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guerre des six jours

Parlez au cœur de Jérusalem (Isaïe 40;2), Rav Menachem Chouraqui

May 21 2020, 09:43am

Posted by Menachem Chouraqui

Tlemcen, Algérie, l’année 5657 (1897). La très ancienne communauté juive, dont les racines remontent à l’époque des Guéonim et réputée dans toute l’Afrique du Nord pour ses illustres rabbins, ne parvient pas à retrouver sa sérénité depuis que les provocations et les agressions des musulmans contre ses dirigeants et ses fidèles ne font que s’intensifier.

En effet, depuis plusieurs années, une secte musulmane extrémiste a pris le contrôle de la ville. Ses adeptes font régner la terreur sur les habitants des localités voisines et organisent de nombreuses rebellions armées contre les autorités. Tlemcen la ville pacifique et pastorale était devenue un centre mondial d’études de l’islam et un centre spirituel pour des musulmans intéressés à approfondir la mystique du Coran. Nombreux parmi eux venaient en pèlerinage sur la tombe du « saint de Tlemcen » Sha’ib Abou Medine Al Andaloussi. De même, La grande mosquée érigée à sa mémoire était devenue au fil du temps un pôle d’attraction pour les seigneurs et princes du monde arabe.

700 ans auparavant, Sha’ib Abou Medine avait mis sur pied une fondation à but religieux (הקדש) par le biais de laquelle il avait acquis des terres dans le village de Ein Kerem près de Jérusalem. Tous les revenus de cette fondation étaient consacrés à subvenir aux besoins des musulmans du Maghreb installés dans la partie située à l’Ouest du Mont du Temple, la Porte des Maghrébins, sous le règne du gouverneur Nour A Din Tahnat, et ce jusqu’à l’arrivée de leur Mehdi (messie). Les très importants revenus de la fondation lui permirent, entre autre, d’acheter un grand édifice à proximité d’Al Bouraq, considéré comme lieu éminemment sacré pour les musulmans.

le Rav Haïm Bliah

Plongés dans le désarroi et face aux dangers qui menacent la Communauté juive de Tlemcen, ses notables décident de se tourner vers leur dirigeant spirituel, le Rav Haïm Bliah, et le supplie de trouver un moyen de dialoguer avec les responsables musulmans, afin de calmer, ne serait-ce qu’un moment, la tension régnante entre les deux communautés. Restent encore vivants dans la mémoire des Juifs de Tlemcen le souvenir des nombreux pogroms subis 50 ans auparavant durant lesquels le grand-père du Rav Bliah avait été pourchassé et contraint de s’enfuir précipitamment pour échapper à la mort. Le Rav Bliah accepte de prendre sous sa responsabilité cette mission et de mettre un terme à ce conflit. Accompagné par son confrère du Tribunal rabbinique, le Rav David Hacohen Scali, il décide d’organiser une rencontre, a priori à caractère pacifique, avec les principaux dirigeants musulmans les plus extrémistes. La rencontre aura lieu un vendredi, au terme de la prière devant la grande mosquée au nom du “saint de Tlemcen”.

le Rav David Hacohen Scali

Rabbi Haïm Bliah âgé de 61 ans et Rabbi David Hacohen Scali de 36 ans sont deux grands érudits et éminents décisionnaires, des talmidei hakhamim dont la piété et la sagesse sont de notoriété parmi tous les plus grands sages d’Afrique du Nord.

Vêtus de leurs tuniques rabbiniques traditionnelles, enveloppés de talithot et accompagnés par des notables de la communauté et par de nombreux juifs, ils s’approchent de la foule musulmane qui devient de plus en plus menaçante.

La tension est à son comble. L’assistance retient son souffle dans l’attente d’entendre les paroles du  Rav Bliah.

Soudain, à la stupéfaction générale, le Rav Bliah s’avance devant les dirigeants musulmans et se met à les conspuer et bafouer leur religion ainsi que leur prophète. Lorsque le Rav Hacohen Scali se joint à son collègue et invective lui aussi l’assemblée musulmane, ensemble ils suscitent un tôlé général auprès des personnes présentes. Aussi bien les juifs que les musulmans sont frappés de stupeur. Personne ne s’attendait à une réaction aussi virulente et aussi provocante de la part de ces honorables rabbins.

