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Seuls dans l’arche ? Refonder le monde après le Coronavirus  Réflexions sur la dimension philosophique de la crise actuelle (I)

March 26 2020, 19:49pm

Posted by Pierre Lurçat

 

La terre, comme Arche originelle, ne se meut pas

E. Husserl

 

Il y a un monde en face de nous, un monde plus vaste que la parole

Y. Bonnefoy

 

Chaque grande crise est l’occasion d’une réflexion renouvelée sur les questions premières, trop souvent oubliées dans le train quotidien des affaires du monde. Elle est aussi, comme l’avait pressenti le rabbin Avraham I. H. Kook, pendant le cataclysme de la Première Guerre mondiale, la possibilité de faire émerger un monde nouveau. (“Le désastre actuel prépare un profond renouvellement”, écrivait-il alors). (1) Dans la profusion de réflexions suscitées par la crise actuelle du Coronavirus, qui ébranle les “fondements de la terre”, nous voudrions esquisser le chemin d’une pensée qui envisage celle-ci non pas seulement comme une crise sanitaire, économique ou politique, mais aussi comme une crise touchant au rapport de l’homme au monde.

 

“ואין פוקד את הר הבית” : le Mont du Temple vide en raison du Coronavirus

 

Car c’est bien de cela qu’il est question, lorsque des milliards d’être humains sont confinés en même temps, dans l’espace réduit de leur habitation, et amenés - chacun à sa manière et avec ses propres outils de pensée - à s’interroger sur sa relation à la vie, au monde et à la terre commune. Or c’est précisément cette évidence qui semble aujourd’hui se dérober à nous : avons-nous encore une terre, ou plus encore un monde commun? Et avec quel langage commun pouvons-nous encore appréhender ce monde et dire ce que chacun ressent confusément, dans une langue qui soit compréhensible de tous? C’est sous la double égide d’un poète et d’un philosophe que ces réflexions sont placées : parce que ce sont eux qui sont sans doute, de notre point de vue, les plus à mêmes de nous permettre de réfléchir aux enjeux d’une crise qui affecte notre rapport au monde, plus que les économistes et les scientifiques, auxquels les médias donnent généreusement la parole.

 

Le texte du philosophe Edmund Husserl, “la terre ne se meut pas”, est à la fois célèbre et rarement étudié. Rédigé en 1934, donc après l’arrivée au pouvoir des nazis, il s’agit d’un brouillon écrit en l’espace de trois jours par le philosophe, sous-titré “Renversement de la doctrine copernicienne dans l’interprétation de la vision habituelle du monde. L’arche originelle (Urarche) Terre ne se meut pas”. Comme l’observe Eric Marty, dans son commentaire de ce texte, le mot arche n’a pas été choisi au hasard par Husserl, philosophe d’origine juive : “Il faut l’entendre dans sa littéralité, dans son origine judaïque, qui nous plonge dans la Genèse, dans l’aventure de Noé et de la refondation de l’humanité qui succède au Déluge”. (2) 


 

Edmund Husserl, 1921


 

Eric Marty rapproche le texte de Husserl d’un fragment de la préface de Les plaisirs et les jours, dans lequel Proust évoque lui aussi l’arche de Noé : “Quand j’étais tout enfant, le sort d’aucun personnage de l’histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tint enfermé dans l’arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours je sus rester dans l’arche. Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche, malgré qu’elle fût close et qu’il fît nuit sur terre”. Ces mots de Proust, écrits en 1894, résonnent avec une acuité particulière aujourd’hui, pour tous ceux qui doivent aussi “rester dans l’arche”, confinés entre les murs étroits de leur domicile. 

