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Reportage à la frontière de Gaza, avec les nouveaux gardiens d’Israël, par Pierre Lurçat

July 3 2018, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Reportage à la frontière de Gaza, avec les nouveaux gardiens d’Israël, par Pierre Lurçat

 

“Il ne s’endort ni ne sommeille, le Gardien d’Israël” (Tehillim)

לג'ודית

 

J’ai quitté Jérusalem très tôt ce matin, avant 6 heures, pour être au point de rendez-vous à 9h30. La responsable du recrutement du “Shomer ha-hadash” (le “Nouveau gardien”) m’a donné rendez-vous au lieu dit du Ets ha-Boded ( “L’arbre solitaire”), promontoire d’où l’on a une vue sans pareil sur tout le nord de la bande de Gaza. Qui sont ces “nouveaux gardiens”? Ce ne sont pas des soldats d’une unité spéciale, comme celles qui se battent aujourd’hui contre le terrorisme des cerfs-volants incendiaires ou hier, contre celui des tunnels du Hamas. Non, les “nouveaux gardiens” sont les membres d’une organisation d’un genre bien particulier, qui a été créée il y a une dizaine d’années pour protéger les agriculteurs du nord d’Israël contre les vols de bétail.

 

Emblême du Chomer Ha-hadash


 

Quel rapport avec les événements actuels à Gaza? Avant de répondre à cette question, un petit rappel historique est nécessaire. Le Chomer est une des premières organisations juives d’auto-défense créée en Eretz-Israël en 1907. Ses membres se déplaçaient à cheval et étaient vêtus comme des bédouins.

 

 

Les chomrim appartiennent à l’histoire de renouveau du militarisme juif en Eretz-Israël, et constituent un jalon important dans la préhistoire de Tsahal. J’ajoute, pour la petite histoire, que mon grand-père en a fait partie, quelques années après son alyah, au lendemain de la Première Guerre mondiale.


 

Mon grand-père, Yossef Kurtz, en costume de Chomer

 

C’est dans un esprit similaire à celui des Chomrim de l’époque qu’une poignée de jeunes Israéliens ont créé le Chomer Ha-hadash en 2007. Pour protéger les agriculteurs de Galilée face à la recrudescence des vols de bétail et de matériel agricole, contre lesquels la police était largement impuissante, et retrouver l’esprit “halout’s” (pionnier) qui animait les premiers Chomrim. Je suis entré en contact avec eux après avoir lu un reportage dans Israel Hayom, et j’ai décidé de me rendre sur place, à la frontière de Gaza.

 

Ashkélon. Je monte dans le train en direction du Sud. Le wagon est à moitié vide. Quelques soldats endormis (pour récupérer un peu de sommeil en “posant la tête” selon l’expression d’argot consacrée). Il n’y a rien de l’atmosphère de tension qui caractérise le pays dans les périodes d’avant-guerre. Le terrorisme des incendies est une forme de guerre à basse intensité, et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles Israël n’a pas su lui donner, pour le moment, la réponse appropriée. En attendant, ce sont les civils autour de Gaza qui en souffrent le plus, et ce sont d’autres civils, venus de tout le pays, qui ont décidé de se mobiliser pour aider à prévenir et éteindre le feu ennemi qui dévore les champs autour de Gaza.

 

Sdérot. La dernière fois que je me suis rendu à Sdérot, la ville la plus au sud d’Israël sur la côte méditerranéenne, c’était juste avant la “Hitnatkout” (le retrait de Gaza), lors des immenses manifestations qui ont presque réussi à empêcher cette décision catastrophique, dont Israël continue de payer le prix stratégique jusqu’à ce jour. Le terrorisme incendiaire n’est certes pas né hier (car il est aussi ancien que le conflit israélo-arabe). Mais c’est le retrait de Gaza, sur la décision du gouvernement d’Ariel Sharon, qui a installé le Hamas au pouvoir, on ne le rappellera jamais assez. Beaucoup d’esprits sagaces avaient à l’époque mis en garde contre cette décision funeste, mais comme l’avait expliqué un jour Max Nordau à Jabotinsky, “Israël n’apprend pas par l’expérience, il n’apprend que par les catastrophes”.


 

Max Nordau (1849-1923).