Puis le Rav Bliah sortit son choffar et sonna d’un son fort et long qui fit trembler toute l’assistance et s’exclama envers les arabes : « Si vous pensez que Jérusalem vous appartient grâce aux possessions que vous avez là-bas, détrompez-vous et sachez que précisément dans 70 ans, Jérusalem et le Mont du Temple seront restitués aux mains des Juifs par leur gouvernement souverain en terre d’Israël ».

Les paroles du Rav Bliah, engendrèrent un profond émoi et étonnement parmi toute l’assemblée.

Le courage et l’audace de ces deux rabbins qui s’étaient dressés sans peur face à une foule hostile suscitèrent chez les musulmans, paradoxalement, un profond sentiment de respect. Ainsi, de façon presque miraculeuse, après cet évènement, la ville de Tlemcen reviendra au calme et ce, pendant de nombreuses années.

Le 1er congrès sioniste à Bâle

Nous sommes le 26 du mois d’Iyar et trois mois avant le premier congrès sioniste à Bâle (Suisse).

Les paroles du Rav Bliah trouvèrent un vaste écho auprès de toutes les communautés juives d’Afrique du Nord durant plusieurs années et éveillèrent une profonde curiosité chez leurs dirigeants rabbiniques quant à leur véritable signification.

Trente ans plus tard, en 1926, dans un de ses ouvrages, le Rav David Hacohen Scali faisant référence à la Déclaration Balfour écrivit en ces termes : « Béni soit Celui qui a choisis nos maîtres ainsi que leurs enseignements car leurs paroles ont été prononcées avec le Rouah Hakoddesh, du fait que nous voyons par nos propres yeux à notre époque qu’Hakadosh Baroukh Hou nous sourit et se tourne vers son peuple Israël, Jacob son lot d’héritage, car Israël ont trouvé grâce devant Dieu et auprès des souverains lui rendant hommage en leur octroyant un gouvernement et ont consenti à leur rendre leur héritage, notre sainte Terre, et déjà certains s’y sont installés avec une administration pour Israël dans la Terre de sainteté, parmi eux des ministres et des personnalités et chaque jour la lumière rayonne sur eux dont l’éclat va croissant jusqu’au plein jour. Et donc nous ne devons pas prendre les devants et libérer l’éclat de la lumière jusqu’au moment où il sortira et brillera en vertu du décret »

Neuf ans après en 1935, le Rav David Hacohen Scali publiera dans l’un de ses livres un article intitulé « elle se hâte vers son terme ». Dans cet article, il précisera quand arrivera le temps où ‘l’éclat de la lumière sortira et brillera conformément au décret’. Se fondant sur la Tradition des Prophètes et des Sages d’Israël ainsi que sur les Sages de la tradition du Sod, il prédira avec précision la date de la libération de Jérusalem. Cet article aura un impact considérable sur les Sages d’Afrique du Nord et il sera cité par eux en temps de crise afin d’insuffler auprès de leurs fidèles de l’espoir dans la Guéoula, la Délivrance, prochaine.

En 5660 (1900) le Rav Scali quitte la ville de Tlemcen. Comme le veut la coutume des Sages d’Algérie quand ils se séparent l’un de l’autre, le Rav Bliah remettra à son confrère son choffar comme marque d’hommage et comme souvenir et témoignage de leur amitié. Le Rav Scali prendra avec lui ce choffar à la ville d’Oran, communément surnommée chez les juifs d’Algerie « Oran shel Hakhamim » (Lumière des Sages). Le Rav Scali sera nommé aux fonctions de grand rabbin et Président du Tribunal rabbinique jusqu’à son décès le 24 du mois de Iyar 5709 (1949).

Quand en 1932, son gendre et fidèle disciple, le Rav David Ibn Khalifa fut nommé grand rabbin et Président du

le Rav David Ibn Khalifa

Tribunal rabbinique dans sa ville natale, ce dernier se rendra à Oran pour solliciter la bénédiction de son Maître.  À cette occasion, le Rav Scali lui remettra le choffar du Rav Bliah. Le Rav David Khalifa, dernier grand décisionnaire d’Algérie, était sioniste de tout son être. Il participera de nombreuses fois au Congrès Sioniste à la tête d’une délégation de juifs d’Algérie pour le mouvement Hamizrahi.

