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politique israelienne

Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

Photo by Gili Yaari /Flash90

Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

March 12 2023, 16:27pm

Posted by Pierre Lurçat

La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

Les phénomènes politiques et sociaux, comme l’ensemble des phénomènes humains, ont rarement une explication unique. Dans les lignes qui suivent, je voudrais avancer trois explications possibles - qui ne s’excluent pas mutuellement – à la crise politique actuelle en Israël.

 

1ère explication : une immense manipulation politique et médiatique

 

Le premier niveau d'explication est celui du mensonge politique et médiatique sans précédent, auquel nous assistons depuis plusieurs semaines. Comme souvent, ce mensonge est d'autant plus efficace qu'il est grossier. En qualifiant de "putsch" et de "révolution" antidémocratique une réforme légitime, qui vise précisément à rétablir la séparation des pouvoirs et la démocratie authentique, les médias israéliens et les chefs de l’opposition recourent à une rhétorique mensongère éhontée, qui prétend priver les électeurs israéliens de leur victoire, sous couvert de "sauver la démocratie".

 

Il n'est pas anodin que cette manipulation politique et les manifestations qui l'accompagnent soient orchestrées avec le soutien logistique considérable des ONG à financement étranger, auxquelles la Cour suprême a donné un droit de regard sur la politique intérieure israélienne. A travers la protestation contre la réforme judiciaire, c'est en fait un enjeu de pouvoir fondamental qui se joue actuellement : le peuple d'Israël va-t-il reprendre le pouvoir qui lui a été confisqué par la Cour suprême, au moyen de l'intervention grandissante de cette pléiade d'ONG, véritable cheval de Troie de puissances étrangères, à l'intérieur de la vie publique israélienne ?

 

2eme explication : une guerre intestine

 

Ce qui nous amène à la deuxième explication, celle de la guerre intestine. Les appels répétés à la guerre fratricide et à l'effusion de sang des dirigeants de l'opposition, qui sont pour la plupart (à l'exception de Yair Lapid) des généraux en retraite, comme l'a observé récemment Shmuel Trigano, sont évidemment révélateurs. Dans l’ethos fondateur de la gauche israélienne, la guerre fratricide est toujours salvatrice, depuis la "Saison", l'Altalena et le "canon sacré" de David Ben Gourion et jusqu'à l'expulsion des valeureux habitants du Goush Katif, chassés jusqu'au dernier d'entre eux de leurs maisons manu militari pour faire la place au gouvernement du Hamas, avec la bénédiction de la Cour suprême (sauf une voix, celle du juge sépharade Edmond Levi, véritable “juste à Sodome”)

 

Dans la guerre fratricide que ce quarteron de généraux à la retraite appelle de tous ses vœux, tous les moyens sont légitimes, de l'incitation à la haine et au meurtre jusqu'à la désobéissance civile et au refus d'obéissance de soldats de réserve… A travers cette lutte intestine, c'est l'avenir d'Israël qui est en jeu, avenir qui est menacé par des acteurs étrangers puissants (démocrates américains, Union européenne, etc.) qui étaient déjà présents lors des précédentes phases de la lutte d'Israël pour sa survie. La gauche israélienne, à travers sa dernière mutation au visage wokiste - le camp hétéroclite des "Tout sauf Bibi" -  n'a aucun complexe à s'allier aux ennemis de l'extérieur et de l'intérieur pour atteindre ses objectifs.

 

3eme explication : un conflit d’identité

 

Les deux explications qui précèdent sont évidemment insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel, qui dépasse de loin tout ce qu'on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un troisième niveau, symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte et d'expliquer cette violence. Ce niveau, largement impensé au sein de l’opposition, porte sur l'identité profonde d'Israël en tant que peuple et en tant que nation… Il peut être formulé ainsi : Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l'émancipation - assimilation ?

 

Dans cette perspective, l'opposition violente et le mouvement de panique auxquels on assiste actuellement sont à la hauteur de l'espoir qu'un État plus juif fait naître chez ses partisans. Ce qui apparaît à ces derniers comme la réalisation des promesses bibliques semble pour les premiers signifier la fin de leur idéal laïc et occidental. Affrontement irréductible entre deux visions qu'on avait cru compatibles et qui s'avèrent aujourd'hui radicalement opposées. L'avenir dira si nous assistons à un progrès sur la voie de la rédemption ou bien, à Dieu ne plaise, à une terrible régression.

