Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

olivier ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 2/5

August 15 2021, 10:54am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 2/5

Je reproduis ici l'article en feuilleton publié par Olivier Ypsilantis sur son excellent blog, dont je recommande au passage vivement la lecture, Zakhor Online. P. Lurçat

Pierre Lurçat : Vous définiriez-vous comme un ami d’Israël, comme philosémite ou comme un défenseur d’Israël, ou autrement ?

 

Olivier Ypsilantis : Je n’aime pas l’appellation « philosémite » pour une raison très simple. Aujourd’hui, à l’heure où la langue grecque, latine et les humanités sont de moins en moins enseignées, à l’heure où la culture générale de type classique est de plus en plus négligée, on voit se multiplier les mots à tonalité savante, dans le genre « homophobe », « islamophobe » et j’en passe. Donc, je préfère m’écarter de ces mots à consonance grecque qui traînent dans la bouche d’incultes qui cherchent à se passer un vernis savant avec des mots à caractère « scientifique », des mots dont la puissance de choc leur semble irrésistible.

Me présenter comme un défenseur d’Israël serait prétentieux. Je ne suis pas David Ben Gourion, je ne suis pas Moshé Dayan, je ne suis pas un combattant de la Guerre d’Indépendance ou de la guerre des Six Jours, je n’appartiens pas au Shayeret Matkal ou au Mossad. Pourtant, en 2014, au moment de la guerre à Gaza, je me suis engagé comme volontaire chez Tsahal, dans une immense base du Néguev. J’y ai travaillé durant trois semaines, dans la chaleur et la poussière, un travail très intense qui m’a enivré, je dois le dire. Je ne faisais que de la logistique arrière, j’étais en quelque sorte un homme de ménage, mais je savais que j’étais là où je devais être – et j’étais simplement heureux de porter l’uniforme de Tsahal.

La base où j’ai travaillé est très importante. C’est une base où convergent en cas d’alerte de très nombreux soldats pour s’y équiper avant de partir éventuellement au combat. Nous étions responsables des casques, des paquetages, de l’armement, des trousses de secours, bref de tout ce qui est nécessaire au combat. Tout en travaillant dans ces hangars, nous savions qu’il y avait un fort lien entre les potentiels combattants et nous. Je m’éprouve donc comme un défenseur d’Israël, ce qui est très prétentieux, un tout petit défenseur, au plus bas échelon. Mais dans une échelle, tous les échelons tiennent aux mêmes montants…

 

5 versions pour un volontariat au sein de la meilleure armée du monde – Par  Bely | Telavivre

Volontaires de Sar-El

 

J’ai effectué un deuxième séjour chez Tsahal, en Galilée, près de la frontière libanaise, et je compte en faire un troisième, avec ma femme. Le travail y était beaucoup moins rude, soutenu mais moins rude. J’étais affecté à l’entretien de pièces de Merkava II (l’histoire de ce blindé et sa conception sont passionnantes) et à celui de casques de tankistes dans un vaste local technique avec ses compartiments. J’avais mon coin, avec mes brosses, mes pinceaux métalliques, mes tournevis, mes pinces, ma ponceuse-visseuse-perceuse, mon papier de verre, mes pots de peinture, mes pinceaux et je dois en oublier. Une fois encore, j’étais là où je devais être, tout simplement. L’air conditionné n’était pas désagréable et aidait, je dois le dire. Je faisais du petit entretien qui ne demandait aucune compétence technique particulière, rien qu’une certaine minutie. Mais j’ai très vite compris que le travail que j’accomplissais devait être bien fait afin de pouvoir être poursuivi par des personnes plus qualifiées ; je l’ai compris lorsqu’une pièce m’a été renvoyée parce que je n’avais pas fait correctement ce qui m’avait été demandé, par distraction probablement. Une fois encore, j’accomplissais un modeste travail mais qui s’insérait dans une chaîne somme toute assez complexe dans laquelle j’avais ma part.

