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politique

Comment la Cour suprême a pris le pouvoir en Israël : intervention au colloque Dialogia sur la démocratie

December 6 2020, 08:21am

J'ai le plaisir d'intervenir dans le colloque qui se tiendra demain soir (lundi) :

 

Où va la démocratie?


Dialogia a le plaisir de vous inviter
à sa prochaine conférence
le 07 décembre 2020

 

De 18.00 à 22.00 (heure d'Israël) sur internet,
via la plateforme ZOOM

INSCRIPTION ICI

https://us02web.zoom.us/webinar/register/WN_7_gVGFTrQkC_nI8I14Oylw

PROGRAMME DE LA CONFERENCE

18h00-18h15 : Introduction - Shmuel Trigano, Le grand renversement, Qu'est-ce qui a changé dans l'univers démocratique ?

18h15- 19h15 : La politique des identités -

18h15-18h45 : Haïm Navon : Pourquoi la politique des identités estelle un danger pour l’identité * -

18h45-19h15 : Rachel Israël, « Malaise dans la Culture » : de l’essai de Freud à l’actualité sociétale

19h15- 20h15 : L'homme et le citoyen -

19h15-19h45 : Gadi Taub, Politique d’immigration et montée du libéralisme anti-démocrate * -

19h45-20h15 : Shmuel Trigano, La figure de l'"homme": des deux Déclarations universelles à nos jours

20h15- 21h45 : Etat des lieux israéliens -

20h15-20h45 : Pierre Lurçat, Le pouvoir judiciaire contre le peuple : Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël -

20h45-21h15 : Mordekhai Nisan, La démocratie israélienne – idéologie, citoyenneté et guerre * -

21h15-21h45 : Ronen Shoval, Perspectives croisées : la tradition moderne et l'héritage politique du judaïsme *

21h45-22h00 : Débat et Conclusion

https://dialogia.co.il/wp-content/uploads/2020/11/Programme-confe%CC%81rence-FR-FINAL.pdf

La démocratie est couramment invoquée dans le débat public, souvent en vertu d'arguments contradictoires. Il n'est pas sûr que ceux qui la convoquent pour légitimer leur parti-pris en aient la même définition mais ce qui est sûr c'est que la démocratie telle qu'elle est vécue n'est plus ce qu'elle était il y a 50 ans. Si l'équilibre des pouvoirs lui-même est ébranlé par les nouvelles technologies, c'est surtout la société qui s'est éloignée du régime démocratique, censé la porter. Le domaine sociétal, le domaine des fondements, sont concernés, comme celui de la redéfinition de la famille, du sexe, de l'identité, du citoyen, du vivant, de la Terre, de la légitimité... Les droits du citoyen ont été relégués dans les marges au nom des droits de l'homme. Mais quel homme ? Est-on toujours en « démocratie » ? En son nom, ne nous dirigeons-nous pas vers sa fin, ou à tout le moins sa mutation inquiétante ? Et cette dérive ne nous dit rien d'une autre crise, cette fois-ci politique, qui frappe le régime démocratique lui-même et dans laquelle le peuple, le demos, se voit ravalé au "populisme" et la majorité parlementaire au "fascisme".

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Pourquoi l'élection de Boris Johnson et le vote du Brexit sont une bonne nouvelle pour Israël, Pierre Lurçat

December 13 2019, 11:57am

Posted by Pierre Lurçat

2091Churchill.jpgDans un petit opuscule écrit en pleine guerre *, alors qu’il se trouve à Londres pour le compte de l’Agence juive, Albert Cohen parle avec empathie de ces Anglais silencieux “qui chérissaient la liberté et la justice parce qu’ils avaient lu le Livre…”. Relisant ces lignes au lendemain du vote du Brexit, on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre l’Angleterre d’alors - celle de 1940, du Blitz sur Londres et de la résistance acharnée contre le nazisme - et celle d’aujourd’hui qui vient de dire un non retentissant à l’Union européenne.  

La plupart des commentateurs français déplorent le vote anglais et y voient une réaction populiste, lourde de conséquences pour la stabilité et l’avenir du Vieux continent, navire en perdition dont l’Angleterre vient de se séparer, en larguant les amarres qui la rattachaient - de manière sans doute artificielle et contraire à son histoire et à sa volonté profonde - à l’Europe continentale.

 

Mais en tant que Juif, on ne peut qu’être frappé de la concomitance de ce vote avec l’accueil triomphal réservé par l’Union européenne à Bruxelles au dirigeant corrompu de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, reçu comme un chef d’Etat pour prononcer devant un auditoire conquis d’avance un discours de haine contre Israël et le peuple Juif, accusé - comme au Moyen-Age - d’empoisonner les puits, sans qu’aucun député européen n’élève la moindre protestation.

 

Il est évidemment peu probable que les Anglais qui ont rejeté, dans leur grande majorité, l’Union européenne, aient eu à l’esprit l’attitude hostile de l’UE envers Israël lorsqu’ils ont voté, tout comme l’Angleterre de Churchill s’est battue contre Hitler pour ses raisons propres et non par amour des Juifs (même si Churchill lui-même était favorable au mouvement sioniste). Les Anglais qui ont voté le Brexit n’ont pas seulement rejeté une Europe devenue synonyme de bureaucratie et de réglementations abusives. Ils ont aussi voulu renouer avec leur histoire millénaire, étrangère au rêve européen, essentiellement franco-allemand.

 

L’Union européenne actuelle, qui est devenue un acteur hostile à Israël sur la scène internationale, a peu à voir avec le projet né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Elle ressemble plus à l’Eurabia - entité politique décrite par Bat Ye’or, gagnée par l’idéologie palestiniste et par le rejet de ses racines judéo-chrétiennes - qu’à l’Europe pacifiée promise par Jean Monnet. Dans ces circonstances, on peut légitimement considérer que le vote anglais est une bonne nouvelle pour Israël.

 

Bat Ye'or Eurabia.jpg

Tout d’abord, comme le rappelle le député israélien Motti Yogev, parce qu’une Union européenne amoindrie et rendue plus modeste sera moins dangereuse pour Israël (« Cette Union européenne qui applaudit les discours d’Abou Mazen lorsqu’il calomnie Israël va devoir désormais s’occuper d’elle même et de ses nombreux problèmes au lieu de passer son temps à faire pression sur Israël”).

