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politique israelienne

Les fondements historiques du système électoral israélien

April 4 2021, 11:32am

Posted by Pierre Lurçat

 

Les dernières élections ont une fois de plus mis à l’ordre du jour la question d’une possible réforme du système électoral israélien, fondé sur le mode de scrutin proportionnel intégral, et considéré comme un système très démocratique, mais très difficile à gérer. Cette question récurrente est en fait un véritable serpent de mer qui réapparaît régulièrement dans le débat public (1). Le présent article examine la question de la réforme électorale dans une perspective historique, en montrant comment le système proportionnel a été adopté et pourquoi il est resté en vigueur jusqu’à aujourd’hui.

Un problème aussi ancien que l’État d’Israël

“Dans le système électoral israélien, il n’existe pas de relation entre l’électeur et l’élu ; le citoyen vote pour des candidats que, la plupart du temps, il ne connaît pas, et ce sont seulement les appareils des partis qui désignent ceux qui figureront sur les listes et à quel rang… Le gouvernement ne peut être formé après les élections que par les négociations entre les appareils des partis (2)”.

David Ben-Gurion | prime minister of Israel | Britannica

Ce constat désabusé, qui semble décrire la situation actuelle, date en fait de… 1954 ! C’est celui que faisait Ben Gourion, devant le conseil du Mapaï (parti travailliste), ayant compris dès 1949 que le système électoral devait être réformé… On constate, à la lecture de ces lignes, que le problème de la réforme électorale est aussi ancien que l’État d’Israël. Il l’est en fait encore plus : le système électoral, tout comme les principales institutions politiques de l’État, puise en effet ses racines dans la période pré-étatique, celle du Yishouv.

I. Fondements historiques et sociologiques du système électoral israélien

De l’Assemblée du Yichouv à l’Assemblée des Représentants

Le système électoral et politique israélien plonge ses racines dans la période du Mandat britannique (1922-1948), et même plus loin. C’est en effet à la période pré-mandataire que remonte la première tentative réussie de créer un organe national représentatif de tous les courants politiques présents en Eretz Israël. Au-delà de son intérêt historique, ce rappel est indispensable pour comprendre comment Israël a adopté le système électoral proportionnel, resté en vigueur jusqu’à nos jours, malgré quelques changements. C’est au dirigeant sioniste Menahem Ussishkin que revient le mérite d’avoir réuni la première “Assemblée du Yichouv”, à Zikhron Yaakov, en 1903. Celle-ci créa la “Confédération des Juifs en Eretz Israël”, mais son action fut entravée par la controverse autour du projet d’État juif en Ouganda (dont Ussishkin était le principal opposant).

Menahem Ussishkin (à gauche) - New Yok 1921

Les efforts pour créer un organe représentatif furent renouvelés après la Première Guerre mondiale et la Déclaration Balfour (1917). Les représentants du Yichouv constituèrent une Assemblée constituante qui élut un “Comité provisoire des Juifs en Eretz Israël”. A nouveau, des différends surgirent, notamment sur la question du droit de vote des femmes, auquel les représentants des factions religieuses étaient opposés. En fin de compte, le Comité provisoire fixa au 19 avril 1920 la date des élections à la première Assemblée des représentants (Assefat ha-Nivharim), qui siégea jusqu’au 6 décembre 1925. Au total, quatre Assemblées se succédèrent entre 1919 et 1949. Les élections se faisaient au scrutin de liste direct, au niveau national, tout comme aujourd’hui.

 

Les quatre Assemblées des Représentants (1920 – 1944)

L’examen de la composition des quatre Assemblées de Représentants est instructif, et montre qu’elle étaient constituées de très nombreuses factions, réparties en quatre catégories principales : partis ouvriers, partis religieux, partis à base ethnique et partis à base professionnelle. La première Assemblée comportait ainsi pas moins de 19 factions, et la deuxième 25 ! Les grands partis politiques – qui allaient jouer un rôle essentiel dans la vie politique de l’État – étaient pour la plupart déjà représentés dans l’Assemblée élue en avril 1920 : Ahdout ha-Avoda (travaillistes), Mizrahi (sionistes religieux), Harédim, aux côtés d’autres listes à orientation ethnique (Séfarades, Yéménites, Boukhariens) ou professionnelle (artisans, employés). Les sionistes révisionnistes firent leur entrée dans la deuxième Assemblée (élue en 1931)

La quatrième “Assemblée des élus” du peuple, Jérusalem 1944

Ce rappel historique permet de comprendre les raisons de l’adoption du système de représentation proportionnelle. On peut en dénombrer au moins trois. Premièrement, le Yichouv ne jouissant d’aucune continuité territoriale, la représentation proportionnelle à une seule circonscription était la plus facile à mettre en œuvre. Deuxièmement, ce système permettait d’effacer les disparités entre régions rurales et urbaines. Enfin et surtout, le système proportionnel constituait un facteur d’intégration devant accorder une légitimité indispensable à l’État en devenir, au vu de la grande hétérogénéité ethnique et politique de la population, qui se reflétait dans la composition de l’Assemblée des représentants. Toutes ces raisons firent que l’organe “législatif” du Yichouv adopta le système proportionnel, qui fut maintenu en vigueur après la création de l’État.

Pierre Lurçat

1. Pour un exposé synthétique, voir Daniel Elazar, “Electoral and Constitutional Reform for Israel”, JCPA, 16/7/2004.

2. Cité par Avraham Avi-Haï, Ben Gourion bâtisseur d’État, p.299, Albin Michel 1988.

 

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“Nous devons dire merci à Nétanyahou,l’homme qui a sauvé nos vies”, Benny Ziffer

March 21 2021, 14:08pm

Posted by Benny Ziffer

Je reproduis ci-dessous l’article publié ce matin par Benny Ziffer dans les colonnes d’Aroutz 7 (Israel National News). Ziffer est un écrivain, poète et journaliste, mais il est surtout connu comme rédacteur en chef du supplément littéraire du journal Ha’aretzFrancophile, il est ami avec l’écrivain Michel Houellebecq, qu’il a contribué à faire connaître au public israélien.