Pierre Lurçat

La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :

(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

 

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Le conflit identitaire israélien (I) : La tentation cananéenne

March 5 2023, 07:25am

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (I) :  La tentation cananéenne

 

« Il n’est même pas possible d’imaginer les Juifs sans Dieu »

Dostoïevsky

 

Dans un article paru en 1915 dans une revue en russe, l’écrivain Sergei Boulgakov évoquait le défi principal du sionisme dans les termes suivants : « Tôt ou tard, les Juifs réaliseront la nécessité de résoudre un problème bien plus important et essentiel que celui qui est désigné aujourd’hui comme la “question juive” - à savoir, le problème de leur nature spirituelle. Ce problème ne peut être résolu sans un centre national… La plus grande difficulté pour le sionisme actuel est son incapacité à rétablir la foi ancestrale en voie de disparition, de sorte qu’il est contraint de se fier au seul principe national-ethnique…[1] »

 

Le diagnostic porté par l’écrivain russe de religion chrétienne il y a plus de cent ans pourrait bien constituer l’élément principal de la crise d’identité que traverse actuellement l’Etat d’Israël, sous couvert de débat politique et juridique. C’est en effet – au-delà du débat étroit sur la réforme judiciaire et le statut de la Cour suprême – la question cruciale de l’identité qui ressurgit aujourd’hui, avec une virulence rarement atteinte au cours des soixante-quinze années d’existence de l’Etat juif. Premier volet d’une série consacrée à la crise d’identité israélienne et à ses racines profondes.

 

Le conflit identitaire qui connaît actuellement une nouvelle poussée en Israël n’oppose pas seulement Juifs laics et religieux, partisans d’un Etat juif et sioniste et tenants d’un « Etat de tous ses citoyens », dont le caractère juif serait réduit à la portion congrue. Il oppose plus largement, pour reprendre une expression du Rav Léon Ashkénazi, ceux « qui sont venus en Israël pour ne plus être plus Juifs et ceux qui y sont venus pour l’être vraiment ».

 

La tentation cananéenne

 

Comme me l’a relaté Benny Ziffer, rédacteur en chef du supplément littéraire du quotidien Ha’aretz, le mouvement cananéen très influent dans les années 1950 a joué un rôle crucial dans la formation des élites politiques et culturelles israéliennes. « Les Cananéens voulaient faire évoluer le sionisme, et fonder un nationalisme sur le modèle français, dans lequel le lien à la terre n’aurait rien à voir avec la religion… Ils voulaient qu’Israël soit fondé sur le droit du sol et pas sur la filiation juive. Ils voulaient couper tous les liens avec le judaïsme. Ben Gourion a lutté contre eux car c’était quelque chose d’insupportable à ses yeux[2] ».

 

            La « tentation cananéenne »,  qui demeure présente jusqu’à aujourd’hui au sein d’une grande partie des anciennes élites israéliennes, n’exprime pas seulement un rejet du judaïsme de l’exil, de l’histoire et de la tradition juive. Elle signifie, à un niveau plus profond encore, le refus d’assumer la vocation d’Israël, telle que celle-ci est exprimée dans le Livre que le peuple Juif a donné à l’humanité et qui reste jusqu’à ce jour – malgré toutes les transformations intervenues dans la condition juive depuis trois mille ans – sa carte d’identité ; la Bible hébraïque. C’est en effet l’enjeu fondamental du conflit politique autour de la réforme judiciaire, qui touche en fait à la question cruciale de l’identité d’Israël en tant qu’Etat et en tant que nation.

 

Sommes-nous un « Etat comme les autres », un Etat occidental créé pour offrir un refuge aux Juifs persécutés, selon le modèle de l’Ouganda – un temps envisagé comme « asile de nuit » par le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl lui-même ?[3]  Sommes-nous un Etat juif, et si oui que signifie cette expression et comment faut-il l’interpréter ?[4]. De la réponse à cette question dépend largement le caractère de l’Etat et de ses institutions, mais plus encore, la nature des normes fondamentales autour desquelles ceux-ci s’organisent.

 

Comme le fait justement remarquer le rabbin Uri Cherki, c’est le caractère juif de l’Etat qui était la principale préoccupation du fondateur du sionisme politique et non son caractère démocratique. Ce n’est qu’à la suite du tour de passe-passe révolutionnaire accompli par le juge Aharon Barak dans les années 1990 que l’équation a été inversée et que le caractère démocratique de l’Etat est devenu l’aune à laquelle sont mesurées la légalité et la légitimité de toutes les décisions administratives, politiques, militaires et législatives. Bien plus encore qu’une simple question juridique et politique ou constitutionnelle, il y a là une question fondamentale qui touche aux normes fondatrices de l’Etat juif.

 

C’est précisément cette question fondamentale des normes fondatrices – et à travers elles, de l’identité de l’Etat d’Israël – qui explique la virulence du débat actuel, tant à l’intérieur de la société israélienne qu’à l’extérieur. Débat crucial, dont l’enjeu véritable dépasse de loin les seuls aspects politiques, juridiques ou socio-économiques auxquels on le réduit le plus souvent : enjeu métapolitique, pourrait-on dire, ou même métaphysique. L’Israël de la chair est-il l’Israël selon l’esprit, pour l’exprimer en termes chrétiens, ou pour le dire dans le langage de la tradition hébraïque : l’Etat juif est-il bien le continuateur de la vocation juive ? Or c’est précisément l’éventualité que la réponse à cette question soit positive qui effraie tellement ceux qui, au sein du peuple d’Israël, voudraient renoncer à cette vocation. (à suivre…)

 

[1] Cité par Raya Epstein, Post-Zionism and Democracy, in Israel and the Post-zionists, A nation at risk, ed. Shlomo Sharan, Sussex Academy Press 2003.

