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heroisme juif

Le dernier Hannoukah de ma mère

December 19 2019, 11:12am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans les dernières années de sa vie, usée par le temps et diminuée par la dépression consécutive à la mort de mon père, dont elle ne s’était jamais  vraiment remise, ma mère passait la plus grande partie de ses journées dans sa chambre, alitée, ou parfois assise sur une chaise, dans la salle à manger ou derrière le bureau où elle avait travaillé de si longues années et écrit tous ses livres. Parfois aussi, dans ses dernières semaines, allongée sur son lit qu’elle ne quittait plus guère, elle parvenait encore à lever la main en l’air et faisait le geste d’écrire, traçant d’invisibles phrases au-dessus de sa tête. Lorsque Marie, la dame qui l’accompagnait avec dévouement depuis le décès de mon père, lui demandait ce qu’elle faisait, ma mère lui répondait avec le plus grand sérieux : “J’écris un article!”.

 

 

Dans cet ultime combat contre la maladie et contre la mort, ma mère déploya des trésors de vitalité, qui étonnèrent à de nombreuses reprises les médecins et infirmières qui s’occupaient d’elle. A l’hôpital Saint-Joseph, où mon père était décédé plusieurs années auparavant et où ma mère avait été admise pour une infection pulmonaire, le personnel soignant - dévoué et attentionné - manifestait régulièrement le sentiment que tout était joué et qu’elle n’avait plus que quelques jours à vivre… “L’essentiel, c’est qu’elle ne souffre pas, qu’elle soit confortable” répétaient à l’envi les médecins et les infirmières, comme un mantra, idée bien conforme aux conceptions de l’époque, qui craint la souffrance bien plus que la mort. Lorsque je leur expliquai que l’essentiel, à mes yeux, était qu’elle vive encore - certes sans trop souffrir, mais sans trop hâter l’inéluctable non plus, on me regardait avec un regard de condescendance amusée, comme si j’étais fou ou naïf. “Ce pauvre monsieur ne sait-il donc pas que la vieillesse n’est que le prélude à la mort?”


 

En mon for intérieur, pourtant, je savais bien que c’était moi qui avais raison, contre les médecins et leurs certitudes d’airain. Car la force de vie de ma mère était capable de surmonter toutes les affections et les maladies, et sa flamme (à laquelle la tradition juive compare l’âme humaine, la neshama) tremblait, vacillait et faisait à chaque instant mine de s’éteindre, mais elle brûlait encore. Cette flamme de vie, qui avait résisté aux multiples épreuves de sa longue existence, à l’internement à Drancy, à la guerre et aux privations, elle était comme ces petites fioles d’huile qu’on allume à Jérusalem pendant Hannoukah, la fête des Lumières, et dont une coutume aujourd’hui très répandue veut qu’on les dispose à l’extérieur de la maison, pour faire la “publicité du miracle” de la victoire des Hasmonéens contre les Grecs. En décembre, à Jérusalem, le climat est parfois froid et venteux, et il est étonnant de voir les petites fioles, dans le soir tombant, trembloter au vent, paraissant sur le point de s’éteindre et continuant envers et contre tout de brûler et de diffuser leur lumière tout autour d’elles…

 

 

Ma mère était entrée à l’hôpital le lundi, et elle y resta jusqu’au mercredi de la semaine suivante. Me trouvant à Jérusalem lors de son hospitalisation, je pris le premier avion le lendemain. Les médecins que je rencontrai étaient très pessimistes et ne lui donnaient que quelques heures à vivre. Mais leurs pronostics furent démentis par l’opiniâtreté et la force de vie de ma mère. Sa flamme continuait de brûler, envers et contre tout. Comme dans le récit du miracle de Hannoukah - dont les lumières se consumèrent pendant huit jours alors que l’huile ne suffisait qu’à une seule journée - la flamme de ma mère brûla et éclaira encore pendant plus d’une semaine. Jusqu’à son dernier souffle, elle se montrât telle qu’elle avait été sa vie durant : forte, obstinée et indomptable. 


 

Une petite lumière chasse beaucoup d’obscurité”. Cet adage des hassidim de Habad me semblait alors, pendant les longues journées que je passai au chevet de ma mère, résumer parfaitement le secret de sa vie et de ses multiples combats, personnels, professionnels et intellectuels. Elle était née à Jérusalem, avait grandi et vécu à Paris, où elle avait passé toute son existence adulte. Elle s’était battue pour ses idées, pour son statut de chercheur indépendant au CNRS et pour le droit de mener ses recherches en solitaire, loin des foules, des modes, des idéologies et des crédits de recherche : “hors des sentiers battus”, selon l’expression qu’elle affectionnait particulièrement. Elle avait lutté, farouche et ombrageuse, contre ses patrons de labo - ces “mandarins” de la psychologie contre lesquels elle avait défendu becs et ongles,  aux côtés de son mari, lui aussi chercheur, une autre idée de la recherche scientifique, plus exigeante et plus austère. 