J’en reviens à votre question. Je refuse le terme philosémite (même si je le suis) pour la raison que je viens de vous exposer. Je préfère ami d’Israël ou défenseur d’Israël, même si ce dernier titre me semble bien lourd à porter. Mais attention ! En tant que non-Juif et issu d’une famille chrétienne, j’apporte une précision. Je tiens à me démarquer d’un certain sionisme chrétien, du christianisme évangélique selon lequel la renaissance de l’État d’Israël (1948) en accord avec les prophéties bibliques prépare le retour de Jésus en Christ de gloire de l’Apocalypse. Je respecte toutes celles et tous ceux qui aident Israël, d’une manière ou d’une autre, je respecte donc le christianisme évangélique, très efficace dans son aide. Mais je ne vais pas en Israël pour préparer Son retour et déjà parce que je me méfie de saint Paul et que je ne parviens pas à établir le lien entre Jésus et le Christ, entre un rabbin juif parmi tant d’autres et le plus imposant des êtres théologiques de l’histoire de l’humanité.

Car je crois au Messie mais dans le sens juif, soit un Messie à venir, pas un Messie qui est venu et qui reviendra, ce qui est une manière de boucher l’histoire humaine. Me comprendra-t-on ? Une fois encore, je respecte infiniment Jésus le Juif, ce que j’en perçois ; mais le Christ, cet être théologique, me pose problème. Tant qu’à faire, je préfère me promener du côté des créatures hybrides de la mythologie grecque. Au moins ne font-elles pas de prosélytisme et elles sont franchement esthétiques et amusantes, avec leur côté BD.

Défenseur d’Israël… Je m’efforce de défendre Israël par l’écrit, avec des articles à caractère polémique dans lesquels je dis ce que je pense des antisémites et des antisionistes, pour ne citer qu’eux ; mais ce sont les articles à caractère historique et culturel qui dominent dans ce que j’écris, sur le présent blog tout au moins. Je me méfie de l’actualité, des actualités. Leur tintamarre occulte. Je préfère prendre appui sur l’histoire et la culture qui dans le cas des Juifs sont des aires immenses. Il y a même eu des Juifs en Chine ; je les évoque sur ce blog. Je ne suis pas coupé des actualités. Je les lis presque quotidiennement dans quatre langues, ce qui est peu ; tant de langues me restent inconnues. Je préfère cependant envisager la profondeur historique, ce que je fais par exemple avec le sionisme, un mot qui suffit à donner de l’urticaire à des citoyens de diverses obédiences. Le problème de l’antisioniste, c’est qu’il n’a le plus souvent aucune connaissance du sionisme, de son histoire dense et complexe. Remarquez, il n’a pas à s’en faire : en tant qu’antisioniste il considère qu’il appartient au camp du Bien – on ne cesse de le conforter dans ce sens. Il peut donc s’épargner la connaissance, ce chemin qui n’en finit pas, splendide, mais où la fatigue et le découragement vous saisissent parfois. Beaucoup préfèrent s’affaler dans leur canapé et avaler ce qui leur est servi, soit la tambouille antisioniste. Je pourrais aller plus loin : il y a quelque chose de scatologique chez les antisémites et les antisionistes. J’y reviendrai mais pas dans le cadre de ces questions.

Etiam si omnes, ego non est un cri de guerre et de ralliement. Je ne vais pas entrer dans l’histoire de cette devise qui est aussi celle de la famille de Clermont-Tonnerre, devise qui a à voir avec saint Pierre au jardin de Gethsémani, devise qui a été reprise par Philipp von Boeselager en signe de résistance au nazisme, une figure que j’ai évoquée sur ce blog. Pour ma part, cette devise signifie mon engagement auprès d’Israël en tant qu’État. Je ne vous cache pas qu’être sioniste n’est pas une sinécure. On est sans cesse sommé de s’expliquer tandis que les antisionistes se prélassent dans leurs canapés, hamacs, chaises-longues et balancelles ; et on ne se fait pas beaucoup de potes. Mais ne pratiquant que très peu le canapé et la chaise-longue, jamais le hamac et la balancelle, et détestant le genre pote, je ne vais pas me plaindre.