[2] Interview publiée en partie dans le dernier numéro d’Israël Magazine, mars 2023.

[3] Sujet que j’aborde dans mon livre Israël, le rêve inachevé, chapitre 2.

[4] Je renvoie à ce sujet au remarquable numéro de la revue Pardès qui vient de paraître, intitulé “Qu’est-ce qu’un Etat juif?” et issu d’un colloque éponyme tenu à Jérusalem en 2022.

Le conflit identitaire israélien (I) :  La tentation cananéenne

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Haine abyssale contre la famille Nétanyahou : l’explication de Benny Ziffer, Pierre Lurçat

March 2 2023, 14:14pm

Benjamin et Sarah Nétanyahou (Olivier Fitoussi/Pool)

Benjamin et Sarah Nétanyahou (Olivier Fitoussi/Pool)

Dans l’interview passionnante qu’il m’a donnée le mois dernier pour Israël Magazine, Benny Ziffer, rédacteur en chef du supplément littéraire du journal Ha’aretz et proche de la famille Nétanyahou, revient sur la haine abyssale envers le Premier ministre et sa famille. Ses explications permettent de comprendre les images choquantes d’une foule de manifestants séquestrant Sarah Nétanyahou dans son salon de coiffure, au nom de leur conception bien particulière de la “démocratie”. P. Lurçat

 

Benny Ziffer : “Je suis satisfait du Premier ministre. J’espère qu’il sera assez dominant pour faire régner l’ordre (dans son gouvernement). A son âge, il est comme Ben Gourion, centriste non pas parce qu’il aurait évolué dans ses opinions mais parce que la gauche a soudain quasiment disparu et toute la carte politique a bougé. Je pense que tout comment Ben Gourion en son temps, il va transformer les partenaires les plus extrémistes de sa coalition en hommes politiques responsables. Le meilleur exemple concernant les LGBT. Quand Amir Ohana avait prononcé son discours d’investiture à la Knesset, les députés ultra-orthodoxes étaient sortis de la salle. Aujourd’hui ils sont restés !

Ben Gourion avait fait la même chose avec Itshak Shamir, ex-dirigeant du Lehi qui avait pris part à l’assassinat de Bernadotte. Il l’avait intégré dans les rangs du Mossad.

 

P.L Comment expliquer la haine abyssale envers Nétanyahou?

B.Z. Tout simplement, la jalousie. Bibi a le profil d’un homme de gauche… Son père était le rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque, avec Y. Leibowitz. Il fait partie des anciennes élites. Au sein de l’élite sioniste révisionniste, il a réussi. S’il avait fait une carrière universitaire, personne n’aurait trouvé à y redire… Son père était un outsider.

Je pense que la haine contre Bibi est aussi la prolongation de la haine contre Begin et contre la droite, qui est très ancienne.Aujourd’hui la droite ne s’excuse plus. Bibi est libéral. Son père avait été radical dans sa jeunesse, mais il est ensuite devenu un universitaire et un historien respecté. En tant qu’historien, on regarde les choses de l’extérieur…

 

Haine abyssale contre la famille Nétanyahou : l’explication de Benny Ziffer, Pierre Lurçat

 

P.L Et Sarah Nétanyanou ?

B.Z. Je pense que la haine à son égard est liée à la misogynie qui fait partie de l’éthos israélien… Cette vulgarité israélienne s’en prend toujours aux femmes.  Elle est à cet égard une victime idéale… Lorsque j’ai commencé à écrire sur Sarah Nétanyahou, les gens me disaient “J’ai vu qu’elle était comme ci et comme ça…” Alors qu’ils ne faisaient que colporter des rumeurs.

Aujourd’hui, cela s’est calmé. Juste avant les élections, Raviv Drucker a fait un nouveau film sur les enregistrements de Sarah, et il n’a pas eu de rating. Je pense que quelque chose est arrivé lors des dernières élections. La gauche a été quasiment effacée.

 

P.L. Ils se sont autodétruits… Ils sont déconnectés de la réalité ?

B.Z. Ils se préoccupent de choses futiles… Ils ont dépensé toute leur énergie sur des histoires de haine personnelle. Ce qui est bien chez Nétanyahou c’est sa patience. “Le génie est une longue patience” (rires). Il a cette patience…

En Israël on n’aime pas les personnalités fortes, comme Sarah et comme Bibi Nétanyahou. Je compare cela à l’antisémitisme et je l’ai dit souvent. Sarah n’est pas une sainte… J’ai été souvent invité chez eux. Mais l’antisémitisme consiste à déceler chez quelqu’un une faiblesse et à en faire l’essentiel.

 

P.L C’est ce que Jabotinsky appelle “l’antisémitisme des choses”...

