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sionisme

Les fondements historiques du système électoral israélien

April 4 2021, 11:32am

Posted by Pierre Lurçat

 

Les dernières élections ont une fois de plus mis à l’ordre du jour la question d’une possible réforme du système électoral israélien, fondé sur le mode de scrutin proportionnel intégral, et considéré comme un système très démocratique, mais très difficile à gérer. Cette question récurrente est en fait un véritable serpent de mer qui réapparaît régulièrement dans le débat public (1). Le présent article examine la question de la réforme électorale dans une perspective historique, en montrant comment le système proportionnel a été adopté et pourquoi il est resté en vigueur jusqu’à aujourd’hui.

Un problème aussi ancien que l’État d’Israël

“Dans le système électoral israélien, il n’existe pas de relation entre l’électeur et l’élu ; le citoyen vote pour des candidats que, la plupart du temps, il ne connaît pas, et ce sont seulement les appareils des partis qui désignent ceux qui figureront sur les listes et à quel rang… Le gouvernement ne peut être formé après les élections que par les négociations entre les appareils des partis (2)”.

David Ben-Gurion | prime minister of Israel | Britannica

Ce constat désabusé, qui semble décrire la situation actuelle, date en fait de… 1954 ! C’est celui que faisait Ben Gourion, devant le conseil du Mapaï (parti travailliste), ayant compris dès 1949 que le système électoral devait être réformé… On constate, à la lecture de ces lignes, que le problème de la réforme électorale est aussi ancien que l’État d’Israël. Il l’est en fait encore plus : le système électoral, tout comme les principales institutions politiques de l’État, puise en effet ses racines dans la période pré-étatique, celle du Yishouv.

I. Fondements historiques et sociologiques du système électoral israélien

De l’Assemblée du Yichouv à l’Assemblée des Représentants

Le système électoral et politique israélien plonge ses racines dans la période du Mandat britannique (1922-1948), et même plus loin. C’est en effet à la période pré-mandataire que remonte la première tentative réussie de créer un organe national représentatif de tous les courants politiques présents en Eretz Israël. Au-delà de son intérêt historique, ce rappel est indispensable pour comprendre comment Israël a adopté le système électoral proportionnel, resté en vigueur jusqu’à nos jours, malgré quelques changements. C’est au dirigeant sioniste Menahem Ussishkin que revient le mérite d’avoir réuni la première “Assemblée du Yichouv”, à Zikhron Yaakov, en 1903. Celle-ci créa la “Confédération des Juifs en Eretz Israël”, mais son action fut entravée par la controverse autour du projet d’État juif en Ouganda (dont Ussishkin était le principal opposant).

Menahem Ussishkin (à gauche) - New Yok 1921

Les efforts pour créer un organe représentatif furent renouvelés après la Première Guerre mondiale et la Déclaration Balfour (1917). Les représentants du Yichouv constituèrent une Assemblée constituante qui élut un “Comité provisoire des Juifs en Eretz Israël”. A nouveau, des différends surgirent, notamment sur la question du droit de vote des femmes, auquel les représentants des factions religieuses étaient opposés. En fin de compte, le Comité provisoire fixa au 19 avril 1920 la date des élections à la première Assemblée des représentants (Assefat ha-Nivharim), qui siégea jusqu’au 6 décembre 1925. Au total, quatre Assemblées se succédèrent entre 1919 et 1949. Les élections se faisaient au scrutin de liste direct, au niveau national, tout comme aujourd’hui.

 

Les quatre Assemblées des Représentants (1920 – 1944)

L’examen de la composition des quatre Assemblées de Représentants est instructif, et montre qu’elle étaient constituées de très nombreuses factions, réparties en quatre catégories principales : partis ouvriers, partis religieux, partis à base ethnique et partis à base professionnelle. La première Assemblée comportait ainsi pas moins de 19 factions, et la deuxième 25 ! Les grands partis politiques – qui allaient jouer un rôle essentiel dans la vie politique de l’État – étaient pour la plupart déjà représentés dans l’Assemblée élue en avril 1920 : Ahdout ha-Avoda (travaillistes), Mizrahi (sionistes religieux), Harédim, aux côtés d’autres listes à orientation ethnique (Séfarades, Yéménites, Boukhariens) ou professionnelle (artisans, employés). Les sionistes révisionnistes firent leur entrée dans la deuxième Assemblée (élue en 1931)

La quatrième “Assemblée des élus” du peuple, Jérusalem 1944

Ce rappel historique permet de comprendre les raisons de l’adoption du système de représentation proportionnelle. On peut en dénombrer au moins trois. Premièrement, le Yichouv ne jouissant d’aucune continuité territoriale, la représentation proportionnelle à une seule circonscription était la plus facile à mettre en œuvre. Deuxièmement, ce système permettait d’effacer les disparités entre régions rurales et urbaines. Enfin et surtout, le système proportionnel constituait un facteur d’intégration devant accorder une légitimité indispensable à l’État en devenir, au vu de la grande hétérogénéité ethnique et politique de la population, qui se reflétait dans la composition de l’Assemblée des représentants. Toutes ces raisons firent que l’organe “législatif” du Yichouv adopta le système proportionnel, qui fut maintenu en vigueur après la création de l’État.

Pierre Lurçat

1. Pour un exposé synthétique, voir Daniel Elazar, “Electoral and Constitutional Reform for Israel”, JCPA, 16/7/2004.

2. Cité par Avraham Avi-Haï, Ben Gourion bâtisseur d’État, p.299, Albin Michel 1988.

 

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“Nous devons dire merci à Nétanyahou,l’homme qui a sauvé nos vies”, Benny Ziffer

March 21 2021, 14:08pm

Posted by Benny Ziffer

Je reproduis ci-dessous l’article publié ce matin par Benny Ziffer dans les colonnes d’Aroutz 7 (Israel National News). Ziffer est un écrivain, poète et journaliste, mais il est surtout connu comme rédacteur en chef du supplément littéraire du journal Ha’aretzFrancophile, il est ami avec l’écrivain Michel Houellebecq, qu’il a contribué à faire connaître au public israélien.

J’ajoute que je partage, comme des millions de nos concitoyens, le sentiment exprimé par B. Ziffer, que j’avais déjà exprimé bien avant le Covid-19, envers la famille Nétanyahaou et le Premier ministre, qui porte bien son nom (en hébreu, Nétanyahou signifie “Dieu nous l’a donné”’). Je débattrai des élections israéliennes mardi prochain à 19h30 heure d’Israël sur i24, face à Jean-Pierre Filiu. 

Pierre Lurçat

 

 

“Nous devons entamer cette semaine fatidique avec l’espoir que mardi, nous renforcerons Nétanyahou aux élections, pour la raison purement pragmatique qu’il est un excellent Premier ministre.

 

Mardi, souhaitons que le peuple punisse dans les urnes les dirigeants de ce qu’on appelle la gauche sioniste, le centre-gauche avec ses différentes branches, pour s’être égarés, avoir abandonné tout sens de la responsabilité nationale et s’être perdus dans leur vanité, tout ce qui leur reste étant de s’époumoner : “‘Rak lo Bibi!” (“Tout sauf Bibi!”)

 

Mardi, nous devons montrer aux médias malfaisants qui poursuivent de leur vindicte Nétanyahou et le Likoud, en utilisant des stéréotypes antisémites pour diaboliser les Juifs orthodoxes, au mépris de l’intelligence des téléspectateurs - qu’ils n’ont aucune influence sur nous. En dépit de l’incitation et de la diabolisation permanente - nous voterons justement pour Nétanyahou. Peut-être ainsi apprendront-ils à être plus équilibrés et plus dignes.

 

Mardi, nous devons dire merci à l’homme qui a sauvé nos vies, au sens littéral.

 

Benny Ziffer (photo : Ziv Koren)

 

A la veille des élections, il faut prier pour que les manifestants de la rue Balfour noient leur désespoir dans l’alcool et n’aillent pas voter mardi matin. Et s’ils se lèvent quand même pour aller voter, que leur désespoir leur fasse mettre un bulletin blanc dans l’urne.

 

Mardi, nous devons démontrer que la haine pathologique envers Nétanyahou et sa famille ne bénéficie pas à ceux qui la propagent, et que Nétanyahou restera au pouvoir pour de nombreuses années encore…

 

Mardi, nous devons assurer encore des années de sécurité et de prospérité et de calme, et non, à D. ne plaise, de chaos et de folie, si Nétanyahou ne parvenait pas à former un gouvernement. Car il suffirait de quelques heures sans direction à la tête de notre pays, pour que nos ennemis extérieurs tentent de nous anéantir, au sens littéral. 

