Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

intellectuels juifs et israel

Enquête sur… la Revue K - J’ai lu pour vous “Ebranler Nétanyahou”, de Noémie Issan-Benchimol

October 10 2024, 07:33am

Posted by Pierre Lurçat

Kapparot à Jérusalem (photo THOMAS COEX/AFP/Getty Images)

Kapparot à Jérusalem (photo THOMAS COEX/AFP/Getty Images)

 

A quelques heures de Yom Kippour, nous sommes submergés d'appels aux dons, comme chaque année. Yeshivot, œuvres caritatives et associations en tout genre se bousculent au portillon pour recevoir nos Kapparot. Parmi tous les appels reçus par email, téléphone ou SMS, un message a retenu mon attention en particulier. Celui de la revue K, ainsi libellé : "Faites un don à la revue K. Les Juifs, l'Europe, le XXI siècle..." Il faut avouer que cela sonne bien... Plus prestigieux que l'association israélite du val d'Oise au nom de Rabbi Pinto (que son mérite nous protège !) Alors je suis allé voir de quoi il retourne et qui est cette revue K qui vient elle aussi schnorrer quelques euros avant Kippour. Et je n'ai pas été déçu !

 

« K. est une revue sur Internet fondée par des universitaires et des journalistes venant des quatre coins de l’Europe. Sa vocation est de documenter et analyser la situation actuelle des Juifs européens au moyen de reportages, d’essais, d’entretiens, mais aussi de contributions qui reviendront sur la longue histoire du fait juif en Europe. La revue diffuse également des tribunes réactives selon l’actualité aussi bien que des textes littéraires qui, par le moyen de la fiction, rendent compte de la réalité qui nous préoccupe ».

 

Ça c'est la vitrine... La “longue histoire du fait juif”, ça ne vous dit peut-être pas grand-chose, alors j'ai enquêté pour vous. « Notre volonté est de créer un média journalistique exigeante et ouvert, intelligent et pédagogique, de réflexion et d’intervention, loin de la culture du clash qui privilégie les polémiques et les crispations idéologiques, la revue est un point de ralliement » poursuit la promo, sans  doute rédigée par des experts en communication diplômés de l'ESSEC. (Ils ont quand même laissé passer une fôte d'orthographe... A moins que ce soit de l’écriture inclusive ?)

 

Pour comprendre ce que signifiait un "média journalistique exigeante et ouvert, intelligent et pédagogique" (sic), je n'ai pas eu besoin de chercher longtemps. Je suis tombé presqu'immédiatement sur l'article de Mme Issan-Benchimol. Le titre de son article était, il faut dire, attirant et presque racoleur : "Ébranler Netanyahou"...Wouah! Si Nasrallah, Sinwar et Khamenei réunis n'ont pas réussi à ébranler notre Premier ministre, véritable Churchill d'Israël, qu'est-ce que madame Benchimol de la revue K a trouvé pour y parvenir ?

 

J'ai dû ouvrir mon dictionnaire pour comprendre tout l'article qui est parsemé de mots pour Scrabble... Qu'on en juge : "Mais la famille, qui était pourtant sociologiquement censée être un safe-space pour Benjamin Netanyahou puisque l’on parle d’une famille haredit séfarade de Jérusalem, forte de l’infini courage que peut procurer une tristesse absolue et le fait de n’avoir plus rien à perdre, s’est autorisée un moment de ce que Foucault appelait la parrhèsia, le courage de la vérité" (Il s'agit de la description de la visite de Netanyahou à la famille endeuillée de l'otage Oren Danino). C'est là que j'ai compris, après avoir cherché le mot parrhèsia dans un dictionnaire, que Mme Benchimol n'aimait pas du tout M. Nétanyahou.

 

Elle écrivait encore ces lignes significatives de sa détestation :  “En plein dans la dérive paranoïaque propre à l’homme de pouvoir qui s’y accroche comme un noyé à sa dernière bouffée d’oxygène, il s’assure d’être face à des soutiens avant de se montrer." Après avoir lu 3 fois la phrase sur "l’usage foucaldien du concept antique de parrhèsia, pratique verbale d’un individu libre qui noue une vérité existentielle à une parole, en dépit de certains usages, en opposition avec certaines hiérarchies", j'ai fini par comprendre que Mme Benchimol ne parlait pas de Jean-Pierre Foucault, mais d'un autre Foucauld, apparemment plus fameux encore, puisqu'elle s'y réfère sans cesse !