Lors de l’un de ses voyages en Israël, le Rav Khalifa rencontrera son ami le Rav Elyahou Pardès, alors Grand rabbin de Jérusalem. Ils se connaissaient de longue date. Le Rav Pardès avait coutume chaque année au mois de Nissan de se rendre dans les communautés juives d’Afrique du Nord. C’est au domicile du Rav Khalifa qu’il passait toute la fête de Pessah.

le Rav Elyahou Pardès

Lors de cette rencontre, était également présent le Rav Shlomo Goren alors aumônier général de Tsahal. Le Rav Khalifa qui lors de tous ses voyages à Jérusalem prenait avec lui le choffar qu’il avait reçu de son Maître, raconta au Rav Goren l’histoire liée à ce choffar.  Le Rav Goren en fut très impressionné. A la fin de cette rencontre, le Rav Khalifa pris la décision de remettre ce choffar comme présent au Rav Goren en lui disant “que seulement lui, en tant que Rav à la tête du Rabbinat militaire de l’Etat hébreu renouvelé était digne de le détenir“. Le Rav Goren fut très ému de recevoir ce présent singulier et dit au Rav Khalifa qu’il le remettra en dépôt chez son beau-père, le Nazir qui lui aussi s’appelait David Hacohen, et qui également avait fait sien des comportements de piété et d’extrême sainteté. Le Nazir a cette époque restait cloitré à son domicile depuis la chute de la Vieille Ville et s’était contraint à ne pas sortir en dehors de son domicile jusqu’à la Libération de Jérusalem.

Le Rav Shlomo Goren, aumonier général de Tsahal

Pendant la Guerre des Six Jours, le 28 du mois de Iyar 5727 (1967), la jeep du Rav Goren roulant depuis la Bande de Gaza vers Jérusalem fut prise dans sous des tirs d’obus et prit feu avec le choffar que le Rav avait avec lui pendant la guerre.  Persuadé d’une foi profonde que durant cette guerre, il annoncerait la Guéoula au peuple d’Israël en sonnant du choffar près du Kotel Hamaaravi, le Rav Goren ne se séparait jamais de son chofar. Or voilà que le Rav n’avait plus de choffar. Il se devait impérativement d’en trouver un autre. Il se souvint alors du choffar qui lui avait été donné par le Rav Khalifa quelques années auparavant et qu’il avait déposé chez son beau-père, le Nazir.

Alors que la guerre battait son plein, l’élève et aide de camp du Rav Goren, le Rav Menahem Hacohen a raconté l’histoire suivante :

le Rav David Hacohen, le Nazir, au milieu

« Par ordre du Rav Goren je roule chez son beau-père le Rav David Hacohen, le Nazir, un des principaux disciples du Rav Kook. Le Nazir, une figure particulièrement passionnante. On l’appelait le Nazir parce qu’il se comportait comme un nazir. Après avoir pris sur lui d’être nazir, il ne buvait pas de vin, avait laissé pousser ses cheveux et était végétarien. J’arrive au domicile du Nazir et il ne dit rien. Pourquoi ? Parce que durant cette période difficile, il avait pris sur lui de s’abstenir de parler. Je lui dis : je voudrais prendre le choffar. Il semble qu’il me fait signe que le choffar se trouve au-dessus de l’armoire.  Je monte sur une chaise et je prends le choffar que je remets ensuite au Rav Goren. Plus tard, quand nous avons grimpé sur le tank à l’entrée de la Porte des Lions, le Rav Goren tenait ce choffar et un Sefer Torah. Pendant des heures, il n’a pas cessé de sonner de ce choffar. Nous sommes montés sur le Mont du Temple et là, l’état d’exaltation était à son paroxysme. Petit à petit, des combattants de diverses unités venant d’autres endroits de Jérusalem sont arrivés. Le Mont du Temple s’est rempli. Tous se sont tenus là sur le Mont et spontanément, ils ont entonné Yeroushalayim shel zahav ».

70 ans précisément après sa proclamation dramatique, la prophétie du Rav Bliah s’est réalisée ! Le Rav Goren sonnera avec le choffar du Rav Bliah que la Providence lui avait fait parvenir. Dans le feu des combats, avec l’arme de son chauffeur, le Rav Goren fera sauter l’écriteau de porcelaine sur lequel était écrit « Al Bouraq ». Ainsi, furent définitivement effacées les traces de Sha’ib Abou Medin Al Andaloussi à Jérusalem. Le Rav Goren a eu le privilège d’être l’instrument par lequel a été annoncé au peuple d’Israël et au monde entier que la Shekhina, la Présence divine, est revenue à la Maison.