 

Voter pour Nétanyahou, c’est à mes yeux voter en faveur d’un projet divin réussi et de la grâce divine qui a été accordée à Israël, depuis le Ciel - ne serait-ce que par la sagesse qui consiste à ne pas rejeter un tel cadeau de D.ieu.


Mardi, je me lèverai tôt et j’iraivoter pour lui, comme pour remplir un commandement sacré. Ce commandement est celui d’aimer le peuple d’Israël de toute notre âme et de tous nos moyens. Et il n’est pas de meilleur moyen d’exprimer  cet amour qu’en votant pour Byniamin Nétnyahou.

Benny Ziffer

Texte original : https://www.inn.co.il/news/471556

 

Nétanyahou et sa femme Sarah, montrant le sceau biblique qui porte son nom

LIRE AUSSI:

http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/04/pour-comprendre-benjamin-netanyahou-sans-fard-ni-caricature-quelques-liens-sur-la-famille-sioniste-revisionniste-de-jabotinsky-a-net


 

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Quand “Jabo” lisait la Bible : La pensée économique et sociale du fondateur du sionisme révisionniste

March 7 2021, 11:00am

Posted by Pierre Lurçat

Il y a de nombreuses manières de lire la Bible hébraïque, le Tanakh, mais on peut les regrouper toutes dans deux catégories. La première est celle des lecteurs qui la considèrent comme un livre décrivant des événements du passé. L’Ancien Testament des catholiques, la Bible des tenants de la “Science du judaïsme” où celle des rabbins réformés participent de cette tendance, mais également celle de certains Juifs orthodoxes qui s’abstiennent de toute joie en souvenir des victimes de l’épidémie à l’époque de Rabbi Aqiba (après la destruction du Second Temple), mais qui mettent leur vie et celle des autres en danger, en négligeant les mesures de protection contre la pandémie du Covid-19… La seconde manière de lire la Bible est celle de ceux qui y voient un Livre vivant (Torat Haïm), qui s’adresse au lecteur de chaque génération et dont les prescriptions sont toujours actuelles, plus de 3300 ans après le don de la Torah sur le Mont Sinaï. 

 

Jabotinsky - tout comme Herzl avant lui - appartient à cette seconde catégorie. Il lit la Bible hébraïque non comme un livre d’histoire ou comme un récit mythique, mais “comme le livre de l’Histoire nationale juive par excellence, et il en fait une source d’inspiration essentielle de ses idées politiques”. Je publie ici les premières pages du livre inédit de Jabotinsky, La rédemption sociale, que j’ai le plaisir et l’honneur de publier en français ces jours-ci. Ce livre, premier tome de la Bibliothèque sioniste, est dédié à la mémoire de Jacques Kupfer. Je l’ai connu à la fin des années 1980, au siège du Betar, boulevard de Strasbourg. C’est de lui que j’ai entendu pour la première fois le nom de Jabotinsky. J’étais déjà trop âgé pour appartenir au Betar et porter la Tilboshet, même si j’ai milité pendant plusieurs années au Tagar, branche étudiante du Betar. 

 

Je me souviens avec émotion des réunions avec Jacques, de la rédaction du journal Alerte auquel je participais comme lui sous différents nom de plume.. Comme tous ceux qui ont croisé son chemin, j’étais impressionné par ses multiples talents d’orateur, d’écrivain, de dirigeant et d’organisateur. Mais je me souviens en particulier qu’il nous donnait l’impression de vivre en compagnie des héros du sionisme, qui n’étaient pas pour nous des noms sur le papier, mais de véritables compagnons de lutte… Comme l’écrit Jabotinsky au sujet du colonel Patterson, qui “se sentait chez lui dans le monde de la Bible hébraïque”, Jacques se sentait chez lui dans le monde du Tanakh, dans le monde de Jabotinsky, des premiers Betari, des Olei hagardom, de Shlomo ben Yossef et des martyrs du Lehi et de l’Irgoun… 

 

Le secret du Betar que Jacques nous a transmis résidait à mes yeux dans cela: nous vivions avec ces héros. Mon militantisme sioniste a pris fin avec mon alyah en 1993, mais je revoyais Jacques régulièrement, au Yom Hébron ou ailleurs, sur le mont Herzl à l’occasion du Yahrzeit de Jabotinsky. Ce n’est que bien plus tard que je me suis intéressé plus sérieusement aux écrits de Jabotinsky, après avoir entendu son petit-fils à Jérusalem, et que j’ai entamé leur traduction en français. Mais je n’ai jamais oublié à qui je devais mon sionisme jabotinskien. Je dédie ce livre à Jacques Kupfer. Que sa mémoire soit bénie.

 

Jacques Kupfer z.l.

 

La pensée économique et sociale de Jabotinsky occupe une place particulière dans son œuvre, consacrée essentiellement aux questions politiques et à la situation du peuple Juif en Eretz-Israël et en exil. Elle n’est exposée de manière exhaustive et systématique dans aucun livre, ni même dans un recueil. On la trouve éparse dans quelques discours et articles, et notamment dans les Éléments de philosophie sociale de la Bible, dans La rédemption sociale et dans L’idée du Yovel, trois textes regroupés dans le livre que je viens de publier (1). Considéré dans sa prime jeunesse comme un écrivain prometteur (Maxime Gorki avait dit que sa conversion au sionisme fut une perte irréparable pour la littérature russe), Jabotinsky n’a guère eu le loisir de mettre à profit ses talents d’homme de lettres, sinon pour aborder les nécessités impérieuses de l’actualité, même s’il a publié - outre ses nombreux articles - deux romans et une autobiographie inachevée (2). 

 

Le “Saint des Saints” de l’univers de Jabotinsky

 

Le fondateur du Betar et de la Légion juive a littéralement donné sa vie au mouvement sioniste et à l’édification de l’État juif dont il n’a pas vu le jour, étant resté comme Moïse, sur l’autre rive…(3)  Et pourtant, les questions sociales et économiques n’ont cessé de le préoccuper. Son traducteur Moshé Bella pose la question de savoir ce qui motivait le plus Jabotinsky, du “pathos politique” ou du “pathos social”, et il observe que la question de la “réparation de la société” (Tikkoun ha-hévra) n’a jamais laissé de répit à l’âme sensible de Jabotinsky (4). Effectivement, dans le Panthéon intérieur du Roch Betar et dans son univers intime, la question de la justice sociale et de la réforme économique - à laquelle il n’a guère pu consacrer tout le temps qu’il aurait souhaité - occupait une place centrale. Elle était, selon ses propres termes, le “Saint des Saints” de son Temple intérieur. 


 

Avant d’aborder succinctement la pensée économique et sociale de Jabotinsky, il convient de faire une remarque préliminaire concernant la place qu’occupe la Bible dans la pensée sioniste moderne. Beaucoup a été dit sur le caractère utopique de la société juive décrite par Herzl, le “Visionnaire de l’État”, dans son ouvrage programmatique, L’État juif et dans son roman politique Altneuland. Homme du dix-neuvième siècle, Herzl croyait au progrès nécessaire de l’humanité, et son utopie est le fruit des conceptions de son époque (Paul Giniewski le compare judicieusement à Jules Verne, autre grand utopiste). Le rapprochement entre Herzl et Jabotinsky est instructif, à cet égard comme à beaucoup d’autres. Si le premier est un homme du siècle du Progrès et de la Science, le second (né en 1880) est bien un homme du vingtième siècle, celui des guerres meurtrières et des totalitarismes. (Il faut cependant nuancer l’idée d’un Herzl totalement optimiste, car lui aussi a eu la prescience d’une catastrophe à venir (5)). 

 

Partisan d’un retour à Herzl – dont il se considéra toute sa vie comme le continuateur – Jabotinsky a apporté à l’idée sioniste la dimension militaire qui faisait défaut à la pensée du “Visionnaire de l’État”. Mais les deux grands théoriciens du sionisme ont aussi lu la Bible, et tous deux l’ont prise au sérieux. Contrairement aux rabbins réformés (qui furent, avec beaucoup de rabbins orthodoxes, les pires adversaires du sionisme au sein du monde juif) et à beaucoup d’autres lecteurs de la Bible à leur époque, Jabotinsky, comme Herzl, lit la Torah non comme un récit mythique, mais comme le livre de l’Histoire nationale juive par excellence, et il en fait une source d’inspiration essentielle de ses idées politiques. Ces dernières s’expriment ainsi dans son roman Samson, où il fait une lecture audacieuse des événements de la période des Juges. Mais c’est surtout sa pensée économique et sociale qui est très largement fondée sur sa lecture de la Bible hébraïque, le Tanakh.