 

La réalité est que l’UE ne se contente pas d’applaudir les discours haineux de Mahmoud Abbas-Abou Mazen : c’est dans une large mesure elle qui les écrit et les finance! Comme l’a en effet révélé le site Palwatch, la calomnie moyen-âgeuse selon laquelle Israël empoisonnerait l’eau des Palestiniens n’est pas une invention d’Abbas : elle a été diffusée par une ONG israélienne anti-sioniste, “Breaking The Silence”, financée par l’UE dans le but avoué de calomnier l’armée israélienne et ses soldats**.

 

C’est donc l’argent de l’UE qui finance les calomnies antisémites répandues par cette ONG et repris à son compte par Mahmoud Abbas, selon un mécanisme bien huilé qui fonctionne depuis de nombreuses années. Même si le pronostic optimiste de Yogev s’avérait erroné et que l’Union européenne sans les Anglais poursuivait dans sa politique anti-israélienne, le Brexit aura néanmoins pour conséquence positive que l’Angleterre, délivrée des contraintes imposées par Bruxelles, pourra incarner une voix politique indépendante, qui sera probablement plus favorable à Israël que celle de l’UE propalestinienne.

 

Brexit, Union européenne, ChurchillDemain, d’autres pays européens, inspirés par l’exemple anglais, se libèreront à leur tour des chaînes de l’UE et deviendront peut-être des alliés d’Israël. Car l’Europe des nations, contrairement à ce que veulent faire croire les idéologues de la gauche européenne, n’est pas l’ennemie d’Israël. Elle a vocation, bien au contraire, à devenir la meilleure alliée du mouvement national juif, qui s’est inspiré à ses débuts des mouvements de libération nationale européens (ainsi, le dirigeant sioniste Jabotinsky était un admirateur de Mazzini et de Garibaldi).

 

L’Europe, libérée d’Eurabia, pourrait ainsi donner raison à Albert Cohen, qui écrivait en pleine Deuxième Guerre mondiale : “Enchaînés d’Europe, dites Hosannah avec nous. Demain, vos liens tomberont et le jour de bonté luira. Et vous, cloches, voix gentilles, voix lourdes, voix pieuses, portez vers le futur le nom de Churchill d’Angleterre”.

 

* Albert Cohen, Churchill d’Angleterre, éditions Lieu commun.

** http://www.palwatch.org/main.aspx?fi=157&doc_id=18211

NdA Cet article a été publié initialement en juin 2016, au lendemain du vote du Brexit. Il n'a pas été modifié, à l'exception du titre.

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La puéricultrice, le professeur de droit et le “peuple stupide” : Une fable politique israélienne

November 27 2019, 12:47pm

Posted by Pierre Lurçat

Deux informations figuraient lundi dernier en pages intérieures des journaux israéliens. La première faisait état d’une “puéricultrice” - une auxiliaire puéricultrice plus exactement - qui avait décidé de décrocher la photo du Premier ministre, Binyamin Nétanyahou, du mur du jardin d’enfants, et avait filmé cet acte “militant” pour le poster sur les réseaux sociaux. La seconde information faisait état des déclarations d’un professeur de droit, Mordehaï Kremnitzer, souvent présenté comme un “constitutionnaliste de premier rang”, qui a dit : “Seul un peuple stupide peut encore croire que M. Netanyahou doit demeurer à son poste”. Ces deux informations sont en réalité les deux revers d’un même phénomène, qu’on pourrait désigner comme le rejet de la démocratie au nom du "droit". 


 

Le Premier ministre israélien B. Nétanyahou

 

Quand la puéricultrice prétend retirer la photo de Nétanyahou “jusqu’à ce qu’il établisse son innocence”, elle montre son ignorance de la présomption d’innocence, laquelle est - il est vrai - bafouée depuis des années par les médias, avec la complicité de la police ou du ministère public qui les abreuvent incessamment de "fuites", dans le cas de Nétanyahou et dans de nombreux autres. Le sentiment de la puéricultrice est largement compréhensible, au vu du “blitz” médiatique auquel ont été soumis les citoyens israéliens, depuis l’annonce dramatique de l’acte d’accusation contre leur Premier ministre, faite par le procureur de l’Etat il y a quelques jours. En réalité, ce “blitz” dure depuis bien plus longtemps : des mois, et même des années. Le plus étonnant, dans ce contexte, c’est qu’une large partie du peuple d’Israël continue d’exprimer sa confiance à Nétanyahou, en dépit de ce lavage de cerveau quotidien auquel il est soumis jour après jour de la part des grands médias. (Ceux-là mêmes dont Nétanyahou est accusé d’avoir voulu “acheter” la complaisance…)

 

L’attitude du Pr Kremnitzer est plus préoccupante que celle de la puéricultrice. Car son affirmation, “seul un peuple stupide peut encore croire que Nétanyahou doit rester en fonction”, ne relève pas de l’ignorance, mais bien d’un aplomb et d’une ‘houtzpa caractéristiques de l’attitude de nombreux membres des élites médiatiques et judiciaires israéliennes. Le problème de Kremnitzer, pour dire les choses autrement, n’est pas qu’il ignore le droit, mais bien plutôt qu’il le connaît très bien et qu’il est prêt à déformer sciemment le sens obvie des lois de l’Etat d’Israël, pour les adapter à ses opinions politiques. La loi est en effet claire et limpide : d’après l’article 18 de la Loi fondamentale sur le gouvernement, seule la Knesset est habilitée à destituer un Premier ministre, et seulement une fois qu'il a été condamné pour une infraction déshonorante. Aucune disposition de loi n’oblige un Premier ministre à démissionner, pour la seule raison qu’il est inculpé ou qu’il fait l’objet d’un acte d’accusation. 

 

Et c’est là que réside le coeur du problème : si la loi est aussi claire, comment le Pr Kremnitzer peut-il qualifier de “stupide” le peuple, dont les attentes sont conformes à la loi? La réponse à cette question se trouve dans un livre écrit il y a déjà plusieurs décennies par un autre juriste distingué, le juge Aharon Barak, The judge in a democracy. Celui-ci se considère en effet  comme « créateur du droit » et donc comme au-dessus des lois – même fondamentales – comme il l’affirme explicitement dans ses nombreux écrits (1). On comprend dès lors l’affirmation du Pr Kremnitzer : le peuple est “stupide”, parce qu’il croit encore que les lois sont votées par la Knesset et inscrites dans le Sefer Hahoukim - le livre des lois de l’Etat d’Israël. Car ce qui compte, en définitive, n’est pas le texte de loi voté par la Knesset, mais l’interprétation qu’en donnent les juges à la Cour suprême et le Procureur de l’Etat (lesquels n’ont été élus par personne) !
 

