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A la racine de la “Conceptsia” (III): Pourquoi les meilleurs islamologues israéliens sont-ils des Juifs pratiquants ?

June 3 2024, 10:41am

Posted by Pierre Lurçat

 A la racine de la “Conceptsia” (III):  Pourquoi les meilleurs islamologues israéliens sont-ils des Juifs  pratiquants ?

 

 

La plupart des islamologues, en Israël comme en Occident, ne peuvent s’empêcher de croire que les musulmans – y compris les plus radicaux – partagent avec nous certaines valeurs fondamentales, comme l’amour de la vie et le respect de l’autre. Ils sont incapables de penser le hiatus incommensurable qui nous sépare des tenants de l’islam militant, leur amour de la mort proclamé soir et matin et leur mépris de la vie humaine. Cet impensé est une des causes de la surprise tragique du 7 octobre. Troisième volet de notre série d’articles sur les orientalistes qui n’ont rien compris au Hamas.

 

A la racine de la “Conceptsia” : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas - VudeJerusalem.over-blog.com

A la racine de la “Conceptsia” (II) : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris à l'islam - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Dans les 2 premiers volets de cet article, nous nous sommes interrogés sur ces orientalistes israéliens, au sein de l’armée et de l’université, qui n’avaient rien compris au Hamas avant le 7 octobre, et qui persistent – pour certains d’entre eux – dans l’erreur depuis lors. Nous voudrions évoquer à présent ceux qui avaient compris ce qu’était le Hamas, et dont la voix n’a pas été entendue.

 

Un ami, professeur d’études arabes et hébraïques à la Sorbonne, m’a récemment raconté comment sa candidature à l’université de Tel-Aviv avait été rejetée, au profit d’une candidate non-juive allemande, militante LGBT et dont les opinions étaient supposées plus conformes à la doxa. Au-delà de l’anecdote, cela dit quelque chose du biais politique dont souffrent la plupart des universités israéliennes. Or les conséquences de ce biais vont bien au-delà de l’université, et elles ont quelque chose à voir avec le 7 octobre. Quel est en effet le point commun entre les spécialistes de l’islam que sont Ephraim Errera, Paul Fenton, Eliezer Cherki ou Tsvi Yehezkeli?

 

Ce sont tous des Juifs pratiquants. C’est sans doute une des raisons qui les ont empêchés de succomber aux sirènes du politiquement correct concernant l’islam et leur ont permis d’aborder leur sujet d’étude avec un état d’esprit différent des tenants de la “Conceptsia” que nous avons évoqués précédemment. En effet, comme nous l’avons expliqué, c’est la dimension religieuse – et plus encore, la dimension eschatologique et apocalyptique – de l’islam contemporain[1] qui a échappé aux orientalistes mainstream israéliens, tant dans l’université que dans les Renseignements militaires. Pourquoi?

 

Pour une raison à la fois très simple et profonde. La plupart des islamologues, en Israël comme en Occident, ne peuvent s’empêcher de croire que les musulmans – y compris les plus radicaux – partagent avec nous certaines valeurs fondamentales, comme l’amour de la vie et le respect de l’autre. Ils sont incapables de penser le hiatus incommensurable qui nous sépare des tenants de l’islam militant, leur amour de la mort proclamé soir et matin et leur mépris de la vie humaine. Cet impensé est une des causes de la surprise tragique du 7 octobre.

 

Celui qui a le mieux expliqué cet aspect fondamental du conflit entre l’islam, l’Occident et Israël est un politologue français, Pierre Manent. Dans son lumineux Cours de philosophie politique, il explique ainsi que l’Occident contemporain est intimement persuadé que la guerre n’a pas de raison d’être, idée qui est devenue “un bien commun de la plupart des écoles philosophiques et des partis politiques”. Pour le comprendre, il faut relire un philosophe libéral du 19e siècle, Benjamin Constant, qui écrivait en 1814:

Nous sommes arrivés à l’époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre”.

 

En quoi cette citation d’un auteur vieille de deux siècles éclaire-t-elle notre réalité dramatique actuelle ? Parce que, explique Pierre Manent, “son présupposé est aussi le nôtre” et que “sa psychologie est la nôtre. Nous pensons que le désir du bien-être et du confort est plus raisonnable, plus naturel, plus humain que le souci de l’honneur et le désir de vaincre”. Or c’est précisément ce présupposé et cette psychologie qui sont au cœur de la Conceptsia, que nous nous efforçons de décrypter ici.

 

La majorité des Israéliens, de leurs dirigeants civils et militaires, ont ainsi été persuadés que les chefs du Hamas avaient eux aussi le “désir du bien-être et du confort”, pour eux et pour leur peuple, et que les valises d’argent du Qatar suffiraient à calmer leur ardeur guerrière… Hélas ! Ce présupposé a volé en éclats le 7 octobre, dans le chaos et l’horreur de la guerre terrible lancée par le Hamas, pour qui “le souci de l’honneur et le désir de vaincre” sont bien plus importants que toutes autres considérations pratiques ou matérielles.

 

Pour être capable de comprendre cette donnée fondamentale du conflit qui oppose le peuple qui sanctifie la vie à celui qui sanctifie la mort, il faut donc faire abstraction de trois siècles de pensée rationaliste et d’idéologie des droits de l’homme. Il faut être capable de se mettre à la place d’êtres humains dont les valeurs suprêmes sont, pour citer Manent, “le souci de l’honneur et le désir de vaincre”, et dont la conception même de la victoire n’a rien à avoir avec la nôtre. En deux mots ; il faut être capable d’appréhender un mode de pensée et une culture qui n’ont rien à voir avec les nôtres, ce que la “crème” des orientalistes ont visiblement été incapables de faire avant le 7 octobre.

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon article concernant le Hamas, publié initialement en 2009, Le Hamas, un mouvement islamiste apocalyptique - Le CAPE (jcpa-lecape.org)

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