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La religion progressiste contre la Torah d’Israël (II) : Démocratie politique ou « religion démocratique » ?

June 14 2023, 06:04am

Posted by Pierre Lurçat

"Gay Pride" à  Tel-Aviv : "le petit homme avec son identité et son choix sexuel changeant"

"Gay Pride" à Tel-Aviv : "le petit homme avec son identité et son choix sexuel changeant"

 

Le voyageur qui arrive à Tel Aviv par le train et descend à la station Ha-Shalom est accueilli par un immense panneau qui orne la façade du Beit Ha-Itonout, portant ce slogan : « La démocratie est plus grande que la politique ». Pour l'observateur nourri de philosophie politique classique, ce slogan peut sembler paradoxal. La démocratie est en effet considérée traditionnellement comme une catégorie de la pensée politique et comme une forme particulière de régime politique. Mais ces deux affirmations axiomatiques ont été remises en cause ces dernières années par de nouveaux axiomes politiques, qui ont fini par s'imposer dans une large partie du public occidental. C'est dans ce contexte nouveau qu'il convient de prendre au sérieux et d’analyser le slogan affiché à Tel-Aviv.

 

Si la démocratie est « plus grande que la politique », c'est de toute évidence parce qu'elle ne désigne plus une catégorie politique, mais bien quelque chose d'autre. La démocratie est devenue une catégorie qui échappe au politique, ou qui le transcende. Pour comprendre cette réalité nouvelle, il suffit de voir les dizaines de milliers de manifestants qui scandent « Demokratia ! » dans les rues d'Israël, à la manière d'un mantra. Oui, il y a bien quelque chose de religieux dans la manière dont ils scandent le mot démocratie et dont ils perçoivent ce concept ancien, qui revêt aujourd'hui un sens nouveau. Quel est-il ?

 

Afin de mieux l'appréhender, nous partirons de cette observation éclairante de Pierre Manent, qui faisait remarquer que l'attrait exercé par le gouvernement des juges tient au fait que ceux-ci « prétendent de plus en plus parler immédiatement au nom de l'humanité[1] » C'est précisément ce qui distingue la nouvelle notion de démocratie de son acception classique. Dans cette dernière, la démocratie reposait largement sur l'idée de représentation, en vertu de laquelle le peuple délègue son pouvoir… Cette délégation constitue l'essence même du régime démocratique, qui est comme disait Churchill, « le pire des régimes politiques, à l'exception de tous les autres ». Or c'est précisément cette notion essentielle qui est remise en cause dans la religion de la démocratie qui se fait jour actuellement.

 

Si la démocratie semble, dans sa nouvelle acception, « plus grande que la politique », c'est aussi parce qu'elle parle presque exclusivement de « droits » et de libertés, là où la politique parle aussi de devoirs civiques.et d'obligations citoyennes. La religion démocratique, qui célèbre les droits de l'individu et ses identités multiples et « fluides », se moque de la représentation politique et de ses contraintes, dont elle ne comprend plus la nécessité. Elle exalte, comme le faisait remarquer Shmuel Trigano, non plus « le citoyen et le sujet de droit, l’Homme avec un grand H » mais « le petit homme avec son identité, son sexe et son choix sexuel changeant »[2].

 

A l'ère de l'individu roi, la souveraineté populaire est une idée considérée comme obsolète et comme appartenant à un passé révolu. Le désaveu pour la démocratie traditionnelle apparaît donc comme tout à fait compatible avec l'exaltation d'une « démocratie » largement abstraite et déconnectée des problèmes réels de l'État et de la société. Peu m'importe les problèmes de mon voisin ou ceux de mon pays, pourvu que je puisse exprimer mes sentiments et mon identité sans entrave… « Jouir sans entrave », fameux slogan de mai 68, est bien devenu l'idéal des adeptes de la nouvelle religion progressiste et démocratique, comme cela apparaît au grand jour pendant le « mois de la fierté » qui s’est ouvert la semaine passée à Tel-Aviv. La religion de la « démocratie » est aussi, nous le constatons jour après jour, un culte du moi, de l'identité sexuelle arborée comme un étendard et de l'égoïsme individuel.