B.Z. Absolument. Weizmann a dit que l’antisémitisme consiste à détester les Juifs plus qu’ils ne le méritent… Faire d’un détail la chose essentielle. Depuis que les réseaux sociaux existent, on attend des dirigeants qu’ils soient parfaits…

L'interview de B. Ziffer dans ISRAEL MAGAZINE

L'interview de B. Ziffer dans ISRAEL MAGAZINE

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L’enjeu essentiel de la réforme judiciaire : rétablir les droits de la majorité, Pierre Lurçat

February 26 2023, 08:28am

Posted by Pierre Lurçat

L’enjeu essentiel de la réforme judiciaire : rétablir les droits de la majorité, Pierre Lurçat

 

Au vu du pouvoir hégémonique sans précédent que la Cour suprême israélienne a acquis au cours des trois dernières décennies, il est difficile de faire revenir les choses en arrière, au statu quo ante. Les juges de la Cour suprême israélienne ont acquis un pouvoir auquel ils ne semblent pas prêts de renoncer. C’est pourquoi le changement ne peut pas venir de l’intérieur du système judiciaire. Il ne peut venir que de la Knesset et du gouvernement. La vox populi a montré son impuissance lors des grandes manifestations du public ultra-orthodoxe dans les années 1990, qui n’ont amené aucun changement, pas plus que les différentes initiatives venant d’autres milieux (comme le projet de Constitution par consensus de Ruth Gabizon et de Yaakov Madan).

 

Comme je l’écrivais en 2020, "pour rétablir les droits du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce sont le gouvernement et la Knesset qui doivent eux-mêmes se faire l’instrument d’une contre-révolution démocratique. C’est ce qu’avait commencé à faire Ayelet Shaked lors de son mandat au ministère de la Justice. Il est indispensable qu’un grand parti politique adopte pour cheval de bataille le rétablissement de l’équilibre des pouvoirs et des prérogatives de la Knesset".

 

Ce qui est en jeu dans la réforme judiciaire actuelle en Israël est emblématique du débat politique dans de nombreux autres pays occidentaux, comme la France ou les USA. Ici comme là-bas, des “minorités tyranniques” ont réussi à imposer leurs vues, sur bien des sujets très divers, contre les conceptions majoritaires de leurs concitoyens. Sur des thèmes comme l’immigration ou l’identité nationale en France comme en Israël, mais aussi sur le droit de la famille, etc., ces minorités actives se sont servies du pouvoir judiciaire pour imposer leurs vues.

 

Ce n’est pas un hasard si la Cour suprême israélienne, autrefois considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, est aujourd’hui devenue une institution hyper politisée, qui a perdu son aura et sa réputation d’impartialité. Dans le sillage de la Révolution constitutionnelle, la Cour suprême israélienne est en fait devenue le principal obstacle au jeu des institutions démocratiques. En réalité, comme nous avons tenté de le montrer, le juge Aharon Barak, tout comme ses élèves et successeurs, est tout le contraire d’un démocrate.

 Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

 

En bon élève de Lénine, il a utilisé les institutions démocratiques et le langage du droit pour asseoir son pouvoir. En Israël comme ailleurs dans le monde occidental, les deux pouvoirs qui se sont érigés en “maîtres du jeu” démocratique sont précisément les deux pouvoirs non élus, qui ne rendent de compte à personne : le pouvoir judiciaire (expression dont nous avons montré le caractère problématique) et le pouvoir médiatique.

 

En vidant de son sens la notion d’État juif et démocratique, la Cour suprême israélienne, depuis Aharon Barak, a porté atteinte au fragile équilibre sur lequel repose la société israélienne, constituée de secteurs multiples, porteurs de valeurs diverses et souvent contradictoires. Il importe aujourd’hui de rétablir cet équilibre, en restaurant un indispensable consensus national et en renforçant le caractère juif de l’État. Contrairement aux conceptions radicales d'Aharon Barak, le caractère juif de l’État ne menace pas la démocratie israélienne, il en est le ciment. C’est le vide engendré par le rejet du projet de droit israélien fondé sur les sources hébraïques qui a ouvert la voie à la situation actuelle.

 

Le but du sionisme politique a en effet toujours été de créer un État juif (avec certes des divergences quant au contenu de cette notion). Le caractère démocratique de cet État allait de soi, mais n’a jamais été un objectif en soi. Paradoxalement, c’est l’atteinte au caractère juif de l’État qui a affaibli de manière dangereuse le jeu démocratique des institutions, en imposant au peuple israélien des valeurs étrangères. Réaffirmer le caractère juif de l’État permettra de préserver la démocratie israélienne. La contre-révolution constitutionnelle a commencé, mais est loin d’être achevée. L’enjeu, en Israël comme ailleurs, dépasse de loin le seul problème institutionnel et politique. Il s’agit aussi et surtout de préserver l’idéal démocratique et de rendre au peuple le droit de choisir son destin.

Pierre Lurçat

(Extrait adapté de mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, revue Pardès no. 67 2021)



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LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

Tel Aviv

PAF : 30 shekels. 