 

 

La pensée sociale biblique de Jabotinsky

 

Jabotinsky avait passé ses années de jeunesse à Rome, où il fut exposé aux conceptions socialistes, notamment par le biais de son professeur Antonio Labriola (6), comme il le relate dans son autobiographie : “Toutes mes conceptions relatives aux problèmes nationaux, de l'État et de la société se sont forgées au cours de ces années, sous l'influence italienne ; c'est là-bas que j'ai appris à aimer l'architecture, la sculpture et la peinture... À l'université, mes maîtres étaient Antonio Labriola et Enrico Feri (7). J'ai conservé la croyance en la justesse du régime socialiste, qu'ils ont semée dans mon cœur, comme quelque chose allant de soi, jusqu'à ce qu'elle soit détruite de fond en comble par l'expérience rouge en Russie”. 

 

L’influence socialiste exercée par ses professeurs de l’université de Rome s’est prolongée durant son activité de journaliste, alors qu’il couvrait l’actualité parlementaire en assistant aux séances de la Chambre des députés, au Palais Montecitorio (8). “A la tête de la gauche se trouvait le groupe parlementaire socialiste, auquel je me joignis en pensée, même si je n’y suis jamais entré de manière officielle, ni en Italie, ni en Russie. Son programme final, la nationalisation des moyens de production - me semblait alors comme une conclusion logique et souhaitable du développement de la société” (9). Comme d’autres dirigeants et intellectuels juifs russes à son époque (10), Jabotinsky avait été durablement marqué par le spectacle de la misère des Juifs en Russie, qu’il décrit dans son roman Les Cinq, en partie autobiographique. 

 

Ses articles concernant la question sociale été écrits dans les années 1930, au lendemain de la grande crise de 1929, qui avait conduit Jabotinsky à réfléchir aux questions économiques et sociales. Il avait lui-même connu de près, non certes la pauvreté, mais une vie de gêne, après le décès de son père - sa mère s’étant privée pour offrir à ses deux enfants des études supérieures - et bien plus tard, dans sa vie adulte, quand il donnait une partie conséquente de ses revenus de journaliste au mouvement sioniste révisionniste. C’est donc tout naturellement qu’il avait pu penser que la “classe ouvrière” serait le porte-drapeau des pauvres et qu’elle pourrait parler en leur nom et améliorer leur sort. 

 

Mais cet espoir fut déçu et Jabotinsky dut vite déchanter, sur ce sujet comme sur d’autres points clés de la doctrine marxiste, après la Révolution d’octobre en Russie, en découvrant ce qu’il a appelé le “contenu égoïste du concept de classe”. L’évolution qu’a connue Jabotinsky sur ce point - et son rejet définitif de toute conception socialiste - tiennent tout autant à sa réflexion sur les questions économiques et politiques qu’à sa conviction, profondément ancrée, que tous les hommes naissent et demeurent égaux. Brièvement séduit par les idées socialistes et pacifistes dans sa jeunesse, il en est très vite revenu pour élaborer sa doctrine sioniste, marquée par le concept de ‘Hadness (« un seul drapeau »), qu’il oppose au Sha’atnez (mélange de laine et de lin proscrit par la Bible) que représente à ses yeux le sionisme socialiste. 

 

 

C’est en effet dans la Bible hébraïque que Jabotinsky trouve le fondement de toute sa philosophie économique et sociale, qu’il résume dans la notion de Tikkoun Olam (réparation du monde) (11). Comme il l’explique, “Dieu a certes créé le monde tel qu’il est, mais que l’homme se garde bien de se satisfaire que le monde reste toujours “tel qu’il est” - car il est tenu de s’efforcer à tout moment de le perfectionner… car si Dieu y a laissé de si nombreuses lacunes – c’est précisément pour que l’homme lutte et aspire à la “réparation du monde” . L’idée de Tikkoun Olam vue par Jabotinsky trouve son application dans l’impératif de combattre la pauvreté, qui est à ses yeux non pas tant un mal inévitable qu’un mal inutile, qu’il incombe de faire disparaître en “réparant” le monde. 

 

L’extrême sensibilité du “Roch Betar” à la misère sociale l’amène à élaborer le programme des “Cinq Mem”, exposé dans son article La rédemption sociale et inspiré en partie d’un Juif viennois, Joseph Popper-Lynkeus (12), auteur d’un livre intitulé L’obligation alimentaire générale. D’après le programme de Popper-Lynkeus, l’État a l’obligation de libérer les citoyens, riches ou pauvres, de trois obligations essentielles : l’alimentation, l’habillement et l’habitation. Jabotinsky reprend ce programme à son compte, en y ajoutant l’éducation et la santé. C’est en cela qu’on a pu dire que Jabotinsky était le précurseur de l’État-providence moderne. (A suivre…)

Pierre Lurçat

 

(1) Extrait de ma préface au livre de Jabotinsky, La rédemption sociale, que je viens de publier en français. Disponible uniquement sur Amazon.

(2) Les Cinq, éditions des Syrtes 2006, Samson le Nazir, éd. des Syrtes 2008, Histoire de ma vie, Les provinciales 2011, traduction et présentation de Pierre Lurçat.

(3) Il est mort en 1940 à New-York.

(4) M. Bella,  Jabotinsky, ha-Ish oumishnato, Misrad Habitahon 1980 p. 253.

(5) Voir sur ce sujet, Y. Nedava “Les fondateurs du sionisme et la vision de la Shoah”, in Between the Visions, Rafael Hacohen éd. (hébreu).

(6) Philosophe et homme politique italien (1843-1904), contribua à diffuser le marxisme en Italie.

(7) Criminologue et homme politique italien (1856-1929).

(8) Il est intéressant de noter que Herzl avait lui aussi été correspondant parlementaire, au Palais Bourbon, comme il le relate dans son livre Le Palais Bourbon, tableaux de la vie parlementaire. Ainsi, les deux grands théoriciens du sionisme politique ont tous deux été marqués par la vie politique de deux grandes démocraties de l’époque.

(9) Histoire de ma vie, op. cit. page 32.

(10) Voir notamment la description faite par Zalman Shazar, Etoiles du matin, Albin Michel.

(11) Jabotinsky emploie ici la notion de Tikkoun Olam, qui a depuis lors été souvent utilisée à des fins politiques, notamment au sein de la gauche juive radicale aux Etats-Unis. Voir mon article “ Ruth Bader Ginsburg, Israël et le “Tikkun Olam” : la falsification d'un concept juif”.

(12) Ingénieur et écrivain autrichien (1838-1921).

 

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La rédemption sociale de Jabotinsky : une troisième voie économique pour Israël?

February 22 2021, 14:16pm

Posted by Pierre Lurçat

Le livre La rédemption sociale, recueil de textes inédits en français de Vladimir Z. Jabotinsky qui vient de paraître, offre un aperçu des conceptions sociales originales du grand dirigeant sioniste, inspirées de la Bible, et méconnues du lecteur francophone. Outre leur intérêt historique, ces textes - qui présentent un visage très différent du fondateur de l’aile droite du mouvement sioniste - ont aussi un intérêt très actuel, les conceptions de Jabotinsky montrant la voie pour que la "Start-Up Nation" devienne aussi un pays où règneront la prospérité et la justice sociale pour tous.

 

La rédemption sociale: Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque par [Vladimir Zeev Jabotinsky, Pierre Lurcat]

 

Les textes ici publiés en français pour la première fois exposent les conceptions originales de Jabotinsky en matière sociale et économique, inspirées par la Bible hébraïque. La pensée économique et sociale de Jabotinsky n’est exposée de manière exhaustive et systématique dans aucun livre, ni même dans un recueil. On la trouve éparse dans quelques discours et articles, et notamment dans les Éléments de philosophie sociale de la Bible et dans L’idée du Yovel, qu’on lira ci-après. C’est dans la Bible hébraïque que Jabotinsky trouve le fondement de toute sa philosophie économique et sociale, qu’il résume dans la notion de Tikkoun Olam (réparation du monde).