 

De même, dans la nouvelle religion progressiste et « démocratique », il n'y a plus de place pour le débat authentique ou pour la confrontation des idées et des opinions. Chacun se bat pour faire triompher sa propre vision du monde, comme sur les réseaux sociaux, en effaçant les avis qui déplaisent ou qui fâchent. La vieille démocratie, avec son parlement, ses débats et son alternance de coalitions élues par le peuple, est donc logiquement synonyme de passéisme ou de réaction. Qui se soucie encore de la majorité, quand sont exaltés constamment les seuls droits des minorités et ceux de l’individu ? (À suivre…)

P. Lurçat

 

NB. Mon dernier livre, Quelle démocratie pour Israël?, est disponible sur Internet et à la librairie française de Tel-Aviv.

 

 

[1] P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Fayard 2001, p. 310.

[2] S. Trigano, « Démocratie ou théocratie judiciaire ? », Menora.info 16.3.23.

La religion progressiste contre la Torah d’Israël (II) : Démocratie politique ou « religion démocratique » ?

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Shmuel Trigano. Du coup d’Etat au coup monté, cette fois-ci, on est fixé !

June 7 2023, 13:38pm

Posted by Shmuel Trigano

Shmuel Trigano. Du coup d’Etat au coup monté, cette fois-ci, on est fixé !

J’avais remarqué dans quelques textes[1] sur la crise israélienne qu’il restait un pan obscur, rebelle aux explications rationnelles et sociologiques qu’on pouvait en donner. Le symptôme le plus fort était le côté délirant et abusif du discours qui accompagnait et accompagne toujours la “protestation”. Je pense notamment à l’évocation aberrante d’une menace de “dictature” qui planerait sur la “démocratie israélienne”. Je pense aussi à l’incitation à la guerre civile par des généraux à la retraite. 

Comme je ne trouvais pas dans les faits de réalités confirmant cette “menace”, je l’avais attribuée à un état de la psychologie collective. De récents faits nouveaux m’obligent à plus de précision, et à tenir compte également des erreurs politiques de certains membres de la coalition au pouvoir, notamment le caractère intempestif et massif de la proposition de loi sur la Réforme judiciaire, ou les expressions maladroites de députés de partis religieux, autant de dérapages qui ont nourri dans des esprits peu au faite des choses, la crainte de “la dictature” ! 

Un autre trait ne laissait pas d’inquiéter : l’absence d’un leadership responsable et reconnu comme tel, dirigeant et guidant la “protestation” au point de lui intimer un but, un ordre du jour, une modération si besoin était. Au contraire, on a pu avoir l’impression que les leaders improvisés qui haranguaient épisodiquement les foules étaient à la traîne des mots d’ordre émanant de la “protestation” (désormais la dénomination journalistique de ce mouvement), comme si celle-ci avait été un mouvement spontané surgi de la masse des citoyens, ce qui devait authentifier la crédibilité de ses demandes. Ces leaders se livrèrent au contraire à une surenchère de la radicalité, appelant à la guerre civile, à la rébellion, à la lutte armée…

Et pourtant au fur et à mesure de la répétition de la manifestation du samedi soir, il apparaissait que son déploiement n’était pas erratique mais construit et programmatique, organisé de main de maitre

Et pourtant au fur et à mesure de la répétition de la manifestation du samedi soir, il apparaissait que son déploiement n’était pas erratique mais construit et programmatique, organisé de main de maitre pour gérer de telles foules sur un long terme. De même, les happenings qui au fur et à mesure remplaçaient les slogans usés ne pouvaient pas avoir été improvisés. Qui donc les concevait et les promouvait ?

On commença à chercher le pourquoi du comment. Qui donc avait construit un tel scénario ? De même, manifestement des sommes d’argent très importantes nourrissaient ces manifestations. Qui avait payé pour cette masse de drapeaux, brandis comme pour cacher le véritable enjeu, antidémocratique et antinational de la protestation ? Qui a payé, paie, actuellement même, la campagne d’affichage municipal gigantesque qui couvre les rues des villes et des autoroutes, accusant la coalition des pires actes et désignant à la vindicte publique des députés et des ministres représentés comme des brigands ?  Derrière cette campagne, combien de cabinets publicitaires ont-ils été enrôlés ? Qui paie ? Qui décide des mots d’ordre ? 