(Sans réservation)

 Venez nombreux poser vos questions

 

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Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » Pierre Lurçat

February 21 2023, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël »  Pierre Lurçat

Contrairement à une "fake news" véhiculée par certains médias israéliens, l'actuelle réforme menée par le ministre de la Justice ne sort pas de nulle part, et n'a rien à voir avec le procès intenté à Benjamin Nétanyahou. Elle a été longtemps et soigneusement préparée par l'actuel ministre de la Justice, Yariv Levin, qui m'en avait parlé dans l'interview qu'il m'avait accordée en janvier 2012, il y a tout juste 11 ans. Je republie ici l'article paru dans Israël Magazine P.L.

Par une froide journée de janvier, je me suis rendu à la Knesset pour rencontrer Yariv Levin, représentant de la « jeune garde » du Likoud qui a fait parler de lui récemment en proposant plusieurs textes de lois sur des questions sensibles, comme l’élection des juges à la Cour suprême ou la lutte contre le boycott d’Israël. Malgré son image de député très combattif et activiste, c’est un homme affable, au discours posé et réfléchi. Il se présente comme le « législateur le plus actif » au sein du Likoud – ayant initié ou participé à la rédaction de nombreuses propositions de lois sur des sujets aussi importants que la protection du patrimoine foncier, les conditions de détention trop faciles faites aux terroristes ou la suppression des droits sociaux de l’ex-député félon Azmi Bishara. Rencontre avec un homme politique qui veut donner, enfin, le pouvoir réel – et pas seulement la majorité à la Knesset – à la droite israélienne.

Yariv Levin me reçoit dans son bureau de président de la « Commission de la Knesset ». C’est un député relativement jeune (il a 43 ans) issu d’une famille politiquement engagée : les parents de sa mère faisaient partie de l’Irgoun, et l’oncle de celle-ci, Eliahou Lenkin, était le commandant de l’Altalena, le fameux bateau affrété par l’Irgoun qui fut bombardé, avec sa précieuse cargaison d’armes destinées aux combattants de la guerre d’Indépendance et des dizaines de Juifs à bord – dont plusieurs survivants de la Shoah – sur l’ordre du commandant du Palma’h, un certain Itshak Rabin… Le « Sandak » lors de la circoncision de Yariv Levin n’était autre que Menahem Begin, à l’époque chef de l’opposition et futur Premier ministre.

Avec de tels antécédents, il n’est pas étonnant que Levin ait attrapé très jeune le virus de la politique ! Il a en effet débuté son activité publique alors qu’il était étudiant, après avoir servi dans les Renseignements militaires (où il a dirigé un cours de traduction de l’arabe au sein de l’armée). Après avoir exercé la profession d’avocat,  il a été élu vice-président du Barreau d’Israël, ce qui lui a permis de connaître de l’intérieur le monde judiciaire. C’est sans doute une des raisons qui l’ont amené à se pencher de près sur le dossier brûlant de l’élection des juges à la Cour suprême. Il y a quelques semaines encore, Levin déclarait ainsi que cette institution, souvent considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, avait été accaparée par « une minorité de groupuscules d’extrême-gauche qui voulaient imposer leurs valeurs à la société tout entière… »

Pour changer cette situation, il s’est attaqué à la racine du problème : le système d’élection des juges à la Cour suprême, qui explique que la majorité des juges représentent le courant laïc de gauche, alors qu’il n’y a presque aucun juge religieux ou habitant de Judée Samarie… La question de l’élection des juges n’est pas purement technique, car comme me l’explique Yariv Levin, sous la présidence du juge Aharon Barak, la Cour suprême s’est attribué des compétences exorbitantes, au mépris du principe de séparation des pouvoirs, essentiel au fonctionnement de la démocratie. A ses yeux, Barak incarne la « dictature juridique ». Sous sa présidence, la Cour suprême a ainsi voulu transformer Israël en « État de tous ses citoyens », en effaçant progressivement le caractère juif de l’État.

Un autre sujet qui l’occupe est celui du boycott et de la délégitimation d’Israël sur la scène internationale. A cet égard, il a initié une loi pour retirer tout financement public aux organismes qui soutiennent le boycott. Comme me l’explique Yariv Levin, « la majorité du peuple en Israël penche vers la droite, mais la gauche et l’extrême-gauche bénéficient du soutien de pays étrangers ». L’exemple le plus criant est celui du rapport Goldstone, dont toutes les accusations mensongères ont été formulées par des groupuscules israéliens financés par l’Union européenne ! Face à ces interventions intolérables dans la politique israélienne, Levin œuvre sans relâche pour rendre à Israël sa souveraineté et son indépendance.

Rendre à Israël sa souveraineté

Le point commun entre tous les combats qu’il mène est le constat qu’il faut rendre le pouvoir au peuple, qui en a été dépossédé par plusieurs facteurs, parmi lesquels il cite notamment la bureaucratie, les médias, la Cour suprême et l’intervention de pays étrangers dans la vie politique israélienne. « Il ne suffit pas d’être au pouvoir », résume Levin. « Il faut rendre à la Knesset les compétences qui lui ont été prises par le pouvoir judiciaire et par la bureaucratie ». Un exemple de cette situation est celui des conseillers juridiques, qui ont acquis au cours des dernières décennies un pouvoir grandissant, au point que « les conseillers juridiques des ministres sont devenus les véritables décideurs », ce qui est en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs et l’essence de la démocratie.