 

Comme il l’explique, “Dieu a certes créé le monde tel qu’il est, mais que l’homme se garde bien de se satisfaire que le monde reste toujours “tel qu’il est” - car il est tenu de s’efforcer à tout moment de le perfectionner… car si Dieu y a laissé de si nombreuses lacunes - c’est précisément pour que l’homme lutte et aspire à la “réparation du monde”. L’idée de Tikkoun Olam trouve son application dans l’impératif de combattre la pauvreté, qui est à ses yeux non pas tant un mal inévitable qu’un mal inutile, qu’il incombe de faire disparaître en “réparant” le monde.

Pierre Lurçat

Le livre est disponible sur Amazon. Pour recevoir un service de presse, merci de m’écrire à pierre.lurcat@gmail.com

Voir sur le même sujet ma récente conférence donnée sous l'égide de l'Organisation sioniste mondiale, ici 

https://www.youtube.com/watch?v=lUIYVOAvMws

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Comprendre la Loi fondamentale sur l’Etat-nation (II): la question de l’égalité des droits, par Pierre Lurçat, avocat

December 22 2020, 16:17pm

Posted by Pierre Lurçat

Comprendre la Loi fondamentale sur l’Etat-nation (II): la question de l’égalité des droits, par Pierre Lurçat, avocat

Alors que la Cour suprême, dans ce qui constitue la deuxième phase de la Révolution constitutionnelle entamée dans les années 1990 et sa transformation en premier pouvoir en Israël, prétend examiner la "légalité" de la Loi fondamentale sur Israël Etat-nation, il importe de bien comprendre la signification véritable de cette loi. Analyse.

 

Dans la première partie de cet article, nous avons vu que la Loi fondamentale sur l’Etat-nation s’inscrivait dans le droit fil des textes fondant la légitimité de l’Etat d’Israël selon le droit  international, et notamment de la Déclaration Balfour de 1917 et de la Résolution 181 des Nations Unies de 1947. Nous voudrions à présent nous attarder sur la question controversée de l’égalité et sur les arguments de ceux qui affirment que cette loi porte atteinte à l’égalité des citoyens non-juifs de l’Etat d’Israël.

 

Première affirmation : l’égalité des droits mentionnée dans la Déclaration d’Indépendance a été délibérément omise dans la Loi fondamentale, qui abolit ainsi la notion d’égalité.

 

Cette affirmation, entendue très souvent au cours des dernières semaines, exprime une incompréhension fondamentale du système juridique israélien et de la structure de l’édifice législatif, en Israël et dans les pays démocratiques en général. Elle repose en effet sur l’idée erronée qu’une nouvelle loi aurait automatiquement pour effet d’abroger les lois précédentes. Il n’en est pas du tout ainsi ! Non seulement la Loi fondamentale n’a pas pour effet d’abroger les lois antérieures - mais elle vient en réalité les compléter (1).

 

Pour analyser la place de la Loi fondamentale sur l’Etat-nation au sein de l’édifice juridique et constitutionnel israélien, je propose de recourir à l’image du puzzle. Chaque loi fondamentale vient en effet s’insérer dans un ensemble plus vaste dont elle constitue un élément. La complémentarité de chacun des éléments de ce puzzle tient à la fois à des raisons procédurales (le législateur israélien ayant décidé de recourir au système de l’élaboration d’une Constitution par étapes, en s’inspirant notamment du modèle allemand d’après 1949), et à des raisons de fond (2).

 

Sur le fond en effet, la Loi fondamentale sur l’Etat-nation vient s’insérer de manière logique dans l’édifice constitutionnel, aux côtés des deux éléments déjà édifiés depuis 1948. Le premier élément était celui des Lois fondamentales décrivant le fonctionnement des institutions (Knesset, Président de l’Etat, etc.). Le second était celui des droits de l’homme, qui sont énoncés dans les deux lois fondamentales de 1992. Le troisième élément, qui faisait défaut jusqu’alors, était celui du caractère juif de l’Etat, ou si l’on préfère de la “carte d’identité” de l’Etat d’Israël.

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La carte d'identité de l'Etat (photo : la Knesset)

 

 

Dernier point, qu’il n’est pas inutile de rappeler : la Déclaration d’Indépendance affirme certes que tous les citoyens d’Israël bénéficient de droits égaux, sans distinction d’origine. Mais elle mentionne également le droit au Retour, qu’elle réserve exclusivement aux Juifs et à leurs descendants, ce qui montre bien qu’elle n’est pas motivée uniquement par un souci d’égalité.

 

Deuxième affirmation : la Loi fondamentale sur l’Etat-nation vient consacrer une inégalité de fait entre citoyens juifs et non juifs.

 

Cette affirmation procède là encore d’une vision erronée de la réalité, tant politique que juridique, de l’Etat d’Israël. En réalité, il n’existe pas d’inégalité, de jure ou de facto, entre les citoyens de l’Etat d’Israël. Ceux-ci bénéficient en effet des mêmes droits politiques et sociaux, quelle que soit leur appartenance religieuse ou ethnique, conformément aux termes de la Déclaration d’Indépendance de 1948. Ceux qui dénoncent une prétendue inégalité contestent en réalité la nature même de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat-nation du peuple juif, comme on l’a bien vu lors de la manifestation organisée samedi dernier à Tel-Aviv, au cours de laquelle les manifestants arabes israéliens ont brandi des drapeaux palestiniens !


 


Manifestation contre la Loi sur l’Etat nation à Tel-Aviv

 

Pour illustrer l’inanité de cette affirmation, prenons l’exemple le plus marquant, celui de la langue. Selon les opposants à la Loi fondamentale, celle-ci aurait rabaissé le statut de l’arabe, auparavant langue officielle à égalité avec l’hébreu, pour en faire une langue de second rang. Cette affirmation contient plusieurs contre-vérités. Tout d’abord, l’arabe n’a jamais été la langue officielle de l’Etat d’Israël. Il a en réalité bénéficié d’un statut de langue officielle avant 1948, pendant la période du Mandat britannique, mais ce statut a été abrogé de facto quand l'Etat d’Israël naissant a choisi l’hébreu comme langue officielle. Israël n’est pas, et n’a jamais été depuis 1948 un Etat binational, ou un Etat pratiquant le bilinguisme, contrairement à d’autres Etats.

 

Le statut spécial dont bénéficie la langue arabe en Israël est à la fois l’héritage de la période mandataire et la conséquence de l’interventionnisme de la Cour suprême en faveur des minorités arabes en Israël. Ainsi, un arrêt de 1999 a obligé les municipalités des villes abritant une minorité arabe à utiliser cette langue sur tous les panneaux de circulation dans leur ressort juridictionnel (Bagats 4112/99). La Loi fondamentale ne remet pas en cause le statut spécial acquis par la langue arabe au sein de l’Etat d’Israël : celui-ci est en effet confirmé à l’article 4 (b) et (c) - ce dernier précisant que la Loi ne porte atteinte à aucun droit acquis avant son entrée en vigueur.

 

En réalité, comme l’explique le professeur Martin Sherman, ceux qui s’opposent à la loi au nom de l’égalité des droits confondent deux catégories de droits bien différentes. D’une part, les droits civiques et libertés publiques, qui sont garantis en Israël à tous les citoyens sans distinction d’origine ethnique ou religieuse, depuis la Déclaration d’Indépendance et sous le contrôle tatillon de la Cour suprême, championne de l’égalité. D’autre part, les droits nationaux revendiqués à titre collectif, qui sont réservés au seul peuple Juif, au nom de son droit à l’autodétermination. Sur ce dernier point, aucun compromis n’est possible, sauf à transformer Israël en Etat binational.

Pierre Lurçat

 

(1) Cela est d’autant plus vrai, s’agissant d’une Loi fondamentale, c’est-à-dire d’une loi ayant une valeur supérieure aux lois “normales”, et selon certains avis quasi-constitutionnelle. Si on accepte l’hypothèse (soutenue par une partie des auteurs et juristes israéliens) que les Lois fondamentales sont des éléments de la Constitution en voie de création de l’Etat d’Israël, on comprend d’autant mieux comment la Loi fondamentale sur l’Etat-nation vient compléter les Lois fondamentales précédentes, et notamment la Loi sur la liberté et la dignité humaine de 1992

(2) Sur les notions de Loi fondamentale et de Constitution par étapes, je renvoie au chapitre 13 de mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.