 

Plus loin, Mme Benchimol allait jusqu'à dire carrément que Bibi était un imbécile, de manière à peine voilée : "La langue de Netanyahou, comme celle d’un Trump, est éminemment pauvre : elle use de ce qu’on appelle les spins, et la répétition de slogans simplets". Dans la suite de son article (éminemment bien écrit !), Mme Benchimol évoquait "la réponse d’Ulysse au discours de Thersite contre Agamemnon dans le chant II de l’Iliade". Et juste ensuite, "Sarah Netanyahou qui a tenté, tant bien que mal, de se mettre dans les chaussures d’Ulysse en réinstallant un pouvoir ébranlé".

 

Là, j'avoue ne pas avoir tout compris, le rapport entre les chaussures d'Ulysse et l'épouse de notre Premier ministre étant sans doute inaccessible à ma cervelle indigente de "bibiste". En conclusion de son article, Mme Benchimol établit une intéressante comparaison (un peu excessive, non?) entre la répression politique dans l'ex-URSS et en Israël aujourd'hui, écrivant : "Le cas israélien est intéressant à cet égard puisque le chef prend soin de sous-traiter et déléguer à d’autres la violence de la répression orientée contre les citoyens". J'avoue ne pas avoir suivi l'auteur dans les méandres et circonvolutions de sa pensée hautement inspirée et truffée de références littéraires, qui m'ont rappelé mes années lycéennes, déjà lointaines. Mais j'ai tout de même compris que pour écrire dans la revue K, il faut détester Nétanyahou, sa femme, leurs enfants et son gouvernement.

 

Toute réflexion faite, je n'offrirai donc pas mes Kapparot à la revue K. D'ailleurs il semble qu'elle n'ait pas besoin de ma modeste obole, puisqu'elle est "soutenue" par une pléiade de fondations, dont la Fondation Rothschild, la Fondation pour la mémoire de la Shoah et la "Heinrich Böll Stiftung", et j’en passe ! (Est-ce que leur détestation de Nétanyahou les a aidés à obtenir tous ces souteneurs soutiens prestigieux ? Je laisse mes lecteurs perspicaces répondre à cette question naïve…) Et avec tout cela, ils ont encore le toupet de venir "schnorrer" dans les chaumières, à la veille de Kippour. Que D. leur pardonne leur aveuglement et leurs péchés, avec ceux de tout Israël! Gmar Tov!

Pierre Lurçat

"La culture du clash qui privilégie les polémiques" - Manifestation anti-Bibi

"La culture du clash qui privilégie les polémiques" - Manifestation anti-Bibi

See comments

Les intellectuels juifs et la guerre à Gaza (V) Démission et dérives des clercs juifs : Bruno Karsenti et Delphine Horvilleur

March 19 2024, 12:44pm

Posted by Pierre Lurçat

Les intellectuels juifs et la guerre à Gaza (V) Démission et dérives des clercs juifs : Bruno Karsenti et Delphine Horvilleur

 

Honte à tous ces fils qui préfèrent embrasser une carrière académique, ou “entrer en littérature”, dans le luxe et le confort des grandes villes d’Occident, au lieu de porter les pierres sur la grande route de Yeroushalayim”.

Theodor Lessing[1]

 

 

On ne sait pas si la nouvelle doit faire rire ou pleurer: le chorégraphe israélien Ohad Naharin, dont l’organisation “Ballet Irland” a décidé de déprogrammer un spectacle pour “punir” Israël de sa riposte militaire à Gaza, a réagi en déclarant qu’il aurait “soutenu cette décision s’il pensait qu’elle aiderait les Palestiniens”. Et il a ajouté, sur la télévision israélienne Kan, “Notre gouvernement est un ennemi d’Israël, les gens qui ont élu ces personnes sont des ennemis d’Israël”. Vous avez bien lu. Les ennemis d’Israël, selon Naharin, ne sont pas les terroristes du Gaza et leurs alliés, mais bien le gouvernement israélien et ses électeurs… Cette déclaration illustre un phénomène plus général, qu’on pourrait décrire comme la démission (ou la trahison, au sens où l’entendait Julien Benda) de certains intellectuels et artistes juifs, face au défi existentiel de la guerre déclenchée le 7 octobre par les ennemis mortels d’Israël.