 

Drancy

 

Elle avait lutté contre les gardiens de Drancy, contre les dirigeants du Parti, qui n’appréciaient guère son esprit rebelle et la soupçonnaient d’accointances “sionistes” ; son frère n’était-il pas lieutenant-colonel de l’armée israélienne, comme elle l’avait déclaré sur un questionnaire officiel du Mouvement de la Paix, à Prague , en pleine période des procès antijuifs, avec une témérité qui frôlait l’inconscience? Elle s’était toute sa vie battue contre les partis, les institutions et les idéologies, restant jusqu’à son dernier jour un esprit libre et rebelle. Oui, ma mère avait gardé, toute sa vie durant, quelque chose d’étranger et d’insaisissable qui faisait d’elle une personne inclassable, fière et rétive.

 

Prague

 

Je suis née étrangère et je le suis demeurée”, écrivait-elle, désabusée, dans un de ses derniers textes. S’étant considérée, toute sa vie d’adulte, comme Française à part entière, elle redécouvrait, au soir de son existence, qu’elle ne l’était pas tout à fait. Car son identité française - celle de la femme publique (qui avait toujours fui les mondanités et les exigences de la vie sociale) - élève de l’école publique qu’elle avait aimée et défendue contre ses destructeurs, incarnant un modèle de réussite de “l’école de la République”, fille d’émigrés qui ne parlaient pas français, devenue maître de recherches au CNRS, ne définissait pas son identité la plus intime, celle qu’elle ne dévoilait qu’à ses proches. Française de coeur et d’adoption, elle était aussi restée étrangère.

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« J’ai eu seize ans à Drancy » : 21 janvier 1944 - 21 mars 1944, par Liliane Lurçat

May 1 2019, 19:44pm

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatDans la nuit du 20 janvier I944, la concierge Marie vient frapper à notre porte : « C'est moi, Marie ». Nous habitons au 5-7 rue Frédéric Sauton, tout près de Notre Dame. Ma mère ouvre, sans méfiance. Marie ne vient pas seule, elle est suivie d'un homme petit au regard fuyant. Il est maigre, en civil, sans papiers officiels. Il a des vêtements avachis, usagés, d'une propreté douteuse, son regard est fuyant. Embarrassé et agressif ; « Je vous arrête ! ». Nous étions tous les trois, ma mère, mon  petit frère Sami et moi. Il fallait le suivre, avec une valise hâtivement bouclée. Aucun témoin, à part Marie.

J'ai encore une fois perdu l'occasion de me taire « Vous faites un bien sale métier ! » Furieux, il nous bouscule et nous  entraîne, dans les rues désertes et la nuit noire. Le noir de l’Occupation, tous les éclairages étant masqués.

Au Commissariat du Panthéon. Les grands hommes du Panthéon n'ont pas protesté, enfermés qu'ils sont dans leurs boîtes, sauf  celui qui tend un flambeau et qui m'effrayait tant quand j'étais petite.

Au commissariat du Panthéon, nous n'étions pas les premiers. Quelques  habitants du cinquième arrondissement, ramassés avant nous, étaient rassemblés près des toilettes malodorantes.

On ne se connaissait pas. On avait en commun d'être venus de Palestine, nous étions des sujets britanniques prisonniers sur parole, et nous devions signer chaque jour au poste de police à partir de l’âge de 15 ans.

 

Vers Drancy

Drancy, dernière étape avant Auschwitz pour des milliers de juifs vivant en France.

Je n'ai que ma mémoire pour faire surgir des bribes de ce passé, car notre séjour fut exceptionnellement long. Deux mois à Drancy, quand les déportés des rafles massives de la zone Sud n'y passaient que quelques jours.

 

Les conditions de notre ramassage  ont été calquées sur celles de juillet 1942 Les grandes rafles des juifs étrangers  commandées par Vichy. Les mêmes autobus ont suivi le même itinéraire, sans passer par le Vélodrome d'Hiver, directement vers Drancy. Nous n'étions que 300 : quelques hommes, surtout des femmes et des enfants.