D’où me vient cet attachement au judaïsme, au peuple juif et à Israël ? J’ai donné des éléments de réponse mais la question reste. Je fais avec ce mystère qui m’occupe souvent. J’ai pensé consulter un psychanalyste, un psychiatre même, juif ou goy, qu’importe !

Amazon.fr - Les Pharisiens: Dans les Evangiles et dans l'Histoire -  Hadas-Lebel, Mireille - Livres

J’en reviens à Jésus. Pour David Flusser, spécialiste israélien de l’histoire des origines du christianisme, comme pour Shmuel Safraï, spécialiste de l’histoire du second Temple, Jésus appartenait au monde des rabbins ; il était donc proche des Pharisiens, et les indices à ce sujet ne manquent pas. Je me suis souvent demandé pourquoi l’Église s’est tant acharnée contre ces derniers. Pourquoi ne s’en est-elle pas prise plus durement aux Sadducéens, ces collaborateurs des Romains soucieux de leurs seuls privilèges ? Cet acharnement m’a très vite mis mal à l’aise ; et je n’ai pas tarder à comprendre que ce sont les Pharisiens qui ont porté le judaïsme, que c’est par cette branche que le judaïsme est venu jusqu’à nous et bien vivant. Or, en l’attaquant, l’Église affirmait plus encore sa prétention à être le « Nouvel Israël ». Non, ce n’est pas un hasard si l’Église s’en est prise et s’en prend encore et de diverses manières aux Pharisiens. La dénonciation des Pharisiens figure explicitement dans les textes fondateurs du christianisme. Vatican II a fait ce qu’il a pu, mais on ne peut s’en prendre aux textes fondateurs.

Le mouvement pharisien était une arborescence dans laquelle figurait depuis le Ier siècle av. J.-C. un courant dit hassidique, ancêtre du hassidisme du XVIIIe siècle bien que sensiblement différent. Selon Shmuel Safraï, Jésus aurait été un hassid et à ce sujet son argumentation est captivante. Et si Jésus n’a pas été un hassid, les éléments d’identification ne manquent pas entre les relations que Jésus entretenait avec les Pharisiens et celles que les hassidim entretenaient avec les rabbins. En fait, tout ce que je lis sur Jésus et qui me retient a été écrit par des Juifs, et des Juifs religieux et pratiquants.

Et le christianisme dans toute cette immense affaire ? J’ai souvent le sentiment que le christianisme tel qu’il est venu à nous est du judaïsme « infecté » par le monde grec et romain, ce qui a donné une chose étrange et énorme dans laquelle j’erre, à la fois émerveillé (voir l’immensité de la production artistique activée par les Églises chrétiennes) mais un peu perdu. L’étude du judaïsme m’aide à reprendre mes esprits, je crois pouvoir dire les choses ainsi.

Je vais vous dire quelque chose qui vous paraîtra peut-être étrange – et une fois encore, je respecte a priori toutes les croyances religieuses. J’aimerais que les Chrétiens et les Musulmans (re)deviennent d’authentiques juifs. Bon, ce que je dis n’est pas très trendy, mais le meilleur moyen de survivre aux modes est de ne pas y succomber et de les regarder passer avec amusement ou indifférence.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

https://zakhor-online.com/

See comments

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 1/5

August 12 2021, 14:54pm

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis

Je reproduis ici l'article en feuilleton publié par Olivier Ypsilantis sur son excellent blog, dont je recommande au passage vivement la lecture, Zakhor Online. P. Lurçat

 

Pierre Lurçat : Votre blog contient de nombreuses entrées concernant Israël, le judaïsme et les Juifs. D’où vient cet intérêt pour les choses juives et à quand remonte-t-il ?