J’ajoute que je partage, comme des millions de nos concitoyens, le sentiment exprimé par B. Ziffer, que j’avais déjà exprimé bien avant le Covid-19, envers la famille Nétanyahaou et le Premier ministre, qui porte bien son nom (en hébreu, Nétanyahou signifie “Dieu nous l’a donné”’). Je débattrai des élections israéliennes mardi prochain à 19h30 heure d’Israël sur i24, face à Jean-Pierre Filiu. 

Pierre Lurçat

 

 

“Nous devons entamer cette semaine fatidique avec l’espoir que mardi, nous renforcerons Nétanyahou aux élections, pour la raison purement pragmatique qu’il est un excellent Premier ministre.

 

Mardi, souhaitons que le peuple punisse dans les urnes les dirigeants de ce qu’on appelle la gauche sioniste, le centre-gauche avec ses différentes branches, pour s’être égarés, avoir abandonné tout sens de la responsabilité nationale et s’être perdus dans leur vanité, tout ce qui leur reste étant de s’époumoner : “‘Rak lo Bibi!” (“Tout sauf Bibi!”)

 

Mardi, nous devons montrer aux médias malfaisants qui poursuivent de leur vindicte Nétanyahou et le Likoud, en utilisant des stéréotypes antisémites pour diaboliser les Juifs orthodoxes, au mépris de l’intelligence des téléspectateurs - qu’ils n’ont aucune influence sur nous. En dépit de l’incitation et de la diabolisation permanente - nous voterons justement pour Nétanyahou. Peut-être ainsi apprendront-ils à être plus équilibrés et plus dignes.

 

Mardi, nous devons dire merci à l’homme qui a sauvé nos vies, au sens littéral.

 

Benny Ziffer (photo : Ziv Koren)

 

A la veille des élections, il faut prier pour que les manifestants de la rue Balfour noient leur désespoir dans l’alcool et n’aillent pas voter mardi matin. Et s’ils se lèvent quand même pour aller voter, que leur désespoir leur fasse mettre un bulletin blanc dans l’urne.

 

Mardi, nous devons démontrer que la haine pathologique envers Nétanyahou et sa famille ne bénéficie pas à ceux qui la propagent, et que Nétanyahou restera au pouvoir pour de nombreuses années encore…

 

Mardi, nous devons assurer encore des années de sécurité et de prospérité et de calme, et non, à D. ne plaise, de chaos et de folie, si Nétanyahou ne parvenait pas à former un gouvernement. Car il suffirait de quelques heures sans direction à la tête de notre pays, pour que nos ennemis extérieurs tentent de nous anéantir, au sens littéral. 

 

Voter pour Nétanyahou, c’est à mes yeux voter en faveur d’un projet divin réussi et de la grâce divine qui a été accordée à Israël, depuis le Ciel - ne serait-ce que par la sagesse qui consiste à ne pas rejeter un tel cadeau de D.ieu.


Mardi, je me lèverai tôt et j’iraivoter pour lui, comme pour remplir un commandement sacré. Ce commandement est celui d’aimer le peuple d’Israël de toute notre âme et de tous nos moyens. Et il n’est pas de meilleur moyen d’exprimer  cet amour qu’en votant pour Byniamin Nétnyahou.

Benny Ziffer

Texte original : https://www.inn.co.il/news/471556

 

Nétanyahou et sa femme Sarah, montrant le sceau biblique qui porte son nom

LIRE AUSSI:

http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/04/pour-comprendre-benjamin-netanyahou-sans-fard-ni-caricature-quelques-liens-sur-la-famille-sioniste-revisionniste-de-jabotinsky-a-net


 

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Au lendemain de l’accord Israël-Émirats arabes unis : La victoire de la “doctrine Nétanyahou”, par Pierre Lurçat

August 19 2020, 10:37am

Posted by Pierre Lurçat


 

S’il est encore prématuré de porter un jugement définitif sur l’accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes annoncé la semaine dernière, on peut déjà tirer quelques conclusions provisoires. Le premier constat qui s’impose est celui de la victoire de la vision stratégique que Binyamin Nétanyahou a progressivement réussi à imposer, concernant les rapports entre Israël et le monde arabe. De l’avis de la plupart des commentateurs israéliens, y compris les plus hostiles, il s’agit d’un coup de maître diplomatique sans précédent. Comme l’écrit Ehud Ya’ari, cet accord marque le triomphe de la doctrine Nétanyahou, qui prône notamment la marginalisation progressive de l’Autorité palestinienne et l’effacement de la notion de “Deux États pour deux peuples”, sur laquelle a largement reposé la diplomatie israélienne depuis les accords d’Oslo.

 

Cette vision stratégique est inséparable de la politique menée par Nétanyahou depuis deux décennies face à la menace iranienne - qu’il a été un des premiers à prendre au sérieux, avec une constance remarquable, prêchant parfois dans le désert et contre l’avis de certains chefs des renseignements militaires et du Mossad (1) - et dont elle constitue le versant diplomatique. La normalisation des liens avec les pays arabes sunnites illustre ainsi la seconde facette de la doctrine Nétanyahou face à l’Iran et à ses alliés - Hezbollah, Hamas et autres - qui s'est manifestée ces dernières années par l’étroite collaboration militaire et sécuritaire - le plus souvent loin des projecteurs - entre Israël et les pays du Golfe. 


 

Une vision stratégique à la hauteur de celle de Ben Gourion


 

L’alliance israélo-arabe face à l’Iran

 

Contrairement aux affirmations de ses nombreux détracteurs, non seulement Nétanyahou ne s’est pas trompé sur la menace iranienne (qu’il aurait selon eux exagérée, voire carrément “inventée”), mais il a aussi évalué justement l’opportunité que celle-ci représentait du point de vue diplomatique et stratégique, pour instaurer une alliance israélo-arabe face à l’Iran et à ses proxies, alliance dont nous voyons actuellement les premiers fruits. A cet égard, la vision stratégique de Byniamin Nétanyahou peut être comparée - par sa profondeur et par sa portée, à celle de David Ben Gourion. Ce dernier avait préconisé, dans les années 1950, l’établissement de liens avec les pays du “deuxième cercle” non arabe - Iran, Turquie et Ethiopie - afin de desserrer l’étau des pays arabes limitrophes d’Israël.

