« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »: Quand les militants juifs font leur mea culpa
A l'occasion de la venue en Israël de dirigeants politiques français du RN, je publie ici un extrait de mon dernier livre, L'étoile et le poing, dans lequel des militants juifs s'interrogent sur la validité de leur combat contre l'extrême-droite et sur l'éventuelle manipulation politique dont ils ont pu être victimes de la part du pouvoir à l'époque (celui de François Mitterrand). Ces témoignages sont une pièce à porter au dossier, l'histoire éclairant - ici comme ailleurs - l'actualité. P.L.
Une des questions soulevées par plusieurs des militants interrogés dans le cadre de notre enquête est celle d'une éventuelle instrumentalisation de l'activisme par le pouvoir politique. Le premier de mes interlocuteurs qui a avancé cette hypothèse est Rafael, entraîneur et dirigeant de l'OJD, qui parle non seulement d'une erreur d'appréciation politique de la part des mouvements activistes, mais aussi d'une véritable « manipulation » du pouvoir :
« Nous avons commis une grave erreur en nous focalisant sur l’extrême-droite néo nazie, car on a négligé l’islamisme et l’extrême-gauche… Trente ans plus tard, nous devons analyser cette erreur… Nous avons mis tous nos œufs dans le même panier. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on a été manipulés par le gouvernement, et j’en ai la preuve formelle! Je vais te raconter une anecdote pour illustrer mon propos, et j’en ai une dizaine du même acabit…
Un jour, il était une heure du matin, on apprend que des néonazis sont en train de sabler le champagne… On les attend à la sortie, rue Caillaux. On poursuit un garde du corps de Pierre Sidos… On lui tombe dessus… Le type a perdu l’usage de ses membres… Juste après des motards de la police nous aperçoivent et nous braquent avec leur arme, avant de nous embarquer au poste.
Je suis passé devant le juge d’instruction, le policier a déposé nous avoir vus en flagrant délit. De l’autre côté il y avait des parties civiles… Je me suis retrouvé devant le juge Pinceau, qui m’a dit ‘J’ai six témoins contre vous’. Je lui ai répondu ‘ce n’est pas moi’ et alors il m’a dit ‘Rentrez chez vous, vous êtes libre!’ Conclusion : nous avons été interpellés en flagrant délit de grande violence, et il n’est pas normal que nous soyons sortis au bout de quarante-huit heures, sans procès… »
Ce récit soulève plusieurs questions différentes : la première est celle d'une erreur de jugement politique dans l'appréciation de « l'ennemi principal », hypothèse qu'on retrouvera dans la bouche de plusieurs militants. La seconde est celle d'une instrumentalisation de l'activisme juif au service du pouvoir politique, accusation lourde de conséquences... Pour étayer son propos, Rafael évoque l'affaire de l'attentat de la rue Copernic :
« Après Copernic, tous les hommes politiques sont montés au créneau contre l’extrême- droite, alors qu’elle n’avait rien à voir là-dedans… »
- Tu ne l’as pas compris à l’époque ?
- Non, seulement beaucoup d’années plus tard. J’ai compris que Mitterrand avait utilisé l’extrême-droite pour asseoir son pouvoir… »
- Il n’y a pas eu de débat interne au mouvement ?
- A l’époque du Bné Zeev, on frappait indistinctement les deux extrêmes (Malliarakis, Sidos…). Mais avec l’OJD, c’était uniquement les nazis…
- En conclusion, penses-tu que les militants juifs de l’OJD ont été manipulés ?
- Je suis convaincu qu’on a fait une erreur et que celle-ci a été renforcée par la manipulation. Avec le recul, il est clair qu’il y avait un trop grand laxisme de la part de la police pour que cela ne soit pas lié à une manipulation politique, provenant de Joxe et de Mitterrand ».
- Dans quel but auraient-ils selon toi réalisé cette manipulation ?