 

Ce n’est pas un hasard si le philosophe autrichien, converti au protestantisme, tout comme l’écrivain français - tous  deux d’origine juive - ont choisi la notion biblique d’arche, pour exprimer le fondement inamovible de notre présence au monde. La phénoménologie de Husserl peut être définie comme une tentative de revenir au monde des choses, au monde réel, “monde d’objets usuels et de valeurs” (3), à contre courant de la philosophie occidentale qui a depuis plusieurs siècles pris le parti d’un monde idéal, fait d’objets mathématiques, en confondant la description mathématique du monde et sa réalité concrète. Or, si l’arche ne se meut pas, selon Husserl, c’est peut-être pour nous dire que le savoir scientifique, qui décrit le mouvement des planètes, nous parle d’un monde dans lequel l’existence de l’homme n’est qu’un élément accessoire, et quasiment négligeable. Comme l’écrit le physicien François Lurçat, “Du point de vue cosmocentrique, l’importance de nos actions est très relative. Dans la vision anthropocentrique de Jérusalem, au contraire, chacune de nos actions compte”. (4)

 

“Plus tard je fus souvent malade…” Proust adolescent

 

Selon la première conception, qui est celle d’Aristote et de la pensée grecque en général, il n’y a aucune différence entre les conséquences d’un “grand vent qui dépouille les feuilles des arbres, fait tomber les murs des maisons et noie en mer un navire avec ses voyageurs". En effet, comme l’explique Maïmonide, Aristote n’établit en fait aucune distinction entre “la mort d’une fourmi écrasée par un boeuf et celle d’hommes ensevelis pendant la prière dans une maison qui s’écroule”. (5) Dans la conception anthropocentrique hébraïque, au contraire, l’homme a une valeur éminente, car il est créé “à l’image de Dieu” (BeTselem Elohim) et comme dit le Talmud, “celui qui sauve un homme sauve l’humanité tout entière”. Qui ne peut saisir aujourd’hui le gouffre entre ces deux conceptions du monde opposées, alors que chaque être humain voit sa vie menacée à chaque instant ?

 

L’homme au centre de l’univers - pour une écologie juive véritable

 

La crise actuelle, qui affecte chacun de nos actes quotidiens les plus élémentaires, n’est-elle pas ainsi une “revanche” inattendue de la vieille pensée anthropocentrique de Jérusalem sur la vision cosmocentrique, issue des Grecs et de la science moderne, dont le triomphe a été annoncé trop hâtivement? N’est-il pas urgent dès lors de proclamer de nouveau la centralité de l’homme dans le monde, en lui rendant sa dignité éminente, au lieu de prétendre “sauver la terre” ou la “diversité” animale ou végétale (soucis tout à fait légitimes, mais qui ne peuvent passer avant celui de l’être humain)? En réalité, les grandes manifestations récentes pour “sauver la Terre” n’attestent nullement d’une conscience véritable du monde, fondée sur une juste reconnaissance de la place (et des devoirs) de l’être humain, mais bien plutôt d’une nouvelle illusion cosmocentrique, dans laquelle l’homme est décrit comme l’ennemi du reste de la création.

 

Michel-Ange : la création d’Adam

 

La mouvance écologiste actuelle, inspirée dans ses manifestations les plus radicales par le courant de la “Deep ecology”, n’entend nullement préserver la terre pour le bien de l’homme (comme dans le récit biblique du Déluge), mais au contraire permettre à la terre de survivre à la disparition annoncée (ou même souhaitée!) de l’espèce humaine, considérée comme nuisible et préjudiciable ! (6). “Le monde est empli d’idées juives devenues folles”, pourrait-on dire en paraphrasant le mot fameux de Chesterton. Ainsi, l’idée juive de sauver (ou de réparer) le monde, le fameux tikkoun Olam, a été détournée de son sens originel et utilisée pour justifier toutes sortes de causes, plus éloignées les unes que les autres de l’esprit et de la lettre de la tradition hébraïque (7). Une écologie authentiquement inspirée par la tradition hébraïque doit se fonder sur la place centrale de l’homme dans l’univers, et non sur sa négation, car la prétention de sauver le monde contre l’homme participe de la “perte du monde” et non de sa rédemption. (A suivre...)

Pierre Lurçat

 

Notes

(1) Cité par I. Ben Shlomo, Introduction à la pensée du rav Kook, Cerf, p. 15.

(2) E. Marty, La terre comme arche, repris dans Bref séjour à Jérusalem, Gallimard 2002.

(3) E. Lévinas, Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, Vrin 1984, p. 34.

(4) François Lurçat, La science suicidaire, p. 273.