 

La doctrine Nétanyahou a consisté à exploiter le vieux différend arabo-perse (2) et à ériger l’État juif en rempart des pays de l’axe sunnite modéré. Mais ce qui a pu sembler au premier abord n’être qu’une convergence d’intérêts de circonstance, provisoire et fragile, s’avère être aujourd’hui une véritable alliance, profonde et durable, qui est sur le point de se matérialiser par l’établissement de relations diplomatiques pleines et entières et par un rapprochement à long terme entre Israël et plusieurs pays arabes dans le Golfe, (et peut-être aussi en Afrique du Nord).

 

Face à la menace iranienne : une constance remarquable

 

La justesse de la vision stratégique de B. Nétanyahou est d’autant plus éclatante aujourd’hui, qu’il a pendant longtemps tergiversé, en semblant adopter le narratif mensonger des “Deux États pour deux peuples”, notamment lors de son fameux discours de Bar-Ilan en 2013. Or, non seulement Nétanyahou n’a pas poursuivi sur la voie de la création d’un État palestinien, empruntée par tous ses prédécesseurs depuis l’époque des accords d’Oslo, mais il a en fait été celui qui a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de la notion illusoire et néfaste d’un nouvel État arabe à l’Ouest du Jourdain. Ce faisant, Nétanyahou a fait voler en éclats le mythe de la centralité de la “question palestinienne” - entretenu pendant plusieurs décennies par la Ligue arabe, mais aussi par l’Organisation de la conférence islamique, l’Union européenne ou l’ONU, mythe à la création duquel ont par ailleurs largement contribué des intellectuels juifs et israéliens, depuis l’époque du Brith Shalom et jusqu’à nos jours. (3)

 

En acceptant de conclure un accord avec Israël sans le faire dépendre d’un quelconque “règlement” de la question palestinienne (règlement tout aussi illusoire que la notion d’un “Etat palestinien” arabe à l’ouest du Jourdain), les Emirats arabes ont montré qu’ils avaient compris que cette dernière n’était nullement une priorité arabe, mais constituait en réalité un obstacle et une entrave à la réalisation des intérêts arabes. A l’encontre de la politique du pire adoptée par les dirigeants de l’OLP et de l’AP depuis 1964, qui n’ont “jamais raté une occasion de rater une occasion”, les dirigeants sunnites du Golfe ont, de leur côté, montré qu’ils étaient disposés à saisir toutes les occasions de faire progresser la normalisation et le rapprochement avec l’État juif, dans l’intérêt commun bien compris de leurs pays et d’Israël.

 

La question, qui demeure actuellement ouverte, de la souveraineté israélienne en Judée-Samarie et sur le Mont du Temple, constitue la troisième facette - et la plus obscure - de la doctrine Nétanyahou. Sur ce sujet crucial, il a montré une fois de plus son pragmatisme absolu et son rejet de toute position idéologique. L’avenir dira si l’attentisme (trop?) prudent manifesté par Nétanyahou sur cette question permettra bientôt à Israël d’instaurer une souveraineté juive pleine et entière à l’Ouest du Jourdain, en profitant de l’occasion historique offerte par le président Donald Trump, ou bien s’il signifiera une nouvelle occasion manquée pour réaliser la promesse millénaire du retour du peuple Juif dans le coeur de son patrimoine.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Le triumvirat des chefs de la sécurité israélienne entre 2008 et 2011 –  Gaby Ashkénazi, le chef du Mossad Meir Dagan et le directeur du Shin Beth [sécurité intérieure] Avi Dichter – s’étaient concertés, sous la direction apparente de Shimon Pérès, pour contrecarrer les plans du Premier ministre de l’époque Benjamin Nétanyahou contre l’Iran. Voir https://www.dreuz.info/2016/10/07/le-testament-de-shimon-peres-israel-la-bombe-atomique-et-liran/

(2) Lequel ne recouvre pas exactement la division chiites-sunnites, contrairement à ce qu’on affirme souvent, comme le montre le fait que le Hamas est soutenu par l’Iran.

(3) Je renvoie sur ce point à mon livre La trahison des clercs d’Israël, La maison d’édition 2016.

 

Nétanyahou et sa femme Sarah, montrant le sceau biblique qui porte son nom

 

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Israël, “démocratie illibérale”? Réponse à une intellectuelle confinée

May 13 2020, 15:28pm

J’avais bien aimé le premier livre d’Eva Illouz, Pourquoi l’amour fait mal. C’était en 2012, quand elle vivait encore en Israël, avant qu’elle ne devienne directrice d’études à l’EHESS et, selon l’expression consacrée, une des “intellectuelles les plus importantes de sa génération” (1). A quel moment est-elle devenue la “grande sociologue” célèbrée par le Nouvel Observateur et d’autres médias, qui lui donnent régulièrement la parole pour commenter l’actualité? Est-ce au moment où elle a commencé à faire du dénigrement d’Israël un de ses thèmes de prédilection ? L’hypothèse demande à être vérifiée.

 

 

Quoi qu’il en soit, dans sa dernière intervention médiatique en date, intitulée “Depuis les ténèbres, qu’avons-nous appris”, Eva Illouz se montre en parfait exemple de ce qu’on pourrait appeler “l’intellectuel confiné”. Je veux parler de ces intellectuels qui ont tiré, pour leçon principale de la crise actuelle, la confirmation de l’exactitude de leurs propres idées. Ils n’ont pas  retiré une virgule à leurs propos d’avant le Coronavirus, dans lequel ils ont trouvé l’occasion inespérée de faire l’auto-promotion de leur discours (2). 

 

Le concept de “démocratie illibérale”, créé par le politiste américain Fareed Zakaria en 1997 et entré depuis dans le lexique politique contemporain, rappelle à certains égards l’ancienne distinction marxiste entre “libertés formelles” et “libertés réelles”, et le concept  actuellement très en vogue de “populisme” (ou de “peuplocratie”) (3). A l’origine, “l’illibéralisme” décrit des régimes comme celui de Viktor Orban en Hongrie, ou celui du parti Droit et Justice en Pologne. Parmi ceux qui ont décrit Israël comme une “démocratie illibérale”, citons Jean-Pierre Filiu et à sa suite, Dominique Moïsi et Alexis Lacroix.