- Je pense que plus on agitait le spectre de l’extrême-droite en tant qu’ennemi de la République, plus Mitterrand pouvait asseoir son pouvoir politique (comme dans l’affaire des Irlandais de Vincennes). J’ai la conviction qu’il a dit: ‘laissez faire les types de l’OJD, c’est bon pour nous !’Quand on a cassé le Palais des Congrès (lors de la réunion du GRECE), pas un seul de nos militants n’a été en prison, et la police est arrivée sur les lieux après notre départ…Mitterrand avait besoin d’agiter le spectre de l’extrême-droite… Ainsi les Juifs ont servi les calculs politiques de Mitterrand. Quand on a laissé sur le pavé un garde du corps (de Fredriksen?) presque mort, avec Ron, cela s’est fini par un non-lieu… L’explication selon laquelle Jean-Pierre Bloch ou Lecanuet intervenaient pour faire libérer nos militants ne suffit pas! »
Afin de tenter de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse, j'ai posé à plusieurs militants la question suivante : « L’importance de la FANE n’a-t-elle pas été surestimée ? »
Gérard S.: « A l’époque il y avait Pierre Sidos, qui était en perte de vitesse. La FANE était certes un groupuscule, mais ses militants étaient ouvertement pronazis. Ils faisaient partie d’un réseau international et entretenaient des relations étroites avec des militants néo-nazis anglais, belges, néerlandais, allemands… Ils n’étaient pas négationnistes, car ils disaient: ''Hitler n’a pas terminé le travail !'' »
Gérard G.: « Ils étaient une vingtaine. Ils avaient certes des idées radicales, mais ils ne faisaient pas grand-chose… A l’époque il n’y avait pas d’autre ennemi! Les mouvements français soutenant les Palestiniens n’existaient pas encore… On a cassé deux meetings et saccagé des librairies palestiniennes, mais cela restait marginal… »
Serge Volyner: « Pensez-vous que les mouvements juifs activistes se sont focalisés sur l’extrême-droite? Comme la FANE? – ça n’existait pas ! C’était des trublions… Ils étaient quarante! Cela ne valait pas la peine de leur péter la gueule… Mais peut-être est-ce l’âge qui me fait dire ça… On se calme avec l’âge ! »
Pilouche : « Penses-tu que cela était une erreur d’attaquer l’extrême-droite ? »
– Je pense que la communauté juive n’est pas chez elle… On n’est pas là pour régler les problèmes internes d’un pays : c’est au gouvernement de régler le problème, par exemple en dissolvant Ordre Nouveau, comme ils viennent de l’annoncer. Mais il est vrai que nous n’avons pas vu venir le danger arabe… Ceci dit, on a chargé plus de militants d’extrême-gauche à Censier que d’extrême- droite!
- Et que dis-tu de la thèse selon laquelle le mouvement juif activiste aurait été manipulé par le pouvoir politique ?
- Quand on attaquait l’extrême-droite, on était arrêtés et on sortait (du commissariat) au bout d’une heure… Mais c’était vrai également quand on attaquait l’extrême-gauche!
Gérard G.: « Pensez-vous que le mouvement activiste s’est trompé de cible en se focalisant sur l’extrême-droite? » – On était leur principal ennemi… dans les années 1980, ils avaient peur de nous! On était les ''rois de Paris…'' Quand Giscard a libéré le terroriste palestinien Abou Daoud, on était les seuls à manifester, du Palais Royal à l’Opéra. Notre slogan était « Du pétrole arabe contre du sang juif ». Aucun autre mouvement de la communauté n’a accepté de se joindre à nous… L’establishment communautaire refuse d’aller contre le pouvoir. L’extrême-droite était en fin de compte assez embryonnaire. Alors c’est vrai qu’on n’a pas été des visionnaires… Le seul dirigeant communautaire qui a eu le courage de lutter contre le pouvoir, c’est Roger Cukierman ».
« On avait cinquante ans de retard à vouloir se battre contre les nazis »
L'idée selon laquelle les mouvements activistes se seraient trompés de cible est également partagée par Eliaou, qui porte un jugement sévère sur leurs choix politiques, sous forme d'autocritique
« En mars 1973, il y avait eu un meeting d’Ordre Nouveau à la porte de Versailles. Le Betar était partagé pour savoir s’il fallait aller avec les gauchistes ou avec O.N… On s’est totalement trompés en se battant contre la FANE, au lieu de se battre contre la politique arabe de De Gaulle, Pompidou, etc. On avait 50 ans de retard à vouloir se battre contre les nazis !
C’est une autocritique que je fais en mon nom et en celui du mouvement… On aurait dû mettre notre radicalité au service d’Israël, et pas au service de la « mémoire! » Quand il y a eu l’attentat de la rue des Rosiers, on a accusé l’extrême-droite, alors que c’était des terroristes arabes. La FANE n’avait pas d’argent ni de moyens… Comme à Carpentras, le gouvernement de Mitterrand a manipulé les Juifs!
(Extrait de L’étoile et le poing, Histoire secrète de l’autodéfense juive en France depuis 1967, éditions l’éléphant/B.O.D.). En vente sur Amazon, B.O.D., au centre Begin de Jérusalem et à la librairie du Foyer à Tel-Aviv.