 

Nir-Am. Je suis accueilli par Maayan, responsable du Chomer Ha-hadash, sur le parking de la station d’essence du kibboutz Nir-Am. Elle est volontaire depuis 5 ans, et passe plusieurs nuits par semaine à faire des gardes, tout en travaillant la journée. Elle boîte légèrement, après s’être blessée en plongeant dans une source, sport favori de beaucoup de jeunes de son âge. Elle s’exprime avec simplicité, sans la moindre trace de pathos ou de grandiloquence, et moi je pense en l’écoutant, ‘quelle belle jeunesse nous avons…’ Menahem, l’autre volontaire qui doit partager la garde avec moi, nous rejoint et nous montons ensemble vers le promontoire de “l’arbre solitaire’. C’est un endroit très connu de la région, lieu de visite touristique d’où on jouit d’une vue extraordinaire sur tous les alentours, jusqu’à Ashkélon et aux faubourgs d’Ashdod au nord.

 

Mais quand la situation se réchauffe à la frontière de Gaza, c’est surtout un point d’observation stratégique. Notre mission est très simple : surveiller la moindre trace de fumée ou de feu, et prévenir immédiatement les responsables du Chomer Ha-hadash et les pompiers (ainsi que l’armée). Tout est apparemment calme dans notre secteur. Durant notre garde de 5 heures, nous n'entendrons que quelques détonations lointaines et n’apercevrons qu’une vague colonne de fumée à l’horizon. Ce calme apparent n’est pourtant qu’illusoire. Plus au Sud, où d’autres volontaires du Chomer Ha-hadash sont postés, des débuts d’incendie sont repérés et traités à temps.

 

Résultat de recherche d'images pour "‫ניר עם שריפות‬‎" Incendies de champs autour du kibboutz Nir Am

 

Menahem est un jeune retraité, qui était chercheur au ministère de l’Agriculture, spécialiste de l’eau. Il connaît bien la région, pour voir sillonné les kibboutz des environs dans le cadre de son travail. Volontaire du Chomer Ha-hadash depuis plusieurs années, il m’explique comment l’organisation, très modeste à ses débuts, s’est développée au point de devenir un acteur important de la lutte contre les vols et le vandalisme en zone agricole, qui travaille en collaboration étroite avec plusieurs organismes officiels, dont la police, le ministère de l’Agriculture et le KKL.

 

Notre conversation est interrompue par la visite d’un groupe bruyant de visiteurs : une vingtaine d’hommes, parlant moitié hébreu moitié arabe. Les plus jeunes ont l’air d’être des soldats d’une unité d’élite, tandis que les plus âgés ressemblent à des retraités de l’armée. Le chef du groupe parle de la situation à Gaza et à la frontière, avec beaucoup de détails, sans se soucier trop de notre présence (on nous a seulement demandé de ne pas les photographier). Ce sont apparemment, me dis-je en les écoutant, des membres d’une unité spéciale qui connaît bien la région, y compris de l’autre côté de la frontière. Un instant, j’ai l’impression d’être dans un nouvel épisode de la fameuse série Fauda.

 


 

Menahem me raconte ses voyages professionnels en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Il est légitimement fier du savoir-faire accumulé par Israël en l’espace de quelques décennies. Je lui parle de l’époque où les pionniers de l’agriculture en Eretz-Israël allaient faire leurs études d’agronomie en Europe (et en France notamment, à l’université de Nancy et de Toulouse, où étudia la poétesse Rahel). Aujourd’hui, Israël vend son savoir-faire en matière agricole (et d’irrigation notamment) dans le monde entier. Menahem connaît très bien le sujet. Il me parle aussi des Chinois qui se sont mis à l’étude du Talmud, convaincus que c’est là que réside le secret de la réussite israélienne… Le secret de notre peuple ? Je ne m’aventurerai pas à donner d’explication. D’autres l’ont fait mieux que moi. Parmi eux, le prophète Bilaam, évoqué dans la parasha que nous avons lue samedi dernier. « Oui, je le découvre, ce peuple, il vit solitaire, il ne se confondra point avec les nations. » (Nombres 23:9).

 

Notre garde s’est achevée sans incident particulier et j’ai repris la route de Jérusalem. En arrivant en fin d’après-midi, j’entends à la radio que plusieurs incendies ont éclaté à la frontière de Gaza et qu’ils ont été maîtrisés. Je pense aux jeunes membres du Chomer Ha-hadash et aux volontaires, jeunes et moins jeunes, venus des quatre coins de notre petit et grand pays pour protéger les champs autour de Gaza.