 

Eva Illouz a de son côté employé l’expression de “démocratie illibérale” pour qualifier Israël en 2018, dans un article publié dans Ha’aretz et repris dans Le Monde (4). Elle y écrivait notamment: Ce qui est le plus surprenant, c’est que pour promouvoir ses politiques illibérales, Netanyahu est prêt à snober et à rejeter la plus grande partie du peuple juif, ses rabbins et intellectuels les plus reconnus...”. L’idée d’un divorce entre Israël (dirigé par la droite) et la diaspora juive américaine (largement acquise au parti démocrate) était alors maniée comme un épouvantail par les opposants de Nétanyahou. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et l’efficacité de la politique israélienne dans la crise du Covid-19 amène de nombreux Juifs, aux Etats-Unis et ailleurs, à envisager leur avenir en Israël.


 

La Cour suprême la plus puissante au monde - Jérusalem

 

Cela n’empêche pas Eva Illouz de continuer de parler de ‘démocratie illibérale”, en écrivant que : “Les démocraties illibérales telles qu’Israël, la Pologne, la Turquie et la Hongrie se sont servies de la crise du coronavirus pour faire croire que le Reichstag était en feu et en ont profité pour suspendre les libertés civiles et révoquer le pouvoir du parlement et des tribunaux (Netanyahou a ainsi échappé au procès qui l’attendait le 17 mars)”. Ce morceau d’anthologie appelle quelques commentaires. Tout d’abord, Israël n’a pas “suspendu les libertés civiles”, mais plus simplement confiné sa population - exactement comme l’ont fait la France et les autres “démocraties libérales” - avec une efficacité dont atteste le faible nombre de victimes du Covid-19 (un “détail” qui semble échapper à Eva Illouz). 

 

Pourquoi Mme Illouz réserve-t-elle ses critiques aux seules “démocraties illibérales” et surtout à Israël, alors que les mesures adoptées en Israël sont similaires à celles adoptées (souvent avec moins de succès, en raison d’hésitations et de mauvaise gestion) dans les autres pays démocratiques? Quant à la “révocation du pouvoir du parlement et des tribunaux”, on se demande si l’auteur de ces propos est vraiment informée de ce qui se passe en Israël. Comparer Israël - où les mesures prises l’ont été sous le contrôle tatillon d’une Cour suprême, qui est sans doute la plus puissante au monde - à la Hongrie de Viktor Orban (5), qui a voté une loi d’urgence sans limite, relève dans le meilleur des cas de la malhonnêteté intellectuelle. 

 

 

Déconfinez-vous, Mme Illouz! 

(Photo ANTJE BERGHAEUSER. LAIF-REA)

 

Je ne sais pas d’où vient la détestation d’Israël qui anime Eva Illouz. Mais j’ai envie de lui dire : “déconfinez-vous!” Sortez de votre confinement intellectuel dans la tour d’ivoire de l’EHESS, pour aller à la rencontre du réel. Arrêtez d’abreuver vos lecteurs du Nouvel Obs de mensonges et d’inexactitudes concernant Israël, démocratie vivante dont bien des pays du monde, y compris celui dans lequel vous avez élu domicile, feraient bien de s’inspirer. Israël, une “démocratie illibérale”? Non : Israël, démocratie libérale, Etat juif et démocratique et lumière des nations.

Pierre Lurçat

 

(1) D’après le Journal du Dimanche. https://www.lejdd.fr/Culture/Livres/la-sociologue-eva-illouz-la-sexualite-est-une-marchandise-3948495

(2) Un autre exemple d’intellectuel confiné, est le philosophe italien Gorgio Agamben, sur lequel nous reviendrons.

(3)  Fareed Zakaria, « The Rise of Illiberal Democracy », Foreign Affairs, no 76,‎ novembre- décembre 1997. Voir aussi F. Zakaria, The Future of Freedom: Illiberal Democracy at Home and Abroad, New York, W.W. Norton, 2003 ; tr. fr. Daniel Roche : L’Avenir de la liberté, Paris, Odile Jacob, 2003. Cité par P.A. Taguieff, L’Islamisme et nous (Paris, CNRS Éditions, 2017), p. 234, note 143. Sur le concept de “peuplecratie”, voir le livre intéressant de Ilvo Diamanti et Marc Lazar, Peuplecratie, La métamorphose de nos démocraties, Gallimard 2019, qui observe que le “populisme est un des mots les plus confus du vocabulaire de la science politique”. Sur le "néo-populisme", lire l'ouvrage éclairant de Pierre-André Taguieff, Le nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, .

A travers cette abondance de néologismes plus ou moins pertinents, on entrevoit souvent la volonté idéologique de disqualifier des adversaires politiques démocratiquement élus. 

(4) Une version en ligne est aimablement fournie par le site agencemediapalestine.fr, ici.

(5) Lequel revendique l’idée de “créer un Etat illibéral”, voir https://budapestbeacon.com/full-text-of-viktor-orbans-speech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/

 

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Conférence Dialogia à Tel-Aviv : Où va la démocratie ?

February 26 2020, 13:59pm

Posted by Pierre Lurçat

Je participerai à la conférence organisée par Dialogia le 15 mars prochain à Tel Aviv :

Dialogia a le plaisir de vous inviter
à sa prochaine conférence
à Tel Aviv le 15 mars 2020

 

De 18.00 à 22.00 à Zoa House, Beit Tzionei America, Ibn Gvirol 26, Tel Aviv

La démocratie est couramment invoquée dans le débat public, souvent en vertu d'arguments contradictoires. Il n'est pas sûr que ceux qui la convoquent pour légitimer leur parti-pris en aient la même définition mais ce qui est sûr c'est que la démocratie telle qu'elle est vécue n'est plus ce qu'elle était il y a 50 ans. Si l'équilibre des pouvoirs lui-même est ébranlé par les nouvelles technologies, c'est surtout la société qui s'est éloignée du régime démocratique, censé la porter. Le domaine sociétal, le domaine des fondements, sont concernés, comme celui de la redéfinition de la famille, du sexe, de l'identité, du citoyen, du vivant, de la Terre, de la légitimité... Les droits du citoyen ont été relégués dans les marges au nom des droits de l'homme. Mais quel homme ? Est-on toujours en « démocratie » ? En son nom, ne nous dirigeons-nous pas vers sa fin, ou à tout le moins sa mutation inquiétante ? Et cette dérive ne nous dit rien d'une autre crise, cette fois-ci politique, qui frappe le régime démocratique lui-même et dans laquelle le peuple, le demos, se voit ravalé au "populisme" et la majorité parlementaire au "fascisme".