 

drancy,rafles,shoah,liliane lurcat

 

 

 Au cours de la nuit du 20 au 21 janvier 1944, dans ce commissariat du Panthéon un jeune policier me reconnaît. On se rencontrait au poste de police où je signais tous les jours depuis le jour de mes quinze ans, je bavardais avec lui sur le pas de la porte pendant  les alertes, fréquentes à l'époque. Il avait cru que j'étais anglaise. Sujet britannique, certes mais aussi juive. Il est parti à l'ambassade suisse prévenir qu'on arrêtait des sujets britanniques : « c'est une initiative de la police française » m'ont-ils dit:

 Lors de notre retour, en octobre 1944, il n'était plus là. Le commissaire était le même.

 

Au camp de  Drancy

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatLes rafles de la zone Sud

 J'ai eu 16 ans à Drancy, le 13 mars 1944.

Au cours de ces deux mois commençaient les rafles de la zone sud

On voyait arriver des enfants affolés, extraits de pensionnats plus ou moins clandestins, perdus, errants solitaires.

Des jeunes gens plein de vigueur, qui chantaient aux corvées d'épluchage et qui gravaient leur nom sur des poteaux «  parti plein de courage pour travailler dans les camps  nom, âge ».Et toujours les convois femmes et enfants, ceux qui ont vu partir mes cousines Florette et Fanny en 1942, ceux destinés directement aux chambres à gaz.

 

Ce camp de Drancy était entièrement géré par des prisonniers juifs. Les deux allemands responsables étaient invisibles. Ils sont intervenus une seule fois pendant notre séjour quand des évadés ont été repris et se sont taillés les veines. Les Allemands ont voulu rassurer tout le monde en disant : « qu'on allait travailler mais pas mourir ».

 

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatLe bloc 3 logeait «les privilégiés » : on retarde la déportation de certains, on en conservait d'autres, en particulier un international de football autrichien surnommé « l'homme aux chiens », car il parcourait la cour avec ses deux grands chiens. Il choisissait de temps en temps une jeune fille en lui promettant de la garder à Drancy. Puis il l’expédiait dans le convoi suivant.

 

J'ai parlé avec le directeur du camp, ancien directeur des Folies bergères. Les cuisiniers, petit gars de Boulogne sur Mer, vivaient dans la peur craignant la déportation. En deux mois, dans un espace restreint, j'ai eu le temps de voir et de regarder avec le sentiment d'invulnérabilité propre à la jeunesse qui ne croit pas au malheur.

 

Notre chambrée comprenait une cinquantaine de lit superposés en planches. Les jours de déportation on avait l'interdiction de regarder par les fenêtres. Ils nous menaçaient de tirer dans les fenêtres si ils nous voyaient quand les autobus embarquaient les déportes parce qu'on ne devait pas le voir, les autobus remplis partaient à la gare et directement de la gare à Auschwitz. On se couchait à plat ventre pour ne pas être vus et on regardait.

 

drancy,rafles,shoah,liliane lurcat

 

Voyage vers Vittel

 

L'homme aux chiens aux ordres des Allemands nous a accompagné jusqu’à Vittel, camp des prisonniers de guerre qui accueillait toutes les personnes faisant partie des pays en guerre contre l'Allemagne. Notre misérable cohorte est arrivée à Vittel sous le regard étonné des prisonniers anglais, américains, russes...

L'homme aux chiens n'est pas reparti les mains vides : il ramenait avec lui des Juifs de Varsovie qui avaient acheté des passeports latino-américains. Beaucoup se sont suicidés en se jetant par la fenêtre… Mon père qui nous attendait dans ce camp savait déjà qu'il n'y avait plus aucun survivant de sa famille en Europe.

 

La hâte de tuer

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatLes arrestations en zone sur étaient incroyablement bestiales : j'ai vu arriver des dames en peignoir de bain, embarquées sans vêtement. D'autres avec une boite à lait, arrêtées en bas de leur immeuble sans pouvoir remonter  prendre quelques objets personnels.

Des religieuses : femmes converties qui se sont déclarées juives.

Les brutes cyniques dans le genre de celui qui nous avait arrêtés, collabos de tous poils, abjects tortionnaires d'enfants et profiteurs de guerre : c'est eux qui faisaient la sale besogne pour Vichy.

Non jamais je ne pourrai oublier les enfants perdus raflés dans des lieux clandestins par d'ignobles créatures à visages déshumanisés.

Quand je suis rentrée le 21 octobre 44 à Paris, après huit mois dans le camp de Vittel destiné aux prisonniers de guerre, j'avais toujours seize ans mais j'ai laissé ma jeunesse dans les camps.

Plus jamais je ne serai tranquille ; plus jamais je ne l'ai été.