On a évoqué le financement américain. Un article fort éclairant paru dans le magazine juif américain Tablet apporta des preuves d’un financement américain au sommet. On a évoqué aussi le milliardaire Soros, les habituelles ONG des “droits de l’homme”… C’est bien ce ce que donnaient à comprendre les slogans de la “protestation” en appelant à l’intervention de puissances occidentales pour sauver les Israéliens du fascisme. 

En un mot, tout nous disait qu’il y avait une direction à ce mouvement, dotée d’un budget considérable, et d’un projet politique, qui n’était pas apparente et qui construisait de toutes pièces un “mouvement” social, une manipulation idéologique des masses, en les inscrivant dans une série de happenings destinés à nourrir le théâtre de semaine en semaine : d’abord les HighTéchistes, puis les banquiers, puis les agences de notation, puis les réservistes, puis les pilotes, puis les religieux, puis les députés du Likoud et que sais-je encore, chaque jour une scène de théâtre nouvelle s’est ouverte dans un scénario qui devait montrer le démembrement pièce à pièce de l’Etat, du peuple juif, du sionisme, avec des appels de pied lancés à l’ennemi par ci par là, et l’appel au secours des Etats-Unis et de l’Europe.

Il ne faut pas négliger une pièce capitale de ce système de manipulation des foules : la complicité totale des médias qui mirent en forme le leurre de l’enjeu qui serait la réforme judiciaire  reconstruite dans le langage journalistique comme “coup d’Etat de régime” (en hébreu “hafikha mishtarite”), “renversement de régime”.

Aujourd’hui, nous savons désormais quelle est la source de ce grand théâtre aux scènes multiples

Aujourd’hui, nous savons désormais quelle est la source de ce grand théâtre aux scènes multiples. C’est un de ses fondateurs et principaux animateurs, un avocat connu, Gilead Scher, un proche d’Ehud Barak  qui en a révélé l’origine dans le podcast d’Amir Oren[2]. C’est autour de lui que la première réunion des instigateurs de la “protestation” [3] a eu lieu, deux semaines donc avant la formation du gouvernement sorti des urnes, C’est-à-dire trois semaines avant la proposition de loi sur la Réforme judiciaire présentée par le nouveau ministre de la justice Yariv Levin. La “protestation” était donc en marche avant même que la proposition de loi n’en ait été formulée ! 

Selon les dires de Gilead Scher, les sondages privés montraient que Natanyahou serait élu. Il fallait, pour ce groupe, se préparer à faire obstacle à cette élection qui n’annoncerait rien de bon sinon l’avènement d’un « gouvernement de l’”obscurité”. Il fallait réunir des forces et lever des fonds importants. Ce soir, le mardi 6 juin où j’écris ces lignes, nous apprenons qu’il y a un million cent mille shekels à dépenser. Ces personnalités sont, semble-t-il, proches du milieu du général à la retraite Ehud Barak dont les discours violents et radicaux, l’appel à la guerre civile ont été remarqués.

La manipulation de l’opinion visait à cacher sous le voile vertueux de la démocratie en danger un refus de reconnaître le verdict des urnes

Du calendrier de ce groupe de personnalités, il découle donc que le principe même de ce que l’on appela plus tard sous une forme trompeuse “la protestation” a précédé l’objet déclaré de cette dernière, à savoir: le danger de dictature et de totalitarisme que ferait peser sur Israël la réforme judiciaire projetée. La critique de cette dernière était donc un leurre pour tromper la galerie, agiter la foule sur la base de dangers autant irréels que terrifiants, accrédités par certains hommes politiques, des généraux, des gens d’autorité, de surcroît à la retraite, qui devaient donner le change et affoler les Israéliens moyens.