P. Lurçat

NB Vous pouvez aider le Chomer Ha-hadash par vos dons. https://eng.hashomer.org.il/

 

Mon nouveau livre, Israël le rêve inachevé, paraîtra à la rentrée aux éditions de Paris.

 

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Demophrénia, de Paul Eidelberg : Israël et la maladie de la démocratie, par Pierre Lurçat

June 28 2018, 05:49am

Posted by Pierre Lurçat

Demophrénia, de Paul Eidelberg : Israël et la maladie de la démocratie, par Pierre Lurçat

 

Demophrénia : Israël et la maladie de la démocratie, par Pierre Lurçat


 

Lorsque l’une des “plus puissantes armées du monde” se retrouve quasiment impuissante, face à quelques dizaines de terroristes armés de cerfs-volants et de ballons incendiaires, chacun peut comprendre que le problème fondamental auquel Israël est confronté aujourd’hui n’est pas militaire, mais avant tout moral. Il s’agit essentiellement d’un problème de perception de soi et d’aveuglement volontaire. On peut le définir dans les termes suivants : Israël ne sait pas comment triompher du Hamas, parce qu’il est dépourvu de la conviction intime, tant morale que politique, que la victoire est possible et nécessaire. Un livre de Paul Eidelberg, paru il y a plus de 20 ans, peut nous aider à comprendre pourquoi.

 

Il est regrettable que le nom de son auteur soit quasiment inconnu du public francophone. Ce spécialiste de philosophie politique, qui a enseigné à l’université Bar Ilan, est en effet un des plus fins observateurs critiques de la vie politique israélienne. Il a grandi aux Etats-Unis, où il a été l’élève de Leo Strauss. Dans un livre autobiographique, il relate comment il a découvert, après son alyah en 1976, à quel point l’université israélienne était perméable aux conceptions occidentales et notamment au relativisme moral, et comment Israël était ainsi amené à douter de la justesse de sa cause face à ses ennemis.

 

La thèse centrale de son livre Demophrenia est que le système démocratique souffre d’une maladie congénitale, qui consiste à traiter comme égales des choses qui ne le sont pas, ou plus précisément à “appliquer les principes démocratiques  d’égalité et de liberté à des conflits idéologiques, dans lesquels une de ces parties rejette ces mêmes principes”. En d’autres termes, et pour dire les choses plus simplement, Eidelberg analyse et critique l’attitude des pays démocratiques, confrontés à des ennemis qui ne le sont pas, qui s'obstinent à les traiter comme s'ils leur étaient semblables.

 

Les exemples sont nombreux dans l’histoire du vingtième siècle, mais c’est le cas d’Israël qui a intéressé le plus Eidelberg. Pourquoi l’Etat juif est-il incapable de vaincre ses ennemis, alors même qu’il jouit d’une supériorité militaire et morale ? Qu’est-ce qui empêche Israël de transformer ses victoires militaires en victoires politiques? Cette question récurrente depuis 1967 a pris une acuité brûlante à l’époque des accords d’Oslo. Les analyses de Paul Eidelberg s’appuient non seulement sur la philosophie politique, qu’il a étudiée à la meilleure école, celle de Leo Strauss, mais aussi sur les sources juives qu’il a reçues de son maître aux Etats-Unis, le rav Chaim Zimmerman.


 

Leo Strauss et Rabbi Chaim Zimmerman

 

La politique des “territoires contre la paix” mise en pratique par les gouvernements israéliens de droite comme de gauche n’était pas seulement, rappelle Eidelberg, une victoire de la ruse arabe et soviétique. Elle était avant tout la conséquence d’un “défaut fondamental de la mentalité démocratique des élites politiques et intellectuelles d’Israël”. Demophrenia est une tentative brillante pour tenter d’analyser et de comprendre ce défaut fondamental. (J’ajoute que je me suis moi-même intéressé à cette question cruciale, et ai tenté d’y apporter des éléments de réponse dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, paru en 2016 et écrit avant de connaître les travaux de Paul Eidelberg).