Aharon Barak

 

Le Pr Kremnitzer est ainsi tout à fait représentatif de ces élites judiciaires - qui ressemblent de plus en plus à un Etat dans l’Etat (Deep State en anglais) - et qui ont franchi récemment toutes les lignes rouges de la démocratie et de l’Etat de droit, aveuglées par leur volonté d’en finir avec le pouvoir de Nétanyahou. Au premier rang d’entre elles, se trouve le Procureur de l’Etat, dont le cabinet s'est transformé en officine politique. Derrière le Procureur, il y  a la Cour suprême, qui est devenue le premier pouvoir en Israël depuis plusieurs décennies, depuis le jour où le juge Aharon Barak a décrété que “tout était justiciable” et où il s’est arrogé le pouvoir anticonstitutionnel d'interpréter comme bon lui semble ou d’abroger purement et simplement toute loi de la Knesset (2).

 

Et derrière le Procureur et la Cour suprême, il y a les grands médias israéliens (avec des exceptions, heureusement) qui se sont largement rangés derrière cette offensive politico-judiciaire, au nom du slogan “Tout sauf Bibi!”, qu’ils répètent comme un mantra depuis de nombreuses années. Comment sortir de cette situation ? La réponse n'est pas simple. Mais l'objectif, lui, est clair. Il faut défendre l’Etat de droit, et rétablir la souveraineté du peuple et de la Knesset et les prérogatives du pouvoir exécutif et législatif, largement entamées ces dernières années par un “pouvoir judiciaire” arrogant,  qui n’a pas sa place dans un régime démocratique (3). 

Dernière remarque : le professeur de droit a en commun avec la puéricultrice de prendre les citoyens israéliens pour des enfants. Mais le “peuple stupide”, méprisé par ces élites arrogantes, saura faire la différence entre les lois votées par la Knesset et les diktats que celles-ci veulent lui imposer au nom du “droit”. Car le peuple, quoi qu’en pensent M. Kremnitzer et consorts, n’est pas stupide.

Pierre Lurçat

 

(1) A. Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2001.

(2) Sur les conceptions de A. Barak, voir “Aharon Barak et la religion du droit, le fondamentalisme juridique au coeur du débat politique israélien’”.

http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/03/aharon-barak-et-la-religion-du-droit-i-le-fondamentalisme-juridique-au-coeur-du-debat-politique-israelien-actuel-pierre-lurcat.html

(3) Voir notre article, “Mettre fin au gouvernement des juges et rendre le pouvoir au peuple d’Israël”.http://vudejerusalem.over-blog.com/2017/09/mettre-fin-au-gouvernement-des-juges-et-rendre-le-pouvoir-au-peuple-israelien-pierre-lurcat.html

 

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Vers la fin du judaïsme en France? par Pierre Lurçat La France sans les juifs, de Danny Trom

March 18 2019, 14:43pm

Posted by Pierre Lurcat

Les transformations de la condition juive en France depuis 1940, et au cours de la décennie écoulée - celle qui s’étend de l’assassinat d’Ilan Halimi à celui de Mireille Knoll - ont fait l’objet d’innombrables articles de presse, mais de peu d’analyses sociologiques et politiques  de fond récentes. Le livre de Danny Trom vient combler cette lacune. L’auteur, chercheur au CNRS, a publié plusieurs livres, à la croisée de la sociologie et de la science politique, parmi lesquels Persévérance du fait juif. Une politique de la survie (2018).

 

Tout point de vue est toujours aussi et déjà un exercice de description de soi et du monde”. Cette phrase extraite du préambule de son livre permet de comprendre la motivation de l’auteur. Son analyse n’est pas tant celle de l’observateur extérieur, que celle du “spectateur engagé”, pour citer Raymond Aron, dont la réflexion est très présente dans le livre de Trom.


 

Un livre passionnant

 

Le flux des juifs quittant la France a pris une ampleur et une régularité telles qu’il faut bien parler d’émigration de masse. Cela ne se dit jamais dans des termes aussi abrupts, parce qu’ils la quittent imperceptiblement, un à un. Et parce que l’on hésite: est-ce quelque chose qui arrive aux juifs ou à la France?” Pour comprendre ce qui “arrive aux juifs” et à la France, Trom commence par interroger la place spéciale qu’occupent les juifs dans l’histoire et dans la constitution de la nation française, reprenant à son compte la définition de Pierre Manent : la France est une “nation de marque chrétienne où les juifs jouent un rôle éminent”(1). Il remonte à l’époque de l’émancipation des juifs, par laquelle ceux-ci se trouvent “intriqués dans la définition moderne de la France”. On pense à l’ouvrage de Pierre Birnbaum sur les “fous de la République’(2).

 

Tout change avec la défaite de 1940 et la trahison que représente le Statut des Juifs. A la trahison du Statut des juifs d’octobre 1940 fait écho celle de 1967, quand la France gaullienne, non contente d’avoir reproché à Israël son attaque préventive, fait le procès des juifs, “peuple sûr de lui et dominateur”. Le départ des juifs de France n’est pas tant, dans cette perspective et comme l’explique Danny Trom, la conséquence d’une adhésion au projet sioniste - laquelle a longtemps été marginale chez les juifs français - que celle d’un amour déçu envers la France.


 

Ben Gourion et De Gaulle en 1967

 

Dans des pages très intéressantes, Trom compare l’attitude de Raymond Aron et celle d’Hannah Arendt, tous deux juifs assimilés, le premier farouchement Français et républicain, la seconde attachée à sa culture allemande et brièvement sioniste. “Nous voici donc au coeur d’une énigme : l’Etat d’Israël fait subitement intrusion, s’impose à l’expérience d’Aron et d’Arendt”. Citant les propos d’Aron, empreints d’un  pathos inhabituel sous sa plume : “Si les grandes puissances selon le calcul froid de leurs intérêts laissent détruire le petit Etat qui n’est pas le mien, ce crime… m’enlèverait la force de vivre”), Trom montre ce que le “moment 1967” signifie dans la pensée et dans l’expérience de ces deux penseurs.

 

L’auteur affirme avec lucidité que “les conseils insistants prodigués par l’Europe à l’Etat d’Israël en vue du règlement du conflit territorial sont peu crédibles, si ce n’est risibles”. Dans son chapitre consacré à l’Europe, aux fondements de laquelle se trouvent “la défaite” (de 1945) et “le crime” (de la Shoah), il soutient pourtant que l’Europe, “résolument technocratique et pacifiste”, aurait renoncé d’emblée à la politique. Or, rien n’est moins évident quand on analyse l’attitude de l’Union européenne à l’endroit d’Israël. Car l’Europe ne se contente pas de conseils, elle mène une politique pro-palestinienne agressive. Celle-ci se traduit notamment par le financement d’une multitude d’associations radicales, luttant avec acharnement pour influer sur la politique et pour modeler le visage de la démocratie israélienne, en soutenant sans la moindre retenue les terroristes palestiniens et en leur donnant accès à la Cour suprême, pour y attaquer les décisions législatives, exécutives et administratives à tous les niveaux de l’Etat.