https://dialogia.co.il/wp-content/uploads/2020/02/Programme-confe%CC%81rence-FR-Ou-va-la-d%C3%A9mocratie-Dialogia.pdf

PROGRAMME DE LA CONFERENCE

17h45-18h00 : Accueil - 18h00-18h15 : Shmuel Trigano, Une crise mondiale, une introduction - 18h15-18h45 : Shmuel Trigano, L’éclipse du citoyen - 18h45-19h15 : Haïm Navon : Pourquoi la politique des identités estelle un danger pour l’identité * - 19h15-19h45 : Rachel Israël, « Malaise dans la Culture » : de l’essai de Freud à l’actualité sociétale 19h45-20h15 : COCKTAIL -

20h15-20h45 : Gadi Taub, Politique d’immigration et montée du libéralisme anti-démocrate * - 20h45-21h15 : Mordekhai Nisan, La démocratie israélienne – idéologie, citoyenneté et guerre * - 21h15-21h45 : Pierre Lurçat, Le pouvoir judiciaire contre le peuple : Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël 21h45-22h00 : Débat et Conclusion

 

Conférence Dialogia à Tel-Aviv : Où va la démocratie ?

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Donald Trump, bienfaiteur du peuple Juif, par Pierre Lurçat

February 11 2020, 15:49pm

Posted by Pierre Lurçat

NB Je remets en ligne cet article au lendemain des élections présidentielles américaines. Quel que soit le résultat final, D. Trump est déjà entré dans l'Histoire.

 

Comme l’écrivait la semaine dernière Caroline Glick (1), le plan Trump a mis fin au cauchemar d’Oslo et au paradigme mensonger, qui a régné sur la politique étrangère américaine (et dans une large mesure, sur la politique intérieure israélienne) pendant 27 ans. Ce paradigme mensonger et meurtrier vient d’être officiellement rejeté par la plus grande nation du monde, écrit encore Glick, ajoutant que “le plan Trump est comme l’image inversée d’Oslo. A présent, c’est aux Palestiniens de faire la preuve de leur engagement envers la paix”. J’ajoute que, selon toute évidence et connaissant les antécédents de leurs dirigeants, ceux-ci vont rejeter ce plan, tout comme les précédents, et Israël sera pleinement justifié à étendre - avec 53 ans de retard - sa pleine souveraineté sur l’ensemble de la Judée et de la Samarie.

 

Plus précisément, Israël a reçu du président Donald Trump ce qu’aucun président américain n’a jamais donné - ou même laissé espérer - à aucun dirigeant de l’Etat juif depuis 1948 : la reconnaissance du droit du peuple Juif sur sa patrie ancestrale, qui ne se trouve pas - n’en déplaise aux dirigeants français et aux diplomates du quai d’Orsay (et à leurs homologues en Occident et dans le monde arabe), dans l’étroite bande côtière reconnue par la communauté internationale, mais bien à Jérusalem réunifiée, à Hébron, à Sichem et dans toute l’étendue de la rive Ouest du Jourdain, c’est-à-dire la Judée et la Samarie.


 

Donald Trump et Binyamin Nétanyahou

 

Alors que certains commentateurs s’obstinent à prétendre que Trump n’est pas l’ami d’Israël, et que son plan ne va rien régler et apporter de nouvelles guerres (ou une “troisième Intifada”, déjà annoncée à d’innombrables reprises par des commentateurs abusés par la guerre psychologique palestinienne), l’évidence est aujourd’hui indéniable. Donald Trump est bien, comme l’a souvent répété B. Nétanyahou au cours des derniers mois, le meilleur ami qu’Israël a jamais eu à la Maison blanche. Cela n’a en soi rien de très étonnant, si l’on veut bien prendre un peu de recul et de hauteur par rapport aux événements dramatiques des dernières semaines. Les amis véritables d’Israël ont joué, depuis 1948 et bien avant, un rôle essentiel dans le Retour du peuple Juif sur sa terre et dans la fondation et le renforcement de son État. 

 

Dans le quartier de Jérusalem où j’ai le privilège de vivre, de nombreuses rues rappellent les noms de ces amis véritables, dont certains sont injustement oubliés du grand public. Wyndham Deedes, John Patterson, Lloyd George, Masaryk, Wedgwood… Je voudrais évoquer ici deux d'entre eux. Patterson, soldat intrépide et chasseur de lions, commanda la Légion juive, première armée à avoir combattu sous un drapeau juif à l’époque moderne. Il était proche du professeur Bentsion Nétanyahou, et c’est en son honneur que ce dernier nomma son deuxième fils Yoni. 

 

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Les soldats de la Légion juive, Yom Kippour 5678. Jabotinsky est au premier rang

 

Voici le portrait que dresse de lui Jabotinsky dans ses mémoires : “C’était un homme de grande taille, mince, élancé, aux yeux intelligents et rieurs et je compris immédiatement son accent anglais, la “magie irlandaise” et avec cela, une qualité caractéristique d’un protestant fils de protestants : ce chrétien se sentait chez lui dans le monde de la Bible hébraïque. Ehoud et Ifta’h, Gideon et Shimshon, David et Avner - à ses yeux étaient vivants, ils étaient des amis personnels, presque ses camarades et ses voisins du club de cavalerie de la rue Piccadilly. Je m’en réjouis, l’illusion biblique permet parfois de masquer l’absence de beauté de l’existence galoutique…” (2)

 

Patterson

 

Quant à Lloyd George, il avait été, selon le témoignage du petit-fils de Balfour, comme ce dernier “bercé dans son enfance par les chants du roi David et les récits bibliques, et il avait étudié l’Ancien Testament. De ce fait, il lui paraissait naturel et légitime que les Juifs retournent vivre en Terre sainte, et que les chrétiens les soutiennent dans cette entreprise", selon le témoignage de Lord Roderick Balfour, arrière-petit-fils du frère d’Arthur Balfour, Gerald William Balfour. (3)

 

Donald Trump s’inscrit dans cette lignée de bienfaiteurs du peuple Juif et de son Etat. Le fait que beaucoup de gens, qui se croient intelligents en niant l’évidence, professent aujourd’hui à son encontre un mépris injustifié (4) ne change rien au jugement que l’Histoire portera sur lui. Car Trump est déjà entré dans l’histoire du peuple Juif et dans l’Histoire tout court, aux côtés de Lord Balfour, de John Patterson et de tant d’autres amis de Sion et d’Israël.