La manipulation de l’opinion visait à cacher sous le voile vertueux de la démocratie en danger un refus de reconnaître le verdict des urnes et le projet de mettre hors-jeu le Parlement démocratique et d’empêcher le pouvoir légalement élu de prendre en mains les affaires. La réunion de la coalition au pouvoir et de l’opposition chez le président de l’Etat, en vue d’un compromis, illustre clairement ce contournement du parlement et de la majorité des électeurs. Il prenait en otage le gouvernement nouvellement élu en agitant la rue et en l’accusant de fascisme et de totalitarisme…

A quelles fins ultimes ? Si je me réfère à l’histoire de l’élite de pouvoir israélienne, le but est toujours le même depuis Ben Gourion et le pouvoir travailliste des origines : récuser et délégitimer la droite israélienne et marginaliser le poids des électeurs d’origine sépharade, majoritaires, “soupçonnés” d’être à droite et proches du traditionalisme religieux, tenir à distance les secteurs religieux, et surtout conserver leur influence à toutes les élites qui se sont relayées au pouvoir depuis l’Etat travailliste, alors que ces élites ne représentent plus la majorité électorale, le tout enveloppé dans un emballage distingué et “démocratique”, quitte à se mettre sous la tutelle (imaginaire) d’un Occident imaginaire, mâtiné aujourd’hui de post-modernisme. 

Le vecteur de cette évolution a bien été la chasse à l’homme de plusieurs années menée contre Natanyahou, à l’occasion de multiples procès taillés sur mesure contre lui et qui plus ils avancent, plus ils dévoilent leurs irrégularités, leurs mensonges, le dévoiement du droit, de la police, du pouvoir judiciaire : un procès dont les médias ont fait une histoire à épisode, diffuse chaque soir depuis des années comme un feuilleton sur les écrans de télévision, montrant la collusion du pouvoir judiciaire et de police. C’est l’origine de la haine gratuite qui a rongé du dedans le peuple israélien, des hommes politiques jaloux de Natanyahou et qui a vu le pouvoir judiciaire prendre en otage le système politique au fil d’une élection presque tous les ans.

Il ne leur reste plus qu’à se joindre au BDS palestinien

Quel peut être l’avenir de ce mouvement qui est, semble-t-il, à bout de souffle ? Sa seule action aujourd’hui est la violence, battre, invectiver des passants orthodoxes dans la rue, harceler les députés de la coalition au pouvoir, dégrader toute cérémonie publique, travailler contre Israël à l’étranger. Il ne leur reste plus qu’à se joindre au BDS palestinien. 

Les spécialistes de sécurité sont inquiets : risque-t-on le meurtre de personnalités ? Il y a une telle violence et un tel délire ! On voit apparaître sur la scène une catégorie d’Israéliens inconnus auparavant qui sont les vrais animateurs de la guerre civile : Crime Minister, Akhim la neshek ! ( “Frères d’armes” en français : tout un programme). Pour les avoir vus à la TV, je dirais même qu’ils ont l’air inquiétant. Ils portent le rictus du nihilisme. On sent les anarchistes, les Black Blocks[4], une mouvance qu’on n‘a pas encore vraiment vue en Israël alors qu’on la retrouve dans plusieurs pays européens où ils ne se manifestent que pour détruire, pleins d’un ressentiment social violent. Israël semble ne pas échapper à un tel phénomène…
Le peuple juif se tient à un carrefour de son destin. La majorité silencieuse doit se ressaisir. Et il n’y a aucune fatalité !  

© Shmuel Trigano

Shmuel Trigano est Professeur émérite des Universités


Notes

[1] Quatre articles parus sur Tribune juive et que l’on trouve aussi sur Menora.fr

“La crise israélienne” (30 janvier) “Que se passe-t-il en Israël ? Un putsch “démocratique” ?  (1er Février), https://www.tribunejuive.info/2023/01/28/shmuel-trigano-que-se-passe-t-il-en-israel-un-putsch-democratique/

“Les israélites israéliens…” (13 février) “Démocratie ou théocratie judicaire ?” (16 février)https://www.tribunejuive.info/2023/02/14/shmuel-trigano-democratie-ou-theocratie-judiciaire/