 

Eurabia : l’élément manquant


 

Sur ce point crucial, l’analyse de l’auteur est insuffisante pour comprendre et analyser la politique de l’Union européenne envers Israël (et, par ricochet, envers les juifs, accusés de soutenir Israël). L’Union européenne incarne aujourd’hui la “nouvelle église du totalitarisme”, pour reprendre l’expression de la politologue israélienne Raya Epstein, et le discours pacifiste et technocrate qu’elle adopte n’est que le masque trompeur de ses visées impérialistes et totalitaires. La politique arabe de la France (et de l’Europe) est l’élément manquant du puzzle (3), qui permet de comprendre comment la “guerre contre les juifs” a pu prendre une telle ampleur ces dernières années en France, au point que l’antisémitisme, longtemps inabordé et quasiment tabou, est devenu aujourd’hui un sujet important de la vie publique française.

 

L’autre élément absent de son analyse est celui du sionisme et de l’attitude des institutions juives. Le premier, même marginal, est néanmoins présent dans l’histoire des Juifs en France depuis 1945 (et avant). Son histoire demeure à écrire. Quant à la seconde, comment comprendre l’attitude pusillanime de la plupart des dirigeants des institutions juives de France (rabbinat et Consistoire notamment), face aux enjeux et aux menaces sans précédent que les juifs affrontent? Au lieu d’accompagner et d’encourager le départ des juifs vers Israël - seule solution à long-terme - ils se contentent le plus souvent de “dénoncer” l’antisémitisme dans une attitude incantatoire et, pour le reste, de faire comme si de rien n’était. “Business as usual”... Un livre passionnant.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Pierre Manent, Situation de la France. Desclée de Brouwer 2015.

(2) Les fous de la République : histoire politique des Juifs d'État, de Gambetta à Vichy, Paris, Fayard, 1992.

(3) Sur ce sujet, je renvoie notamment aux ouvrages essentiels de Bat Ye’or, Eurabia, l’axe euro-arabe, éd. Jean-Cyrille Godefroy 2006, et de David Pryce-Jones, Un siècle de trahison, la diplomatie française et les juifs, Denoël 2008.

 

Israël : seule solution à long terme pour les Juifs de France

 

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Tuerie de la rue des Rosiers : retour sur l’accord secret entre Abou Nidal et la France, par Pierre I. Lurçat

November 20 2018, 12:00pm

Posted by Pierre Lurçat

Tuerie de la rue des Rosiers : retour sur l’accord secret entre Abou Nidal et la France, par Pierre I. Lurçat


abou nidal.jpgLe scoop véritable, dans l’enquête sur l'attentat de la rue des Rosiers, n’est pas tant celui de la traque réussie menée par un juge exemplaire, que celui des accords passés entre le gouvernement de François Mitterrand, sauveur de l’OLP, et le groupe terroriste Fatah-CR d’Abou Nidal, ennemi juré d’Arafat, ou celui de la raison d’Etat justifiant toutes les compromissions avec le terrorisme antijuif. Retour sur les années sanglantes de l’ère Mitterrand. P.I.L

L’information a fait la « Une » de l’actualité française : quelques semaines à peine après les attentats meurtriers contre Charlie Hebdo et contre l’Hypercasher de la porte de Vincennes, le juge antiterroriste Marc Trévidic a retrouvé la trace des tueurs d’un autre attentant sanglant, celui de la rue des Rosiers, perpétré le 8 août 1982, qui avait coûté la vie à 6 personnes et fait 22 blessés, dont plusieurs gravement atteints. Derrière ce scoop, plusieurs mystères semblent être enfin élucidés, grâce à l’obstination et à la perspicacité du juge Trévidic, même si d’autres questions demeurent.

Une enquête exclusive de l’hebdomadaire Paris Match, intitulée « L’heure de la justice a sonné » et signée par Frédéric Helbert, explique les dessous de la traque menée par le juge antiterroriste, devenu « une des pierres angulaires de la lutte antiterroriste française ». Le juge Trévidic est indéniablement – tout comme son prédécesseur, le juge Jean-Louis Bruguière – un homme remarquable, qui mérite les adjectifs laudatifs de Paris Match. Pour autant, l’enquête de Frédéric Helbert ne lève pas tous les mystères et le lecteur reste sur sa faim.

 

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(Photo AFP)

Le sous-titre : « La République n’abandonne jamais », est pour le moins trompeur, et il est contredit par l’auteur lui-même, qui écrit que « pour raison d’Etat, la France va négocier avec Abou Nidal. Le juge Trévidic, lui, ne négocie pas. Et il n’oublie rien ». Car si le juge n’oublie rien, la République, elle, a longtemps fait mine d’oublier… L’identité des tueurs de la rue des Rosiers était sans doute inconnue, mais leur origine ne faisait pas de doute, et les fausses pistes, comme dans l’attentat de la rue Copernic, étaient autant de leurres destinés à tromper, voire à manipuler l’opinion publique.

Trois décennies d’impunité

Il faut lire à travers les lignes pour comprendre que le coup de théâtre salué par les médias français – les trois mandats d’arrêt délivrés par le juge Trévidic contre les assassins de la rue des Rosiers – n’est que la partie émergée de l’iceberg, ou encore l’aspect le plus clair et lumineux de cette affaire qui demeure encore pleine d’ombre et de questions troubles. La véritable histoire, que l’enquête deParis Match ne fait qu’effleurer, c’est celle de l’impunité dont les terroristes d’Abou Nidal ont joui pendant trois décennies, bénéficiant d’un accord passé entre leur chef et le gouvernement français… (Même si 3 membres du Fatah CR avaient été condamnés par contumace pour l’attentat contre le City of Poros, en 2012).

 

Arafat-Mitterrand.jpg


A cet égard, le dernier rebondissement de l’attentat de la rue des Rosiers est avant tout celui d’une saga politico-judiciaire qui témoigne de la part d’ombre (pour reprendre le titre d’un livre consacré à une autre affaire ténébreuse) d’une époque déjà lointaine, celle des « années Mitterrand », dont on n’a pas fini de dévoiler les secrets. En effet, si c’est Mitterrand qui a sauvé Arafat, suscitant la colère d’Hafez al-Assad, commanditaire de l’attentat de la rue des Rosiers, qui voulait ainsi lancer un « avertissement » à la France, c’est aussi Mitterrand qui a négocié, par l’entremise de Philippe Rondot, agent de la DGSE, avec Abou Nidal, chef du Fatah Conseil Révolutionnaire, groupe dissident de l’OLP auteur de plusieurs attentats sanglants en Europe.