Mon intervention au récent colloque organisé par Dialogia, “Où va la démocratie ?” est en ligne sur Akadem, https://akadem.org/conferences/colloque/politique/dialogia-democratie/dialogia-ou-va-la-democratie-/45247.php.

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Comment lit-on la Torah à Bahreïn : “Be-Reshit” ou les prémisses de la récolte de l’Éternel

September 6 2020, 12:10pm

Posted by Pierre Lurçat

 


 

“Bienvenue à Bahreïn!”, déclarait la semaine dernière avec ravissement un journaliste bahreïni, en hébreu, à une collègue de la chaîne israélienne Kan, médusée. “J’aime la langue hébraïque, la langue des Prophètes et du Roi David” poursuivait le jeune homme avec un grand sourire, dans un hébreu parfait, avant d’expliquer qu’il aimait Jérusalem,”capitale du Roi David” et qu’il appréciait tout particulièrement la chanteuse Ofra Haza. Mais le plus étonnant était la conclusion: “Mon mot préféré en hébreu est Bereshit, le premier mot de la Torah”.


 

 

Pour comprendre les raisons cachées de l’engouement que l’hébreu et Jérusalem suscitent chez ce jeune habitant de Bahreïn - et peut-être aussi le sens profond des événements que nous vivons actuellement - il faut s’arrêter sur la signification du mot Bereshit, premier mot de la Bible. La traduction la plus courante de Bereshit (בראשית) est “Au commencement”, mais elle n’épuise évidemment pas le sens du verset qui ouvre la Genèse. Comme l’explique Rashi, citant un verset du prophète Jérémie, “le monde a été créé pour Israël, que l’écriture appelle le commencement de Sa moisson” (ראשית תבואתו).

 

Ce verset fameux est commenté par le Rabbi Shnéour Zalman de Lady, un des grands maîtres du hassidisme, en expliquant que “Tout comme un homme qui sème pour récolter davantage, Dieu, désirant que s’accroisse la révélation de la divinité dans le monde, a semé Israël qui est sa récolte” (1). Ainsi, au cours de son exil interminable, le peuple Juif a pu - selon cette explication - diffuser la parole de Dieu parmi les nations, avec plus ou moins de succès… Mais à présent que l’exil prend fin et que le peuple Juif revient sur sa terre, quel sens nouveau donner au verset de Jérémie? Et quel rapport avec le jeune homme de Bahreïn et son amour pour l’hébreu et pour Israël? 

 

Cérémonie des Bikourim, Vallée de Jézréel, 1950

 

Un élément de réponse à cette question nous a été donné dans la parasha Ki Tavo, que nous avons lue ce shabbat, qui commence par ces mots : “Quand tu seras arrivé dans le pays que l’Eternel ton Dieu te donne en héritage… tu prendras des prémisses de tous les fruits”. (ראשית כל פרי האדמה). Comme l’explique le rav Ashkénazi- Manitou, l’offrande des prémisses est étroitement liée à l’entrée en Terre d’Israël. Ainsi, l’explication communément admise du “rôle d’Israël parmi les nations”, liant l’exil à la diffusion de la parole divine, est à présent renversée et la mitsva des Prémisses prend une signification nouvelle et pour ainsi dire contraire.

 

Car c’est seulement maintenant, une fois Israël revenu sur sa terre, qu’Israël devient véritablement “Reshit tévouato”, les “prémisses de la moisson divine”. Et c’est maintenant que “tous les peuples de la terre commencent à voir que le nom de l’Eternel est associé au tien”, c’est-à-dire au nom d’Israël, peuple de Dieu. Voilà ce qu’un jeune habitant arabe de Bahreïn - et des millions d’autres personnes à travers le monde - comprennent aujourd’hui, en lisant Bereshit et en voyant les prodiges que le peuple d’Israël, “prémisse de Sa moisson”, réalise sur sa Terre retrouvée…

Pierre Lurçat

 

(1) Cité par Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz z.l. dans leur beau livre Le chandelier d’Or, Verdier 1988.

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Le Saint des Saints : Le Rav Kook et les pionniers d’Eretz-Israël, sous la plume d’Edmond Fleg

August 21 2020, 13:45pm

Posted by Pierre Lurçat et Edmond Fleg

לג'ודית אהובתי - החלוצה שלי

 

Dans de très belles pages de son récit autobiographique, au titre évocateur : Vers le monde qui vient (1), Edmond Fleg décrit son voyage en Eretz-Israël en 1931. Parti sur les traces de Jésus, l’auteur qui relate tout d’abord son judaïsme perdu, puis retrouvé, y fait la rencontre des grands hommes et des héros de la Renaissance juive, de Herzl à Trumpeldor, des morts de Hébron aux Haloutsim qui défrichent la terre et la font refleurir. De ce livre magnifique, j’extrais les lignes suivantes, consacrées au rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, dont le Yahrzeit sera célébré ce dimanche (ג’ באלול).

P. Lurçat 

 

Le rav Kook (1865-1935) pendant la période de Jaffa.

 

“Quel spectacle pourrait différer plus de la Palestine nouvelle, de ses puits à moteur, de ses centrales électriques, de ses écoles, sans rabbins parfois, de ses colonies parfois sans synagogues?

 

Pourtant, quels sont ces hommes rasés, aux cheveux courts, aux jambes nues, à la poitrine nue dans leur chemise ouverte qui, tout à l’heure, escortaient la Tora, qui dansent maintenant avec les Hassidim? Ce sont les Pionniers, les frères de Trumpeldor, les Haloutzim ! Que font ces incroyants, parmi ces croyants? Comment ces purs souffrent-ils ce contact des impurs?

 

Tout à coup, je comprends ! Ils ont la même foi, sous une double apparence : ce que les uns ont espéré, les autres le réalisent ; la prière des saints, leurs bras l’ont exaucée! Ensemble, ils l’accomplissent, le miracle annoncé par la Bible et la Cabbale, le mariage de la terre morte avec le peuple mort, ressuscitant tous deux, par leur embrassement, pour préparer au monde une résurrection !

 

Le rav Kook (au centre) au milieu des haloutsim, 

lors de sa première visite aux moshavot, 1913.

 

Et comme je quittais Méron, je me souvins d’une réponse que m’avait faite à Jérusalem le rabbin Kouk, un des plus orthodoxes.

 

- Que pensez-vous, lui dis-je, des Haloutzim, de ces impies qui veulent bien chômer le Sabbat, se rappeler quelques fêtes de l’année, mais négligent les rites, oublient les traditions?

 

- Savez-vous, me répondit-il, ce que fut jadis le Saint des Saints? C’était, au fond du Temple, un lieu si pur qu’aucun être humain n’y pouvait entrer. Seul, le Grand-Prêtre, au seul jour du Grand-Jeûne, y pénétrait pour prier ; et lui-même, auparavant, devait se purifier. Mais, quand on le construisit, ce Saint des Saint, les maçons qui, dans leurs vêtements souillés, maniaient de leurs mains sales la truelle et le mortier, étaient-ils purs? Les Haloutzim aujourd’hui rebâtissent le Saint des Saints ; pourquoi leur demander la pureté rituelle? Qui laboure la Terre Sainte, en parlant l’hébreu, travaille pour Israël et pour l’Eternel : l’hébreu mène à la Bible, la Terre d’Israël à Dieu !” (2)

Edmond Fleg

 

(1) Albin Michel 1960. Sur Edmond Fleg, lire l’article de Véronique Chemla, http://www.veroniquechemla.info/2010/02/edmond-fleg-1874-1963-chantre-sioniste.html

(2) Cette idée, qui revient à plusieurs reprises dans les écrits du rav Kook, inspira également sa rencontre avec les haloutsim habitant des Moshavot, auxquels il rendit visite à trois reprises, en 1913, 1923 et 1927.

 

 

Edmond Fleg (à gauche) aux côtés de Robert Gamzon

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Parlez au cœur de Jérusalem (Isaïe 40;2), Rav Menachem Chouraqui

May 21 2020, 09:43am

Posted by Menachem Chouraqui

Tlemcen, Algérie, l’année 5657 (1897). La très ancienne communauté juive, dont les racines remontent à l’époque des Guéonim et réputée dans toute l’Afrique du Nord pour ses illustres rabbins, ne parvient pas à retrouver sa sérénité depuis que les provocations et les agressions des musulmans contre ses dirigeants et ses fidèles ne font que s’intensifier.