[2] Afarkasete Amir Oren avec Gilad Scher, le 28 mai à 11h 35

https://rotter.net/forum/scoops1/797464.shtml

[3] Tout d’abord Guilead Scher, Yossi Kutshik, Dany Halouts,le milliardaire  Orni Petroushka. Puis deux semaines après Edna Zilber, Shikma Bresler, Ilan  Shiloakh  Amos Malka, Yehuda Adar pour la logistique qui nomma Eran Schwartz pour la mise en pratique (directeur du “QG de la lutte”), Eyal Navé ,en charge ( !) de la protestation des réservistes), Mital Levi Tal ( QG du HighTech)

[4] Le terme désigne un mouvement radical et violent né à Berlin dans les années 1980 dans les milieux anarchistes et autonomistes. De noir vêtus et cagoulés, ils se confrontant à la police lors de manifestations publiques.

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La religion progressiste contre la Torah d’Israël (I)

June 4 2023, 13:08pm

Posted by Pierre Lurçat

La religion progressiste contre la Torah d’Israël (I)

 

Comme l’écrivait récemment Ariel Shenbal dans les colonnes de Makor Rishon, les manifestants qui défilent en Israël contre le gouvernement et contre les ‘Harédim sont pour la plupart des Juifs ‘hilonim (laïques), qui ont rejeté le “joug de la Torah et des mitsvot”. Il n’est pas anodin qu’un des slogans qu’on retrouve dans les manifestations et sur les autocollants soit “Hofshi beArtsenou” (libre dans notre pays), deux mots tirés de l’hymne national d’Israël mais détournés de leur sens original. La Tikva parle en effet d’être “un peuple libre sur sa terre, la terre de Sion et de Jérusalem”, la liberté étant synonyme d’indépendance et non pas de rejet de la Torah.

 

Mais ces manifestants, observe Shenbal, ont en fait rejeté la Torah d’Israël pour adopter une nouvelle religion, celle du progressisme. “Il s’avère que cette nouvelle religion ressemble à toutes les autres”, poursuit-il. “Elle a ses rabbins (et même ses rabbanit), ses rituels et même ses punitions pour ceux qui prétendent quitter ses rangs”. L’observation est juste et elle rejoint le constat fait il y a déjà plus d’un siècle par un écrivain russe, qui remarquait que les Juifs communistes se comportaient avec un zèle religieux.

 

Si l’on développe la comparaison établie par Ariel Shenbal, on constate en effet que les manifestations à Tel-Aviv et ailleurs ont bien un caractère quasi-religieux, qu’on peut déceler notamment dans le caractère rituel des rendez-vous instaurés chaque samedi soir, boulevard Kaplan à Tel-Aviv ou près de la résidence du président à Jérusalem, rendez-vous auxquels les manifestants se rendent, portant leur drapeau et leurs pancartes, de manière régulière et quasi-religieuse, comme s’il s’agissait d’un commandement divin.

 

Parmi les autres rituels développés autour des manifestations, mentionnons les cris de “Boucha !” (Honte !) ou de “Demokratia !”, scandés et répétés avec une ferveur qui confine parfois à l’extase. Les rites “expiatoires” consistant à scander les noms d’hommes politiques particulièrement honnis, comme ceux de Yariv Levin ou de Simha Rothman, comme s’il s’agissait non seulement de les vouer aux gémonies, mais de les “maudire” au nom de la religion progressiste.

 

Cette religion progressiste a aussi ses “livres religieux”. J’ai pu ainsi consulter deux “Haggadot” rédigées à l’occasion de Pessah, comportant un florilège de textes écrits par des écrivains, des militants et des dirigeants politiques. Ce qui caractérise ces Haggadot, si l’on les compare aux “Haggadot” israéliennes classiques utilisées jadis dans les kibboutz, est le caractère à la fois “laïc” de leur inspiration et le zèle quasi-religieux qui les anime.

 

Mais ce ne sont là que les aspects les plus anodins – et inoffensifs – de cette religion progressiste. Comme toutes les religions, elle a aussi ses courants plus radicaux et sectaires. Ceux-ci prennent la forme, dans les manifestations anti-gouvernementales des derniers mois, de protestations plus extrêmes, dirigées contre les membres du gouvernement, leurs familles et leurs partisans, ou contre l’ensemble du public juif orthodoxe (comme ce couple agressé dans sa voiture).