(5) Rapporté par Jacob Gordin, “Actualité de Maïmonide”, dans Ecrits, Albin Michel 1995. J’ai abordé ce sujet dans une série d’articles consacrés à Yuval Harari, et notamment ici :

http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/08/yuval-harari-et-israel-iii-le-faux-prophete-de-jerusalem.html

(6) Voir notamment Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Grasset 1992 et Drieu Godefridi, L’écologisme, nouveau totalitarisme, Texquis 2019. 

(7) Voir, sur ce sujet important, le livre de Jonathan Neumann, To heal the World? .

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Yuval Harari et Israël (III) - Le faux-prophète de Jérusalem

August 27 2019, 18:00pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Celui qu'on a présenté comme le “penseur le plus important du monde” n’a en réalité rien inventé. Son livre Sapiens n’est qu’une compilation présentant “l’histoire de l’humanité” de manière condensée et orientée, selon une idéologie bien précise, comme nous l’avons montré dans la deuxième partie de cet article. L’idéologie qu’il défend est pour beaucoup dans le succès commercial planétaire qu’il a rencontré. Mais, au-delà du phénomène éditorial et commercial, il s’agit surtout d’un phénomène politique. Dans la dernière partie de notre article, nous voudrions aborder la dimension proprement philosophique des idées défendues par Yuval Harari et replacer la négation de l’homme inhérente à sa pensée dans l’histoire de la pensée occidentale.


 

La question de l’homme, hier et aujourd’hui

 

D’un point de vue philosophique, l’idée que l’homme serait “un animal comme les autres” n’est pas nouvelle. Nil novo sub sole… Dans l’Antiquité, les peuples païens pratiquaient les sacrifices humains, et même Aristote, le grand philosophe grec, considérait qu’il n’y avait aucune différence entre les conséquences d’un “grand vent qui dépouille les feuilles des arbres, fait tomber les murs des maisons et noie en mer un navire avec ses voyageurs". Comme l’explique Maïmonide, Aristote n’établit en fait aucune distinction entre “la mort d’une fourmi écrasée par un boeuf et celle d’hommes ensevelis pendant la prière dans une maison qui s’écroule”. (1) Dans sa vision du monde, marquée par les conceptions cosmologiques et naturalistes propres à la philosophie de l’Antiquité, il n’existe pas de providence individuelle, mais seulement une providence à l’échelle de l’espèce, humaine ou animale.


 

Aristote

 

Cette idée - la négation du caractère éminent ou spécifique de l’homme - court comme un fil conducteur à travers toute la philosophie occidentale, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Plus près de nous, le marquis de Sade exprime ainsi la même idée, de manière encore plus nette que ne le faisait Aristote : « Qu'est-ce que l'homme, et quelle différence y a-t-il entre lui et les autres plantes, entre lui et tous les autres animaux de la nature ? Aucune assurément. (…) Si les rapprochements sont tellement exacts, qu'il devienne absolument impossible à l'œil examinateur du philosophe d'apercevoir aucune dissemblance, il y aura donc alors tout autant de mal à tuer un animal qu'un homme, ou tout aussi peu à l'un qu'à l'autre…” (2)


 

La définition de l’homme donnée par Harari s’inscrit donc dans le droit fil de la philosophie occidentale depuis Aristote : ce dernier définissait l’homme comme un ‘animal social’ et comme un ‘animal politique’, et Harari le définit comme un ‘singe’, capable de ‘coopérer en grand nombre’. Le naturalisme aristotélicien, selon lequel le monde est éternel et immuable, a fait place chez Harari à un naturalisme scientiste, dans lequel l’homme n’a aucune supériorité intrinsèque, morale ou spirituelle, sur les chimpanzés. Le reproche fait par Maïmonide à Aristote, celui de ne pas distinguer l’homme des autres créatures, est encore plus vrai s’agissant de l’idéologie dont Harari est le représentant. Celle-ci est en effet encore plus éloignée de l’idée hébraïque du Tselem - l’homme créé “à l’image de Dieu” - que ne l’était la philosophie d’Aristote.


 

Maïmonide


 

Animalité de l’homme ou humanité de l’animal?