Olivier Ypsilantis : Je vais devoir parler de moi, et probablement trop. Mais qu’importe ! Je me demande souvent, en marchant, au volant, avant de m’endormir ou au cours d’insomnies, bref, je me demande très souvent et dans des situations très diverses pourquoi Israël, le judaïsme et les Juifs sont en moi un questionnement constant ou presque. Je reste incapable d’apporter une réponse complète à cette question mais très jeune j’ai d’abord été intrigué puis irrité et enfin révolté par l’antisémitisme et l’antisionisme ; et ces choses traînent un peu partout, comme de la poussière, comme de l’ordure.

Simone Weil avec laquelle j’entretiens des rapports très agités dit quelque part dans « Pensées sans ordre » : « Tout ce qui dans le christianisme est inspiré de l’Ancien Testament est mauvais… » Cette remarque que je juge révoltante, je l’ai simplement inversée – et, de fait, je la portais en moi bien avant de lire Simone Weil –, soit : « Tout ce qui dans le christianisme n’est pas inspiré de l’Ancien Testament est mauvais… ». Je ne parle et ne parlerai qu’en mon nom, sans aucune volonté de plaire ou de déplaire ; et je ne suis pas ici pour distribuer bons points et mauvais points.

Je dois d’abord dire que je me sens généralement plus chez moi lorsque j’écoute un rabbin ou un intellectuel juif que lorsque j’écoute un membre de l’Église ou un intellectuel chrétien ; et je ne nie pas que l’Église soit riche en puissantes personnalités et que des intellectuels chrétiens soient vivifiants.

Si des rabbins (et il y a des médiocres et des barbons parmi eux comme partout) me stimulent, c’est d’abord parce qu’il me semble qu’ils me soufflent à l’oreille : Tu réfléchis ; tandis que les membres de l’Église me disent d’une voix qui décourage la réplique : Tu crois ! Saint Paul (j’ai au moins autant de problèmes avec lui qu’avec Simone Weil) déclare (voir son Épître aux Romains) que c’est la Croyance qui amène le Salut – qui conduit au Salut. C’est intéressant mais je reste au bord de la route, je ne parviens pas monter dans l’autocar des Croyants qui roule sans frein vers le Salut. Je marche donc au bord de la route avant de m’en écarter. Je rencontrerai bien quelqu’un qui me recevra et m’invitera à un tête-à-tête, un rabbin peut-être ou un Juif préoccupé de son histoire et peut-être de la mienne.

 

Le passage de la mer Rouge, enluminure arménienne

 

Les Juifs croient eux aussi, ils croient en des faits historiques (et ils sont nombreux) qui constituent leur héritage (la sortie d’Égypte, le don de la Torah sur le Sinaï, etc.). Mais si cet héritage structure et donne volontiers de l’énergie, il n’est pas de nature à apporter le salut à celui qui l’accepte. Rien dans l’histoire d’Israël n’est de nature à apporter le salut au croyant. La sortie d’Égypte a sauvé le peuple d’Israël de l’esclavage mais y croire n’apporte pas pour autant le Salut éternel. Et j’en reviens à ce que je disais : l’histoire d’Israël telle qu’elle est relatée dans la Bible semble plutôt murmurer : Tu réfléchis. Je ne suis pas juif mais pour cette raison entre autres nombreuses raisons je me sens juif. Le Second Testament, le chrétien donc, semble plutôt dire : Tu crois ! Par exemple, tu crois en l’Incarnation, au Dieu fait homme, un dogme central du christianisme – le christianisme est riche en dogmes. Un dogme ne se discute pas. On l’accepte ou on lui tourne le dos sans un mot, en haussant éventuellement les épaules.