 

Le slogan “les territoires contre la paix”, qui est devenu un leitmotive de la politique israélienne depuis Camp David (rappelons que c’est un gouvernement de droite qui a mis en oeuvre cette politique pour la première fois), repose sur une vision fondamentalement erronée des rapports entre Israël et le monde arabo-musulman. Elle comporte en effet, explique Eidelberg, un mépris et une totale méconnaissance de la culture musulmane et arabe, dans laquelle la notion même de paix (au sens occidental d’une situation durable et idéale) n’existe pas ! *

 

Les “territoires contre la paix” : de Camp David à Oslo


 

Dans des pages éclairantes de son livre, Paul Eidelberg explique ainsi comment l’Occident a cru qu’il était possible de résoudre le conflit israélo-arabe, en lui appliquant les concepts de civilité, de primauté de l’individu sur le groupe et de liberté d’expression - notions inhérentes à la démocratie et essentielles pour notre civilisation, qui n’ont pas d’équivalents dans le monde musulman aujourd’hui. “L’humilité et la mentalité cherchant à s’évader du réel (escapist mentality) des dirigeants sionistes et leur incapacité à répondre de manière appropriée à l’hostilité arabo-islamique est typique de l’humanisme laïque. On pourrait même qualifier cette mentalité de ‘christianisme sécularisé’, car elle prône l’effacement de soi et la bienveillance envers ceux qui vous haïssent”. C’est précisément cette mentalité et cette attitude de fuite du réel qu’il explique par le concept de demophrénie. “Les personnes atteintes de demophrénie ont tendance à s’identifier à leurs ennemis et à céder à toutes leurs demandes”.

 

Analysant l’attitude de plusieurs gouvernements israéliens depuis 1948 face à l’hostilité arabe, Paul Eidelberg écrit encore : “le gouvernement d’Israël est paralysé par des contradictions exacerbées. Il tente d’échapper à l’anarchie en recourant à la logique de la symétrie [entre Israël et ses ennemis]. Mais la réalité, celle de l’islam, se refuse à conclure la paix avec ce gouvernement demophrénique. Les actes occasionnels d’auto-affirmation de ce dernier apparaissent comme des flashes “d’assymétrisation”, dans un monde plongé dans une ‘unité symétrique’. Isolé dans un océan d’hostilité arabe, Israël s’extasie sur son image au sein du monde démocratique. L’ironie atteint des proportions bibliques : du fait que le gouvernement demophrénique d’Israël ne peut pas fonder sa politique envers les Arabes sur la vérité, il est constamment la victime de mensonges. Aspirant à l’acceptation des nations, Israël est condamné sans relâche par les Nations unies”.

 

Incendie à la frontière de Gaza


 

Ces lignes écrites il y a plus de vingt ans ans n’ont rien perdu de leur actualité. Les récents événements à la frontière de Gaza illustrent parfaitement le concept de demophrénie créé par Eidelberg pour décrire l’attitude du gouvernement israélien (qu’il s’agisse de celui d’Itshak Rabin à l’époque, ou de B. Nétanyahou aujourd’hui). Face à des ennemis voués à sa destruction, Israël continue, aujourd’hui comme hier, de tergiverser et d’hésiter entre inaction et auto-défense, entre l’attentisme et la riposte, entre la volonté illusoire de plaire aux nations et la nécessité impérieuse de contre-attaquer et de vaincre ses ennemis.

 

Pierre Lurçat

 

*  Voir sur ce sujet, en français, les analyses classiques de B. Lewis, Le langage politique de l’islam, d’Emmanuel Sivan, Mythes politiques arabes, et bien entendu les travaux pionniers de Bat Ye’or.

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Chanter la Hatikva dans les universités est vital pour Israël, Daniel Gordis

June 21 2018, 13:30pm

Posted by Daniel Gordis

Chanter la Hatikva dans les universités est vital pour Israël, Daniel Gordis

 

Daniel Gordis, vice-président et chercheur à la Faculté Shalem de Jérusalem, note avec inquiétude que certaines universités israéliennes ont renoncé à chanter la Hatikva, l’hymne national israélien. Pour lui, "l'ouverture intellectuelle ne doit pas conduire à l'abaissement de soi. Prendre soin des Arabes ne doit pas se faire au détriment de l’engagement à reconstruire le peuple juif dans sa patrie ancestrale". 