 

Dans ce cinquième volet de notre série d’articles consacrée aux intellectuels juifs face à la guerre de Gaza, nous allons analyser les récents propos de deux intellectuels illustrant ce même phénomène. Dans un récent entretien sur Akadem, Delphine Horvilleur trouve ainsi “abject” et révoltant le fait que l’armée israélienne “tue tellement de Palestiniens” à Gaza. Et Ruben Honigman qui l’interviewe abonde dans son sens. Dans la revue K (qui fut parfois mieux inspirée), Bruno Karsenti prétend quant à lui qu’une guerre menée par des moyens injustes n’est pas une guerre juste, citant à l’appui de cette affirmation le philosophe juif américain Michael Walzer. Le commun dénominateur entre ces deux prises de position est que ces intellectuels prétendent critiquer (et condamner) Israël au nom de la justice (Karsenti) ou de la morale et des valeurs juives (Horvilleur).

 

Bruno Karsenti, comme bien d’autres avant lui, fait ainsi porter la responsabilité du “drame humanitaire” à Gaza au gouvernement israélien, n’hésitant pas à écrire : “Toujours à leurs postes dans le gouvernement, les sionistes religieux – dont la volonté de soumettre les Palestiniens est telle qu’ils puissent envisager leur expulsion de l’ensemble des territoires, et donc une politique d’épuration ethnique – ont continué à entretenir la haine et dresser des entraves à la fois à la politique humanitaire indispensable qui devait accompagner la riposte réassurant la sécurité…”. Ce faisant, il accrédite le narratif des adversaires politiques d’Israël (UE, frange progressiste du parti démocrate américain) qui établissent une symétrie entre le Hamas et une partie du gouvernement israélien.

 

Delphine Horvilleur, après avoir dénoncé la nazification d’Israël, qualifie la mort de civils palestiniens à Gaza d’”horrifiant” (sic) et va jusqu’à comparer la “contextualisation” par une partie de la communauté juive des morts de Gaza à celle des exactions du 7 octobre par les soutiens du Hamas. “Israël doit et peut faire beaucoup plus en matière de protection des civils”, explique doctement la rabbine, rejoignant ainsi l’exigence présentée à Israël par le président des Etats-Unis Joe Biden. Au-delà même de l’incroyable prétention d’intellectuels à juger de la stratégie militaire d’Israël, sans avoir pour cela plus de compétence que le téléspectateur lambda, en abusant de leur magistère intellectuel et de leur position sociale, il y a là une forme d’argumentation qui mérite d’être analysée, et si besoin dénoncée.

 

Comment ces intellectuels juifs peuvent-ils prétendre défendre Israël contre ceux qui l’accusent de “génocide” ou d’épuration ethnique, dès lors qu’eux-mêmes accusent Israël (ou son gouvernement) de ne pas faire assez pour protéger les civils (Horvilleur) ou d’aspirer à une épuration ethnique des Palestiniens (Karsenti)? Concernant ce dernier, le procédé rhétorique consistant à imputer à la fraction sioniste-religieuse du gouvernement une volonté d’épuration ethnique (totalement fantasmatique, pour qui connaît un peu le sionisme religieux, dont les meilleurs des fils se battent et meurent à Gaza) conduit en fait à faire porter sur Israël tout entier cette accusation délirante et lourde de conséquences.

 

On est bien loin ici, tant chez l’un que chez l’autre, de la responsabilité de l’intellectuel juif (et de l’intellectuel tout court) soulignée par André Neher. Comment expliquer un tel dévoiement ? La première hypothèse est que ces clercs préfèrent, selon les mots anciens mais toujours actuels de Theodor Lessing cités en exergue, penser à leur “carrière académique”, au lieu de “porter des pierres sur la grande route de Yeroushalayim”. L’autre explication, plus indulgente mais tout aussi préoccupante, est qu’ils sont tellement influencés par le débat public et par la propagande anti-israélienne en France qu’ils reprennent à leur compte, sciemment ou à leur insu, les arguments des ennemis d’Israël, tout en s’en défendant. (à suivre…)

Pierre Lurçat

 

 

Les intellectuels juifs face à la guerre de Gaza (IV) : Ceux qui refusent d’écouter les témoins du massacre - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (III) : entre mobilisation et “business as usual” - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

 

 

[1] La haine de soi, le refus d’être juif, éditions Berg International 1990, pages 26-33, traduction de M. Ruben-Hayoun.