 


 

Notes

(1) http://carolineglick.com/the-oslo-blood-libel-is-over/

(2) Extrait de l’Histoire de ma vie de Jabotinsky.

(3) https://www.jpost.com/Edition-Francaise/Moyen-Orient/La-d%C3%A9claration-Balfour-toujours-sur-le-banc-des-accus%C3%A9s-513397

(4) Noter dans ce contexte, le dernier numéro du Point, qui marque un léger infléchissement du "Trump-bashing" dans la presse française.

https://www.lepoint.fr/versions-numeriques/

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Vers un gouvernement des juges en Israël?

December 31 2019, 09:25am

Posted by Pierre Lurçat, Richard Darmon

A la veille de la décision dramatique de la Cour suprême, censée décider si le Premier ministre B. Nétanyahou "a le droit" de former une coalition après les prochaines élections, je reviens au micro de Richard Darmon sur le processus par lequel la Cour suprême d'Israël est devenue le "premier pouvoir" et s'est arrogée des compétences exhorbitantes, y compris celle d'annuler toute loi de la Knesset et toute décision du gouvernement ou d'un autre organe élu. Histoire d'un véritable putsh judiciaire.

Ecouter l'émission ici

https://www.youtube.com/watch?v=aMm1YHk0ZRc

https://www.youtube.com/watch?v=aMm1YHk0ZRc

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« L’arrogance élitiste de la Cour suprême »

December 27 2019, 13:15pm

Posted by Pierre Lurçat

Au micro de Daniel Haïk, j'évoque les derniers développements du bras de fer entre les pouvoirs exécutif et législatif israéliens et la Cour suprême, le Procureur général et les médias et les racines de l'affrontement actuel. 

Résultat de recherche d'images pour ""cour supreme" "pierre lurçat""

https://www.youtube.com/watch?v=Y7ZOONTT6zY

 

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La puéricultrice, le professeur de droit et le “peuple stupide” : Une fable politique israélienne

November 27 2019, 12:47pm

Posted by Pierre Lurçat

Deux informations figuraient lundi dernier en pages intérieures des journaux israéliens. La première faisait état d’une “puéricultrice” - une auxiliaire puéricultrice plus exactement - qui avait décidé de décrocher la photo du Premier ministre, Binyamin Nétanyahou, du mur du jardin d’enfants, et avait filmé cet acte “militant” pour le poster sur les réseaux sociaux. La seconde information faisait état des déclarations d’un professeur de droit, Mordehaï Kremnitzer, souvent présenté comme un “constitutionnaliste de premier rang”, qui a dit : “Seul un peuple stupide peut encore croire que M. Netanyahou doit demeurer à son poste”. Ces deux informations sont en réalité les deux revers d’un même phénomène, qu’on pourrait désigner comme le rejet de la démocratie au nom du "droit". 


 

Le Premier ministre israélien B. Nétanyahou

 

Quand la puéricultrice prétend retirer la photo de Nétanyahou “jusqu’à ce qu’il établisse son innocence”, elle montre son ignorance de la présomption d’innocence, laquelle est - il est vrai - bafouée depuis des années par les médias, avec la complicité de la police ou du ministère public qui les abreuvent incessamment de "fuites", dans le cas de Nétanyahou et dans de nombreux autres. Le sentiment de la puéricultrice est largement compréhensible, au vu du “blitz” médiatique auquel ont été soumis les citoyens israéliens, depuis l’annonce dramatique de l’acte d’accusation contre leur Premier ministre, faite par le procureur de l’Etat il y a quelques jours. En réalité, ce “blitz” dure depuis bien plus longtemps : des mois, et même des années. Le plus étonnant, dans ce contexte, c’est qu’une large partie du peuple d’Israël continue d’exprimer sa confiance à Nétanyahou, en dépit de ce lavage de cerveau quotidien auquel il est soumis jour après jour de la part des grands médias. (Ceux-là mêmes dont Nétanyahou est accusé d’avoir voulu “acheter” la complaisance…)

 

L’attitude du Pr Kremnitzer est plus préoccupante que celle de la puéricultrice. Car son affirmation, “seul un peuple stupide peut encore croire que Nétanyahou doit rester en fonction”, ne relève pas de l’ignorance, mais bien d’un aplomb et d’une ‘houtzpa caractéristiques de l’attitude de nombreux membres des élites médiatiques et judiciaires israéliennes. Le problème de Kremnitzer, pour dire les choses autrement, n’est pas qu’il ignore le droit, mais bien plutôt qu’il le connaît très bien et qu’il est prêt à déformer sciemment le sens obvie des lois de l’Etat d’Israël, pour les adapter à ses opinions politiques. La loi est en effet claire et limpide : d’après l’article 18 de la Loi fondamentale sur le gouvernement, seule la Knesset est habilitée à destituer un Premier ministre, et seulement une fois qu'il a été condamné pour une infraction déshonorante. Aucune disposition de loi n’oblige un Premier ministre à démissionner, pour la seule raison qu’il est inculpé ou qu’il fait l’objet d’un acte d’accusation. 

 

Et c’est là que réside le coeur du problème : si la loi est aussi claire, comment le Pr Kremnitzer peut-il qualifier de “stupide” le peuple, dont les attentes sont conformes à la loi? La réponse à cette question se trouve dans un livre écrit il y a déjà plusieurs décennies par un autre juriste distingué, le juge Aharon Barak, The judge in a democracy. Celui-ci se considère en effet  comme « créateur du droit » et donc comme au-dessus des lois – même fondamentales – comme il l’affirme explicitement dans ses nombreux écrits (1). On comprend dès lors l’affirmation du Pr Kremnitzer : le peuple est “stupide”, parce qu’il croit encore que les lois sont votées par la Knesset et inscrites dans le Sefer Hahoukim - le livre des lois de l’Etat d’Israël. Car ce qui compte, en définitive, n’est pas le texte de loi voté par la Knesset, mais l’interprétation qu’en donnent les juges à la Cour suprême et le Procureur de l’Etat (lesquels n’ont été élus par personne) !
 