« Année après année, une université israélienne annonce que l'une de ses facultés ne chantera pas la Hatikva. Cette année, c’est l’université de Tel Aviv qui a fait cette annonce. L'an dernier, c'était l'Université hébraïque de Jérusalem, et quelques années plus tôt, l'Université de Haïfa. La raison invoquée, sans surprise, était que les professeurs des facultés de sciences humaines ne voulaient pas mettre les diplômés arabes ou leurs familles dans une situation… inconfortable. C’est un argument dangereux. Les Arabes israéliens savent bien qu'ils vivent dans un État juif. Et malgré toute la complexité qu'implique pour unArabe de vivre dans un État expressément juif, personne ne doit être surprisque l'hymne national soit chanté lors d'une cérémonie de remise des diplômesdans une université publique. Lorsque Dorit Beinisch a démissionné de la Cour suprême en 2012, les juges se sont réunis, et à l'issue d'une soirée émouvante au cours de laquelle elle a évoqué la mort de ses grands-parents pendant laShoah, ils ont chanté la Hatikva.
L'un des juges présents était Salim Joubran, un Arabe israélien. Les caméras de l'événement l'ont montré se tenant debout, respectueusement, mais ne chantant pas. Comme on pouvait s'y attendre dans la société israélienne, certains dirigeants de droite vilipendèrent Joubran, mais la plupart des Israéliens eurent de la sympathie pour lui et de l’admiration pour la dignité avec laquelle il se comporta. Après tout, de nombreux Israéliens se demandaient pourquoi un Arabe israélien (chrétien maronite) chanterait un hymne qui commence par : "Tant que le coeur intérieur, une âme juive aspire" et continue "Notre espoir n'est pas encore perdu, d’être une nation libre dans le pays de Sion... » Même les autres juges, y compris les conservateurs, prirent la défense de Joubran. "Les citoyens arabes ne devraient pas être tenus de chanter des mots qui ne parlent pas à leurs coeurs et ne reflètent pas leurs racines", déclara le juge Elyakim Rubinstein.
Les étudiants arabes diplômés des universités financées par l'Etat pourraient donc suivre le modèle de Joubran, et s'ils veulent demander (de façon légitime) à Israël d'être plus attentifs à ses minorités, ils seraient bien mieux avisés de rester silencieux pendant la Hatikva, que de se joindre au chant d'Arik Einstein "Vous et moi changerons le monde" (que la faculté des sciences humaines de l'Université de Tel Aviv a choisi de chanter au lieu de Hatikva) où ils ne furent pas du tout remarqués.

Le fait de ne pas chanter la Hatikva lors d’une cérémonie universitaire nationale prend ses racines dans un phénomène plus ancien que l'Etat lui-même. Judah Magnes, qui fut le premier recteur de l'Université hébraïque et, plus tard, président de cette université, futl'un des leaders du mouvement Brit Shalom, un mouvement qui s'opposa largement à la création d'un Etat juif. Pourtant, l’idée d’un Etat binational (comme l'histoire des juifs en Afrique du Nord le dira plus tard) fut un pétard mouillé. Comment une minorité juive aurait-elle vécu dans un tel Etat ? Certains décideurs sionistes trouvèrent l'idée si absurde qu'ils ne crurentjamais que Magnes et ses collègues avaient réellement l'intention de créer un État binational. Au contraire, déclara Berl Katznelson, parmi les géants intellectuels du sionisme ouvrier, l'idée d'un Etat binational n'était autre qu'un subterfuge. Brit Shalom, pensait-il, cherchait vraiment la création d'un Etat arabe. Que l’interprétation de Katznelson soit correcte ou non, elle indique à quel point Magnes était loin du courant principal, ce qui explique le fait que Magnes ait servi pendant de nombreuses années à la direction de l'Université hébraïque.
Plus étonnant encore que le fait que les facultés des sciences humaines aient décidé de ne pas chanter la Hatikva, c'est la nonchalance relative des Israéliens qui ont appris cette nouvelle. Peut-être considèrent-ils que les universitaires ne sont pas à prendre au sérieux, qu’ils sont une classe intellectuelle complètement déconnectée du peuple. Peut-être. Mais la nonchalance est dangereuse, car elle permet de légitimer la délégitimation de l'idée fondatrice d'Israël, la création d'un État qui serait spécifiquement dédié à l'épanouissement d'un peuple, le peuple juif.
Regarder Israël à travers un objectif américain, jeffersonien, c'est voir un pays étrange. Mais c'est justement cela. Israël n'a jamais été destiné à être une démocratie libérale créée à partir du moule américain. C'est une démocratieethnique, quelque chose d'entièrement différent. Les premiers mots de la Déclaration d'Indépendance que Jefferson écrivit furent "Quand, au coursdes événements humains", tandis que la déclaration d'Israël commence par"En terre d'Israël, le peuple juif est né". Tout le reste n’est que commentaire.