See comments

Les intellectuels juifs face à la guerre de Gaza (IV) : Ceux qui refusent d’écouter les témoins du massacre

January 17 2024, 07:39am

Posted by Pierre Lurçat

Mia Shem

Mia Shem

 

Il faut absolument écouter le témoignage glaçant de l’ex-otage franco-israélienne Mia Shem, qui relate le calvaire qu’elle a subi le 7 octobre et dans les semaines qui ont suivi, capturée par le Hamas puis détenue pendant de longues semaines à Gaza. “J’ai vécu une Shoah”, déclare-t-elle, et ces quelques mots en disent plus long que bien des analyses savantes. Il faut écouter le témoignage de Mia Shem, car c’est celui d’une survivante du “jour de Shoah” que nous ont infligé nos ennemis de Gaza, et parce que son témoignage est l’égal – par son contenu sinon par son style – de celui des survivants de la précédente Shoah, des Primo Levi et des Aharon Appelfeld.

 

Après la Shoah, disait le philosophe Emil Fackenheim, nous avons le devoir de ne pas donner de victoire posthume à Hitler. Après la nouvelle Shoah que le Hamas a tenté de perpétrer contre Israël (la “Shoah en keffieh”, selon l’expression du regretté Paul Giniewski), nous avons l’obligation de ne pas donner de victoire posthume au Hamas et aux autres ennemis d’Israël, lorsque leurs dirigeants auront été tous éliminés. Mais le premier devoir est celui d’écouter les survivants. Or c’est précisément ce que certains intellectuels juifs refusent de faire.

 

Dans une longue interview donnée récemment à la chaîne LCI, le philosophe Alain Finkielkraut a ainsi tenu des propos stupéfiants et scandaleux sur le témoignage de Mia Shem. Reconnaissant tout d’abord que sa déclaration “j’ai vécu une Shoah” est terrible, il affirme dans la foulée avoir été “beaucoup choqué” sicde la déclaration de Mia Shem selon laquelle “tout le monde est terroriste à Gaza”. Selon lui, prétendre qu’il n’y a “pas de civils innocents à Gaza” est comparable au propos de l’indigéniste Houria Bouteldja, affirmant qu’il “n’y a pas d’Israélien innocent”.

 

La comparaison établie par A. Finkielkraut montre deux choses : la première, c’est que comparaison n’est pas raison. Comparer le propos de l’otage franco-israélienne Mia Shem à celui de Houria Bouteldja n’est pas seulement indécent, c’est également stupide. Mais cette comparaison montre aussi que Finkielkraut, en dépit de son intelligence et de son courage intellectuel, vit dans un univers conceptuel très éloigné de celui d’Israël, éloignement qui le rend totalement incapable de comprendre la réalité de notre Etat et des problèmes existentiels qu’il affronte.

 

Le propos d’A. Finkielkraut atteste à la fois d’un refus d’écouter les victimes du 7 octobre (imagine-t-on un intellectuel juif faire la même chose avec un rescapé de la Shoah ?), et d’un refus conceptuel de donner crédit à leur témoignage. La société israélienne tout entière, après le 7 octobre, a entrepris un immense travail de remise à zéro de compteurs et de remise en cause, travail qui n’est pas terminé. On peut attendre des intellectuels juifs de diaspora qu’ils fassent la même chose. Cette capacité de se remettre en question est en définitive ce qui distingue l’intellectuel dogmatique, enfermé dans ses convictions et ses propres références, de l’intellectuel ouvert à l’événement et à la nouveauté qu’il comporte.

 

Le 7 octobre – comme d’autres événements qui ont marqué l’histoire juive depuis ses débuts – appelle à la réflexion et à l’écoute. Il nous oblige à repenser ce que nous croyions comme acquis, à nous remettre en question. Et il nous oblige à écouter et à accepter les témoignages des otages. Nul ne peut écouter le témoignage glaçant de Mia Shem et son terrible propos – irréfutable dans sa clarté morale – sur le fait qu’il n’y avait pas d’innocents à Gaza. Vérité difficilement audible en Occident, mais vérité tout de même.