Le Rav Goren sonnant du choffar sur le Mont du Temple

En ces heures intenses, endormi depuis presque 2000 ans, le cœur de Jérusalem s’éveilla et se mit à battre de nouveau au son du choffar. Le rythme de ses battements s’accéléra et s’intensifia lors de la parade des parachutistes sur l’esplanade du Mont du Temple. Le cœur de Jérusalem insuffla du sang frais à tous les membres du corps de la Nation lorsqu’entouré par des officiers de Tsahal, le Rav Goren se tenant droit, avec son choffar dans la main, entrera sur le lieu du Kodesh Hakodashim, le Saint des saints. Pour un instant, lors de la levée du drapeau sur le dôme du rocher, le cœur de Jérusalem semblait avoir rajeuni, s’être renforcé…. Pour un instant seulement. Le peuple d’Israël ayant bu de la coupe de la consolation, décida de cesser de parler au cœur de Jérusalem.

Tous mes remerciements au Dr Yossef Charbit pour les références historiques.

Rav Menachem Chouraqui

Rabbin de la communauté Kyriat Hana David

Directeur du Beith-Midrash Mikhlal Yofi

Jérusalem

Source : 

http://jerusalem24.com/blog/2020/05/19/parlez-au-coeur-de-jerusalem-isaie-402/

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Le testament politique de Nathan Alterman (1910-1970) - l’écrivain-prophète d’Eretz-Israël

March 17 2020, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

 

1

Il n’existe aucune traduction en français de Nathan Alterman, le grand écrivain israélien mort à Tel-Aviv, il y a tout juste cinquante ans (1). Alterman avait pourtant un lien particulier avec la France, pays où il avait passé trois ans au début des années 1930, âgé d’une vingtaine d’années, tout d’abord à Paris, pour s’isoler et écrire loin du bruit et de la fureur des événements en Eretz-Israël, puis à Nancy, où il étudia l’agronomie. Comme d’autres villes universitaires françaises, Nancy attirait en effet alors de nombreux étudiants “palestiniens” (c’est-à-dire des Juifs venus d’Eretz-Israël), qui voulaient acquérir un métier d’avenir. Et l’avenir, à cette époque, c’était le travail de la terre.

 

Nathan Alterman (1910-1970)

 

Parmi les étudiants qui firent le même choix que Nathan Alterman, citons les noms d’Anya Jabotinsky, femme du grand dirigeant sioniste, qui étudia elle aussi à Nancy, et celui de la poétesse Rahel Blaustein, qui étudia l’agronomie à Toulouse. L’histoire de ces étudiants eretz-israéliens séjournant en France reste à écrire, tout comme celle de l’influence culturelle que la France a exercée sur plusieurs écrivains israéliens, parmi lesquels figurent notamment Yehoshua Kenaz, Amos Kenan ou encore David Shahar, le seul écrivain israélien dont une rue porte le nom en France (2). Comme d’autres écrivains israéliens francophiles, Alterman traduisit en hébreu plusieurs oeuvres importantes de la littérature française, comme L’Avare et Le Malade imaginaire de Molière, l’Antigone d’Anouilh et le Phèdre de Racine.

 

2

Le cinquantenaire de la disparition d’Alterman est l’occasion pour les journaux israéliens d’évoquer cette grande figure des lettres israéliennes, qui joua aussi un rôle significatif dans la vie politique et le débat idéologique, notamment après 1967, en s’engageant dans le “Mouvement pour l’intégrité de la Terre d’Israël”, fondé juste après la Guerre des Six Jours. Alterman fut une des chevilles ouvrières de ce mouvement auquel participèrent des écrivains aussi importants que Joseph Samuel Agnon (futur prix Nobel de littérature), Haïm Gouri, Haïm Azaz, Itshak Shalev, mais aussi Rachel Ben Tsvi-Yanaït (épouse du président de l’Etat Itshak Ben-Tsvi). Selon certaines sources, c’est lui qui rédigea le manifeste “pour l’intégrité de la terre d’Israël”, signé par 60 personnalités, qui fut publié à la veille de Rosh Hashana 1968, quelques mois après la fin de la guerre (3).