En conclusion de notre entretien, je demande à Yariv Levin si Jabotinsky, le père fondateur de la droite israélienne, et Menahem Begin ont encore une place dans la vie politique actuelle. Il me répond sans hésiter de manière affirmative : « Il est réjouissant de voir qu’après avoir été longtemps mis à l’écart et oublié, Jabotinsky est aujourd’hui très présent dans la vie politique ». Levin affirme trouver dans les écrits de « Jabo » une source constante d’inspiration pour son action. 

Jabotinsky, qui était un grand démocrate, avait évoqué jadis la possibilité qu’un citoyen arabe soit vice-président du futur État juif. « Mais il n’avait évidemment pas pensé à quelqu’un comme Hanin Zouabi », ironise Levin, faisant allusion à la députée arabe qui était montée sur le bateau  terroriste Marmara. Très actif dans la défense des citoyens druzes israéliens, Levin s’oppose farouchement à la reconnaissance de droits nationaux pour les Arabes palestiniens. Il a aussi promu la loi sur le référendum, pour que tout abandon de souveraineté sur une partie d’Israël soit soumis à un vote populaire. 

Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » - Israel Magazine

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CONFERENCE EXCEPTIONNELLE!

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

Tel Aviv

PAF : 30 shekels. 

(Sans réservation)

 Venez nombreux poser vos questions

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

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Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

February 19 2023, 11:45am

Posted by Pierre Lurçat

Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

J'étais ce matin l'invité de Daniel Haik sur Studio Qualita pour commenter l'actualité et la réforme judiciaire en cours en Israël.

(2) Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin - L'invité De La Rédaction Du 19 Février 2023 - YouTube

 

CONFERENCE TEL AVIV 28.2.23

LES ENJEUX DE LA REFORME JUDICIAIRE EN ISRAEL

 

Pour comprendre les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique, et notamment celui de la “Révolution constitutionnelle” menée par le président de la Cour suprême Aharon Barak dans les années 1990. 

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de la Cour suprême.

 

Mardi 28 février à 19h00, dans les locaux de la WIZO 

35 Rue King Georges, Tel Aviv

PAF : 30 shekels (sans réservation)

Venez nombreux poser vos questions

 

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Le déclin de l'idée de démocratie en Israël et dans le monde actuel, Pierre Lurçat

February 14 2023, 16:36pm

Posted by Pierre Lurçat

Le déclin de l'idée de démocratie en Israël et dans le monde actuel, Pierre Lurçat

 

La vague de protestations à laquelle nous assistons actuellement en Israël s'explique à première vue par des causes politiques immédiates, comme par exemple le refus de l'actuelle opposition d'admettre sa défaite, la mobilisation des grands médias contre le nouveau gouvernement, ou encore le sentiment des représentants de ce que plusieurs commentateurs qualifient de « Deep State » de voir leur pouvoir s'effondrer. Mais au-delà de ces raisons diverses, il existe sans doute aussi d'autres causes plus profondes et moins circonstancielles, qui expriment un désaveu grandissant à l'égard de l'idée même de la démocratie, et qui concernent à la fois Israël et d'autres démocraties occidentales.

 

Ce sont ces dernières que nous voudrions analyser ici. Avant de tenter d'expliquer les causes de ce désaveu, il convient de rappeler ce que signifie le régime démocratique. Il est, comme le rappelle Pierre Manent, un régime « où tous les pouvoirs puisent leur légitimité dans le peuple » et où « tous les pouvoirs sont exercés par le peuple ou ses représentants »[1]. Il est aussi une « organisation des séparations », et en particulier de la séparation entre représentants et les représentés, c'est à dire entre la société civile et les institutions gouvernementales, et entre les pouvoirs.

 

La légitimité du peuple contestée

 

Si l'on considère les trois éléments de cette définition, on constate que le désaveu actuel de la démocratie porte sur chacun d'entre eux. La légitimité populaire, tout d'abord, est largement contestée depuis plusieurs années à travers la critique de l'idée même de la Vox Populi et de la capacité du peuple à choisir ses représentants. Que nous disent en effet les manifestations auxquelles on assiste en Israël, depuis le lendemain même de la formation du nouveau gouvernement, sinon que le pouvoir démocratiquement élu n'est pas légitime ? L'argument n'est pas nouveau et on l'a entendu à plusieurs reprises, ailleurs qu'en Israël, ces dernières années.

 

De nouveaux concepts sont même apparus dans le lexique politique pour exprimer la défiance envers la notion même de pouvoir du peuple, comme celui de « peuplocratie »... Ce que nous disent, grosso modo, toutes ces critiques, c’est qu’il n’y a pas de véritable démocratie en dehors de la « démocratie libérale » (le concept de « démocratie illibérale » a ainsi été forgé et récemment appliqué à Israël)[2]. Ce faisant, ces critiques opèrent une confusion dangereuse entre le régime démocratique et la politique de ses gouvernants, en disqualifiant tout gouvernement conservateur ou de droite, qualifié de « non démocratique ».