 

Un exemple récent nous a été donné ce shabbat par l’agression du député Simha Rothman à New York par un groupe de manifestants israélo-américains, qui l’ont harcelé dans la rue, alors qu’il se promenait avec son épouse. Quand l’organisatrice de la manifestation a été interrogée à la radio israélienne pour expliquer la motivation de son agression, elle a dit tout simplement que c’était un “devoir de s’opposer à ceux qui transforment Israël en dictature”... Elle a même été jusqu’à porter plainte contre le député Rothman, accusé de s’être défendu contre ses agresseurs (plainte qui a été classée par la police de New-York).

 

Dans l’esprit des adeptes de la religion progressiste, il n’y a de place pour le moindre doute. Leur religion leur enjoint de combattre le gouvernement démocratiquement élu d’Israël par tous les moyens, y compris violents… Dans la suite de cet article, nous nous tenterons de comprendre qui sont les “prêtres” de cette religion progressiste en Israël. (à suivre)

P. Lurçat

 

 

NB Je donnerai une conférence sur mon dernier livre lundi 5 juin 2023 à l’espace francophone d’Ashdod à 19h00.

La religion progressiste contre la Torah d’Israël (I)

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La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

March 12 2023, 16:27pm

Posted by Pierre Lurçat

La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

Les phénomènes politiques et sociaux, comme l’ensemble des phénomènes humains, ont rarement une explication unique. Dans les lignes qui suivent, je voudrais avancer trois explications possibles - qui ne s’excluent pas mutuellement – à la crise politique actuelle en Israël.

 

1ère explication : une immense manipulation politique et médiatique

 

Le premier niveau d'explication est celui du mensonge politique et médiatique sans précédent, auquel nous assistons depuis plusieurs semaines. Comme souvent, ce mensonge est d'autant plus efficace qu'il est grossier. En qualifiant de "putsch" et de "révolution" antidémocratique une réforme légitime, qui vise précisément à rétablir la séparation des pouvoirs et la démocratie authentique, les médias israéliens et les chefs de l’opposition recourent à une rhétorique mensongère éhontée, qui prétend priver les électeurs israéliens de leur victoire, sous couvert de "sauver la démocratie".

 

Il n'est pas anodin que cette manipulation politique et les manifestations qui l'accompagnent soient orchestrées avec le soutien logistique considérable des ONG à financement étranger, auxquelles la Cour suprême a donné un droit de regard sur la politique intérieure israélienne. A travers la protestation contre la réforme judiciaire, c'est en fait un enjeu de pouvoir fondamental qui se joue actuellement : le peuple d'Israël va-t-il reprendre le pouvoir qui lui a été confisqué par la Cour suprême, au moyen de l'intervention grandissante de cette pléiade d'ONG, véritable cheval de Troie de puissances étrangères, à l'intérieur de la vie publique israélienne ?

 

2eme explication : une guerre intestine

 

Ce qui nous amène à la deuxième explication, celle de la guerre intestine. Les appels répétés à la guerre fratricide et à l'effusion de sang des dirigeants de l'opposition, qui sont pour la plupart (à l'exception de Yair Lapid) des généraux en retraite, comme l'a observé récemment Shmuel Trigano, sont évidemment révélateurs. Dans l’ethos fondateur de la gauche israélienne, la guerre fratricide est toujours salvatrice, depuis la "Saison", l'Altalena et le "canon sacré" de David Ben Gourion et jusqu'à l'expulsion des valeureux habitants du Goush Katif, chassés jusqu'au dernier d'entre eux de leurs maisons manu militari pour faire la place au gouvernement du Hamas, avec la bénédiction de la Cour suprême (sauf une voix, celle du juge sépharade Edmond Levi, véritable “juste à Sodome”)

 

Dans la guerre fratricide que ce quarteron de généraux à la retraite appelle de tous ses vœux, tous les moyens sont légitimes, de l'incitation à la haine et au meurtre jusqu'à la désobéissance civile et au refus d'obéissance de soldats de réserve… A travers cette lutte intestine, c'est l'avenir d'Israël qui est en jeu, avenir qui est menacé par des acteurs étrangers puissants (démocrates américains, Union européenne, etc.) qui étaient déjà présents lors des précédentes phases de la lutte d'Israël pour sa survie. La gauche israélienne, à travers sa dernière mutation au visage wokiste - le camp hétéroclite des "Tout sauf Bibi" -  n'a aucun complexe à s'allier aux ennemis de l'extérieur et de l'intérieur pour atteindre ses objectifs.

