Les bâtards de Sartre, de Benoît Rayski : un pamphlet décapant et salutaire, Pierre Lurçat
“En Pologne, pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis collaient du sparadrap sur la bouche des fusillés pour les empêcher de crier : “Vive la liberté!” Ainsi procèdent les plumitifs, les écrivassiers qui prétendent régenter nos âmes. De Jean-Paul Sartre ils ont appris qu’il était permis de tuer l’homme blanc. Et de Frantz Fanon, que le colonisé aurait sa revanche en violant la femme blanche”.
Ces quelques lignes de présentation du livre de Benoît Rayski explicitent le titre de son livre, Les bâtards de Sartre, critique décapante du débat politique et médiatique contemporain en France. En tant que journaliste ayant collaboré à l’Evènement du jeudi et à Globe, Rayski fait partie de ces intellectuels français qui sont aujourd’hui d’autant plus lucides sur la gauche, qu’ils l’ont jadis bien connue et fréquentée. (Les quelques lignes sur sa période militante au PSU, sous la direction de Michel Rocard, sont hilarantes).
Mais on se tromperait en pensant que Rayski cherche dans ce livre à régler des comptes. Il ne veut pas non plus simplement relater, sur un ton humoristique, la déchéance de “l’Homo Sartrius”, ultime avatar de l’Homo sapiens qu’il décrit ainsi : “Rentiers des idées reçues. Boutiquiers attirant le chaland avec leur ‘Je vends, je vends du no pasaran’... Fripiers soldant des vieux cols Mao et des poster de Che Guevara”. Ils pullulent non seulement dans les salles de rédaction, mais aussi dans les centres de recherche du CNRS ou de l’EHESS...
Rayski excelle dans la description des chantres de la France multiculturelle et “antiraciste”, aveugles face au “nouvel antisémitisme” des banlieues véhiculé par un islam conquérant, dont ils se font souvent les complices. Il réserve ses flèches les plus acérées à Pascal Boniface, compagnon de route du rappeur Médine, ou à Edwy Plenel, qui sévit sur Mediapart (après avoir sévi au Monde). Mais il n’épargne pas non plus les intellectuels et journalistes juifs égarés, comme Claude Askolovitch.
Car en réalité, Rayski a écrit un pamphlet qui est tout autant une critique qu’une autocritique. Cela ressort notamment des pages les plus personnelles du livre, comme celles où il évoque son ami Christian Jelen, Juif polonais comme lui, mais qui soutenait Aron à l’époque où Rayski “se gargarisait de Sartre”.... Christian Jelen a en effet été un des premiers, dans les années 1990, à rendre compte de la violence des banlieues et à analyser la démission de la gauche française (1). “Christian Jelen est mort. J’écris ce livre pour m’acquitter de la dette que j’ai contractée à son égard”.
Ces quelques mots pudiques révèlent la motivation profonde du livre de Rayski. Au-delà du pamphlétaire talentueux (et drôle) il y a en lui un écrivain et un moraliste, qui se penche sur les errements de sa propre génération. Je n’appartiens pas à la même génération que Rayski, mais je partage avec lui des origines communes : des grands-parents venus de Bialystok, et des parents passés par le PCF. A ce titre, j’ai été personnellement touché par son livre, pamphlet agréable à lire et remède salutaire à la médiacratie ambiante. Saluons au passage son éditeur, Pierre Guillaume De Roux.
Pierre Lurçat
(1) Il est aussi l’auteur d’un livre passionnant sur le pacifisme, Hitler ou Staline.