Un Chrétien à la foi très active m’a dit un jour que ma curiosité intellectuelle pouvait être un obstacle à la foi (chrétienne), qu’elle était volontiers une marque d’orgueil. Ce Chrétien que je n’ai pas voulu blesser opposait dans une vaste composition Foi et Connaissance. L’une et l’autre ne sont d’ailleurs pas incompatibles et croire en Dieu n’empêche pas l’astrophysicien d’étudier honnêtement l’Univers et le généticien d’étudier non moins honnêtement le génome codé dans l’ADN et ainsi de suite. A ce propos, le monothéisme juif est l’un des moteurs (et peut-être le plus puissant) qui ont conduit à la science moderne. Et si la Connaissance est un obstacle à la Foi, et bien je choisis la Connaissance tout en sachant qu’elle sera toujours fragile et imparfaite, tout en sachant que ce que je connais en regard de ce qui est connu (et je ne parle même pas de l’inconnu, infiniment plus vaste que le connu) ne sera jamais qu’un grain de sable dans un océan.

Je repense souvent à cette remarque qui a commencé par m’irriter puis que j’ai analysée et qui m’a permis de comprendre en partie ce qui m’éloignait du christianisme et me rapprochait du judaïsme. Pourquoi le christianisme s’est-il développé de la sorte ? Pourquoi n’est-il pas resté un courant parmi d’autres dans le judaïsme ? Chrétiens et Musulmans se sont trop souvent affirmés en cultivant une hostilité plus ou moins marquée envers les Juifs, envers le peuple de l’Origine, porteur de la Révélation et de la Loi. Certes, les Chrétiens ont fait des efforts, notamment avec Vatican II (1962-1965) et la reconnaissance d’Israël par le Saint-Siège (1993-1994). Je ne cherche pas des poux dans la tête des Chrétiens, je m’efforce d’exprimer clairement ce qui me préoccupe depuis longtemps et me préoccupera probablement jusqu’à la fin.

J’ai souvent des problèmes avec les Chrétiens lorsqu’il est question des Juifs, du judaïsme et d’Israël. Sur les sites et blogs où il m’est arrivé d’intervenir, j’ai senti de leur part une certaine irritation et, vraiment, je ne cherchais en rien à les provoquer, j’ai mieux à faire et je n’ai pas pour mission de les irriter, de les provoquer. Sur un blog où sévissaient des individus diversement de gauche, j’étais considéré comme un Juif qui n’osait (ou ne voulait) se présenter comme tel, comme un judéolâtre, et, surtout, comme un sioniste, désignation qui dans bien des petites têtes flirte avec « fasciste » (voire « nazi »), « impérialiste », « génocidaire », « raciste » et j’en passe.

Les antisionistes ! Il ne s’agit même plus de l’autocar des Croyants mais de hordes qui se perdent derrière la ligne d’horizon et qui tantôt trottinent tantôt galopent vers… le Salut peut-être : car il y a bien un sous-jacent religieux dans l’antisionisme. Il n’est pas possible d’expliquer autrement une telle ferveur.

Mais j’en reviens à la manière dont certains Chrétiens (par ailleurs très courtois) voient les Juifs – en tant que représentants du judaïsme. Ils voient les Juifs comme des gens avec lesquels il faut être très gentil, un peu comme avec une vieille dame mal assurée sur ses jambes et à moitié aveugle à qui il faut donner le bras pour la soutenir et la guider… Vous imaginez où je veux en venir. Pour ma part, je trouve que malgré son grand âge, le judaïsme reste très jeune et déjà parce qu’il ne traîne pas derrière lui ces lourds mécanismes théologiques comme en traîne le christianisme. Au fond, Tu réfléchis permet de conserver la forme…