 

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 Liliane Lurçat 

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Yair Stern, le poète combattant du Lehi, par Pierre I. Lurçat

January 31 2019, 14:21pm

Posted by Pierre Lurçat

Avraham_Stern.jpg

Le 25 Shevat marque le "Yarhzeit" d'Avraham Stern, dit "Yaïr", un des plus grands héros de la Renaissance nationale juive en Eretz-Israël, tombé sous les balles anglaises. יהיה זכרו בּרוך Que la mémoire de ce grand combattant soit bénie! 

 

A l’occasion du 70e anniversaire de la mort d’Avraham (Yair) Stern, assassiné par la police britannique à Tel-Aviv le 12 février 1942, la 1e chaîne de télévision israélienne a diffusé hier soir un documentaire exceptionnel sur la figure légendaire du combattant de l’ombre, fondateur et dirigeant du Lehi, réalisé par son fils. Ce dernier, qui porte le prénom de guerre de Yair, a voulu à travers ce film suivre les traces de ce père qu’il n’a pas connu. Ancien directeur général de la télévision israélienne, Stern est en effet né en 1942, quelques mois seulement après la disparition tragique du chef du Lehi. Cet élément confère à son film une dimension supplémentaire : plus qu’un documentaire historique, il s’agit d’un film initiatique relatant la recherche par un fils des traces de son père, illustre combattant qu’il n’a connu qu’à travers les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé, et au premier plan, de sa mère, Roni.

 

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Récépissé d'inscription de Yair Stern à l'université de Florence, 1934

Le film nous emmène de Pologne en Eretz-Israël, puis en Italie, jusqu’au dénouement tragique, dans une petite rue du quartier de Florentine à Tel-Aviv. Né en Pologne en 1907, le jeune Avraham Stern monte en Israël à l’âge de 17 ans et étudie, d’abord au lycée Gymnasia Ivrit de Jérusalem, puis à l’université hébraïque (qui est à l’époque une institution encore modeste). Très vite, il se révèle un étudiant doué, passionné de littérature, de poésie et de lettres classiques. 

 

Engagé en 1929 dans la Haganah, il rejoint bientôt les rangs de l’Irgoun, organisation clandestine proche du mouvement sioniste révisionniste de Jabotinsky. A cette période déjà, il écrit des poèmes marqués par sa vision très particulière du combat national juif, et notamment son fameux Hayalim Almonim (« Soldats anonymes »), qui deviendra après sa mort l’hymne du Lehi.

Yair-Hayalim-Almonim.jpg

 

 

En 1934 il part à Florence *, faire un doctorat sur « Eros dans la poésie grecque ». Le film montre bien comment Yair est partagé entre sa passion des lettres classiques et son engagement politique. Dans une scène particulièrement émouvante, son fils retrouve les appréciations élogieuses des professeurs de Stern dans les archives de l’université catholique de Florence (de nombreux étudiants d’Eretz Israël partaient à l’époque étudier en Italie, comme le relate l’ancien ambassadeur Jacob Tsur dans son beau livre, Prière du matin).

 

160209yair.gifAvraham Stern est extrêmement doué mais, lorsque sa compagne lui fait part de l’offre alléchante de l’université hébraïque, qui lui propose de devenir professeur à Jérusalem, il refuse sans hésiter, déclarant qu’il préfère « mourir comme soldat anonyme que devenir un professeur fameux pendant cinquante ans… » Prémonition ou prophétie ?

 

Dès cette époque, les poèmes de « Yair » sont marqués par une vision saisissante de la catastrophe qui approche, mais aussi de son destin personnel. « Aujourd’hui j’écris avec le stylo, demain avec l’épée. Aujourd’hui avec l’encre, demain avec mon sang… » Comme Jabotinsky et d’autres, il pressent la Shoah. A la demande de David Raziel, commandant de l’Irgoun, il se rend à Varsovie pour acheter des armes.

 

Un aspect émouvant du film est la relation passionnée de Yair avec Roni, qui deviendra sa femme, après de nombreuses années d’hésitation : le combattant de l’ombre refuse en effet de lui faire partager son sort. Comme il l’écrit dans un de ses plus fameux poèmes, il a épousé la cause sioniste, ce qui laisse peu de place à la vie de famille… « Tu m’es consacrée, ô ma patrie ! ». Le Lehi, issu d’une scission au sein de l’Irgoun, représente la ligne maximaliste de ceux qui ne renonceront jamais au combat contre l’occupant anglais, même en pleine Guerre mondiale.