Une République amnésique

Selon l’enquête de Paris Match, le « deal » passé entre la France et Abou Nidal était simple : ce dernier promettait « de ne plus frapper la France, si ses hommes pouvaient y circuler sans être inquiétés ». Cet accord secret mettait en œuvre une politique constante de la diplomatie et des services secrets français – sous tous les gouvernements – qui peut se résumer en un mot : « sanctuarisation ». En d’autres termes : tous les moyens sont bons pour éviter de nouveaux attentats sur le sol français. Comme l’expliquera plus tard le général Rondot : "Je n'ai jamais eu d'états d'âme à converser avec Abou Nidal, malgré ses crimes. Il fallait à tout prix éviter qu'il n'en commette d'autres contre nous." (1)

 

detay-le-fatah-conseil-revolutionnaire-groupe-dabou-nidal.jpg

 

Mais ce qui n’est pas dit, et qui ressort de manière claire des informations publiées ces derniers jours, c’est que l’enquête sur l’attentat de la rue des Rosiers a été délibérément « enterrée », dans le cadre de ce même deal passé entre la France et Abou Nidal. La conclusion de l’enquête de Paris Match pêche à cet égard par un évident excès d’optimisme : le juge Trévidic n’est pas le « symbole d’une République qui ne renonce pas ». Il est, plus exactement, le symbole d’une République qui se souvient très tard, trop tard (mais mieux vaut tard que jamais), des victimes d’un attentat sanglant, après avoir tout fait pour brouiller les traces de ses coupables.

Pierre Itshak Lurçat

(1) Cité dans Le Point,Et Rondot piégea Abou Nidal... 3/3/2011.

(2) L’histoire des négociations menées par Rondot a été rendue publique par ce dernier lui-même, à l’occasion de la sortie du film L’infiltré, dont le scénariste, Giacomo Battiato, déclara à l’AFP : « Il m'a raconté la manière dont la DST a essayé de maîtriser le terrorisme dans les années 80, comment il avait rencontré Abou Nidal et comment avait été passé cet accord redoutable ».

 

linfiltre-fr-2d.jpgA l'époque, le palestinien Abou Nidal dirige une organisation terroriste qui a commis des attentats et des assassinats dans différents pays. Par l'intermédiaire d'un officier français des renseignements, un accord est conclu avec le terroriste aux termes duquel il s'engage à ne pas frapper la France ni ses intérêts. En retour, la France libère des terroristes prisonniers et accueille à ses frais des étudiants dans ses universités ». Cité dans "L'infiltré" dans le monde des agents secrets sur Canal+, La Dépêche, 11/3/2011.

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Les bâtards de Sartre, de Benoît Rayski : un pamphlet décapant et salutaire, Pierre Lurçat

November 1 2018, 20:17pm

Posted by Pierre Lurçat

 

En Pologne, pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis collaient du sparadrap sur la bouche des fusillés pour les empêcher de crier : “Vive la liberté!” Ainsi procèdent les plumitifs, les écrivassiers qui prétendent régenter nos âmes. De Jean-Paul Sartre ils ont appris qu’il était permis de tuer l’homme blanc. Et de Frantz Fanon, que le colonisé aurait sa revanche en violant la femme blanche”.

 

 

Ces quelques lignes de présentation du livre de Benoît Rayski explicitent le titre de son livre, Les bâtards de Sartre, critique décapante du débat politique et médiatique contemporain en France. En tant que journaliste ayant collaboré à l’Evènement du jeudi et à Globe, Rayski fait partie de ces intellectuels français qui sont aujourd’hui d’autant plus lucides sur la gauche, qu’ils l’ont jadis bien connue et fréquentée. (Les quelques lignes sur sa période militante au PSU, sous la direction de Michel Rocard, sont hilarantes).

 

Mais on se tromperait en pensant que Rayski cherche dans ce livre à régler des comptes. Il ne veut pas non plus simplement relater, sur un ton humoristique, la déchéance de “l’Homo Sartrius”, ultime avatar de l’Homo sapiens qu’il décrit ainsi : “Rentiers des idées reçues. Boutiquiers attirant le chaland avec leur ‘Je vends, je vends du no pasaran’... Fripiers soldant des vieux cols Mao et des poster de Che Guevara”. Ils pullulent non seulement dans les salles de rédaction, mais aussi dans les centres de recherche du CNRS ou de l’EHESS...

 

Rayski excelle dans la description des chantres de la France multiculturelle et “antiraciste”, aveugles face au “nouvel antisémitisme” des banlieues véhiculé par un islam conquérant, dont ils se font souvent les complices. Il réserve ses flèches les plus acérées à Pascal Boniface, compagnon de route du rappeur Médine, ou à Edwy Plenel, qui sévit sur Mediapart (après avoir sévi au Monde). Mais il n’épargne pas non plus les intellectuels et journalistes juifs égarés, comme Claude Askolovitch.

 


 

Car en réalité, Rayski a écrit un pamphlet qui est tout autant une critique qu’une autocritique. Cela ressort notamment des pages les plus personnelles du livre, comme celles où il évoque son ami Christian Jelen, Juif polonais comme lui, mais qui soutenait Aron à l’époque où Rayski “se gargarisait de Sartre”.... Christian Jelen a en effet été un des premiers, dans les années 1990, à rendre compte de la violence des banlieues et à analyser la démission de la gauche française (1). “Christian Jelen est mort. J’écris ce livre pour m’acquitter de la dette que j’ai contractée à son égard”.

 

Ces quelques mots pudiques révèlent la motivation profonde du livre de Rayski. Au-delà du pamphlétaire talentueux (et drôle) il y a en lui un écrivain et un moraliste, qui se penche sur les errements de sa propre génération. Je n’appartiens pas à la même génération que Rayski, mais je partage avec lui des origines communes : des grands-parents venus de Bialystok, et des parents passés par le PCF. A ce titre, j’ai été personnellement touché par son livre, pamphlet agréable à lire et remède salutaire à la médiacratie ambiante. Saluons au passage son éditeur, Pierre Guillaume De Roux.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Il est aussi l’auteur d’un livre passionnant sur le pacifisme, Hitler ou Staline.