Le christianisme et l’islam ont voulu kidnapper le judaïsme, le kidnapper après l’avoir détroussé. Ils l’ont fait chacun à leur manière – l’islam étant d’un certain point de vue plus proche du judaïsme. Mais sachant qu’ils avaient commis des méfaits, l’un et l’autre, et une fois encore chacun à leur manière, se sont employés et s’emploient encore (les Musulmans à présent d’une manière beaucoup plus soutenue et agressive) à dissimuler ces méfaits. Ils y parviennent d’une manière très efficace par l’inversion victimaire. Les Chrétiens ont remisé l’accusation de déicide même si elle sait se manifester indirectement (il y aurait un article à écrire à ce sujet). Les Musulmans quant à eux n’hésitent pas à traiter les Juifs d’assassins des Prophètes (dont Jésus). Et cette affaire religieuse se reporte dans l’aire politique puisque les Juifs (les Israéliens) sont accusés de tous les maux à l’égard des Palestiniens qui n’hésitent pas à reprendre des images christiques (à commencer par la Crucifixion) pour évoquer leurs malheurs. L’accusation médiévale de meurtre rituel est également recyclée : les Juifs aiment s’en prendre aux enfants palestiniens et blablabla. Lorsque les sornettes à caractère religieux deviennent des sornettes à caractère politique, les choses semblent empirer.

Donc, on a fait la poche des Juifs quand on ne les a pas kidnappés, ligotés et bâillonnés ; mais ce sont toujours eux les coupables, hier et aujourd’hui et probablement demain. Ce renversement victimaire est toujours très actif et efficace ; il entraîne de gros de la troupe, Chrétiens, post-Chrétiens et Musulmans. Il est vrai que des individus réfléchissent, reniflent la supercherie et envisagent le rôle central et résolument positif d’Israël pour le monde. Ils ne sont pas nombreux, vraiment pas nombreux. Je ne cherche pas à mettre Israël au-dessus de toute critique, mais je refuse toute critique envers Israël qui suppose son amoindrissement ou sa disparition, point à la ligne.

Je le redis, le judaïsme n’a pas de théologie, contrairement au christianisme. L’étude de cette théologie est certes passionnante (l’étude est toujours passionnante) mais la finalité de ces énormes constructions me reste mystérieuse. Elles impressionnent par leur volume et leur hauteur, mais pour le reste… Le judaïsme ne s’embarrasse pas de telles constructions et convie à l’Alliance, la Brit.

J’ai tendance à penser (et de ce point de vue je me sens juif) que tout messie qui est déjà venu est un faux messie. Ce point de vue ne facilite pas mes relations avec les Chrétiens. J’ai les plus grandes difficultés à effectuer la liaison – le saut – entre Jésus et le Christ. Ce petit trait d’union entre Jésus et Christ qui donne Jésus-Christ me semble hâtif et relever d’un tour de passe-passe. Certes, on me rétorquera : Tu crois ! Mais une autre voix me dit : Tu réfléchis. Tu réfléchis ! Quelle prétention me dira le Chrétien ! Avec tes moyens si limités ! Allez, un effort, tu crois et tu seras sauvé ! Martin Buber écrit quelque part (il me faudra trouver la référence) : « Telle est notre foi, la foi d’Israël : la Rédemption du monde est l’accomplissement de la création. Celui qui voit en Jésus le Messie qui accomplit l’histoire, celui qui l’élève à une place si haute, cesse d’être l’un de nous ; et s’il prétend contester notre foi en la Rédemption, alors nos chemins se séparent ». En fait, ce qui pose problème ce n’est pas la foi de Jésus mais la foi en Jésus, ce n’est pas la personne du Christ qui reste incompréhensible mais tout l’appareil théologique qui l’entoure et qui à certains moments semble même le soutenir. Je veux bien croire mais j’aime comprendre, surtout ce qui dépasse mon entendement…  Et vous vous souvenez du bon mot de David Ben Gourion, rapporté dans « Les premiers Israéliens » de Tom Seguev. Pour tempérer l’enthousiasme d’un participant à une rencontre au cours de laquelle était débattue l’identité juive, David Ben Gourion alors Premier ministre déclara (je cite de mémoire) que le Messie n’était pas venu et qu’il ne l’attendait pas, que lorsque son adresse figurerait dans l’annuaire il ne serait plus le Messie, que la seule utilité du Messie est qu’il ne vienne pas car l’attente du Messie est plus importante que le Messie lui-même et que le peuple juif vit dans cette attente et que sans elle et sa croyance en Lui le peuple juif n’existerait pas.