 

Alterman aux côtés de Moshé Dayan, 1948

 

On a peine à imaginer aujourd’hui que ce mouvement intellectuel en faveur du maintien de la présence juive en Judée-Samarie, sur le Golan et dans le Sinaï, qui réunissait la “crème” du monde des lettres israélien de l’époque, était constitué majoritairement par des hommes de la gauche sioniste, et non par des proches du Herout. Il comptait ainsi, outre les noms déjà mentionnés, ceux de Tsivia Lubetkin, combattante du ghetto de Varsovie et fondatrice du kibboutz Lohamei Hagettaot, de Moshé Tabenkin, membre du kibbutz Ein Harod dont le père, Itshak Tabenkin, était un fondateur et un des principaux idéologues du parti travailliste, et de nombreux autres représentants de la gauche sioniste et du mouvement kibboutzique. A leurs côtés se trouvaient aussi une poignée de membres de la droite sioniste, dont les écrivains Uri Zvi Greenberg, Moshé Shamir (membre de l’Hashomer Hatzaïr dans sa jeunesse, qui avait rejoint le Likoud) et l’idéologue du Lehi, Israël Eldad.


 

3

Comment et pourquoi Alterman, considéré comme la “voix intellectuelle” par excellence du sionisme travailliste, fut-il amené à s’engager en faveur “d’Eretz-Israël ha-shelema” (l’intégrité d’Eretz-Israël)? Les avis sur cette question divergent. Dan Laor, le biographe d’Alterman, observe à ce sujet que la guerre des Six Jours fut pour Alterman une véritable illumination. “Il vécut une véritable révolution intérieure, du jour au lendemain”, explique Laor. “Ce fut comme une illumination. La guerre ébranla les fondements de la terre, et en tant que poète et que sismographe, ressentant les courants souterrains traversant la société israélienne, il aboutit à une conclusion opposée à tout ce qu’il avait cru auparavant”.(4)  L’écrivain Moshé Shamir, lui aussi signataire du Manifeste, estime au contraire que l’engagement d’Alterman en faveur du “Grand Israël” s’inscrivait dans le droit fil de son engagement sioniste d’avant 1967. 


 

Au café Kankan de Tel-Aviv, années 1940. Alterman est le troisième en partant de la gauche


 

Plus importante est la question de savoir, cinquante ans après la naissance du Mouvement pour l’intégrité d’Eretz Israël, quelle a été sa postérité. A de nombreux égards, l’appel lancé par Alterman, Agnon et les autres signataires du manifeste s’est soldé par un échec apparent. Non seulement l’Etat d’Israël n’a pas écouté leur appel, en annexant la Judée, la Samarie et le Sinaï, mais il a au contraire adopté le paradigme trompeur des “territoires contre la paix”, en rejetant l’identification entre Eretz-Israël et “Medinat Israël” qu’Alterman avait célébrée. Si l’on examine, avec le recul du temps, les causes de cet échec apparent, il semble que certains des principaux responsables aient été les écrivains des générations suivantes,  comme Amos Oz, A.B. Yehoshua et David Grossman. Ce sont eux, les porte-parole de La Paix Maintenant, qui ont fait du renoncement au coeur de l’Israël biblique (au nom de la “paix”) leur principal cheval de bataille, avec le succès que l’on sait.

 

4

La comparaison entre Amos Oz et Alterman est révélatrice. Le premier, né Amos Klausner, a changé de nom de famille, comme pour effacer toute trace de l’éthos sioniste révisionniste de la famille de son père, et a poussé à son paroxysme l’attitude du rejet des racines, familiales et nationales. Son pacifisme politique n’exprimait pas seulement l’aspiration à une paix utopique - fondée sur un mensonge (celui du peuple palestinien) - mais aussi l’attitude d’une génération tout entière qui, croyant briser les idoles de ses parents, a sacrifié pêle-mêle Ben Gourion et Jabotinsky, le Second Temple et la rédemption nationale, le kibboutz et les implantations, l’héroïsme des soldats et la juste cause du retour du peuple juif sur sa terre. Histoire d’amour trahi, de désamour et de ténèbres (5).

