En marge de la réforme judiciaire : La justice israélienne face à l’idéal du Tsedek de la Torah
“La justice, c’est la justice que tu poursuivras”
(Deutéronome, XVI-20)
Le rabbin S.R. Hirsh, dans son commentaire sur la parashat Chofetim qui a été lue ce shabbat, met en lumière un aspect original de la justice hébraïque, qui la différencie des tribunaux actuels : l’absence de « l’accusateur public » (procureur), mais aussi de l’avocat. « Le tribunal », commente-t-il, « prend délibérément le parti de l’accusé », tandis que les témoins à charge jouent le rôle du procureur. Quant à la répétition fameuse du mot justice, dans le verset cité ici en exergue, Elie Munk l’explique en disant que la justice ne peut être obtenue par des moyens injustes.
Si l’on transpose ces deux remarques essentielles au système de justice qui existe aujourd’hui en Israël, on est obligé de constater à quel point celui-ci est éloigné de l’idéal de justice de la Torah. Ce n’est pas seulement, comme cela a souvent été remarqué, que la justice israélienne s’éloigne, dans sa lettre, des lois de la Torah et du « droit hébraïque », réduit à la portion congrue et confiné au domaine du droit de la famille (où sa compétence est contestée par l’intervention grandissante de la Cour suprême). Mais c’est aussi dans l’esprit même qui l’anime, que la justice israélienne s’éloigne à mille lieues de l’injonction du Tsedek de la Torah. Nous en donnerons ici deux exemples récents.
Le premier est l’acquittement spectaculaire de Roman Zodorov, au terme d’un procès en révision et après de longues années d’emprisonnement. Sans revenir sur le déroulement de ce procès plein de rebondissements, on rappellera qu’il avait été inculpé et condamné sur la seule foi de son aveu, obtenu au terme d’une enquête policière recourant à toutes sortes de pressions. Dans le système de justice pénal israélien actuel, l’aveu est en effet devenu la « reine des preuves », et on a souvent l’impression que tous les moyens sont bons pour le susciter de la part du coupable présumé. Or, une telle conception du droit pénal est aux antipodes de l’idéal de justice fondé sur le Tsedek exposé dans la Torah.
« La fin justifie les moyens » est un proverbe que rejette l’Ecriture, fait observer de manière lapidaire le rabbin Munk. Pour caractériser l’esprit de la justice de la Torah et ce qui faisait à ses yeux la quintessence de la civilisation hébraïque, le professeur Baruk avait développé la notion du Tsedek, dans lequel il voyait non seulement la trace du « génie juif », mais aussi l’élément fondamental de la santé mentale et morale de l’individu comme de la collectivité… Le « test Tsedek » qu’il avait élaboré établissait en effet un lien étroit entre la véracité des témoignages et la santé mentale…
Un autre exemple tiré de l’actualité israélienne montre combien cette vérité profonde a été méconnue au cours des dernières décennies. Dans le procès intenté au Premier ministre Benjamin Nétanyahou, plusieurs témoins ont ainsi été amenés par toutes sortes de pressions – psychologiques, mentales ou mêmes physiques – à témoigner dans un sens favorable à l’accusation. De telles méthodes, jadis employées par la justice de l’ex-Union soviétique ou d’autres régimes totalitaires, n’ont évidemment pas cours dans une démocratie digne de ce nom.
Ce que montrent ces deux exemples récents, c’est que le dévoiement du principe fondateur de la justice hébraïque – le Tsedek – n’est pas seulement une atteinte à l’idée juive du Tsedek, mais également à ce qui permet de définir la justice authentique. On pourrait évidemment multiplier les exemples, qui sont légion. Il faudrait aussi parler notamment de l’extorsion d’aveux de la part de jeunes habitants juifs de Judée-Samarie par la « section juive » du Shabak, pratique courante hélas, validée par la Cour suprême, qui justifie le recours aux outils du droit pénal mandataire (détention administrative sans procès), au prétexte fallacieux – repris par les médias israéliens mainstream – qu’il s’agirait de lutter contre le « terrorisme juif », en établissant une équivalence morale entre les assassins arabes et les habitants juifs qui se défendent contre eux.
La justice israélienne est aujourd’hui très éloignée des principes du Tsedek et de l’idéal de justice promu par la Torah. La réforme judiciaire en cours est un premier pas – modeste mais important – dans la direction de l’établissement d’une justice exemplaire inspirée du modèle hébraïque.
P. Lurçat
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