 

PikiWiki_Israel_5687_abraham_stern(yair)_grave.jpgLorsque Yair est assassiné en 1942 par la police britannique, le mouvement qu’il a fondé est orphelin, ses militants pourchassés et dénoncés, y compris par les membres des organisations rivales. Mais deux ans plus tard le Lehi est reconstitué, sous la direction d’un triumvirat (Yelin-Mor, Eldad et Shamir, futur Premier ministre d’Israël). Et le combat reprend contre l’occupant anglais, sans répit et sans pitié… Le reste appartient à l’histoire d’Israël.

 

* Documents rares concernant la jeunesse et les études de Stern en Italie sur le site http://www.freeebrei.com/home/i-documenti/sionismo/una-stella-a-firenze

Le lecteur  francophone qui veut en savoir plus sur le LEHI ("groupe Stern") pourra lire le beau livre de Gerold Frank, "Le groupe Stern attaque", paru chez Robert Laffont en 1964.

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Moshe Arens (1925-2019) : Betari, historien et dirigeant politique. En guise d’hommage, par Pierre Lurçat

January 7 2019, 11:13am

Posted by Pierre Lurçat

 Moshe Arens (1925-2019) : Betari, historien et dirigeant politique. En guise d’hommage, par Pierre Lurçat

Moshé Arens, dont on vient d’apprendre ce matin le décès à l’âge de 93 ans, n’était pas seulement un dirigeant politique de premier plan, ancien ministre des Affaires étrangères, ministre de la Défense et mentor politique de Benjamin Nétanyahou. Il était aussi un historien de renom, qui a consacré une partie de sa vie à rendre justice aux combattants du Ghetto de Varsovie appartenant à l’aile droite du mouvement sioniste, dont l’action héroïque avait été délibérément occultée pour des raisons politiques. Nous republions ici cette interview de Moshé Arens à ce sujet, en guise d’hommage. P. Lurçat.

Moshe Arens (1925-2019)

 

La révolte du ghetto de Varsovie est devenue, à juste titre, le symbole de la résistance juive armée au nazisme et elle occupe une place essentielle dans la mémoire juive, tant en Israël qu’en diaspora. Pourtant, l’historiographie de cet épisode demeure encore, 70 ans après, sujette à une occultation liée à des raisons politiques. En effet, alors que tout le monde connaît le nom de Morde’hai Anielewicz et de l’Organisation Juive de Combat (OJC), la plupart ignorent celui d’un autre héros de la révolte du ghetto, Pavel Frenkel, et de l’organisation dissidente qu’il dirigeait, la ZZW (Union militaire juive), affiliée au Bétar.

Ghetto Varsovi, Betar, Pavel FrenkelGhetto de Varsovie, avril 1943 : une histoire occultée, interview de Moshé Arens

Moshé Arens, ancien ministre de la Défense israélien et ancien Bétari, a consacré un livre important à cet aspect occulté de l’histoire, sous le titre « Flags Over the Warsaw Ghetto - The Untold Story of the Warsaw Ghetto Uprising » (Gefen Books 2011). Dans une rare interview en français, accordée au journaliste Roland Süssmann, en 2006, il expliquait les raisons qui l’ont mené à consacrer plusieurs années aux recherches qui ont abouti à ce livre. Extraits.

R. Süssmann : « Qui étaient les premiers insurgés ? »

Moshé Arens : « Des jeunes qui avaient eu le courage, la vision et l’audace d’imaginer qu’une forme de résistance pouvait être envisagée et organisée… En fait, il existait deux mouvements de résistance : le premier, connu sous les initiales polonaises « Z.O.B. » (en français, O.J.C., Organisation juive de Combat), dirigé par Morde’hai Anielewicz qui avait alors 23 ans, et le second, désigné par les lettres capitales polonaises ZZW (« Irgoun Hazwaï Hayehoudai », union militaire juive), dirigé par Pavel Frenkel, également âgé de 23 ans. L’OJC comptait des membres issus de pratiquement toutes les organisations juives, y compris du Bund [N.d.R. Parti socialiste juif, non sioniste], des mouvements sionistes et même des communistes.

ghetto varsovi,betar,pavel frenkelghetto de varsovie,avril 1943 : une histoire occultée,interview de moshé arens

Pavel FRENKEL - Il n'existe aucune photo de lui...

 

Le ZZW était avant tout composé des membres du Bétar, ainsi que d’un certain nombre de personnes désirant combattre les Allemands et qui possédaient des armes. Il est donc important de souligner que, contrairement à ce qui est généralement admis, la révolte juive du ghetto de Varsovie n’a pas été conduite par une seule organisation, mais par deux, ce qui n’enlève évidemment rien à la bravoure et à la grandeur de Morde’hai Anielewicz et de ses hommes.