Aharon Barak

 

Le Pr Kremnitzer est ainsi tout à fait représentatif de ces élites judiciaires - qui ressemblent de plus en plus à un Etat dans l’Etat (Deep State en anglais) - et qui ont franchi récemment toutes les lignes rouges de la démocratie et de l’Etat de droit, aveuglées par leur volonté d’en finir avec le pouvoir de Nétanyahou. Au premier rang d’entre elles, se trouve le Procureur de l’Etat, dont le cabinet s'est transformé en officine politique. Derrière le Procureur, il y  a la Cour suprême, qui est devenue le premier pouvoir en Israël depuis plusieurs décennies, depuis le jour où le juge Aharon Barak a décrété que “tout était justiciable” et où il s’est arrogé le pouvoir anticonstitutionnel d'interpréter comme bon lui semble ou d’abroger purement et simplement toute loi de la Knesset (2).

 

Et derrière le Procureur et la Cour suprême, il y a les grands médias israéliens (avec des exceptions, heureusement) qui se sont largement rangés derrière cette offensive politico-judiciaire, au nom du slogan “Tout sauf Bibi!”, qu’ils répètent comme un mantra depuis de nombreuses années. Comment sortir de cette situation ? La réponse n'est pas simple. Mais l'objectif, lui, est clair. Il faut défendre l’Etat de droit, et rétablir la souveraineté du peuple et de la Knesset et les prérogatives du pouvoir exécutif et législatif, largement entamées ces dernières années par un “pouvoir judiciaire” arrogant,  qui n’a pas sa place dans un régime démocratique (3). 

Dernière remarque : le professeur de droit a en commun avec la puéricultrice de prendre les citoyens israéliens pour des enfants. Mais le “peuple stupide”, méprisé par ces élites arrogantes, saura faire la différence entre les lois votées par la Knesset et les diktats que celles-ci veulent lui imposer au nom du “droit”. Car le peuple, quoi qu’en pensent M. Kremnitzer et consorts, n’est pas stupide.

Pierre Lurçat

 

(1) A. Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2001.

(2) Sur les conceptions de A. Barak, voir “Aharon Barak et la religion du droit, le fondamentalisme juridique au coeur du débat politique israélien’”.

http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/03/aharon-barak-et-la-religion-du-droit-i-le-fondamentalisme-juridique-au-coeur-du-debat-politique-israelien-actuel-pierre-lurcat.html

(3) Voir notre article, “Mettre fin au gouvernement des juges et rendre le pouvoir au peuple d’Israël”.http://vudejerusalem.over-blog.com/2017/09/mettre-fin-au-gouvernement-des-juges-et-rendre-le-pouvoir-au-peuple-israelien-pierre-lurcat.html

 

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Le “Deep State” contre l’État de droit : Les racines de la crise politique en Israël

November 22 2019, 08:45am

Posted by Pierre Lurçat

 

Deep State, "l'État profond": l'expression évoque le titre d'une série d'espionnage. S'agit-il d'un véritable "État dans l'État", ou plus simplement du pouvoir de l'administration et des groupes de pression, qui s'oppose parfois à celui des élus du peuple ? Plus précisément, il pourrait s’agir de tous ceux qui - au sein de l’administration, de l'armée, de l’économie ou des médias - se donnent pour tâche non pas de servir l’Etat, le peuple et le gouvernement qu’il s’est donné, mais au contraire de renverser ce dernier par des moyens non démocratiques, pour servir leurs propres intérêts, matériels ou idéologiques. Quelle que soit l'acception précise qu'on lui donne, ce concept permet de comprendre les causes profondes de la situation politique sans précédent que traverse l'État d'Israël depuis plusieurs mois… Comme l’écrit la commentatrice israélienne Caroline Glick, “l’usurpation du pouvoir des élus par “l’État profond” au cours des trois dernières décennies est la question politique la plus brûlante en Israël aujourd’hui”. (1)


 


 

Crise politique et institutionnelle

 

La situation actuelle, que les médias israéliens décrivent par le terme hébraïque de "plonter" (sac de nœuds), n'est pas tant un blocage des institutions et des mécanismes électoraux, que l'aboutissement d'un long processus d'érosion du pouvoir politique, celui de la Knesset et de l'exécutif, face à la montée en puissance d'un véritable “pouvoir judiciaire”, plein de morgue et d'hybris. Si l'on voulait dater le début de ce processus de manière précise, on pourrait prendre comme point de départ la fameuse affaire du compte en dollars, en 1977, durant laquelle le Premier ministre avait été contraint de démissionner pour avoir détenu quelques centaines de dollars sur un compte aux États-Unis, ce qui s’expliquait tout naturellement par le fait qu’il y avait été ambassadeur (2). Cette infraction dérisoire permit au procureur de l’État de l’époque d’affirmer son pouvoir, en obtenant la démission du Premier ministre. C’est au cours de cette affaire que fut ainsi fixé le dangereux précédent, selon lequel un dirigeant élu "devait" démissionner, lorsqu'il était inculpé par le procureur de l'État. 

 

Ce que la plupart des commentateurs ont alors (et depuis lors) célébré comme une victoire de l'État de droit contre la "corruption", était en réalité une pure et simple invention juridique, qui marqua le début d'un processus d'effritement des  prérogatives de l'exécutif, rognées par un "pouvoir judiciaire" de plus en plus puissant, processus dont nous voyons aujourd'hui les conséquences dramatiques. Il n'est pas anodin que le Premier ministre d'alors s'appelait Itshak Rabin. Quant au procureur de l'État, il n'était autre qu'Aharon Barak, le théoricien et le maître d'œuvre de la "Révolution constitutionnelle", qui a permis à la Cour suprême de devenir la cour la plus activiste du monde et le premier pouvoir en Israël. Ce faisant, il a  ébranlé le fragile équilibre des trois branches de l'État, exécutif, législative et judiciaire, en créant un “pouvoir judiciaire” qui n’a pas sa place dans une démocratie authentique. (3)


 

Itshak et Léa Rabin


 

