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Un "génocide" à Gaza? - Analyse socio-politique de la posture morale des Juifs qui se dissocient d’Israël

September 18 2025, 13:45pm

Posted by Pierre Lurçat

Delphine Horvilleur : contorsions intellectuelles et funambulisme politique

Delphine Horvilleur : contorsions intellectuelles et funambulisme politique

Je publie ici de larges extraits de mon intervention au colloque organisé par Shmuel Trigano au centre Begin de Jérusalem mardi dernier. L'ensemble des interventions seront prochainement publiées sous forme de livre numérique. On peut également écouter mon intervention (et les autres) sur la chaîne Youtube du centre Begin, ici : « Génocide » à Gaza ? Analyse socio-politique des Juifs se dissociant d’Israël | Pierre Lurçat

 

Depuis le 7-Octobre 2023, on assiste à un double phénomène parmi les intellectuels juifs de gauche, qu’on pourrait décrire comme à la fois comme une radicalisation et comme un effacement progressif des frontières entre la gauche sioniste et l'extrême gauche antisioniste. Pour illustrer ce phénomène nouveau, je prendrai pour exemples des figures juives et israéliennes qui parlent "de l'intérieur": Horvilleur, Grossman, Finkielkraut, etc.  Ce faisant, je les distinguerai de ceux que nous avions étudiés dans un numéro de la revue Controverses paru en 2007, consacré aux “Alterjuifs”.

 

Sans entrer dans le détail de l’analyse, disons que les Alterjuifs parlent “de l’extérieur”, en revendiquant publiquement leur non-appartenance au Klal Israël (ils sont comme le fils dont parle la Haggada qui s’exclut du Klal…). Ces Alterjuifs ont depuis toujours critiqué et condamné l’Etat d’Israël, bien avant le 7-Octobre. Pour illustrer la différence entre les 2 catégories/postures, je citerai ce post du cinéaste israélien Eyal Sivan, après l’interview de David Grossman dans La Republica: “Business as usual. À l’ombre du génocide à Gaza, M. Nicolas Weill, commissaire aux affaires juives du journal Le Monde, discute poliment littérature avec M. David Grossman, mascotte tortueuse de la gauche sioniste. Ça doit être ça la vraie civilisation…” Aux yeux d’un alterjuif comme Sivan, David Grossman reste un méchant ‘sioniste’ même quand il accuse Israël de génocide !

 

La nouveauté sur laquelle je voudrais ce soir attirer l’attention est donc celle des Juifs de l’intérieur qui en viennent à se désolidariser d’Israël et à l’accuser des pires abjections. Comment ces Juifs “de l’intérieur” arrivent-ils à parler de génocide” (Grossman), à soutenir que le problème d'Israël n'est pas le Hamas mais Netanyahou (Finkielkraut) ou à défendre la reconnaissance d'un Etat palestinien par Emmanuel Macron (Horvilleur, F. Encel, Finkielkraut)?

 

Une explication sociologique


            Contrairement aux alterjuifs qui parlent de l'extérieur, ces intellectuels juifs qu’on pourrait qualifier d’"organiques" ou d’institutionnels ont une forme de loyauté envers le collectif juif et/ou israélien… Or, leur positionnement est devenu plus compliqué depuis le 7-octobre. Ils doivent se montrer solidaires d'Israël, tout en préservant leur statut social et symbolique de membres d'une "élite" juive reconnue, ou d'un etablishment culturel ou médiatique… Cette problématique n'est certes pas entièrement nouvelle, et j’en donnerai pour premier exemple le cas de l’écrivain israélien David Grossman, auquel je me suis intéressé depuis longtemps.

 

Le cas David Grossman

 

Comme j'avais tenté de le montrer il y a une dizaine d'années, Grossmann n'est pas libre de ses opinions... Il doit verser le tribut de sa reconnaissance médiatique et de la place qu'il a accepté d'occuper… J’avais à l’époque analysé sa prise de position très virulente contre le projet israélien d’attaquer les centrales nucléaires iraniennes (on a un peu de mal à imaginer aujourd’hui que le “gratin” intellectuel et sécuritaire israélien était contre à l’époque…). Le plus scandaleux dans ces propos de Grossman était leur concomitance avec des déclarations presque similaires de l’écrivain allemand Günther Grass, accusant Israël de “menacer la paix mondiale” et de vouloir “l’éradication du peuple iranien”.