Au cours d’une conférence intitulée « Le renouveau du judaïsme », Martin Buber déclarait : « Ne pourrions-nous dire à ceux qui nous proposent aujourd’hui un rapprochement avec le christianisme : ce qui, au sein du christianisme, est créateur n’est pas le christianisme mais le judaïsme. »

Une petite anecdote pour terminer cette réponse (qui pourrait ne jamais finir). Il y a quelques jours, j’ai poussé la porte d’une église d’Espagne. Il faisant très chaud et j’ai apprécié la fraîcheur de cette belle construction. J’ai suivi la célébration et le sermon m’a ému. Plus question du « Nouvel Israël » (l’expression n’est plus employée mais les mécanismes qui la portent sont encore très actifs, et j’ai pris bien des notes à ce sujet) mais du Shabbat, de l’importance du Shabbat, « cette création juive fondamentale pour les Juifs mais aussi pour nous ». Et le célébrant s’est efforcé d’en exprimer l’importance suivant un discours assez proche de celui de Benjamin Gross – peut-être avait-il lu « Shabbat : un instant d’éternité ». Mais ce n’est pas tout : il a placé quelques mots d’hébreu dans son sermon. En l’écoutant, je me suis mis à espérer. Je me suis dit que le rapt que nous avons trop souvent opéré chez les Juifs allait se faire don. Car le judaïsme donne, ne cesse de donner et souvent sans le savoir. Certes, on peut se servir chez lui et en abondance car le judaïsme est généreux ; mais si nous le faisons, faisons-le avec reconnaissance, c’est-à-dire en commençant par citer nos sources et en cessant de nous contorsionner. Une fois encore, nous sommes dans l’inversion victimaire, si efficace ; nous accusons de vol celui que nous volons, nous accusons de violence celui que nous frappons.

J’en reviens au sermon en question. L’insertion de mots hébreux est très importante. Pour ma part, elle est essentielle. Je ne parle pas et ne lis pas cette langue ; mais la petite centaine de mots hébreux que je connais me permet lorsque je prononce l’un d’eux, à l’occasion, d’établir une proximité intellectuelle mais aussi affective avec un univers particulier, d’éprouver une ambiance unique. André Chouraqui évoquait sa traduction de la Bible en disant notamment qu’il a voulu rendre au Dieu de la Bible son nom d’origine qui est Adonaï Elohim, et non employer son équivalent grec ou latin. Dans la vie quotidienne, j’aime faire usage de mots hébreux.

Et j’en reviens à votre question. Mon intérêt pour les choses juives a des origines très diverses. Il tient en partie à mon étonnement au cours de célébrations chrétiennes, étonnement lié au fait que j’ai assez tôt éprouvé qu’il y avait dans les fondations de cette religion mondiale des… disons… des bizarreries, et qu’il me fallait enquêter, sans nécessairement chercher un coupable, mais enquêter. Et de l’antijudaïsme, je suis passé à l’antisionisme, car il y a un lien tenace entre ces deux choses. Je n’aime pas les affirmations massives, mais il en est une que je n’hésite pas à exprimer : l’antisémitisme et l’antisionisme sont incompréhensibles si aussi longtemps que l’on néglige l’antijudaïsme. Ce dernier n’explique pas tout mais il est en quelque sorte le point de passage obligé vers l’appréhension de ces phénomènes.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

https://zakhor-online.com/?p=20510

See comments