Ceux qui voudraient aujourd'hui que Benjamin Netanyahou démissionne, avant même d'être inculpé, ou dès lors qu'il le sera, ne font que tirer les conséquences logiques du précédent créé à l'époque par Aharon Barak. Mais ce précédent, quoiqu'on pense de son opportunité morale et politique, n'avait juridiquement aucun fondement solide. D'après la Loi fondamentale sur le Gouvernement, en effet, seule la Knesset est habilitée à destituer un Premier ministre en exercice, selon une procédure détaillée et précise. La théorie de la "démission forcée" du Premier ministre a été créée ex nihilo par le juge Aharon Barak, qui se considère lui même comme "créateur du droit" et donc comme au-dessus des lois - même fondamentales - comme il l'affirme explicitement dans ses nombreux écrits. (4)

 

Putch judiciaire et chantage politique

 

Si la "praklitout" (le cabinet du procureur de l'État) se comporte aujourd'hui avec une telle arrogance - au point que le ministre de la Justice lui-même a cru bon de dénoncer ses pratiques, lors d'une intervention sans précédent dans l'histoire d'Israël - c'est précisément au nom de cette conception erronée et dangereuse, qui voudrait que des employés de l'État puissent défaire ce que les électeurs ont décidé. Que ces employés parlent au nom du droit et de "l'État de droit" ne change rien à l'affaire. La comparaison avec la procédure d'impeachment américaine est instructive : aux États Unis, seul le Congrès peut décider de lancer une telle procédure, exceptionnelle.

 

Dans l'État d'Israël d'aujourd'hui, la compétence exorbitante que s'est arrogée, sans fondement légal véritable, le procureur de l'État lui permet ainsi de faire tomber n'importe quel Premier ministre, avec la complicité active de la police et de médias complaisants. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans les affaires Netanyahou, comme l'a reconnu Avishai Mandelblit dans un accès de sincérité. Si Netanyahou démissionne, les procédures seront annulées, avait-il expliqué l’été dernier, comme l’avait à l’époque révélé le Jerusalem Post ! Or de deux choses l'une : s'il a commis une infraction, il doit être poursuivi même après son éventuelle démission, ce qui montre bien que l'objectif poursuivi par Mandelblit est avant tout politique.

 

Nous sommes ici au coeur de la réalité paradoxale de la crise politique actuelle. Ceux qui n'ont que les mots d'État de droit a la bouche, ne cherchent en réalité qu'une seule chose, regagner par un artifice juridique le pouvoir qu'ils ont perdu par les urnes (5). Et c'est précisément parce qu'ils sont convaincus que l'ère Netanyahou touche à sa fin, que la formation d'une coalition devient impossible et presque superflue… A quoi bon négocier en effet, si Benny Gantz peut espérer obtenir le pouvoir sans effort, d'ici quelques mois ou quelques semaines, quand le procureur aura "démis" Netanyahou de ses fonctions ? Dans un régime où le Premier ministre est “démis” par un procureur, les élections deviennent un luxe inutile.


 

Des élections superflues : Nétanyahou et Gantz

 

Pourtant, il est important de le répéter, il ne s'agit pas seulement d'un affrontement entre partisans et adversaires de M. Netanyahou. Car le pouvoir démesuré du procureur de l'État et de ses alliés pourra demain s'exercer contre tout Premier ministre élu, fût-il de gauche, comme Itshak Rabin a l'époque du compte en dollars. Cette épée de Damoclès, qui plane désormais sur la tête de tout dirigeant élu n'est pas, comme voudraient le faire croire ses partisans, un "chien de garde" de la démocratie. Elle est bien plutôt, comme l'a expliqué l'avocat américain Alan Dershowitz, un "chien d'assaut" contre la démocratie et ses institutions. Et nous en revenons ici au problème de l'État dans l'État, - ou de la "praklitout dans la praklitout" - pour reprendre l'expression du ministre de la justice Amir Ohana. 

 

Le "Deep state" israélien ne menace pas seulement le pouvoir de Benjamin Netanyahou. Il menace et porte atteinte - et a déjà porté un coup dangereux - au fonctionnement de la démocratie israélienne. Le remède à cette situation préoccupante existe, et il ne réside pas dans la réforme du système électoral, comme on l'entend souvent dire. Le remède passe par l'annulation du pouvoir exorbitant de la Cour suprême et du procureur de l'État, en redonnant aux élus du peuple, à la Knesset et au gouvernement, les compétences qui leur reviennent selon les lois fondamentales de l'État d'Israël, expression de la volonté générale et de la souveraineté populaire. Il faut mettre fin au Deep State pour préserver la démocratie.

Pierre Lurçat

 

(1) https://carolineglick.com/israels-deep-state-takes-aim-at-netanyahu/ Parmi les autres auteurs ayant parlé du Deep State à propos d’Israël, le Dr Martin Sherman, ancien conseiller du Premier ministre Itshak Shamir. http://www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/23539

(2) Un règlement interne du ministère des Finances autorisait une telle détention, comme le rappela plus tard le ministre de la Justice Yaakov Neeman. Voir https://frblogs.timesofisrael.com/le-jour-ou-itshak-rabin-fut-contraint-a-demissionner-par-aharon-barak-2/

(3) Comme le rappelle Pierre Manent, spécialiste de philosophie politique, dans des pages très éclairantes d’un ouvrage paru il y a une quinzaine d’années, la notion d’État de droit et celle de séparation des pouvoirs qui en découle, donnent lieu à de fréquentes fausses interprétations. En particulier, écrit-il, “On se trompe souvent sur la thèse de Montesquieu, ou on s’en fait une idée confuse. Il n’y a pas pour lui le pouvoir judiciaire. La forme et la fonction de celui-ci dépendent du régime politique. Dans le régime monarchique, dans la France du temps de Montesquieu, il importe que le judiciaire soit véritablement un pouvoir distinct et consistant, faute de quoi le régime serait despotique… Dans le régime républicain moderne, la fonction et la nature du judiciaire sont toutes différentes. La liberté y est produite et garantie par le jeu des deux autres pouvoirs (législatif et exécutif, P.L.) et par les effets que ce jeu induit. Le judiciaire n’y est donc pas le gardien de la liberté, comme il l’était dans la monarchie. Et même, pour aider à la liberté, il doit en quelque sorte disparaître comme pouvoir”. Cf. P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Gallimard 2004.

(4) Voir notamment A. Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2001.

(5) Voir notre article “La faculté de l’inutile : la justice israélienne au service des ennemis de la démocratie”. http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/02/la-faculte-de-l-inutile-la-justice-israelienne-au-service-des-ennemis-de-la-democratie-par-pierre-lurcat.html

 

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