En effet, depuis plusieurs années, une secte musulmane extrémiste a pris le contrôle de la ville. Ses adeptes font régner la terreur sur les habitants des localités voisines et organisent de nombreuses rebellions armées contre les autorités. Tlemcen la ville pacifique et pastorale était devenue un centre mondial d’études de l’islam et un centre spirituel pour des musulmans intéressés à approfondir la mystique du Coran. Nombreux parmi eux venaient en pèlerinage sur la tombe du « saint de Tlemcen » Sha’ib Abou Medine Al Andaloussi. De même, La grande mosquée érigée à sa mémoire était devenue au fil du temps un pôle d’attraction pour les seigneurs et princes du monde arabe.

700 ans auparavant, Sha’ib Abou Medine avait mis sur pied une fondation à but religieux (הקדש) par le biais de laquelle il avait acquis des terres dans le village de Ein Kerem près de Jérusalem. Tous les revenus de cette fondation étaient consacrés à subvenir aux besoins des musulmans du Maghreb installés dans la partie située à l’Ouest du Mont du Temple, la Porte des Maghrébins, sous le règne du gouverneur Nour A Din Tahnat, et ce jusqu’à l’arrivée de leur Mehdi (messie). Les très importants revenus de la fondation lui permirent, entre autre, d’acheter un grand édifice à proximité d’Al Bouraq, considéré comme lieu éminemment sacré pour les musulmans.

le Rav Haïm Bliah

Plongés dans le désarroi et face aux dangers qui menacent la Communauté juive de Tlemcen, ses notables décident de se tourner vers leur dirigeant spirituel, le Rav Haïm Bliah, et le supplie de trouver un moyen de dialoguer avec les responsables musulmans, afin de calmer, ne serait-ce qu’un moment, la tension régnante entre les deux communautés. Restent encore vivants dans la mémoire des Juifs de Tlemcen le souvenir des nombreux pogroms subis 50 ans auparavant durant lesquels le grand-père du Rav Bliah avait été pourchassé et contraint de s’enfuir précipitamment pour échapper à la mort. Le Rav Bliah accepte de prendre sous sa responsabilité cette mission et de mettre un terme à ce conflit. Accompagné par son confrère du Tribunal rabbinique, le Rav David Hacohen Scali, il décide d’organiser une rencontre, a priori à caractère pacifique, avec les principaux dirigeants musulmans les plus extrémistes. La rencontre aura lieu un vendredi, au terme de la prière devant la grande mosquée au nom du “saint de Tlemcen”.

le Rav David Hacohen Scali

Rabbi Haïm Bliah âgé de 61 ans et Rabbi David Hacohen Scali de 36 ans sont deux grands érudits et éminents décisionnaires, des talmidei hakhamim dont la piété et la sagesse sont de notoriété parmi tous les plus grands sages d’Afrique du Nord.

Vêtus de leurs tuniques rabbiniques traditionnelles, enveloppés de talithot et accompagnés par des notables de la communauté et par de nombreux juifs, ils s’approchent de la foule musulmane qui devient de plus en plus menaçante.

La tension est à son comble. L’assistance retient son souffle dans l’attente d’entendre les paroles du  Rav Bliah.

Soudain, à la stupéfaction générale, le Rav Bliah s’avance devant les dirigeants musulmans et se met à les conspuer et bafouer leur religion ainsi que leur prophète. Lorsque le Rav Hacohen Scali se joint à son collègue et invective lui aussi l’assemblée musulmane, ensemble ils suscitent un tôlé général auprès des personnes présentes. Aussi bien les juifs que les musulmans sont frappés de stupeur. Personne ne s’attendait à une réaction aussi virulente et aussi provocante de la part de ces honorables rabbins.

Puis le Rav Bliah sortit son choffar et sonna d’un son fort et long qui fit trembler toute l’assistance et s’exclama envers les arabes : « Si vous pensez que Jérusalem vous appartient grâce aux possessions que vous avez là-bas, détrompez-vous et sachez que précisément dans 70 ans, Jérusalem et le Mont du Temple seront restitués aux mains des Juifs par leur gouvernement souverain en terre d’Israël ».

Les paroles du Rav Bliah, engendrèrent un profond émoi et étonnement parmi toute l’assemblée.

Le courage et l’audace de ces deux rabbins qui s’étaient dressés sans peur face à une foule hostile suscitèrent chez les musulmans, paradoxalement, un profond sentiment de respect. Ainsi, de façon presque miraculeuse, après cet évènement, la ville de Tlemcen reviendra au calme et ce, pendant de nombreuses années.

Le 1er congrès sioniste à Bâle

Nous sommes le 26 du mois d’Iyar et trois mois avant le premier congrès sioniste à Bâle (Suisse).

Les paroles du Rav Bliah trouvèrent un vaste écho auprès de toutes les communautés juives d’Afrique du Nord durant plusieurs années et éveillèrent une profonde curiosité chez leurs dirigeants rabbiniques quant à leur véritable signification.

Trente ans plus tard, en 1926, dans un de ses ouvrages, le Rav David Hacohen Scali faisant référence à la Déclaration Balfour écrivit en ces termes : « Béni soit Celui qui a choisis nos maîtres ainsi que leurs enseignements car leurs paroles ont été prononcées avec le Rouah Hakoddesh, du fait que nous voyons par nos propres yeux à notre époque qu’Hakadosh Baroukh Hou nous sourit et se tourne vers son peuple Israël, Jacob son lot d’héritage, car Israël ont trouvé grâce devant Dieu et auprès des souverains lui rendant hommage en leur octroyant un gouvernement et ont consenti à leur rendre leur héritage, notre sainte Terre, et déjà certains s’y sont installés avec une administration pour Israël dans la Terre de sainteté, parmi eux des ministres et des personnalités et chaque jour la lumière rayonne sur eux dont l’éclat va croissant jusqu’au plein jour. Et donc nous ne devons pas prendre les devants et libérer l’éclat de la lumière jusqu’au moment où il sortira et brillera en vertu du décret »

Neuf ans après en 1935, le Rav David Hacohen Scali publiera dans l’un de ses livres un article intitulé « elle se hâte vers son terme ». Dans cet article, il précisera quand arrivera le temps où ‘l’éclat de la lumière sortira et brillera conformément au décret’. Se fondant sur la Tradition des Prophètes et des Sages d’Israël ainsi que sur les Sages de la tradition du Sod, il prédira avec précision la date de la libération de Jérusalem. Cet article aura un impact considérable sur les Sages d’Afrique du Nord et il sera cité par eux en temps de crise afin d’insuffler auprès de leurs fidèles de l’espoir dans la Guéoula, la Délivrance, prochaine.

En 5660 (1900) le Rav Scali quitte la ville de Tlemcen. Comme le veut la coutume des Sages d’Algérie quand ils se séparent l’un de l’autre, le Rav Bliah remettra à son confrère son choffar comme marque d’hommage et comme souvenir et témoignage de leur amitié. Le Rav Scali prendra avec lui ce choffar à la ville d’Oran, communément surnommée chez les juifs d’Algerie « Oran shel Hakhamim » (Lumière des Sages). Le Rav Scali sera nommé aux fonctions de grand rabbin et Président du Tribunal rabbinique jusqu’à son décès le 24 du mois de Iyar 5709 (1949).

Quand en 1932, son gendre et fidèle disciple, le Rav David Ibn Khalifa fut nommé grand rabbin et Président du

le Rav David Ibn Khalifa

Tribunal rabbinique dans sa ville natale, ce dernier se rendra à Oran pour solliciter la bénédiction de son Maître.  À cette occasion, le Rav Scali lui remettra le choffar du Rav Bliah. Le Rav David Khalifa, dernier grand décisionnaire d’Algérie, était sioniste de tout son être. Il participera de nombreuses fois au Congrès Sioniste à la tête d’une délégation de juifs d’Algérie pour le mouvement Hamizrahi.