R.S. Le Bétar a-t-il joué un rôle important dans la révolte ?

M.A. Entre le 19 et le 28 avril 1943, la bataille la plus importante de la révolte a été menée sur la place Workanowsky sous le commandement de Pavel Frenkel. A l’issue de la première journée de conflit, ayant repoussé les Allemands, les combattants du Bétar ont hissé les drapeaux sionistes (celui d’Israël aujourd’hui) et de la Pologne sur le plus haut bâtiment du quartier. Les Allemands ont tenté de les déloger, estimant qu’il s’agissait d’un symbole dangereux car ils pouvaient être vus depuis de nombreux endroits de Varsovie. Himmler a alors téléphoné à Jürgen Stroop pour qu’il liquide le ghetto et surtout qu’il mette tout en œuvre pour enlever ces drapeaux. La bataille a fait rage pendant quatre jours avant que les Allemands, plus fort en nombre et en armes, gagnent la partie…

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Emilka Kossower, combattante du ZZW

 

R.S. Combien de personnes étaient membres du groupe de Frenkel ?

M.A. Les deux organisations réunies ne comptaient pas plus de 300 personnes. Ce qui déterminait le nombre de combattants, c’était la quantité d’armes dont chaque organisation disposait. L’arme la plus répandue était le pistolet, qui était opposé aux armes automatiques, à l’artillerie légère et aux petits tanks de l’armée allemande.

 

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Militants du Betar de Varsovie, 1938

Le ZZW était avant tout composé des membres du Bétar

R.S. Comment expliquez-vous que les deux organisations de révolte ne se soient pas réunies?

M.A. L’OJC était avant tout constituée d’organisations de gauche de tendance socialiste et marxiste, y compris le Bund, organisation juive socialiste antisioniste. D’ailleurs, les membres du Bund se sont joints à l’OJC très tard ; ils ne souhaitaient pas participer à une organisation de combat juive, mais seulement socialiste, incluant des socialistes polonais. Cela démontre à quel point d’anciennes idéologies étaient encore prédominantes dans les esprits à l’intérieur du ghetto de Varsovie, même après la grande vague de déportations…

 

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Toutes ces tendances estimaient que le Bétar n’était constitué que d’un groupe de ‘fascistes’, perpétuant ainsi la division qui existait déjà entre Jabotinsky et les sionistes socialistes. En fait, le Bétar a été exclu dès le début de l’organisation des groupes de résistance. Dans les semaines précédant le début de la révolte, après que la majorité de la communauté juive ait été déportée, il avait été question d’unification, mais l’idée de s’adjoindre des hommes considérés comme ‘fascistes’ était inacceptable pour l’OJC. Comme Frenkel et ses hommes disposaient d’un armement plus important, les représentants de Morde’hai Anielewicz leur avaient proposé de se joindre à eux non pas en tant que groupe, mais à titre individuel. Les hommes de Frenkel ayant un entraînement militaire supérieur aux membres de l’OJC, une telle offre était inacceptable pour eux ! Au vu des circonstances, toute cette affaire semble assez étonnante, car les Allemands ne faisaient pas de distinction entre les différents révoltés…

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R.S. Comment Pavel Frenkel a-t-il terminé sa vie ?

M.A. La majorité de ses camarades sont tombés pendant la bataille de la place Woranowsky. Frenkel a survécu et réussi, accompagné de quelques combattants, à quitter le ghetto. A la fin de la révolte il s’est caché dans Varsovie et a été découvert par les Allemands au courant du mois de juin 1943. Une bataille sérieuse a alors été engagée, au cours de laquelle il a été tué avec tous ses hommes.

Extraits d’une interview à Shalom Magazine, automne 2006. L’intégralité de l’interview peut être consultée sur Internet à l’adresse http://www.shalom-magazine.com/pdfs/46/Fr/ ARENS%20FR_46.pdf.

 

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Rencontre avec Haggi Ben Artsi : "Retrouver l'esprit d'héroïsme de Hannoukah", Pierre Lurçat

December 4 2018, 15:43pm

Rencontre avec Haggi Ben Artsi : "Retrouver l'esprit d'héroïsme de Hannoukah", Pierre Lurçat

 

Le Dr Haggi Ben Artsi, frère de Sarah Nétanyahou, bien connu pour son opposition virulente aux compromis avec les terroristes, m'avait accordé cette interview il y a quelques années pour Israël Magazine, dans laquelle il évoque son célèbre beau-frère, mais aussi des sujets brûlants comme le terrorisme et la manière de le vaincre, et l’héroïsme des Makkabim.