 

3eme explication : un conflit d’identité

 

Les deux explications qui précèdent sont évidemment insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel, qui dépasse de loin tout ce qu'on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un troisième niveau, symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte et d'expliquer cette violence. Ce niveau, largement impensé au sein de l’opposition, porte sur l'identité profonde d'Israël en tant que peuple et en tant que nation… Il peut être formulé ainsi : Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l'émancipation - assimilation ?

 

Dans cette perspective, l'opposition violente et le mouvement de panique auxquels on assiste actuellement sont à la hauteur de l'espoir qu'un État plus juif fait naître chez ses partisans. Ce qui apparaît à ces derniers comme la réalisation des promesses bibliques semble pour les premiers signifier la fin de leur idéal laïc et occidental. Affrontement irréductible entre deux visions qu'on avait cru compatibles et qui s'avèrent aujourd'hui radicalement opposées. L'avenir dira si nous assistons à un progrès sur la voie de la rédemption ou bien, à Dieu ne plaise, à une terrible régression.

Pierre Lurçat

La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :

(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

 

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Non Monsieur BHL, les “Gilets jaunes” ne sont pas des ligueurs et des fascistes! par Pierre Lurçat

November 21 2018, 17:40pm

Posted by Pierre Lurçat

Non Monsieur BHL, les “Gilets jaunes” ne sont pas des ligueurs et des fascistes!  par Pierre Lurçat


 

En tant qu’Israélien ayant quitté la France depuis plus de vingt-cinq ans, je suis l’actualité française avec une certaine distance, plus géographique qu’affective. Je suis parfois tenté de faire mien le diagnostic de Guy Millière - “la France que j’ai aimée est en train de disparaître” - diagnostic que partagent de nombreux Israéliens d’origine française, et notamment ceux qui ont grandi, comme moi, dans la France des “Trente glorieuses”. C’est pourquoi j’observe avec un intérêt non dénué de sympathie le mouvement de protestation populaire des “Gilets jaunes”, dont la vague déferle actuellement sur l’Hexagone. A titre personnel, il m’a rappelé des souvenirs anciens, ceux des premières années de mon alyah, qui ont coïncidé avec la tragique période des Accords d’Oslo.

 

A l’époque, une large fraction du peuple d’Israël avait tenté, tant bien que mal, d’exprimer son opposition à ces accords funestes, dont les esprits les plus lucides savaient bien qu’ils n’apporteraient nulle “paix”, mais seulement du sang et des larmes. Une des formes que prit cette opposition populaire fut celle des “grassroot movements” (mouvements de la base) - dont les plus actifs furent les “Femmes en vert” de Nadia Matar, et Zo Artseinou (“C’est notre terre”) de Moshé Feiglin. Comme en France aujourd’hui, il s’agissait de mouvements de protestation spontanés, largement inorganisés, qui exprimaient le ras-le-bol du peuple (le petit peuple, “Am’ha” comme on dit en hébreu), contre la politique inique d’une classe politique largement coupée du peuple et de ses préoccupations (on se souvient du mépris souverain affiché par Itshak Rabin pour les opposants à sa politique…). Nous avons vécu un remake tragique de cette période, dix ans plus tard, lors de la destruction du Goush Katif, erreur monumentale dont Israël n’a pas fini de payer le prix à ce jour.