Lors de l’un de ses voyages en Israël, le Rav Khalifa rencontrera son ami le Rav Elyahou Pardès, alors Grand rabbin de Jérusalem. Ils se connaissaient de longue date. Le Rav Pardès avait coutume chaque année au mois de Nissan de se rendre dans les communautés juives d’Afrique du Nord. C’est au domicile du Rav Khalifa qu’il passait toute la fête de Pessah.

le Rav Elyahou Pardès

Lors de cette rencontre, était également présent le Rav Shlomo Goren alors aumônier général de Tsahal. Le Rav Khalifa qui lors de tous ses voyages à Jérusalem prenait avec lui le choffar qu’il avait reçu de son Maître, raconta au Rav Goren l’histoire liée à ce choffar.  Le Rav Goren en fut très impressionné. A la fin de cette rencontre, le Rav Khalifa pris la décision de remettre ce choffar comme présent au Rav Goren en lui disant “que seulement lui, en tant que Rav à la tête du Rabbinat militaire de l’Etat hébreu renouvelé était digne de le détenir“. Le Rav Goren fut très ému de recevoir ce présent singulier et dit au Rav Khalifa qu’il le remettra en dépôt chez son beau-père, le Nazir qui lui aussi s’appelait David Hacohen, et qui également avait fait sien des comportements de piété et d’extrême sainteté. Le Nazir a cette époque restait cloitré à son domicile depuis la chute de la Vieille Ville et s’était contraint à ne pas sortir en dehors de son domicile jusqu’à la Libération de Jérusalem.

Le Rav Shlomo Goren, aumonier général de Tsahal

Pendant la Guerre des Six Jours, le 28 du mois de Iyar 5727 (1967), la jeep du Rav Goren roulant depuis la Bande de Gaza vers Jérusalem fut prise dans sous des tirs d’obus et prit feu avec le choffar que le Rav avait avec lui pendant la guerre.  Persuadé d’une foi profonde que durant cette guerre, il annoncerait la Guéoula au peuple d’Israël en sonnant du choffar près du Kotel Hamaaravi, le Rav Goren ne se séparait jamais de son chofar. Or voilà que le Rav n’avait plus de choffar. Il se devait impérativement d’en trouver un autre. Il se souvint alors du choffar qui lui avait été donné par le Rav Khalifa quelques années auparavant et qu’il avait déposé chez son beau-père, le Nazir.

Alors que la guerre battait son plein, l’élève et aide de camp du Rav Goren, le Rav Menahem Hacohen a raconté l’histoire suivante :

le Rav David Hacohen, le Nazir, au milieu

« Par ordre du Rav Goren je roule chez son beau-père le Rav David Hacohen, le Nazir, un des principaux disciples du Rav Kook. Le Nazir, une figure particulièrement passionnante. On l’appelait le Nazir parce qu’il se comportait comme un nazir. Après avoir pris sur lui d’être nazir, il ne buvait pas de vin, avait laissé pousser ses cheveux et était végétarien. J’arrive au domicile du Nazir et il ne dit rien. Pourquoi ? Parce que durant cette période difficile, il avait pris sur lui de s’abstenir de parler. Je lui dis : je voudrais prendre le choffar. Il semble qu’il me fait signe que le choffar se trouve au-dessus de l’armoire.  Je monte sur une chaise et je prends le choffar que je remets ensuite au Rav Goren. Plus tard, quand nous avons grimpé sur le tank à l’entrée de la Porte des Lions, le Rav Goren tenait ce choffar et un Sefer Torah. Pendant des heures, il n’a pas cessé de sonner de ce choffar. Nous sommes montés sur le Mont du Temple et là, l’état d’exaltation était à son paroxysme. Petit à petit, des combattants de diverses unités venant d’autres endroits de Jérusalem sont arrivés. Le Mont du Temple s’est rempli. Tous se sont tenus là sur le Mont et spontanément, ils ont entonné Yeroushalayim shel zahav ».

70 ans précisément après sa proclamation dramatique, la prophétie du Rav Bliah s’est réalisée ! Le Rav Goren sonnera avec le choffar du Rav Bliah que la Providence lui avait fait parvenir. Dans le feu des combats, avec l’arme de son chauffeur, le Rav Goren fera sauter l’écriteau de porcelaine sur lequel était écrit « Al Bouraq ». Ainsi, furent définitivement effacées les traces de Sha’ib Abou Medin Al Andaloussi à Jérusalem. Le Rav Goren a eu le privilège d’être l’instrument par lequel a été annoncé au peuple d’Israël et au monde entier que la Shekhina, la Présence divine, est revenue à la Maison.

Le Rav Goren sonnant du choffar sur le Mont du Temple

En ces heures intenses, endormi depuis presque 2000 ans, le cœur de Jérusalem s’éveilla et se mit à battre de nouveau au son du choffar. Le rythme de ses battements s’accéléra et s’intensifia lors de la parade des parachutistes sur l’esplanade du Mont du Temple. Le cœur de Jérusalem insuffla du sang frais à tous les membres du corps de la Nation lorsqu’entouré par des officiers de Tsahal, le Rav Goren se tenant droit, avec son choffar dans la main, entrera sur le lieu du Kodesh Hakodashim, le Saint des saints. Pour un instant, lors de la levée du drapeau sur le dôme du rocher, le cœur de Jérusalem semblait avoir rajeuni, s’être renforcé…. Pour un instant seulement. Le peuple d’Israël ayant bu de la coupe de la consolation, décida de cesser de parler au cœur de Jérusalem.

Tous mes remerciements au Dr Yossef Charbit pour les références historiques.

Rav Menachem Chouraqui

Rabbin de la communauté Kyriat Hana David

Directeur du Beith-Midrash Mikhlal Yofi

Jérusalem

Source : 

http://jerusalem24.com/blog/2020/05/19/parlez-au-coeur-de-jerusalem-isaie-402/

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"Jabotinsky cet inconnu" - conférence Zoom jeudi 30 avril

April 28 2020, 15:00pm

Posted by Pierre Lurçat

J'aurai le plaisir d'évoquer des aspects mal connus de la vie et de l'action du fondateur du Betar et du sionisme national.

Inscriptions ici 

https://zoom.us/meeting/register/tJMqcOGvqzIjGtc2TfS5HXxu_Juu_0Q_wT41

"Jabotinsky cet inconnu" - conférence Zoom jeudi  30 avril

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Le testament politique de Nathan Alterman (1910-1970) - l’écrivain-prophète d’Eretz-Israël

March 17 2020, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

 

1

Il n’existe aucune traduction en français de Nathan Alterman, le grand écrivain israélien mort à Tel-Aviv, il y a tout juste cinquante ans (1). Alterman avait pourtant un lien particulier avec la France, pays où il avait passé trois ans au début des années 1930, âgé d’une vingtaine d’années, tout d’abord à Paris, pour s’isoler et écrire loin du bruit et de la fureur des événements en Eretz-Israël, puis à Nancy, où il étudia l’agronomie. Comme d’autres villes universitaires françaises, Nancy attirait en effet alors de nombreux étudiants “palestiniens” (c’est-à-dire des Juifs venus d’Eretz-Israël), qui voulaient acquérir un métier d’avenir. Et l’avenir, à cette époque, c’était le travail de la terre.

 

Nathan Alterman (1910-1970)

 

Parmi les étudiants qui firent le même choix que Nathan Alterman, citons les noms d’Anya Jabotinsky, femme du grand dirigeant sioniste, qui étudia elle aussi à Nancy, et celui de la poétesse Rahel Blaustein, qui étudia l’agronomie à Toulouse. L’histoire de ces étudiants eretz-israéliens séjournant en France reste à écrire, tout comme celle de l’influence culturelle que la France a exercée sur plusieurs écrivains israéliens, parmi lesquels figurent notamment Yehoshua Kenaz, Amos Kenan ou encore David Shahar, le seul écrivain israélien dont une rue porte le nom en France (2). Comme d’autres écrivains israéliens francophiles, Alterman traduisit en hébreu plusieurs oeuvres importantes de la littérature française, comme L’Avare et Le Malade imaginaire de Molière, l’Antigone d’Anouilh et le Phèdre de Racine.

 

2

Le cinquantenaire de la disparition d’Alterman est l’occasion pour les journaux israéliens d’évoquer cette grande figure des lettres israéliennes, qui joua aussi un rôle significatif dans la vie politique et le débat idéologique, notamment après 1967, en s’engageant dans le “Mouvement pour l’intégrité de la Terre d’Israël”, fondé juste après la Guerre des Six Jours. Alterman fut une des chevilles ouvrières de ce mouvement auquel participèrent des écrivains aussi importants que Joseph Samuel Agnon (futur prix Nobel de littérature), Haïm Gouri, Haïm Azaz, Itshak Shalev, mais aussi Rachel Ben Tsvi-Yanaït (épouse du président de l’Etat Itshak Ben-Tsvi). Selon certaines sources, c’est lui qui rédigea le manifeste “pour l’intégrité de la terre d’Israël”, signé par 60 personnalités, qui fut publié à la veille de Rosh Hashana 1968, quelques mois après la fin de la guerre (3).