 

En quoi ce débat philosophique ancien importe-t-il pour le lecteur aujourd’hui? A certains égards, la science actuelle - ou plutôt l’idéologie qui la sous-tend souvent - est plus proche des positions philosophiques de Maïmonide (création ex-nihilo, ce qui ressemble à la théorie du Big Bang) que de celles d’Aristote (éternité du monde). Mais sur un point essentiel, elle est conforme aux conceptions aristotéliciennes, contre lesquelles s’inscrit en faux la tradition hébraïque : lorsqu’elle prétend nier la spécificité, ou la valeur éminente de l’homme. Le débat véritable n’oppose en effet aujourd’hui pas les “créationnistes” aux “évolutionnistes”. Il oppose ceux qui veulent rabaisser l’homme à ceux qui veulent l’élever. C’est précisément ce que recouvre la notion hébraïque du Tselem


 

Il y a quelques années, j’ai pu contempler l’orang-outang du Jardin des Plantes, qui nettoyait scrupuleusement les vitres de sa cage et se livrait à un véritable numéro d’acteur, devant un public d’enfants et d’adultes tout aussi fascinés. Pourquoi cet orang-outang était-il tellement émouvant? Sans doute parce qu’il y a quelque chose qui ressemble à l’humain chez les grands singes. Non pas, comme le pense M. Harari, parce que les hommes seraient des singes un peu plus évolués. Mais parce que les singes ont parfois dans le regard un éclair d’humanité, qui nous les rend si proches et sympathiques.


 

Humaniser l’animal, ou animaliser l’humain?


 

A la suite de nombreux autres auteurs contemporains, Yuval Harari prétend que les hommes seraient simplement des singes qui auraient réussi à sortir de leurs cages, grâce à leur “capacité de collaboration”... Mais dans le même temps, il nie la liberté de l’homme, qui n’est à ses yeux qu’une fiction. En résumé : l’homme n’est pas plus libre que le singe dans sa cage, il a simplement l’illusion de la liberté… Cette conception d’un homme asservi est caractéristique de toutes les idéologies occidentales modernes, qui assujettissent toutes l’homme, à ses pulsions, aux moyens de production ou encore à ses neurones. Face à ces conceptions, la pensée hébraïque persiste à affirmer que l’homme, joyau de la Création, jouit du libre-arbitre.


 

Nier la liberté de l’homme : la leçon d’Auschwitz

 

Un ami me racontait récemment avoir visité une exposition à la Fondation Cartier, intitulée “Nous les arbres”. Elle présentait les arbres comme “les membres les plus anciens de notre communauté d’être vivants”. Selon une idéologie en vogue, en effet, il n’y aurait aucune distinction entre les règnes animal, végétal et l’humain. Tous sont englobés dans le même monde vivant. (3) Dans cette même exposition, cet ami eut la surprise de constater, en voulant répondre à un sondage organisé par la Fondation Cartier, que le pays Israël n’existait pas… Le lien entre ces deux affirmations n’est pas fortuit : dans un monde où Israël n’existe pas, l’homme n’existe pas non plus, en tant que créature distincte! Il est - dans le meilleur des cas - l’égal des chimpanzés et des arbres, et - dans le pire - moins qu’un chien ou qu’un rat, comme furent traités les Juifs à Auschwitz.


 

La négation de la spécificité de l’homme dans l’idéologie scientiste contemporaine aboutit immanquablement à le rabaisser, comme si l’obsession de ceux qui contestent la notion judéo-chrétienne de l’humain était précisément d’abolir la notion hébraïque du Tselem. Chez le biologiste Jean-Pierre Changeux, que nous avons cité précédemment, ce rabaissement passe par la comparaison (insultante) entre l’homme et le rat : L’homme, comme le rat, consacre une part essentielle de son temps (lorsqu’il ne dort pas) à boire, manger, faire l’amour…” Cette affirmation est comme le pendant en négatif de la création de l’homme relatée dans la Genèse : “Faisons l’homme à notre image...” 