 

Pierre Lurçat

Ma conférence "Comment restaurer la dissuasion d'Israël" est en ligne ici, abonnez-vous à ma chaîne YouTube pour accéder à mes dernières conférences !

 

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (III) : entre mobilisation et “business as usual” - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

See comments

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (III) : entre mobilisation et “business as usual”

November 5 2023, 13:46pm

Posted by Pierre Lurçat

BHL en reportage en Israël

BHL en reportage en Israël

 

Histoire juive de la France : le titre peut intriguer, à l’heure où les Juifs se sentent de moins en moins chez eux en France. Il s’agit d’une somme de plus de mille pages, réalisée par cent cinquante auteurs provenant de six pays différents, sous la direction de Sylvie Anne Goldberg, qui vient de paraître aux éditions Albin Michel. La date de parution fait frémir : le 6 octobre, veille du massacre commis par le Hamas à la frontière de Gaza. La coïncidence incite à la réflexion. Elle m’a personnellement fait penser à la floraison intellectuelle pendant la République de Weimar, durant laquelle les Juifs allemands se croyaient encore chez eux dans la patrie de Goethe et de Schiller.

 

Et les Juifs de France ? S’ils savent – dans leur immense majorité – que leur avenir en France n’est pas assuré et qu’ils sont, tout comme les Juifs allemands dans les années 1920, assis sur un volcan, qu’en est-il de leurs intellectuels et dirigeants communautaires ?

Troisième volet de notre série d’articles sur les intellectuels juifs face à la guerre en Israël.

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Dans une grande interview au Monde des Livres, parue vendredi 3 novembre, deux auteurs de l’Histoire juive de la France évoquent le sentiment de solitude des Juifs, alors qu’Israël vient de subir la pire attaque terroriste de son histoire. Mais ils ne semblent pas mesurer l’écart entre leur projet éditorial (soutenu par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et d’autres acteurs institutionnels) et la réalité de l’existence juive en France aujourd’hui. Face à ce gouffre, qui n’a cessé de croître depuis le début des années 2000, comment ont réagi les intellectuels juifs en France ?

 

On peut classer leurs attitudes, grosso modo, en deux catégories : celle des intellectuels qui se sont mobilisés séance tenante, se rendant parfois sur place pour mesurer l’étendue de l’horreur, à l’instar de Bernard-Henri Lévy, qui a été le premier à publier un reportage éloquent depuis le sud d’Israël. Et puis, de l’autre côté, celle d’intellectuels et de représentants des institutions qui, au-delà du soutien verbal, ont préféré faire comme si la vie continuait comme avant… « Business as usual ».

 

Dans cette seconde catégorie, on peut nommer le grand-rabbin de France Haïm Korsia, qui a surtout cherché à « apaiser » les « tensions entre communautés » – selon l’expression consacrée – en se montrant aux côtés du recteur de la Grande Mosquée de Paris. On a appris par la suite que ce dernier avait, dans la meilleure tradition du double discours arabe et de la taqqiya, adressé un message virulent à ses ouailles, en dénonçant les « crimes de guerre » israéliens et en exprimant un soutien sans faille à l’entité terroriste de Gaza.

 

Autre exemple de « business as usual » : le site juif Akadem, dont la lecture depuis le 7 octobre donne la pénible impression qu’il ne s’est rien passé en Israël… La page d’accueil, consultée le 3.11.23, ne laisse apparaître presqu’aucune référence explicite aux terribles événements survenus en Israël ! On y parle de littérature, de politique et d’histoire, mais les pogromes de Kfar Azza et du kibboutz Be’eri y sont quasiment absents, sinon dans un ou deux articles… Cette attitude de la part du site vitrine du FSJU et de la communauté juive organisée est difficile à comprendre, d’autant que les responsables du FSJU se sont rendus en Israël (pour un voyage éclair de 24 heures) depuis le 7 octobre. Elle participe apparemment de la tendance des Juifs à faire « profil bas » en France…

 

Ajoutons qu’il ne s’agit pas d’un simple phénomène politique lié au clivage droite-gauche, mais du symptôme d’un mal plus profond. On en donnera pour preuve que la revue juive de gauche K-la revue, animée par un petit groupe d’intellectuels de l’EHESS, a publié des textes très intéressants depuis le 7 octobre et que ses dirigeants ont tous fait part publiquement de leurs sentiments de choc et d’effroi.