 

Amos Oz, avec A.B. Yehoshua et David Grossman

 

Alterman, de son côté, a bâti toute son oeuvre sur la fidélité et l’attachement aux valeurs dans lesquelles il avait été élevé. Né à Varsovie en 1910, de parents issus de familles de hassidim de Habad, qui s’étaient s’éloignés de la pratique religieuse pour s’engager dans le mouvement sioniste, Nathan Alterman grandit et vécut avec ses parents et sa grand-mère, la rabbanit Sterna Leibovitz, jusqu’au décès de celle-ci. Du fait de sa présence, le foyer resta casher. “Sa grand-mère était pour Alterman le vestige d’un monde entier et d’une tradition que ses parents avaient quittée”, explique Laor, qui attache une grande importance à la présence de cette grand-mère maternelle dans le foyer familial de l’écrivain. De même, le critique Mordehaï Shalev, dans sa vaste étude consacrée au recueil La joie du pauvre d’Alterman et à la thématique essentielle du conflit entre sionisme et judaïsme, analyse la conviction ancrée chez celui-ci que le judaïsme l’emportera toujours en fin de compte (6).

 

L’attitude d’Alterman après 1967 est ainsi celle d’un homme qui a grandi dans le respect pour la tradition et dans l’éthos sioniste de la gauche, et qui y est resté attaché de manière indéfectible, même lorsque la gauche sioniste fut atteinte de la maladie du renoncement et du doute (maladie qu’il avait lui-même annoncée dans un poème fameux). “La renonciation volontaire [à la Judée-Samarie] est une chose cruelle et insensée, qu’aucune nation saine d’esprit n’aurait imaginée”, écrit-il en juin 1969. Et dans son article séminal, publié le 16 juin 1967 dans Ma’ariv, sous le titre “Face à une réalité sans précédent”, il écrit : “La victoire a supprimé toute différence entre l’Etat d’Israël et la Terre d’Israël. C’est la première fois, depuis la destruction du second Temple, que la terre d’Israël se trouve dans nos mains. L’Etat et la Terre font désormais un, et il ne manque plus que le peuple d’Israël, pour tisser le triple lien indissociable”.

 

La prophétie d’Alterman s’est réalisée depuis. Tout d’abord, avec l’alyah massive des Juifs d’URSS, qu’il avait annoncée et souhaitée. Puis, avec le peuplement de la Judée-Samarie, dont il avait été un des premiers à proclamer la nécessité. Il ne reste plus aujourd’hui, pour transformer l’échec apparent d’après 1967 en réussite et parachever la victoire miraculeuse des Six Jours de juin, qu’à annexer enfin les territoires libérés et à donner corps à l’identité entre l’Etat d’Israël et Eretz-Israël qu’Alterman avait prophétisée. Saurons-nous être à la hauteur du testament politique de l’écrivain? L’histoire reste encore à écrire.

Pierre Lurçat

 

Funérailles de Nathan Alterman. Au premier rang, Golda Meir, le rabbin Shlomo Goren et le président Zalman Shazar

 

(1) A l’exception de quelques poèmes dans des anthologies, que je n’ai pas recensés.

(2) A Dinard, ville où séjournait sa traductrice Madeleine Neige. J’aborde les liens entre les écrivains israéliens et la France ici, et dans mon livre Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/ Max Chaleil 2018.

(3) Selon Makor Rishon, dans le numéro spécial du supplément Dyokan consacré à N. Alterman, 13/3/2020. Je remercie M. Ben-Hayoun qui m’a transmis le manifeste.

(4) Roi Aharoni, “Les trois dernières années occultées d’Alterman”, Olam Katan 12/3/2020.

(5) La famille Klausner appartenait au “gratin” de l’aristocratie sioniste révisionniste. L’oncle d’Amos Oz, Yossef Klausner, était un historien réputé, spécialiste de l’histoire du Second Temple, rédacteur de l’Encyclopedia Hebraica et candidat à la présidence de l’Etat d’Israël en 1948. Voir notre article, “Comment Amos Klausner est devenu Amos Oz”. http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/12/quand-amos-oz-s-appelait-encore-amos-klausner-une-histoire-de-des-amour-et-de-tenebres-pierre-lurcat.html

(6) Mordehai Shalev, Gonvim et ha-bessora, Kinneret, Zamora-Bitan, Dvir 2018.