 

A l’époque, les propos de Grass avaient fait scandale, notamment en raison du fait que celui-ci avait publiquement révélé, quelques années plus tôt, son appartenance aux Waffen-SS dans sa jeunesse. Mais les propos similaires de Grossman avaient bénéficié, eux, d’une totale indulgence… Grossman accusait pourtant le premier ministre Nétanyahou de recourir à une « rhétorique apocalyptique » et d’être prêt à sacrifier des civils iraniens innocents et à déclencher une « catastrophe immédiate et annoncée » pour éviter un risque hypothétique… Comme je le rappelle dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, la fondation Günter Grass avait en effet accordé à Grossman le prix Albatros en 2008. Ce n’était pas le premier prix allemand décerné à l’écrivain israélien, qui avait déjà obtenu le « Buxtehuder Bulle », et il est également Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.

 

D’autres écrivains israéliens ont reçu des prix en Europe, et notamment en Allemagne, comme Amos Oz, titulaire du Prix Goethe. On peut y voir une simple marque d’estime et de reconnaissance pour leur talent d’écrivain. Mais ce serait une erreur à mon avis. Car ces prix prestigieux, parfois dotés de montants considérables, créent des liens de dépendance et d’allégeance entre les écrivains israéliens et les pays européens, connus pour leur hostilité à la politique israélienne… Le prix à payer, pour David Grossman comme pour les autres écrivains-pacifistes adulés des médias européens, est de continuer encore et toujours à accuser le gouvernement et l’Etat d’Israël, et à s’opposer à toute action militaire de Tsahal, à Gaza ou en Iran, fut-ce contre des ennemis voués à notre destruction.

 

Je n’ai rien à modifier à cette analyse datant de 2014, sinon que la pression exercée sur les écrivains israéliens pacifistes par leur public européen et par les institutions qui les invitent, les récompensent et les choyent est devenue encore plus intense et irrésistible depuis le 7-Octobre… On voit même des intellectuels/artistes proclamer en vain leur “soutien à la paix” et à un Etat palestinien et être malgré tout boycottés (comme le chorégraphe Ohad Naharin). Tout cela ressemble de plus en plus à l’atmosphère des Procès antijuifs sous Staline !

 

Delphine Horvilleur : contorsions intellectuelles et funambulisme politique

 

Idem de Delphine Horvilleur qui doit ménager à la fois son public juif et sioniste et son aura médiatique... Ce n’est pas facile ! D'où ses exercices de contorsionniste et ses acrobaties intellectuelles, dans la revue Tenoua qu'elle dirige, pour exprimer à la fois sa compassion pour les otages et sa solidarité avec Israël, et sa compassion pour les civils de Gaza...  Dans un entretien sur Akadem début 2024, Delphine Horvilleur trouvait ainsi “abject” et révoltant le fait que l’armée israélienne “tue tellement de Palestiniens” à Gaza. Et Ruben Honigman qui l’interviewait abondait dans son sens.

 

Dans cette position de funambule souvent pathétique et de moins en moins crédible, on reconnaît le fameux « en même temps » macronien dont Horvilleur se réclame expressément : “Il leur faut constamment « en même temps » rappeler la légitimité absolue de la réponse militaire au 7 octobre contre les terroristes islamistes du Hamas et leur projet d’extermination et dénoncer la poursuite d’une guerre, dont les buts sont devenus flous aujourd’hui, les propos déshumanisants de membres fanatisés d’un gouvernement et leurs projets d’occupation ou d’annexion qui garantiront une guerre sans fin.

 

Bien entendu je ne prétends pas excuser cette posture en montrant tout ce qu'elle a de difficile à tenir et de quasiment intenable… Pour me résumer et conclure sur cette 1ere explication, je dirais qu’il y a une forme de corruption “passive” dans cette attitude des intellectuels ou des écrivains juifs et Israéliens… Ils acceptent de payer le prix politique et idéologique exigé pour conserver leur statut social/symbolique/médiatique...