Alors oui, il sera toujours difficile d'être un Arabe dans un Etat juif, cela oblige à la fois les Arabes et les Juifs à avoir une pensée créative nuancée. Abandonner l'hymne, c'est admettre qu'on ne peut plus défendre l'idée de ce qu'est ce pays. Abandonner la Hatikva, c'est oublier volontairement le désir de liberté qui a propulsé le sionisme, à l’origine de la création de notre Etat. Abandonner l'hymne, ce n'est pas être inclusif, mais détruire l'idée même pour laquelle Israël existe. Une fois que cette idée aura disparu, pour quel motif resterions-nous ici ? Quand les institutions israéliennes d'enseignement supérieur expriment un malaise apparent avec l'idée d'un Etat juif que notre hymne incarne, ce n'est pas un vague écho, mais une menace pour la pérennité de l’ethos national et la survie du pays. "Mais que pouvons-nous faire ?" répondent les administrateurs des universités. La faculté a voté et la haute administration dit qu'elle n'a aucun contrôle sur ces décisions facultaires. C'est peut-être vrai, mais leur réponse révèle un aveuglement conscient face à ce que les politologues appellent le «soft power».

 

La réponse, au moins pour certains d'entre nous, fut de créer une institution d'enseignement supérieur intellectuellement ouverte, politiquement diversifiée et, sans réserve, sioniste. Lorsque nous avons lancé la faculté Shalem il y a cinq ans, nous avions parié que si les étudiants les plus brillants d'Israël se réunissaient pour lire ensemble Homère et Platon, Aristote et Maïmonide, les journaux fédéralistes et les grands penseurs sionistes, nouspourrions aider à créer la génération des futurs dirigeants israéliens qui ne prendraient pas refuge derrière des slogans sionistes fatigués, mais qui pourraient s'engager dans un discours continu sur la liberté et l'appartenance, le particularisme tempéré par l'universalisme, la fierté nationale jamais en contradiction avec la sensibilité morale.
 

L'ouverture intellectuelle ne doit pas conduire à l'abaissement de soi. Prendre soin des Arabes ne doit pas se faire au détriment d'un engagement à réinventer et reconstruire le peuple juif dans sa patrie ancestrale. C'est pourquoi, le 28 juin, lorsque nos élèves et leurs familles se rassembleront pour les exercices de début de Shalem, nous chanterons la Hatikva avec fierté en assumant toute la complexité que cela représente.

Son livre le plus récent est « Israel: A Concise History of a Nation Reborn ».

 

          Source Thetimesofisrael

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1948-2018 : Quelle indépendance pour Israël ?, par PierreLurçat

April 15 2018, 17:45pm

Posted by Pierre Lurçat

1948-2018 : Quelle indépendance pour Israël ?, par PierreLurçat

Dans un livre érudit paru en 1988 aux Etats-Unis, l'historien David Biale affirmait que la vision sioniste classique de l'histoire juive – selon laquelle la création de l'Etat d'Israël aurait permis au peuple Juif de reprendre en main son destin après avoir été privé de son indépendance nationale lors de la destruction du Second Temple – était trop schématique pour correspondre totalement à la réalité historique. En réalité, montrait Biale, la longue histoire du peuple Juif en diaspora n'avait jamais été celle d'une totale impuissance, de même que la brève histoire d'Israël depuis son indépendance retrouvée en 1948, n'est pas celle d'un Etat et d'un peuple entièrement souverain et seul maître de son destin.

 

Et de fait, notre histoire récente en tant que nation n'est pas tant celle d'une indépendance retrouvée, que d'une indépendance sans cesse contestée, menacée et à conquérir... Au lendemain même de la proclamation de l'Etat juif, ses voisins arabes ont immédiatement cherché à étouffer dans l'œuf le jeune Etat et à parachever le projet hitlérien, auquel ils avaient pour la plupart d'entre eux activement collaboré. Ce n'est que par miracle – que les Juifs les plus incroyants n'ont pas manqué de souligner alors – que l'armée hétéroclite d'Israël, constituée en large partie de soldats qui n'avaient jamais manié un fusil, parvint à triompher, au prix de lourdes pertes, des forces coalisées de cinq pays mieux armées et plus aguerries.

