant le portait de Trumpeldor dressé par Jabotinsky ci-dessous, que ces mots allaient s'avérer prémonitoires... Que soit béni le souvenir du héros de Tel-Haï! P.I.L

 

TRUMPELDOR.jpgJe le trouvai chez lui : avec sa physionomie d'homme du Nord, si je l'avais rencontré dans la rue je l'aurais peut-être pris pour un Ecossais ou un Suédois. Sa taille était plus élevée que la moyenne ; mince, les cheveux couleur d'écorce et courts, peignés avec l'attention d'un homme ordonné et modeste ; sans barbe ni moustache ; les lèvres pâles et minces, arborant un sourire tranquille. Il parlait un russe limpide, même s'il était légèrement atteint de cette maladie de la langue « chantée » à laquelle les habitants d'Eretz-Israël ont du mal à échapper. Son hébreu s’écoulait goutte à goutte, lentement, pauvre en vocabulaire mais cependant précis ; une fois je l'entendis essayer de parler yiddish – le yiddish des monts du Caucase ? Crainte et frisson... Son niveau culturel pourra peut-être être décrit en utilisant le mot de « maskil », dans son ancienne acception, celle de la génération d'autrefois : c'était un érudit, instruit en littérature russe, connaissant des œuvres que je n'ai jamais feuilletées de ma vie : livres de droit, de morale et de recherche, écrits par des auteurs russes célèbres il y a deux générations, dont le souvenir est oublié depuis l'aube de notre époque, comme Potebnia et d'autres du même genre ; mais il les avait lus et n'avait pas oublié le contenu de ses lectures. Jusqu'à ce jour, j'ignore s'il faisait partie de ceux que nous avons la détestable habitude de qualifier, selon notre concept juif, du nom de « sagaces ». Peut-être pas.

 

 

beitar.jpg

Jabotinsky et un groupe de Betarim sur la tombe de Trumpeldor

 

 

Toutes sortes d'épices, toutes sortes de persils, d'herbes amères et de 'harrosète, de baume de Gilad et d'oignon d'Espagne se mélangent chez nous, dans la combinaison de ce concept – le scepticisme, la suspicion, une malice bon marché et la capacité à rendre courbe toute ligne droite, jusqu'à ce que la tête avale la queue. Tout cela était absent de sa personnalité. Par contre, je trouvai chez lui un œil capable de distinguer ce qui est blanc de ce qui est noir ; un sens de l'humour charmant et léger, sachant distinguer l'essentiel de l'accessoire. Mais, même de l'essentiel, il savait parler avec des mots simples, sans cette rhétorique artificielle qu'on ressentait parfois dans ses lettres : il parlait comme un homme « lucide », avec sérénité, sans émotivité ni pathos ; et sans employer non plus d'insultes – il n'avait pas voulu les apprendre à la caserne russe. Je dois avouer à ma honte éternelle (même si je ne regrette rien et n'ai pas l'intention de surmonter ce défaut), qu'à cet égard, mon registre de langage en russe diffère du sien comme l'enfer de la pureté et que je ne parvenais pas toujours à réfréner mon instinct, lorsque j'exprimais la profondeur de mes sentiments devant lui : il m'écoutait avec le même rire empli d’indulgence, sans colère, mais sans m'imiter. Je n'ai jamais entendu dans sa bouche la moindre insulte, sinon, peut-être, celle-ci : « Quel vaurien ! » Il affectionnait particulièrement ces deux mots d'hébreu : « Ein davar » (cela ne fait rien). On raconte qu'il est mort avec ces mots aux lèvres, cinq ans plus tard.

 

 

TEL HAI.jpgAvec un seul bras, il faisait plus de choses que ce que font et feront la plupart des hommes avec leurs deux mains. Sans aide extérieure, il se lavait, se rasait et s'habillait, faisait ses lacets, cousait des pièces aux coudes de ses habits, coupait son pain ; j'ai entendu dire qu'en Eretz-Israël il était considéré comme un des meilleurs laboureurs, et par la suite, à Gallipoli, comme un des meilleurs cavaliers et des meilleurs tireurs. Sa chambre était rangée avec un ordre exemplaire – tout comme ses pensées. Tout son comportement était empreint de calme et de générosité ; depuis longtemps il était végétarien, socialiste et détestait la guerre – mais il ne faisait toutefois pas partie de ces pacifistes qui sont assis les bras croisés, pendant que d'autres se battent pour eux.

 

 

See comments