 

Quant au concept ancien de populisme, qui désignait jadis une forme de démagogie dans l'exercice du pouvoir, il est de plus en plus souvent employé pour dénigrer des partis politiques entiers, dont l'existence même serait un danger pour la démocratie. Il conviendrait donc de restreindre la participation aux élections aux seuls partis qui répondent à certains critères liés au contenu même de leurs programmes électoral et pas seulement au respect des règles formelles du jeu démocratique…

 

La Révolution constitutionnelle contre la séparation des pouvoirs

 

            Le second élément constitutif du régime démocratique, selon Pierre Manent, est celui de la séparation, qui dépasse la seule « séparation des pouvoirs ». La démocratie, explique-t-il en effet, repose sur l’organisation des séparations. Manent cite de manière éclairante plusieurs théoriciens de la démocratie à l’ère moderne, comme le philosophe écossais Adam Ferguson, qui décrivait le dix-huitième siècle comme « this age of separations », cette « époque où tout est séparé »[3]. De son côté, l’abbé Sieyès considère la représentation politique comme l’application du principe de division du travail.

 

            C’est précisément, explique encore P. Manent, par ce principe de séparation que la démocratie moderne se sépare des démocraties antiques, grecque ou romaine. Le principe de séparation n’est pas seulement une donnée acquise du régime démocratique : il est aussi une prescription. Il convient de préserver la séparation des pouvoirs pour garantir le bon fonctionnement de la démocratie.

 

            A cet égard, la situation engendrée en Israël depuis les années 1990 par la Révolution constitutionnelle initiée par le juge Aharon Barak, alors président de la Cour suprême, a marqué une atteinte considérable à la séparation des pouvoirs et, ce faisant, au fonctionnement de la démocratie israélienne. En concentrant entre les mains des juges de la Cour suprême des pouvoirs considérables - qui ne leur avaient jamais été conférés par la loi – le juge Barak a porté atteinte au fragile équilibre des pouvoirs et aux fondements du régime démocratique. C’est cette atteinte grave que la réforme actuelle s’efforce de réparer. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

 

[1] Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, Fayard 2001, p. 23 s.

[2] Le rav Oury Cherki a récemment relevé cette confusion entre démocratie et “démocratie libérale” dans un article passionnant de la dernière livraison de la revue Pardès, “Etat-nation ou “Etat des citoyens”.

[3] Adam Ferguson, Essai sur l’histoire de la société civile [1767], trad. M. Bergier, Paris, PUF 1992, cité par P. Manent, op. cit. p. 26.

Aharon Barak

Aharon Barak

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La Cour suprême et l’identité d’Israël (II) La contestation de l’État juif par les élites israéliennes, par Pierre Lurçat

February 12 2023, 09:07am

Posted by Pierre Lurçat

Aharon Barak : un “fondamentalisme juridique”

Aharon Barak : un “fondamentalisme juridique”

 

 

 

 

(Lire le premier volet de notre article)

 

En totale contradiction avec l’esprit de compromis manifesté par David Ben Gourion, qui a permis aux différentes composantes de la nation israélienne de coexister pendant les premières décennies de l’État, le juge Aharon Barak a adopté une démarche partisane et défendu des positions radicales sur le sujet crucial de l’identité de l’État d’Israël. Sous couvert de concilier les valeurs juives et démocratiques de l’État d’Israël, Barak a en effet mené un véritable combat contre tout particularisme juif de l’État. Au nom d’une conception bien particulière des “valeurs universelles” (“les valeurs de l’État d’Israël en tant qu’État juif sont les valeurs universelles communes aux membres d’une société démocratique[1]), la Cour suprême a pris toute une série de décisions marquantes, dont le point commun était de réduire à néant le caractère juif et sioniste de l’État.

        

 

Ces décisions ont tout d’abord concerné principalement des questions religieuses, comme les conversions non orthodoxes (effectuées par les mouvements juifs réformés et « conservative »), ou bien le respect du shabbat sur la voie publique. Sur toutes ces questions, le juge Barak a fait preuve d’un esprit antireligieux militant, qui a suscité, en réaction, d’immenses manifestations contre la Cour suprême, organisées par le public juif orthodoxe au milieu des années 1990. Mais il s’est avéré par la suite que la doctrine Barak n’était pas dirigée uniquement contre le judaïsme orthodoxe, mais tout autant contre les valeurs fondamentales du sionisme politique.

 

La décision la plus marquante à cet égard a été celle de la Cour suprême dans l’affaire Kaadan. Il s’agissait d’une famille arabe qui avait voulu acheter une parcelle de terrain dans le village juif de Katzir, créé par l’Agence juive sur des terres domaniales appartenant à l’État. Dans cette affaire, le juge Barak a pris le contre-pied de la politique traditionnelle d’implantation juive en Israël, qui remonte aux débuts du sionisme, bien avant la création de l’État. L’arrêt de la Cour suprême, rédigé par Barak, affirmait ainsi que « l’État n’est pas en droit d’allouer des terres domaniales à l’Agence juive en vue d’y construire un village sur une base discriminatoire entre Juifs et Arabes ». En d’autres termes, la Cour suprême prétendait disqualifier toute l’entreprise de peuplement juif menée par l’Agence juive depuis les débuts du sionisme politique, au nom de sa conception de l’égalité.