 

Delphine Horvilleur : contorsions intellectuelles et funambulisme politique

 

Idem de Delphine Horvilleur qui doit ménager à la fois son public juif et sioniste et son aura médiatique... Ce n’est pas facile ! D'où ses exercices de contorsionniste et ses acrobaties intellectuelles, dans la revue Tenoua qu'elle dirige, pour exprimer à la fois sa compassion pour les otages et sa solidarité avec Israël, et sa compassion pour les civils de Gaza...  Dans un entretien sur Akadem début 2024, Delphine Horvilleur trouvait ainsi “abject” et révoltant le fait que l’armée israélienne “tue tellement de Palestiniens” à Gaza. Et Ruben Honigman qui l’interviewait abondait dans son sens.

 

Dans cette position de funambule souvent pathétique et de moins en moins crédible, on reconnaît le fameux « en même temps » macronien dont Horvilleur se réclame expressément : “Il leur faut constamment « en même temps » rappeler la légitimité absolue de la réponse militaire au 7 octobre contre les terroristes islamistes du Hamas et leur projet d’extermination et dénoncer la poursuite d’une guerre, dont les buts sont devenus flous aujourd’hui, les propos déshumanisants de membres fanatisés d’un gouvernement et leurs projets d’occupation ou d’annexion qui garantiront une guerre sans fin.

 

Bien entendu je ne prétends pas excuser cette posture en montrant tout ce qu'elle a de difficile à tenir et de quasiment intenable… Pour me résumer et conclure sur cette 1ere explication, je dirais qu’il y a une forme de corruption “passive” dans cette attitude des intellectuels ou des écrivains juifs et Israéliens… Ils acceptent de payer le prix politique et idéologique exigé pour conserver leur statut social/symbolique/médiatique.

 

La dimension psychologique : La “haine de soi juive” revisitée

 

J'en viens à la deuxième explication qui fait appel au fameux concept développé par Théodore Lessing dans son livre La haine de soi juive publié à Berlin en 1930. Lessing a d’autant mieux compris et analysé le phénomène qu’il en a été lui-même victime, se convertisseur en 1920 au luthéranisme, avant de “refaire son âme” en revenant à son peuple, comme le rappelle André Neher dans son beau livre Jérusalem, vécu juif et message. Neher rappelle aussi, dans ce livre paru après la Première Guerre du Liban, que le dramaturge israélien Yehoshua Sobol avait porté à la scène la figure tragique d’Otto Weininger (un des cas étudiés par Th. Lessing), et que le jeune public israélien de l’époque trouvait des échos de leurs propres inquiétudes dans la figure de Weininger…

 

Le concept de la haine de soi juive (jüdische Selbsthass) est bien connu mais parfois mal compris. Il est vrai que les études de cas réunies par Lessing n'ont pas grand-chose à voir à première vue avec les intellectuels et figures médiatiques dont je parle ce soir. Est-ce que Delphine Horvilleur souffre de haine de soi ? Non de toute évidence. C'est une Juive qui s'aime beaucoup ! Beaucoup trop sans doute… Mais Lessing ne parle pas de Juifs qui se détestent, mais qui détestent une partie d'eux, de leur identité et de leur appartenance collective…

 

Quand David Grossman accuse son pays, son peuple et son armée de génocide à Gaza, il s'agit bien de haine de soi. D. Horvilleur a beau jeu de prétendre, dans un exercice de funambulisme intellectuel comme elle en est coutumière, que Grossman dit autre chose, ou qu'il dit une chose et son contraire. Elle réussit le tour de force de ne pas dire qu’il ne s’agit pas d’un génocide : l’avenir dira, par la voix des juristes et du droit, quel nom porte ce qui arrive aujourd’hui à Gaza, et plus largement au Proche-Orient. Mais l’urgence est ailleurs et devrait être absolue pour tous : faire que l’horreur s’arrête pour les uns et les autres, que les otages soient libérés, que les enfants soient nourris, que les innocents soient protégés, qu’une solution politique interrompe enfin le cycle infini de ces violences.”

 

J’avais publiquement interpellé Delphine Horvilleur quelques mois avant qu’elle ne soutienne la position de D Grossman, alors qu’elle avait accusé Tsahal d’affamer les enfants de Gaza et dénoncé la “faillite morale” d’Israël (citation d’Horvilleur: “C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région…”)

P. Lurçat

Un "génocide" à Gaza? -  Analyse socio-politique de la posture morale des Juifs qui se dissocient d’Israël
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