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Juin 67 : comment la gauche israélienne a imposé son narratif sur la Guerre des Six jours

June 5 2018, 20:17pm

Posted by Pierre Lurçat

Juin 67 : comment la gauche israélienne a imposé son narratif sur la Guerre des Six jours

Dès le lendemain de la Guerre des Six Jours, la gauche israélienne a créé son propre “narratif” au sujet de la guerre, dans un livre fameux, Sia’h Lohamim (“Paroles de combattants”) qui s’est imposé dans une certaine mesure comme un discours officiel israélien concernant les événements de mai-juin 1967.

Dans ce livre, des soldats issus pour la plupart des kibboutzim des mouvements de la gauche et de l’extrême-gauche (Hashomer Hatzaïr), expriment leurs doutes et leur désarroi après la victoire et relatent les dilemmes moraux auxquels ils ont été confrontés pendant la guerre.

Ce document avait été distribué à l’époque par le ministère des Affaires étrangères aux représentations diplomatiques israéliennes à l’étranger, dans le but de montrer le “visage humain” de l’armée israélienne.

Mais ce narratif humaniste, souvent émouvant mais pétri de culpabilité, reposait sur un mensonge par omission, qui a été depuis lors exposé au grand jour.

Une partie significative des témoignages des soldats recueillis lors de la réalisation de ce document ont en effet été écartés et censurés, car ils ne correspondaient pas aux opinions politiques mises en avant par les auteurs de “Voix de combattants”.

Les voix censurées étaient notamment celles de soldats issus de la Yeshiva Mercaz Harav à Jérusalem, institution phare du sionisme religieux, qui exprimaient leur joie après la victoire miraculeuse, la réunification de Jérusalem et le retour du peuple d’Israël dans le coeur de sa patrie ancestrale.

Le 1 juin 1967: le meilleur ami de l’homme. Des soldats avec leurs chiens dans le Néguev. Crédit: GPO

Le 1 juin 1967: le meilleur ami de l’homme. Des soldats avec leurs chiens dans le Néguev. Crédit: GPO

L’occultation délibérée de ces témoignages, non conformes au narratif de la gauche kibboutzique, s’inscrivait dans une tentative d’écriture d’une “histoire officielle” de la Guerre des Six Jours, dans un sens idéologique bien particulier.

Comme le rapporte Gilad Zweik (1), les auteurs de “Voix de combattants”, parmi lesquels l’écrivain Amos Oz, éprouvaient un mépris non dissimulé pour les sentiments de joie exprimés par la majorité des Israéliens au lendemain de la victoire de juin 1967.

Evoquant son camarade Micha Heyman, tué pendant les durs combats de la “Colline des munitions” à Jerusalem, Amos Oz déclare ainsi que “de son point de vue, on aurait pu dynamiter le Kotel pour sauver Michi”. Un autre soldat interrogé dans le livre déclare que les “sonneries de Choffar [du rav Goren devant le Kottel libéré] lui faisaient mal à la tête…”

On comprend, en lisant ces lignes, que la question de la souveraineté juive à Jérusalem (sans même parler de la Judée et de la Samarie) est tout autant, voire plus, une question intérieure israélienne et juive, qu’une question de droit et de politique internationale.

Dans ce contexte, il convient d’observer qu'une large partie de la gauche israélienne a adopté aujourd’hui le narratif jadis minoritaire, défaitiste et auto-accusateur, des combattants de l’Hashomer Hatzaïr (2).

Mais alors que ces derniers, en tant que soldats et patriotes israéliens, exprimaient leurs critiques et leurs doutes à destination du public israélien en priorité, leurs héritiers actuels adressent leurs attaques contre le gouvernement et l’armée d’Israël au public international, se transformant en dénonciateurs de leur propre peuple devant le tribunal des nations (*).

(1) Dans son article “Voix de combattants, les bobines oubliées, une manipulation transparente”, Mida 8.7.2015, http://mida.org.il/)

(2) Un recueil de témoignages d’habitants des kibboutz de l’Hashomer Hatzaïr récemment publié en Israël montre comment les jeunes de ce mouvement sioniste-socialiste d’orientation pro-soviétique parvenaient à concilier, non sans difficultés et au prix de contradictions parfois insurmontables, leur admiration pour la “patrie du socialisme” et son dirigeant Joseph Staline, et leur engagement sioniste.

* Sur ce sujet, je renvoie à mon livre, “La trahison des clercs d’Israël”, La Maison d’édition

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