 

Alterman aux côtés de Moshé Dayan, 1948

 

On a peine à imaginer aujourd’hui que ce mouvement intellectuel en faveur du maintien de la présence juive en Judée-Samarie, sur le Golan et dans le Sinaï, qui réunissait la “crème” du monde des lettres israélien de l’époque, était constitué majoritairement par des hommes de la gauche sioniste, et non par des proches du Herout. Il comptait ainsi, outre les noms déjà mentionnés, ceux de Tsivia Lubetkin, combattante du ghetto de Varsovie et fondatrice du kibboutz Lohamei Hagettaot, de Moshé Tabenkin, membre du kibbutz Ein Harod dont le père, Itshak Tabenkin, était un fondateur et un des principaux idéologues du parti travailliste, et de nombreux autres représentants de la gauche sioniste et du mouvement kibboutzique. A leurs côtés se trouvaient aussi une poignée de membres de la droite sioniste, dont les écrivains Uri Zvi Greenberg, Moshé Shamir (membre de l’Hashomer Hatzaïr dans sa jeunesse, qui avait rejoint le Likoud) et l’idéologue du Lehi, Israël Eldad.


 

3

Comment et pourquoi Alterman, considéré comme la “voix intellectuelle” par excellence du sionisme travailliste, fut-il amené à s’engager en faveur “d’Eretz-Israël ha-shelema” (l’intégrité d’Eretz-Israël)? Les avis sur cette question divergent. Dan Laor, le biographe d’Alterman, observe à ce sujet que la guerre des Six Jours fut pour Alterman une véritable illumination. “Il vécut une véritable révolution intérieure, du jour au lendemain”, explique Laor. “Ce fut comme une illumination. La guerre ébranla les fondements de la terre, et en tant que poète et que sismographe, ressentant les courants souterrains traversant la société israélienne, il aboutit à une conclusion opposée à tout ce qu’il avait cru auparavant”.(4)  L’écrivain Moshé Shamir, lui aussi signataire du Manifeste, estime au contraire que l’engagement d’Alterman en faveur du “Grand Israël” s’inscrivait dans le droit fil de son engagement sioniste d’avant 1967. 


 

Au café Kankan de Tel-Aviv, années 1940. Alterman est le troisième en partant de la gauche


 

Plus importante est la question de savoir, cinquante ans après la naissance du Mouvement pour l’intégrité d’Eretz Israël, quelle a été sa postérité. A de nombreux égards, l’appel lancé par Alterman, Agnon et les autres signataires du manifeste s’est soldé par un échec apparent. Non seulement l’Etat d’Israël n’a pas écouté leur appel, en annexant la Judée, la Samarie et le Sinaï, mais il a au contraire adopté le paradigme trompeur des “territoires contre la paix”, en rejetant l’identification entre Eretz-Israël et “Medinat Israël” qu’Alterman avait célébrée. Si l’on examine, avec le recul du temps, les causes de cet échec apparent, il semble que certains des principaux responsables aient été les écrivains des générations suivantes,  comme Amos Oz, A.B. Yehoshua et David Grossman. Ce sont eux, les porte-parole de La Paix Maintenant, qui ont fait du renoncement au coeur de l’Israël biblique (au nom de la “paix”) leur principal cheval de bataille, avec le succès que l’on sait.

 

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La comparaison entre Amos Oz et Alterman est révélatrice. Le premier, né Amos Klausner, a changé de nom de famille, comme pour effacer toute trace de l’éthos sioniste révisionniste de la famille de son père, et a poussé à son paroxysme l’attitude du rejet des racines, familiales et nationales. Son pacifisme politique n’exprimait pas seulement l’aspiration à une paix utopique - fondée sur un mensonge (celui du peuple palestinien) - mais aussi l’attitude d’une génération tout entière qui, croyant briser les idoles de ses parents, a sacrifié pêle-mêle Ben Gourion et Jabotinsky, le Second Temple et la rédemption nationale, le kibboutz et les implantations, l’héroïsme des soldats et la juste cause du retour du peuple juif sur sa terre. Histoire d’amour trahi, de désamour et de ténèbres (5).

 

Amos Oz, avec A.B. Yehoshua et David Grossman

 

Alterman, de son côté, a bâti toute son oeuvre sur la fidélité et l’attachement aux valeurs dans lesquelles il avait été élevé. Né à Varsovie en 1910, de parents issus de familles de hassidim de Habad, qui s’étaient s’éloignés de la pratique religieuse pour s’engager dans le mouvement sioniste, Nathan Alterman grandit et vécut avec ses parents et sa grand-mère, la rabbanit Sterna Leibovitz, jusqu’au décès de celle-ci. Du fait de sa présence, le foyer resta casher. “Sa grand-mère était pour Alterman le vestige d’un monde entier et d’une tradition que ses parents avaient quittée”, explique Laor, qui attache une grande importance à la présence de cette grand-mère maternelle dans le foyer familial de l’écrivain. De même, le critique Mordehaï Shalev, dans sa vaste étude consacrée au recueil La joie du pauvre d’Alterman et à la thématique essentielle du conflit entre sionisme et judaïsme, analyse la conviction ancrée chez celui-ci que le judaïsme l’emportera toujours en fin de compte (6).

 

L’attitude d’Alterman après 1967 est ainsi celle d’un homme qui a grandi dans le respect pour la tradition et dans l’éthos sioniste de la gauche, et qui y est resté attaché de manière indéfectible, même lorsque la gauche sioniste fut atteinte de la maladie du renoncement et du doute (maladie qu’il avait lui-même annoncée dans un poème fameux). “La renonciation volontaire [à la Judée-Samarie] est une chose cruelle et insensée, qu’aucune nation saine d’esprit n’aurait imaginée”, écrit-il en juin 1969. Et dans son article séminal, publié le 16 juin 1967 dans Ma’ariv, sous le titre “Face à une réalité sans précédent”, il écrit : “La victoire a supprimé toute différence entre l’Etat d’Israël et la Terre d’Israël. C’est la première fois, depuis la destruction du second Temple, que la terre d’Israël se trouve dans nos mains. L’Etat et la Terre font désormais un, et il ne manque plus que le peuple d’Israël, pour tisser le triple lien indissociable”.

 

La prophétie d’Alterman s’est réalisée depuis. Tout d’abord, avec l’alyah massive des Juifs d’URSS, qu’il avait annoncée et souhaitée. Puis, avec le peuplement de la Judée-Samarie, dont il avait été un des premiers à proclamer la nécessité. Il ne reste plus aujourd’hui, pour transformer l’échec apparent d’après 1967 en réussite et parachever la victoire miraculeuse des Six Jours de juin, qu’à annexer enfin les territoires libérés et à donner corps à l’identité entre l’Etat d’Israël et Eretz-Israël qu’Alterman avait prophétisée. Saurons-nous être à la hauteur du testament politique de l’écrivain? L’histoire reste encore à écrire.

Pierre Lurçat

 

Funérailles de Nathan Alterman. Au premier rang, Golda Meir, le rabbin Shlomo Goren et le président Zalman Shazar

 

(1) A l’exception de quelques poèmes dans des anthologies, que je n’ai pas recensés.

(2) A Dinard, ville où séjournait sa traductrice Madeleine Neige. J’aborde les liens entre les écrivains israéliens et la France ici, et dans mon livre Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/ Max Chaleil 2018.

(3) Selon Makor Rishon, dans le numéro spécial du supplément Dyokan consacré à N. Alterman, 13/3/2020. Je remercie M. Ben-Hayoun qui m’a transmis le manifeste.

(4) Roi Aharoni, “Les trois dernières années occultées d’Alterman”, Olam Katan 12/3/2020.

(5) La famille Klausner appartenait au “gratin” de l’aristocratie sioniste révisionniste. L’oncle d’Amos Oz, Yossef Klausner, était un historien réputé, spécialiste de l’histoire du Second Temple, rédacteur de l’Encyclopedia Hebraica et candidat à la présidence de l’Etat d’Israël en 1948. Voir notre article, “Comment Amos Klausner est devenu Amos Oz”. http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/12/quand-amos-oz-s-appelait-encore-amos-klausner-une-histoire-de-des-amour-et-de-tenebres-pierre-lurcat.html

(6) Mordehai Shalev, Gonvim et ha-bessora, Kinneret, Zamora-Bitan, Dvir 2018.

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