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La trahison des élites et la déconfiture de la gauche occidentale Trois livres politiques pour comprendre le monde actuel, Pierre Lurçat

October 12 2018, 11:59am

Posted by Pierre Lurçat

La trahison des élites et la déconfiture de la gauche occidentale Trois livres politiques pour comprendre le monde actuel, Pierre Lurçat

Trois livres récents abordent l’état actuel des élites politiques en Occident. Les deux premiers sont des essais, le troisième plutôt un pamphlet. Trois livres utiles pour comprendre le débat politique en France et aux Etats-Unis, la dérive identitaire de la gauche, en proie au multiculturalisme et à la “stratégie de l’identité” analysée par Mark Lilla, et pour comprendre comment la France et l’Europe en sont arrivées au point où elles se trouvent aujourd’hui. Le fil conducteur entre ces trois livres est sans doute celui de la “trahison des élites” décrite par Yves Mamou, ou de la trahison par la gauche des idéaux républicains décrite par Mark Lilla aux Etats-Unis et par Benoît Rayski en France. La mise en parallèle des trois ouvrages permet aussi de comprendre que ce sont des phénomènes similaires qui transforment la vie politique et la société sur les deux rives de l’Atlantique et aussi, avec des différences importantes, en Israël. P.L

 

Le grand abandon d’Yves Mamou : la trahison des élites face à l’islam

Présentation de l’éditeur (Editions du Toucan)

Une fracture politique s’est creusée entre le haut (« les élites ») et le reste de la population en France ; et cette fracture commence à être sérieusement documentée. « Révolte des élites », « sécession des élites », « déconsolidation démocratique », « crépuscule de la France d’en haut »… sont les termes les plus couramment employés. Sociologues, historiens, géographes, aucun de ceux qui tentent de cerner l’évènement ne le considère comme un phénomène conjoncturel qu’un patch électoral permettrait de replâtrer. C’est d’un divorce des continents politiques et sociaux dont il est question.

Qu’une caste au pouvoir fasse passer ses intérêts avant ceux du reste de la population est la marque d’une dictature. Que cette dictature ait lieu et se poursuive sous les auspices de la démocratie change la nature de la démocratie.

Ce livre a pour but de montrer, sources à l’appui, comment la caste au pouvoir a aussi fait alliance avec des groupes ennemis de l’intérêt national, pour consolider son pouvoir.  En France, la bourgeoisie française mondialisée « qui prône l’égalité des territoires mais promotionne la métropolisation, (…), qui demande plus de mixité sociale mais pratique le grégarisme social et un séparatisme discret (…), qui fait la promotion du vivre ensemble mais participe à l’ethnicisation des territoires », cette bourgeoisie-là, favorise, voire pactise objectivement avec des groupes et une idéologie islamistes qui noyautent progressivement la société démocratique.

 

http://www.editionsdutoucan.fr/


 

La gauche identitaire de Mark Lilla

 

Présentation de l’auteur (Stock)

 

« Les États-Unis sont en proie à une hystérie morale – notre sport national – sur les questions de race et de genre qui rend impossible tout débat public rationnel. La gauche américaine a délaissé la persuasion démocratique pour s’engager à cor et à cri dans la dénonciation hautaine. La gauche européenne elle aussi est à la recherche d’un nouvel élan, et certains suivent avec intérêt ce qui se passe outre-Atlantique. Mon livre s’adresse tout particulièrement à eux. Je veux les mettre en garde et les convaincre que la politique identitaire est un piège qui, à la fin, ne servira que la droite qui a bien plus l’habitude d’exploiter les différences. Après la lutte des classes, après un flirt avec l’insurrection armée, après le rêve romantique du tiers-mondisme et face aux défis de la mondialisation, il est grand temps que la gauche redécouvre les vertus de la solidarité républicaine. »

 M. L.

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson

 

Les bâtards de Sartre, de Benoît Rayski

Présentation de l’éditeur (Pierre-Guillaume de Roux)

En Pologne, pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis collaient du sparadrap sur la bouche des fusillés pour les empêcher de crier : « Vive la liberté ! »

Ainsi procèdent les plumitifs, les écrivassiers qui prétendent régenter nos âmes.  De Jean-Paul Sartre ils ont appris qu’il était permis de tuer l’homme blanc. Et de Frantz Fanon, que le colonisé aurait sa revanche en violant la femme blanche.

Dès leur réveil, ils  hantent les matinales radiophoniques. À midi, ils investissent les grandes rédactions et, le soir, occupent les plateaux de télévision. Ils sont  munis de sparadrap. Pour nous faire taire. Ce livre, en forme d’insurrection, ne leur donnera pas le dernier mot.

Benoît Rayski est essayiste et journaliste. Il a, entre autres, collaboré au Matin de Paris, à Globe et à L’Événement du jeudi.

Il a écrit de nombreux livres, dont L’Affiche rouge (Denoël), L’Homme que vous aimez haïr (Grasset) et Fils d’Adam (Exils). Ses chroniques sont publiées sur Atlantico.fr et Causeur.fr.

 

 

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«Face à l'islamisme, nos élites ont trahi», Interview d'Yves Mamou

October 6 2018, 18:58pm

Posted by Yves

«Face à l'islamisme, nos élites ont trahi», Interview d'Yves Mamou

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Alors que l'existence de tensions communautaires a été reconnue par Gérard Collomb lui-même, le journaliste Yves Mamou accuse les élites françaises de s'être coupablement désintéressées de l'immigration, et d'avoir fermé les yeux sur l'islamisation du pays.

 


Yves Mamou est un ancien journaliste du Monde. Il a également collaboré au Canard Enchaîné, à Libération et à La Tribune. Collaborateur régulier du site américain The Gatestone Insitute, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Hezbollah, dernier acte (éd. Plein jour, 2013) et Le Grand abandon. Les élites françaises et l'islamisme (éd. L'Artilleur), paru le 25 septembre 2018.


FIGAROVOX.- Selon vous, l'immigration et l'islamisation auraient pour conséquence d'empêcher les Français de «faire nation»? Quel lien faites-vous entre la supposée émergence perturbatrice de l'islam et la supposée désagrégation de la nation française?