 

Ainsi, dans un texte passionnant intitulé « La vengeance en miroir », Danny Trom analyse avec lucidité l’attitude des médias français qui, tout en dénonçant une soi-disant « volonté de vengeance » de la part d’Israël, se montrent compréhensifs avec l’identification presque totale du public musulman avec la population de Gaza… Et Trom de conclure par ces mots éloquents : « nous assistons au spectacle des défilés en soutien au Hamas un peu partout dans le monde, y compris dans les rues d’Europe où des pans entiers de la gauche clament appartenir au « sud global ». Pour elle, Israël, son existence, est une humiliation. La passion exterminatrice y est reconduite, par-delà la Shoah. Le front s’est mondialisé. L’Europe, non pas le continent, mais l’idée de l’Europe, tremble sous les pieds des juifs et de ceux pour qui ils importent encore ».

 

Il faut rendre hommage à la lucidité de ceux qui, comme BHL ou Danny Trom, ont vécu les événements terribles du 7 octobre comme une injonction de s’identifier avec Israël et de mettre leur intelligence au service de la compréhension de la nouvelle réalité – en remettant parfois en cause leurs propres convictions bien ancrées. Leur courage intellectuel dénote avec la pusillanimité de ceux qui préfèrent continuer de s’adonner à leur train-train quotidien, comme si rien – ou presque – ne s’était passé.

P. Lurçat

 

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (III) : entre mobilisation et “business as usual”

See comments

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques

October 29 2023, 09:14am

Posted by Pierre Lurçat

Alain Finkielkraut, BHL et Benny Levy z.l.

Alain Finkielkraut, BHL et Benny Levy z.l.

Lire la première partie :

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Une délégation du CRIF a effectué un voyage éclair en Israël pour se rendre compte sur place des atrocités du Hamas. Au retour de ce déplacement, l’ancien président du CRIF, Richard Prasquier, a publié un article dont j’extrais la ligne suivante : ”A proprement parler, ce voyage ne nous a rien appris que nous aurions ignoré”. Si je souligne cette phrase précisément, c’est parce qu’elle permet de comprendre un mécanisme cognitif omniprésent dans la manière dont nous regardons et analysons les événements. Nous sommes atterrés par l’horreur, emplis de colère et d’effroi, mais en définitive, nous avons tendance à juger l’événement, si terrible et inédit dans l’horreur qu’il soit, à l’aune de ce que nous savons déjà.

 

Ce biais cognitif bien connu – et qui a été encore renforcé par les effets des médias sociaux, qui nous confortent sans cesse dans nos opinions – est présent chez chacun de nous, y compris les intellectuels et ceux qui ont pour activité quotidienne d’analyser, avec autant de sang-froid que possible, les événements. Or, face à l’événement, le devoir premier de l’intellectuel n’est-il pas de tenter de s’abstraire de ses préjugés, de ses croyances bien ancrées et de ses habitudes de pensée ? Cette guerre, dont beaucoup disent en Israël qu’elle marque un tournant décisif dans notre histoire, ne devrait-elle pas être l’occasion de porter un regard neuf sur le monde ? Essayons de voir, à travers quelques exemples, si les intellectuels juifs ont réussi, depuis le 7 octobre, à s’élever au-dessus d’eux-mêmes pour être à la hauteur de la situation.

 

Est-ce que “Toutes les vies se valent” ?

 

L’historien israélien (exilé aux Etats-Unis) Omer Bartov se félicite, dans les colonnes du Monde, d’avoir signé la pétition contre l’occupation “The Elephant in the room”, expliquant : “Notre mise en garde était la suivante : l’« éléphant dans la pièce », c’était l’occupation, un enjeu auquel ce mouvement de protestation refusait en grande partie de se confronter. Moins de deux mois plus tard, le sort des Palestiniens sous domination israélienne ou sous siège israélien nous a littéralement explosé à la figure. En ce sens, j’ai été choqué et horrifié, mais pas surpris”. Ce faisant, il reprend à son compte le double mensonge de “l’occupation” et du “siège israélien” de Gaza, comme si l’attaque du Hamas était dirigée contre telle ou telle politique israélienne et non contre les Juifs en tant que tels… Piètre analyse pour un spécialiste de la Shoah !