 

C’est dans ce contexte de remise en cause progressive des fondements du sionisme par la Cour suprême - et plus largement, par une partie des élites israéliennes dont elle est représentative - qu’il faut comprendre le débat virulent autour du projet de réforme judiciaire actuel et la récente polémique autour de la Loi fondamentale sur l’État-nation. En réalité, celle-ci n’ajoute rien de nouveau à la Déclaration d’Indépendance. L’opposition virulente qu’elle a suscitée s’explique surtout par l’effritement progressif du consensus sioniste, mis à mal par l’assaut de l’idéologie post-moderne et post-sioniste qui a triomphé à l’époque des accords d’Oslo, au début des années 1990. Cette période a été marquée par une véritable “révolution culturelle” - concomitante à la “révolution constitutionnelle” que nous avons décrite plus haut - qui a vu les notions fondamentales du sionisme politique remises en cause par une large partie des élites intellectuelles de l’État d’Israël, dans le monde universitaire, celui de l’art et de la culture, les médias, etc.[2]

 

Un de ceux qui a le mieux exprimé cette révolution culturelle a été l’écrivain David Grossman, qui écrivait dans un article publié en septembre 1993, intitulé “Imaginons la paix” [3] : “Ce qui est demandé aujourd’hui aux Juifs vivant en Israël, ce n’est pas seulement de renoncer à des territoires géographiques. Nous devons aussi réaliser un “redéploiement” - voire un retrait total - de régions totales de notre âme… Comme la “pureté des armes”... Comme être un “peuple spécial”... Renoncer au pouvoir en tant que valeur. A l’armée elle-même en tant que valeur…” Ce qui dit Grossman - et ce qu’ont exprimé à l’époque des dizaines d’autres intellectuels partageant la même idéologie - c’est qu’il était prêt à renoncer à tous les éléments essentiels de l’ethos sioniste (ou “régions de notre âme”), pour transformer l’État juif en État de tous ses citoyens, c’est-à-dire en État occidental dans lequel les Juifs n’auraient plus aucune prérogative nationale.

 

C’est au nom de la même idéologie radicale que d’autres intellectuels ont prétendu abroger la Loi du Retour, fondement de l’immigration juive en Israël et pilier de l’existence nationale dans l’esprit de David Ben Gourion, son principal artisan, qui la considérait comme “la quintessence de notre État”. Mais la révolution culturelle entreprise à l’époque des accords d’Oslo a échoué. Elle a doublement échoué : une première fois, dans le feu et le sang du terrorisme palestinien, qui a anéanti les espoirs chimériques de mettre fin au conflit par des concessions territoriales. Et une seconde fois, lorsque les Israéliens ont rejeté par les urnes, à une large majorité, l’idéologie post-sioniste qui avait brièvement triomphé lors de la révolution culturelle menée par les opposants de l’État juif.

 

Les citoyens israéliens ont en effet exprimé, à de nombreuses reprises, leur attachement aux valeurs fondamentales du sionisme politique et à la notion d’État juif, décriée par une partie des élites intellectuelles. Le “retrait total des régions de notre âme” promu par David Grossman n’a pas eu lieu, parce que les Israéliens ont refusé, dans leur immense majorité, cette entreprise d’auto-liquidation nationale. Ils ont signifié qu’ils étaient attachés à la Loi du Retour et aux notions de ‘pureté des armes’ et de ‘peuple spécial’ tournées en ridicule par Grossman, et que leur âme juive vibrait encore. Ils ont signifié leur attachement indéfectible aux valeurs juives traditionnelles, à l’armée d’Israël (où le taux d’engagement dans les unités combattantes n’a pas faibli, malgré l’idéologie pacifiste) et à “l’espoir vieux de deux mille ans d’être un peuple libre sur sa terre”, selon les mots de l’hymne national.

Pierre Lurçat

Extrait de mon livre Israël, le rêve inachevé, Editions de Paris / Max Chaleil 2019.            

 

 

[1] A. Barak, “The constitutional Revolution : Protected Human Rights”, Mishpat Umimshal, cité dans La trahison des clercs d’Israël, op. cit. p. 131.

[2] J’emprunte cette idée et d’autres au livre très riche de Yoram Hazony, L’État juif. Sionisme, post-sionisme et destins d’Israël, éditions de l’éclat 2007.

[3] Cité par Y. Hazony, op. cit. p.113.

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Qui met en péril la démocratie en Israël ?

January 25 2023, 07:41am

Posted by Pierre Lurçat

 Qui met en péril la démocratie en Israël ?

J'évoquais hier matin la situation politique en Israël au micro de Richard Darmon sur Studio Qualita

Qui met en péril la démocratie en Israël ? - IMO#198 (studioqualita.com)

 

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