 

Michel-Ange : la création d’Adam


 

Face à cette conception naturaliste et négatrice de l’humain, une autre voix vient de Jérusalem. Depuis trois millénaires, cette voix s’élève contre la tendance à l’abaissement, à la négation et à l’asservissement de l’homme. Omniprésente dans l’histoire humaine depuis Avraham, cette tendance est aujourd’hui revenue avec une force décuplée dans la culture occidentale, et elle a abouti aux horreurs du vingtième siècle, qui ont culminé dans la Shoah. Le timide “mea culpa” entendu après 1945 n’a malheureusement pas su traiter le problème à la racine, comme l’avait bien vu Avraham Livni, dans son grand livre Le Retour d’Israël et l’espérance du monde. Car la volonté de priver le vieux peuple d’Israël de sa terre, de sa Torah et de son identité, qui a culminé dans la Shoah, se poursuit en réalité jusqu’à nos jours. L’encensement d’auteurs juifs ou israéliens qui contestent tout apport d’Israël à l’humanité, comme le fait Harari, participe de cette négation d’Israël (4).


 

Loin d’être le représentant de Jérusalem (dont il nie le statut de capitale du peuple juif, comme nous l’avons vu), Harari est ainsi le porte-parole d’un Occident coupé de ses racines hébraïques et juives. C’est sans doute pour cela également qu’il est adulé et consacré “plus grand penseur du 21e siècle”... Mais il est aussi l’épiphénomène d’une époque dont on assiste aujourd’hui à la fin : celle où les Juifs n’avaient plus leur mot à dire sur les grandes questions, en tant que Juifs, c’est-à-dire, n’en déplaise à Yuval Harari, en tant que représentants de la civilisation qui a donné au monde le Décalogue, la Bible et le Talmud. Comme écrivait Rousseau dans L’Émile : « Les Juifs n’ont pas la possibilité dans la dispersion de proclamer leur propre vérité à l’humanité, mais je crois que, lorsqu’ils auront à nouveau une libre République, avec des écoles et des universités à eux, où ils pourront s’exprimer en sécurité, nous pourrons apprendre enfin ce que le Peuple Juif a encore à nous dire. ». L’époque pressentie par Rousseau ne fait que commencer.


 

Cérémonie d’inauguration de l’université de Jérusalem au mont Scopus


 

“Car de Sion sortira la Torah”

 

Dans son discours prononcé lors de l’inauguration de l’université de Jérusalem, le 1er avril 1925, le grand-rabbin d’Eretz Israël, Avraham Itshak Hacohen Kook, exprima le double sentiment d’espoir et de crainte que cet événement suscitait à  ses yeux. Espoir de voir l’université hébraïque faire rayonner le nom d’Israël dans le monde, et crainte que le nom de Dieu ne soit pas sanctifié, mais au contraire profané par elle. L’histoire devait lui donner raison, tant pour cet espoir que pour cette crainte. L’université israélienne (celle de Jérusalem et les autres) a bien fait rayonner le nom d’Israël, par ses réalisations scientifiques dans de nombreux domaines. Mais elle a aussi engendré de nombreux contempteurs de l’Etat d’Israël, et de l’héritage de la tradition hébraïque, dont fait partie Yuval Harari. Il lui reste aujourd’hui à réaliser l’autre élément du discours prophétique du rav Kook, celui qu’il a exprimé par les mots du prophète Isaïe : “Ki miTsion Tétsé Torah…” Car de Sion sortira la Torah” (5).

 

Pierre Lurçat

 

Notes 

(1) Rapporté par Jacob Gordin, “Actualité de Maïmonide”, dans Ecrits, Albin Michel 1995.

(2) Jean-Baptiste Vilmer, “Sade antispéciste?” Cahiers antispécistes, 2010.

(3) Le judaïsme, il est vrai, compare l’homme à l’arbre des champs, mais dans un sens bien différent, allégorique et spirituel.

(4) Harari, comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article, prétend ainsi que “l’impact du judaïsme dans l’histoire humaine est minime”.

(5) L’espoir exprimé par le rav Kook rejoint - par un paradoxe inhérent à l’histoire du Retour à Sion - celui exprimé par un autre père fondateur de l’Etat juif, Zeev Jabotinsky, dans son fameux article “Le sionisme suprême”, qui se termine précisément par ces mots du prophète Isaïe : “Car de Sion sortira la Torah” .

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