 

            Dans le même journal, le philosophe Jacob Rogozinsky pointe justement la fausseté de l’argument moral selon lequel “toutes les vies se valent”, employé pour dénoncer la riposte israélienne, en rappelant cette évidence : “Nous devons faire la différence entre une stratégie militaire qui entraîne comme « conséquence indirecte » la mort de civils et une stratégie génocidaire pour laquelle l’assassinat en masse de civils est un « but en soi ». Rogozinsky s’oppose sur ce point précis à Judith Butler, la “papesse” de la théorie du genre, qui prétend dénoncer les manifestations pro-Hamas à Harvard, tout en affirmant quenous devons nous efforcer de comprendre les raisons de la formation de groupes comme le Hamas, à la lumière des promesses rompues d’Oslo et de cet « état de mort, à la fois lente et subite » qui décrit bien l’existence des millions de Palestiniens vivant sous occupation, et qui se caractérise par une surveillance constante, la menace d’une détention sans procès, ou une intensification du siège de Gaza pour priver ses habitants d’eau, de nourriture et de médicaments..”

 

            Le propos de Butler est révélateur de l’état de confusion morale qui règne dans les universités américaines et françaises, confusion à laquelle les intellectuels juifs n’échappent pas. A ce sujet précisément, Alain Finkielkraut a raison de rappeler que le “wokisme est antisémite” et que ce n’est nullement un hasard si les théories fumeuses qui sont devenues une véritable idéologie dominante (voir sur ce sujet le livre éclairant de Shmuel Trigano) aboutissent à prendre la défense du Hamas contre Israël… Dans un registre différent, l’intellectuel américain Michael Walzer explique dans la revue K que « la justice exige la défaite du Hamas, pas la vengeance contre les Palestiniens ». Cette thématique est développée par plusieurs intellectuels juifs, qui établissent une distinction nette entre « justice » et « vengeance », ce dernier terme étant connoté négativement à leurs yeux. Ils oublient ce faisant que le mouvement sioniste a aussi été l’expression d’une réappropriation par le peuple juif de la violence, après que la vengeance ait été si longtemps réservée à Dieu seul (« Que D. venge son sang ! » est l’expression traditionnelle de cette réalité propre à l’exil).

 

« Contextualiser » les exactions du Hamas ?

 

La Deuxième Guerre mondiale avait vu des cohortes d’intellectuels se déshonorer dans la collaboration, mais ce qui est nouveau, aujourd’hui, c’est de voir des intellectuels refuser de trancher, en prétendant “contextualiser” (y compris lorsqu’ils prétendent ne pas le faire !) la violence du Hamas. Leur absence de critères moraux clairs aboutit à un magma intellectuel dans lequel, pour reprendre l’expression d’un humoriste français, on donne “cinq minutes de parole aux Juifs et cinq minutes aux nazis” (du Hamas). Comme l’explique justement Raphael Enthoven, “Les gens qui croient approfondir les choses en justifiant la barbarie du Hamas par le contexte géopolitique sont, à leur insu, les relais actifs d’une entreprise d’extermination qui n’a besoin, pour passer à l’acte, que d’un alibi”.

 

            Alain Finkielkraut lui-même, malgré tout son courage maintes fois démontré et toute sa bonne volonté, ne tombe-t-il pas dans le même travers, lorsque – après avoir bien démonté l’argumentation qui trouverait des justifications ou des motivations politiques aux exactions du Hamas, et expliqué que “pour le Hamas, l’Etat juif est une ecchymose sur l’épaule de l’islam” – il affirme que “Nétanyahou est un dirigeant catastrophique… dont la réforme judiciaire visait à laisser les coudées franches aux colons de Cisjordanie…” Cet argument fallacieux a été répété et décliné à maintes reprises depuis le 7 octobre. Selon une version un peu différente, l’armée israélienne aurait failli à la frontière de Gaza parce qu’elle était occupée à “protéger les colons de Cisjordanie”...