 

J'ai rencontré pour la première fois le Dr Haggi Ben Artsi lors de la veillée de Hochana Rabba(dernier jour de Souccot) organisée par l'association Almagor, qui défend les familles des victimes du terrorisme et s'oppose à la libération de terroristes *. J'avais souvent entendu parler de lui, comme d'un éducateur hors-pair et comme d'un militant. Mais aux yeux du grand public, Ben Artsi est surtout connu comme étant le beau-frère du Premier Ministre : il est en effet le frère de Sarah Nétanyahou. Haggi Ben Artsi a accepté, en exclusivité pour Israël Magazine, de dire tout ce qu'il pense, au sujet des négociations en vue de libérer Gilad Shalit, de l'attidude de l'Europe envers Israël et, bien entendu, de son célèbre beau-frère.

 

 

Le Dr Ben Artsi enseigne la Bible et l'histoire juive à l'université Bar Ilan. Nous nous rencontrons au collège d'enseignement supérieur Lifchitz à Jérusalem, où il donne des cours aux élèves enseignants. Il m'accueille avec quelques mots de français, souvenir de ses études au lycée, juste avant la guerre des Six Jours, qui ont pris fin brutalement après le fameux discours du général De Gaulle sur le "peuple sûr de lui et dominateur", lorsque le professeur de français de Ben Artsi a déclaré qu'il interrompait ses cours, en signe de protestation. Cette anecdote donne le ton de notre entretien : Ben Artsi est un homme érudit qui ne mâche pas ses mots et qui ne manque pas d'humour. Il est né en 1950 et a grandi à Tivon, près de Haïfa. Il a étudié  à la yechiva et a combattu lors de la guerre de Kippour.

 

 

Ben Artsi n'aime pas trop parler de lui, ni de sa famille, préférant entrer dans le vif du sujet : l'affaire Gilad Shalit et son action pour empêcher la libération de centaines de terroristes, qui risque de causer des dizaines d'attentats et des centaines de victimes... Il se sent investi d'une mission personnelle à ce sujet, comme il l'a expliqué le soir d'Hochana Rabba, lors de la veillée d'Almagor qui se tenait en face de la résidence du Premier Ministre. Ben Artsi a interpellé à de nombreuses reprises Bibi sur ce sujet, allant jusqu'à organiser tout seul une contre-manifestation devant son bureau à Jérusalem ! Je lui demande pourquoi ce sujet lui tient tellement à cœur, et en quoi il considère que Bibi a trahi ses convictions politiques à cet égard.

 

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J’ai le grand plaisir d’annoncer la parution de mon nouveau livre, ISRAEL, LE REVE INACHEVE, paru aux éditions de Paris / Max Chaleil

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"Bibi est l'homme politique israélien qui s'est opposé le plus fermement à la libération de terroristes, lors du premier 'échange' – la  fameuse transaction Jibril – en 1986", rappelle Ben Artsi. Jusqu'à cette date, Israël avait toujours refusé avec détermination de remettre en liberté des terroristes, préférant lancer des opérations audacieuses pour tenter de libérer les otages, comme celle d'Entebbé – au cours de laquelle fut tué Yoni Nétanyahou, le frère de Bibi. Quand le gouvernement d'union nationale Shamir-Pérès accepta pour la première fois de libérer des centaines de terroristes, en 1986, Nétanyahou était ambassadeur d'Israël aux Nations unies. Il prit alors publiquement position contre son gouvernement, fait exceptionnel pour un ambassadeur. La 'transaction Jibril' fut la cause principale du déclenchement de la première Intifada.

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L'héritage de Yoni Nétanyahou

Par la suite, Nétanyahou s'exprima très souvent sur ce sujet et publia même un livre sur la manière de lutter contre le terrorisme [traduit en français sous le titre Combattre le terrorisme]. Quand Bibi a-t-il changé d'avis sur ce sujet ? Lorsqu'il est devenu Premier Ministre pour la première fois, en 1996, Israël a tenté de liquider le chef du Hamas, Khaled Mashal, en Jordanie. Les agents du Mossad ont été capturés, et Amman a exigé pour les relâcher la libération du cheikh Yassine. Bibi a accepté, en affirmant que Yassine était déjà vieux et qu'il ne poursuivrait pas ses activités terroristes... Cette évaluation s'est malheureusement avérée entièrement infondée.