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JE DÉCOUVRE

Yves MAMOU.- Le Grand Abandon est une tentative de reconstitution. J'ai essayé de savoir pourquoi et comment, à côté de la nation française, une nation islamique avait pu progressivement se constituer. Les déclarations fracassantes de Gérard Collomb, ex-ministre de l'Intérieur, au matin de sa passation de pouvoir à Edouard Philippe, Premier ministre, montrent que la juxtaposition de ces deux nations aujourd'hui en France engendre un risque d'affrontement. Nous sommes aujourd'hui «côte à côte» (sous-entendu musulmans et non-musulmans) a dit Gérard Collomb, mais rien ne garantit que demain nous ne serons pas «face à face». Cet avis de guerre civile en bonne et due forme a été proféré par l'homme qui, pendant un an et demi, Place Beauvau, a eu sous les yeux, au quotidien, tous les rapports de police et de gendarmerie.

Gérard Collomb est partie prenante de l'élite politique française. Il abandonne son poste en informant que la guerre civile est à nos portes. Une fuite qui à elle seule justifie mon titre «Le Grand Abandon». L'avertissement aurait eu plus de force s'il avait été proféré par un ministre en exercice. L'avoir prononcé sur le pas de la porte a fait que certains médias ne l'ont même pas repris.

La guerre civile se définit comme le déchirement d'une nation. Je ne sais pas si cette guerre aura lieu, mais il m'a semblé utile de m'interroger sur la présence de deux nations sur le même territoire national. Parfois, ce sont des frontières mal tracées qui créent les conditions d'un affrontement entre deux nations. Mais en France, la nation islamique a été fabriquée de toutes pièces. Elle est le résultat d'une politique. Les élites françaises, c'est-à-dire les grands corps de l'État, les partis politiques, les experts, les magistrats, les médias, les élites culturelles… ont, pour de multiples raisons, plusieurs décennies durant - et encore aujourd'hui - encouragé et légitimé l'immigration musulmane.

Cette préférence des élites pour l'islam a produit un fossé abyssal entre la France d'en haut et la France d'en bas. Le Baromètre de la Confiance que le Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po, publie année après année, illustre parfaitement le phénomène: la majorité de la population française témoigne à l'égard de sa classe politique d'une gamme de sentiments qui va de l'écœurement au dégoût, en passant par le rejet et l'indifférence. Et sur quoi se cristallise cette rupture entre le haut et le bas de la société? Sur l'islam jugé trop invasif et l'immigration jugée excessive.

Curieusement, ce baromètre du Cevipof sauve la mise de deux institutions, l'armée et la police qui jouissent d'un taux de confiance de près de 80 %.

Peut-être, mais est-ce suffisant pour affirmer comme vous le faites que l'islamisme et l'immigrationnisme ont été voulus, théorisés, écrits et préparés à l'avance?

L'immigration a été voulue et organisée, mais l'islamisation de cette immigration n'était sans doute pas inscrite au menu. Si l'immigration se poursuit malgré l'islamisation, c'est sans doute que nos élites la jugent insignifiante. Ou bien qu'elle leur est indifférente. Et c'est cette indifférence au risque de guerre civile que j'ai voulu souligner.

La constance avec laquelle le Conseil d'État a aidé à la constitution d'une nation islamique en France est sidérante. Je liste dans mon livre tous les arrêts du Conseil d'État favorables à l'immigration musulmane, favorables au voile, favorables au burkini, favorables à la burqa, favorables aux familles polygames et j'en passe. Idem pour le Conseil constitutionnel qui trouve conforme à l'intérêt général de laisser les écoles salafistes proliférer ou de supprimer, au nom de la «solidarité», les peines qui frappaient autrefois les délinquants qui facilitaient l'immigration clandestine. Mon livre passe également au crible l'étrange aveuglement de l'Observatoire de la laïcité quand il est question d'islam et l'étrange sensibilité du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux récriminations des téléspectateurs musulmans.

Il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l'islam.

Tout ce que j'avance dans mon livre est sourcé. Le Grand Abandon est riche de plus de 700 notes et références. L'ordonnancement et la mise en relation de ces faits étayés et vérifiés entre eux mettent en lumière une évidence: il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l'islam.

Ce qui nous ramène à votre première question. Ce n'est pas seulement l'islam qui empêche aujourd'hui de faire nation. Les élites aussi ne veulent plus faire nation.

«L'antiracisme politique qui sévit aujourd'hui n'a jamais eu pour but de combattre le racisme.» Que voulez-vous dire?

Je n'ai pas remarqué de mobilisation des organisations antiracistes contre le rappeur Nick Conrad qui a chanté le meurtre des Blancs et des enfants blancs dans les crèches. Ni contre les Indigènes de la République ou le syndicat SUD Éducation qui ont organisé des séminaires «racisés» fermés aux «Blancs», ni contre Médine qui rêve de crucifier les laïcards au Golgotha, ni contre Mmes Ernotte (France Télévisions) et Nyssen (ministère de la culture) qui souhaitaient voir moins de «Blancs» à la télévision.

En revanche, quand Éric Zemmour a affirmé que les immigrés étaient surreprésentés dans les prisons, ou quand Georges Bensoussan a tenté d'expliquer que l'antisémitisme sévissait dans une large frange de la population musulmane en France, les associations antiracistes se sont unies pour les traîner devant un tribunal. Au nom de la lutte antiraciste!

Ces quelques exemples permettent de situer la zone d'action de l'antiracisme: faire taire tout critique de la «diversité». La «diversité» n'est pas un slogan antiraciste un peu creux. Je démontre dans mon livre que la «diversité» est en réalité une politique. Et cette politique passe par les organisations antiracistes subventionnées par l'État, par l'école où l'apprentissage de l'arabe est proposé aujourd'hui dès le primaire, par une politique du ministère de la Culture qui subventionne la «diversité» au cinéma et au théâtre, par l'Afnor qui labellise les entreprises pour plus de «diversité», par le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui, avec son Baromètre de la «diversité» rêve d'imposer des quasi quotas ethniques sur le petit écran, et par divers lobbys comme le Club XXI d'Hakim el Karoui ou l'association Coexister...

Le Grand Abandon démontre que l'antiracisme politique et le discours diversitaire n'ont pas pour but de combattre le racisme. Ce sont des outils au service d'une réinitialisation des consciences. Ils servent à marteler

La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique.

que les immigrés de couleur sont par essence des victimes. Les services du Premier ministre diffusent actuellement des clips contre les violences sexistes. L'un de ces clips montre un «Blanc» qui agresse sexuellement une jeune fille d'origine maghrébine laquelle est défendue par une «Blanche» en couple avec un homme noir. Ce clip d'État d'une grande pureté idéologique assigne la violence sexuelle aux hommes Blancs et refuse d'évoquer celle qui peut aussi exister chez les «victimes» de couleur. J'affirme que cette victimisation forcenée des Français de couleur participe à la fabrication de la violence d'aujourd'hui.