 

L’argument n’est pas seulement moralement absurde (en quoi les habitants juifs de Judée-Samarie seraient-ils moins dignes d’être défendus que les autres Israéliens ?). Il est aussi erroné sur le plan militaire et stratégique. La première leçon, simple et presqu’évidente, des terribles événements du 7 octobre, est que la frontière d’Israël se situe là où vivent et habitent des Juifs. Leçon qu’avaient bien compris les pères fondateurs de notre Etat, de Jabotinsky à Ben Gourion. Lorsque l’armée a expulsé les habitants du Goush Katif, sur l’ordre d’Ariel Sharon, elle a placé en première ligne les habitants du pourtour de Gaza. Les circonstances dramatiques nées de l’attaque du Hamas exigent de chacun de nous, à son niveau, de prêter le serment d’André Neher pendant la guerre des Six Jours, en  identifiant “le tout de sa pensée, de son action, de sa personne avec Israël, avec sa lutte, corps et âme, en résolution d’acier, en disponibilité de jour et de nuit…” Que D. protège nos soldats et notre peuple jusqu'à la victoire! (à suivre…)

P. Lurçat

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques

See comments

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher

October 19 2023, 09:20am

André Neher (1914-1988)

André Neher (1914-1988)

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher

 

 

            Le 4 juin 1967, alors que le peuple d’Israël vivait des heures d’angoisse face à la menace arabe qui se faisait chaque jour plus pressante, André Neher prononçait les mots suivants, qui résonnent aujourd’hui avec une force particulière, devant l’Assemblée générale du judaïsme français réunie à Paris. Le serment solennel qu’il prononçait est tout aussi valable aujourd’hui qu’alors, pour nos frères juifs de diaspora, et en particulier pour les intellectuels juifs. Espérons qu’ils seront eux aussi – comme Neher et d’autres à l’époque – un « arrière d’acier » pour Israël qui se bat pour sa survie, pour notre survie. P. L.

 

 

« Am qeshé ôref, le peuple à la nuque d’acier : c’est la définition biblique du peuple juif. Or, en hébreu moderne, ôref, ce n’est pas la nuque, mais l’arrière, l’arrière d’un front de combat. Je traduis donc : le peuple juif de la Diaspora est l’arrière du front d’Israël, pas un arrière de repli ou d’embuscade, n’est-ce pas ? mais un arrière de potentiel et de réserves inépuisables, où se forgent les armes morales et matérielles de la lutte d’Israël pour sa vie, un arrière d’acier.

 

Hier encore, je menais avec les hommes les combats des hommes pour les plus nobles valeurs humaines, pour la vérité, pour la paix, pour la justice. Aujourd’hui, je mène l’unique lutte pour Israël, car elle ramasse en elle toutes les autres, les résume et les retrempe dans le creuset d’une épreuve décisive. Oui, c’est la décision entre deux mondes et deux langages, entre ceux qui croient à l’innocence de l’innocent et les fanatiques totalitaires du bouc émissaire juif. Et je dis à mes camarades des luttes d’hier : venez avec moi car la lutte pour Israël est aujourd’hui la lutte humaine par excellente. Si, analysant, hésitant, tergiversant, vous ne venez pas, eh bien ! nous lutterons seuls. De nouveau, nous serons comme Abraham, seuls d’un côté, et le monde entier de l’autre. Et, dans la lutte pour Israël, nous ferons à nouveau, comme l’avait fait Abraham pour le monde entier, le réapprentissage de la justice.

 

Hier encore, je l’avoue, et je le regrette, je ne consacrais qu’une fraction de moi-même à Israël. Aujourd’hui, c’est le tout de ma pensée, de mon action, de ma personne qui s’identifie avec Israël, avec sa lutte, corps et âme, en résolution d’acier, en disponibilité de jour et de nuit…

 

Les hommes juifs des pays libres, les juifs de France en 1939, les Juifs des Etats-Unis en 1943, ne savaient pas. Les uns ne savaient pas qu’Auschwitz était possible. Les autres ne savaient pas qu’Auschwitz était Auschwitz. Nous, nous savons. Alors, en 1939, en 1943, la lutte était défensive. Aujourd’hui, elle est offensive…

 

Le moment pathétique est venu de mettre en pratique le lancinant « souviens-toi » qui nous hante depuis bientôt vingt-cinq ans…

 

Je fais le serment solennel de ne pas sortir du cercle de mes responsabilités avant d’avoir épuisé les infinies ressources dont nous disposons pour faire passer du niveau du souhait à celui de la réalité les trois mots qui, désormais, nous fascinent et nous habitent : AM ISRAEL HAY - ISRAEL, TU VIVRAS !”

 

(Texte publié dans le livre de Neher Dans tes portes, Jérusalem, Albin Michel 1972).

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher

See comments