 

Manifestation des “ketoumim” - (les “Oranges”) contre l’expulsion du Goush Katif

 

Bien entendu, tout cela a peu à avoir avec la France d’aujourd’hui… Les “Gilets jaunes” ne sont pas les “Femmes en vert”, ni les t-shirts Orange du Goush Katif, et leur protestation a des motivations principalement économiques et fiscales, dans la plus pure tradition française de la Fronde, (que j’ai découverte, comme beaucoup d’adolescents, dans les romans d’Alexandre Dumas). Mais ces mouvements ont des points communs : la protestation populaire et non violente, et la répression dont elle fait l’objet de la part de la police, soutenue par les grands médias, en France aujourd’hui comme en Israël hier.


 

Le 6 février 1934, place de la Concorde

 

C’est pourquoi j’ai lu avec un certain amusement la réaction de Bernard Henri Lévy, qui comparait, lors de la Convention nationale du CRIF, les “gilets jaunes” actuels aux Ligueurs de 1934. “Le vrai précédent”, écrit-il, “c’est le 6 février 1934 et ce cortège de Ligards… qui se sont dirigés vers l’Elysée et se sont proposés de l’investir avec des slogans qui n’étaient pas très différents de ceux des Gilets jaunes d’aujourd’hui” (1). Et pour appuyer sa “démonstration” (qui n’en est pas une…), BHL recourt, comme d’habitude, à ses vieilles manies d’étudiant en khâgne bien appliqué, citant pêle-mêle Descartes, Spinoza, Drieu la Rochelle, la Bible, le Talmud et les Grecs (et les ratons laveurs?), tout cela pour prouver que les “Gilets jaunes” ne sont pas le “bon” peuple, mais le “mauvais” peuple (sic). (J’ajoute que son mépris pour le petit peuple français n’a d’égal que celui qu’il a manifesté envers le peuple américain, qui a porté au pouvoir Donald Trump).

 

La reduction ad hitlerum ne marche plus!

 

Ce discours appelle deux remarques. La première, c’est que la reductio ad hitlerum (ou ad 1934, ce qui revient au même en l’occurrence) ne marche plus. La preuve la plus éclatante nous a été donnée par le président français Emmanuel Macron en personne - celui que BHL prétend défendre contre le danger des “Ligards” en gilets jaune - qui affirmait tout récemment que l’Europe revenait aux années 1930 (avant de prétendre quelques jours plus tard rendre hommage au maréchal Pétain, ce qui ne manque pas de sel). Non, monsieur BHL, la France et l’Europe aujourd’hui ne sont pas revenues dans les années 1930… Cessez une fois pour toutes de traiter les Français de fascistes et de nazis en puissance, refrain que vous ne cessez de répéter, comme un disque rayé, depuis votre livre L’idéologie française


 

Les “Gilets jaunes” bloquant une route en Charente


 

Les juifs appartiennent aussi à la “France d’en bas”

 

La deuxième remarque, c’est qu’il est politiquement maladroit, voire dangereux, pour un intellectuel juif (d’autant plus lorsqu’il s’exprime devant la Convention nationale du CRIF), de se livrer à de telles comparaisons. La communauté juive est en effet, à l’image de la communauté nationale française, politiquement diverse et divisée, et il y a sans doute parmi les manifestants des Gilets jaunes des Français juifs, qui souffrent eux aussi de la hausse des impôts et du carburant et qui partagent les préoccupations de leurs concitoyens non-juifs. (De même que le “nouvel antisémitisme” dont souffrent les Juifs, a son pendant dans le racisme anti-français).

 

Divisés politiquement, les juifs de France le sont aussi sur le plan socio-économique, comme l’ont démontré les événements des deux dernières décennies, et l’exode intérieur des juifs de certaines banlieues. Faire croire, comme le fait BHL, que les juifs appartiendraient exclusivement à la “France d’en haut”, et qu’ils auraient l’obligation morale de soutenir le pouvoir et de s’opposer à tout mouvement populaire (“populiste’”) - au nom d’un prétendu devoir de mémoire utilisé à mauvais escient - est une erreur politique, et peut-être aussi une faute morale. C’est en tout cas une faute de goût.

Pierre Lurçat

 

NB Mon livre Israël, le rêve inachevé, paraît ce jeudi aux éditions de Paris/Max Chaleil.

 

(1) https://www.lepoint.fr/editos-du-point/bernard-henri-levy/bhl-qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-20-11-2018-2272880_69.php

 

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