Quand vous parlez des «élites», qui désignez-vous exactement? Peut-on mettre tous les responsables politiques, économiques, culturels, médiatiques… dans le même panier?

Mon livre passe en revue les partis politiques, le ministère de la justice, les associations antiracistes, l'université, l'école, les experts, les intellectuels, le monde du cinéma et du théâtre et de quelques autres encore… Chacun de ces groupes ou institutions œuvre, dans le champ qui est le sien, à la promotion de la «diversité» et de son corollaire le «vivre-ensemble». J'ai déjà évoqué le cas du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Mais je liste également le cas des intellectuels qui pétitionnent et lynchent médiatiquement toute personnalité publique qui émet des opinions non conformes aux leurs. L'écrivain algérien Kamel Daoud en a ainsi fait les frais quand il a expliqué que les viols de masse de Cologne en 2015 étaient dus à l'importation en Allemagne d'une culture patriarcale des relations entre les sexes. Les experts justifient et encouragent l'immigration au nom de supposés bienfaits économiques. Le ministère de la justice met à mal la liberté d'expression des Zemmour et Bensoussan… etc. J'ai 600 pages d'exemples et de logiques qui s'emboîtent les unes dans les autres et qui tous ensemble concourent à une révolution, «par le haut».

En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque. Il s'agit d'une authentique révolution qui se poursuit encore aujourd'hui sous nos yeux. Les élites politiques, économiques et institutionnelles ont balayé le vieux modèle laïque et républicain sans demander l'avis du reste de la population. Les élites françaises ont été à l'origine du plus grand casse du siècle, lequel s'avère être aussi un casse de la démocratie et de la laïcité. Pour quel profit? Je crains que seul l'islamisme soit à même de tirer les marrons du feu.

Les politiques ont selon vous une responsabilité toute particulière dans la diffusion de l'islamisme. Tous, y compris le Front national, pourquoi?

Le Front national a joué les repoussoirs. Par sa seule présence, le Front national a empêché l'émergence de tout débat sérieux sur l'islam et l'immigration. Les éructations de Jean-Marie Le Pen toujours à la limite du racisme et de l'antisémitisme ont contribué au caractère hégémonique du discours antiraciste. Marine Le Pen a bien tenté de redresser l'image de son parti, mais le mal était fait. Et il dure encore.

Quant aux gouvernements de gauche, ils portent une responsabilité historique que j'expose dans Le Grand Abandon.

Vous reprochez aux politiques, notamment de gauche («islamo-gauchistes») leur clientélisme, mais vous le reconnaissez vous-même en introduction, les musulmans deviennent une composante à part entière de la population: il faut bien que des politiques leur parlent à eux aussi?

La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique: baux emphytéotiques pour la construction de mosquées, heures de piscine réservées aux femmes, etc., cela dans le but de recueillir les voix des musulmans. L'islamo-gauchisme accompagne la violence islamiste pour conquérir le pouvoir. Ce sont deux démarches différentes, mais les deux instrumentalisent les musulmans comme outil de conquête du pouvoir.

En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque.

Cette instrumentalisation de l'islam par la gauche a creusé la tombe de la laïcité. La laïcité non plus n'est pas un mot creux. C'est l'espace de la citoyenneté. Et la citoyenneté c'est l'espace du politique parce qu'il est débarrassé de tous les sujets qui ne prêtent pas à la discussion et à la négociation. Si la laïcité a cantonné la religion au domicile et aux lieux de culte, c'est précisément pour les sortir de l'espace politique. En réintroduisant la religion - et surtout la religion musulmane - dans l'espace de la politique, la gauche (mais aussi la droite) a disséminé les germes de la guerre civile.

Une République laïque ne doit reconnaître que des citoyens et non des communautés, et moins encore des communautés religieuses. Penser comme le font nos élus de droite et de gauche que la République doit des mosquées aux musulmans est une erreur et une trahison. Une erreur parce qu'elle conforte le communautarisme et le sécessionnisme musulman. Et une trahison parce que ce que la République doit aux Français, quelle que soit leur confession ou leur couleur de peau, ce sont des écoles, la liberté de pensée et d'expression.

Vous critiques beaucoup aussi l'Église. Mais n'est-elle pas dans son rôle lorsqu'elle exprime une compassion à l'égard des migrants? Faut-il toujours tout ramener à une vision politique?

Le rôle des journalistes n'est pas de prendre les apparences pour le réel. Quand Macron va au Collèges des Bernardins et déclare aux plus hautes personnalités du catholicisme français qu'il faut «réparer» le lien abîmé entre l'Église et l'État, que croyez-vous qu'il fasse? Une bonne action? Non, il fait de la politique. Il s'adresse à une Église catholique blessée par cent ans de laïcité et qui souffre d'une hémorragie de fidèles. Il lui dit: oublions la laïcité, revenez dans le jeu politique. Pourquoi Macron fait-il cela? Pour se constituer des alliés dans son grand projet de bâtir ce qu'il appelle l' «Islam de France». Macron a besoin d'alliés pour se débarrasser de la laïcité. Quel meilleur allié que l'Église?

Quant à la compassion de l'Église pour les migrants musulmans, il est bon de rappeler que cette compassion est sélective. L'Église ne défend pas les Coptes quand ils sont massacrés en Égypte, elle proteste à peine contre l'authentique épuration ethnique qui frappe les chrétiens d'Orient, et elle n'a guère eu de mot charitable pour les Yazidis massacrés par l'État islamique. C'est cette sélectivité compassionnelle qui interroge. J'essaye de montrer dans mon livre que la charité affichée de l'Église envers les musulmans est aussi une politique.

Quant aux médias, pour finir, vous y voyez des «falsificateurs de la vérité»?

Il y a quelques jours, le Journal télévisé de France 2 a diffusé un reportage sur l'épidémie d'attaques au couteau qui sévit à Londres. Mais la même épidémie sévit en France et aucun média ne dresse un tableau de la situation. Il faut feuilleter la presse de province, journal par journal, pour se rendre compte de l'ampleur des violences gratuites, souvent mortelles, commises au quotidien. Quand un journal évoque une attaque au couteau, on ignore le nom de l'agresseur et ses motivations. Comme s'il y avait une volonté d'anonymiser le «déséquilibré»! Les médias, dans leur grande majorité, participent au casse du siècle. Ils n'informent plus sur les problèmes, ils prêchent la «diversité» et le «vivre ensemble».

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2018/10/05/31001-20181005ARTFIG00341-face-a-l-islamisme-nos-elites-ont-trahi.php?redirect_premium

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