 

Haggi Ben Artsi interpelle souvent Nétanyahou, publiquement ou lors de leurs conversations privées, en lui rappelant son engagement passé. "Je lui dis, sois fidèle à l'héritage de Yoni, qui est tombé [à Entebbé] pour ne pas accepter le chantage des terroristes... Et si tu n'es pas capable d'assumer cet héritage, alors démissionne !" Ben Artsi avait dit la même chose à Ariel Sharon, avant le retrait de Gaza. Je lui demande comment les Juifs francophones, très sensibles à la cause de Gilad Shalit, peuvent se mobiliser sans tomber dans le piège du Hamas. "Il y a beaucoup de choses à faire, mais il ne faut pas capituler aux exigences de nos ennemis", martèle Ben Artsi. A ses yeux, toute la campagne pour libérer Shalit en échange de centaines de terroristes est une arme psychologique pour affaiblir Israël.

 

 

"L'Allemagne et la France nous combattent aujourd'hui de manière très intelligente, en faisant croire qu'elles sont nos amies... Mais l'Europe n'a pas changé depuis l'époque de la Shoah, comme le dit Bentsion Nétanyahou, le père de Bibi *. La meilleure manière pour nos ennemis d'affaiblir Israël est de faire en sorte que nous cédions au terrorisme". C'est ainsi, explique Ben Artsi, que l'Europe finance des dizaines d'organisations d'extrême-gauche, comme Chalom Archav ou Betselem, qui reçoivent des millions d'euros pour affaiblir Israël.

 

Hannoukah et le souvenir d'Emmanuel Moreno z.l.

 

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Haggi Ben Arsti a publié il y a quelque temps un petit livre consacré à la fête de Hannoukah, pour raconter l'histoire des Makkabim sous une forme condensée. Ce livre est aussi un hommage à un grand soldat d'Israël, tombé pendant la Deuxième Guerre du Liban, que Ben Artsi connaissait bien : Emmanuel Moreno z.l. "C'était un héros, à la fois dans l'armée, dans sa émouna [confiance en Dieu] et dans ses qualités humaines". Moreno était l'élève de Ben Artsi au lycée Hartman de Jérusalem. "J'avais ressenti qu'il était un élève exceptionnel". Emmanuel Moreno était lieutenant-colonel dans la fameuse "Sayeret Matkal", l'unité d'élite la plus prestigieuse de Tsahal. Il a commandé des opérations restées secrètes jusqu'à ce jour, au point que sa photo n'a jamais été publiée... Moreno est aussi le plus haut-gradé parmi les soldats d'origine française tombés pour la défense d'Israël.

 

"C'est seulement après sa mort que j'ai appris ce qu'il avait fait", raconte Ben Artsi. Dans la postface à son livre sur Hannoukah, traduit en français par le rav Yossef Attoun, Haggi Ben Artsi écrit ces lignes, d'une actualité toujours aussi brûlante, à la veille de la fête des Lumières : "Emmanuel Moreno n'est plus avec nous, mais l'esprit qui l'animait, l'esprit des Hachmonayim [Hasmonéens] qui a ressurgi à notre génération, continuera d'éclairer notre chemin". En lisant ces lignes dans le livre du Dr Ben Artsi, je réalise soudain que notre rencontre tombe à point nommé. Israël est confronté, aujourd'hui comme hier, à un choix décisif : combattre le terrorisme sans concession, ou capituler... Résister aux pressions américaines et européennes, ou céder ; lancer des opérations audacieuses contre nos ennemis, ou alors libérer des centaines de terroristes qui vont reprendre leur combat contre nous.

 

 

Je lui demande en conclusion, qui est vraiment Binyamin Nétanyahou ? Ses électeurs de droite ont été trop souvent déçus, et se demandent encore aujourd'hui ce qui l'emportera, entre la tradition jabotinskienne incarnée par son père, et les pressions étrangères et celles des médias israéliens et de l'aile gauche de sa coalition. Haggi Ben Artsi est convaincu qu'au fond de lui, Bibi est resté un patriote authentique. A la veille de la parution de cet entretien, il s'apprête à publier une lettre ouverte au Premier Ministre, dans laquelle il cite un passage de son livre, où Bibi expliquait pourquoi il ne fallait pas libérer de terroristes. Ben Artsi exhorte à nouveau son beau-frère à ne pas céder au chantage du Hamas et à retrouver l'esprit qui l'animait autrefois, en poursuivant la tradition de courage et d'héroïsme de son frère Yoni, d'Emmanuel Moreno et des Makkabim.

 

* Voir "Meir Indor, Almagor et la défense des victimes du terrorisme", Israël Magazine, novembre 2008.

** Voir "Bentsion Nétanyahou, historien, militant sioniste et père de Premier Ministre", Israël le rêve inachevé, Editions de Paris / Max Chaleil.

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