La tentative d'annihilation avortée en 1948 fut renouvelée en 1967 et en 1973, et ce n'est qu'après leurs défaites consécutives lors de la guerre des Six Jours et lors de la guerre du Kippour que les Arabes comprirent qu'ils n'auraient pas le dessus sur les champs de bataille, et qu'ils commencèrent à chercher d'autres moyens – diplomatiques, politiques et économiques – pour parvenir au même objectif. Face au bloc arabo-musulman, soutenu pendant longtemps par l'Union soviétique, puis par les "non-alignés" et aujourd'hui par une large coalition internationale qui inclut de nombreux pays du tiers monde et certains pays européens, Israël a cherché à établir des alliances, tantôt avec des pays occidentaux – jadis la France, bien avant l'embargo et la déclaration perfide du général De Gaulle, plus tard les Etats-Unis – tantôt avec d'autres pays, comme l'Inde, la Turquie ou l'Ethiopie dans les années 1950 et 1960, avec lesquels il partageait des intérêts stratégiques ou des ennemis communs.

 

Depuis la fin des années 1970 – et la signature du traité de paix avec l'Egypte – et surtout depuis le "processus d'Oslo", la diplomatie traditionnelle d'Israël a fait la place à une nouvelle politique étrangère, fondée presque exclusivement sur la recherche obsessive et quasi-maladive de la "paix à tout prix", politique étrangère qui a certes apporté quelques fruits – comme le traité de paix avec la Jordanie et l'établissement de relations diplomatiques avec quelques pays arabo-musulmans, mais qui s'est globalement traduite par un échec monumental. L'enthousiasme excessif des premières années d'Oslo, quand les journalistes et les hommes politiques rêvaient tout haut de "manger du houmous à Damas", a certes été remplacé par une attitude plus circonspecte, mais les prémices d'Oslo n'ont jamais été officiellement abandonnées ou critiquées comme elles auraient dû l'être depuis longtemps.

Non seulement les Arabes n'ont jamais renoncé à leur volonté de détruire Israël, mais ils ont réussi à porter la guerre à l'intérieur même d'Israël – lors des trois Intifadas, de la Deuxième Guerre du Liban et de la guerre larvée avec Gaza depuis le retrait désastreux ordonné par Ariel Sharon – et à transformer les villes d'Israël en cibles pour leurs missiles, au Nord d'Israël en 2006 et au Sud depuis la destruction du Goush Katif – et demain dans tout le centre du pays, si le projet de création d'un Etat palestinien en Judée Samarie devait voir le jour. Mais, plus grave encore, nos ennemis ont surtout réussi à convaincre une grande partie des élites et de l'establishment politique, médiatique et intellectuel d'Israël que notre présence sur cette terre n'était pas justifiée et que nous devions à tout prix "partager" et renoncer au cœur historique de notre patrie en reconnaissant les droits du "peuple Palestinien"...

 

Un des aspects les plus préoccupants de l'évolution de la situation politique d'Israël est en effet celui de l'intervention grandissante, et presque envahissante, de pays étrangers dans la politique israélienne, au moyen d'ONG, d'organismes plus ou moins secrets et d'associations œuvrant au grand jour, qui tentent – souvent avec succès – d'influer sur les décisions politiques et sur les processus démocratiques. Certains de ces mécanismes ont été récemment mis à jour avec le scandale du New Israël Fund, dont les menées subversives ont été exposées par plusieurs journalistes et par le groupement sioniste "Im Tirtsou". En résumé, il s'agit d'imposer à Israël une politique opposée à celle choisie par ses électeurs, au moyen d'associations subversives financées par l'Union européenne et par plusieurs pays étrangers. Cette tactique est apparue notamment lors du rapport Goldstone, dont les accusations étaient largement fondées sur le travail de sape d'associations israéliennes comme Chalom Archav, qui reçoivent des millions d'euros de pays étrangers *.

Dans ces circonstances, il est urgent que la Knesset adopte des lois appropriées pour combattre ce phénomène et protéger notre indépendance et notre souveraineté nationale, en mettant hors de nuire ces organisations qui sapent les fondements mêmes de notre démocratie et de notre Etat. L'Indépendance d'Israël est certes une immense avancée et notre situation en tant que nation est incomparablement meilleure qu'elle ne l'était avant 1948, tant en Occident que dans le reste du monde. Mais c'est aussi une avancée fragile et qu'il convient de défendre à tout prix, contre nos ennemis de l'extérieur comme à l'intérieur. Hag Atsmaout Samé'ah !

 

* Voir notre article "Les origines israéliennes du rapport Goldstone", Ashdod Aujourd'hui, janvier 2010.

 

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