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sabra et chatila

"Tout le contraire d'un fait" : Sabra et Chatila - événement historique ou événement mythique? (II)

September 20 2022, 12:29pm

Posted by Pierre Lurçat

Jean Genet en visite dans un camp palestinien à Amman

Jean Genet en visite dans un camp palestinien à Amman

 

Le quarantième anniversaire des massacres de Sabra et Chatila est l’occasion pour plusieurs médias de faire revivre le mensonge de la “culpabilité juive” dans ce massacre de Palestiniens musulmans par des Phalangistes chrétiens. Deuxième volet de notre analyse de l'événement "Sabra et Chatila" comme événement "métaphysique" (E. Marty) et comme événement mythique.

 

La construction de l’événement dans le discours anti-israélien et antisioniste


 

Dans la relation médiatique de cet événement, il ne s’agit plus seulement de choisir et de sélectionner certains faits, mais aussi et surtout d’ériger certains faits en événements, ou plutôt de créer des événements qui n’ont qu’un rapport lointain - le plus souvent d’inversion et de négation - avec les faits. Ainsi, le fait de l’assassinat de Palestiniens par des phalangistes chrétiens devient l’événement mythique dans lequel Ariel Sharon, Tsahal, Israël, voire “les Juifs” sont les coupables de ces assassinats. L’événement Sabra et Chatila, selon cette analyse, est bien le contraire des faits qui s’y sont déroulés. Mais notre nouvelle définition de l’événement médiatique est incomplète : il y manque en effet une dimension supplémentaire, métaphysique. 

 

Cette “dimension métaphysique” de l’événement est particulièrement saisissante dans le cas de Sabra et Chatila, où le massacre de centaines de Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un acte d’accusation contre les Juifs. En effet, explique E. Marty, “Sabra et Chatila dit peu de choses des souffrances et de l’horreur que vécurent ses victimes”, parce qu’il “est intégralement noué à la question juive, en tant qu’elle est le lieu auquel sont nouées l’angoisse du Bien et l’angoisse du Mal. Sabra et Chatila en ce sens est un événement métaphysique, auquel le scénario du bouc émissaire confère une sorte d’universalisme spectaculaire qui ne peut que fasciner la planète.

 

Pour comprendre plus précisément cette dimension métaphysique de “l’événement Sabra et Chatila”, Éric Marty nous invite à lire ce qu’il appelle la “phrase primordiale et majeure” de Jean Genet, tirée de son livre Un captif amoureux : “Si elle ne se fût battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’Origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine… la révolution palestinienne m’eût-elle, avec tant de force, attiré?” Cette phrase, effectivement, est capitale, parce qu’elle donne la clé de compréhension non seulement de l’engagement de Jean Genet, qui se livre avec sincérité et lucidité, mais aussi de celui de très nombreux autres militants antisionistes. En ce sens, on a pu dire que la “chance” des Palestiniens était d’avoir pour adversaires les Juifs.

 

C’est à la lueur de cette affirmation capitale de Genet, qu’on comprend aussi la dimension métaphysique et mythique de Sabra et Chatila, et au-delà de cet événement, du conflit israélo-arabe dans sa totalité. L’événement Sabra et Chatila - comme la Nakba que nous avons abordée dans notre précédent chapitre, comme l’événement Deir Yassin sur lequel nous allons revenir et comme tant d’autres événements du même acabit - ne sont en effet que les maillons d’une même chaîne ininterrompue, qui remonte à la nuit des temps (c’est précisément la définition du mythe, qui renvoie toujours aux origines). C’est toujours le même spectacle qui est rejoué indéfiniment, et chaque partie est toujours assignée au même rôle : le Juif est sempiternellement assigné à son rôle d’assassin (assassin du Christ pour les chrétiens, assassin des prophètes pour les musulmans, assassin des Palestiniens pour le téléspectateur contemporain).

 

Comme l’explique encore Éric Marty, reprenant à son compte les analyses de René Girard sur le bouc émissaire :

 

Le crime imputé à Israël a produit partout autour de lui de l’innocence. Cette innocence touche donc non seulement tous les crimes antérieurs, effacés par les noms de Sabra et Chatila, elle touche au nom même du criminel (à savoir, Elie Hobeika) qu’aucune foule n’a jamais scandé, elle touche enfin à l’essence du crime, car si les Juifs sont coupables, le crime cesse d’être un fratricide, un crime entre frères, pour devenir le crime d’un étranger. Le crime de Sabra et Chatila”, selon cette analyse, “est un cas particulier du bouc émissaire”. “La crise mimétique permanente instaurée par le processus accusatoire a produit un effet cathartique important : la réconciliation de tous les Libanais dans un mensonge mimétique, qui fait d’Israël le seul ennemi, le seul coupable… La nation jusque-là faite d’ennemis qui se haïssaient jusqu’à la mort est devenue fratrie, la grande fraternité



 

Ce qui est vrai du Liban, pays morcelé et éclaté en de multiples sectes, communautés et confessions et longtemps déchiré par de sanglantes luttes intestines, l’est aussi des autres voisins d’Israël. Car le “mensonge mimétique”, qui instaure une illusoire fratrie par la désignation du bouc émissaire, Israël, est tout aussi présent chez les autres pays arabes, en Syrie (où la minorité alaouite au pouvoir a longtemps utilisé Israël comme bouc émissaire), en Égypte, en Jordanie (nation largement artificielle du point de vue ethnique et historique, où l’hostilité à Israël sert de ciment à une fragile cohésion nationale), et jusque chez les Palestiniens, société clanique divisée dont le principal dénominateur commun est la haine d’Israël cultivée par ses dirigeants, ceux du Hamas comme ceux de l’Autorité palestinienne.

 

P. Lurçat


(Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éd. L’éléphant 2022)

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Sabra et Chatila 1982-2022 - Quarantième anniversaire d’un mensonge métaphysique (I), Pierre Lurçat

September 18 2022, 11:54am

Posted by Pierre Lurcat

Sabra et Chatila 1982-2022 - Quarantième anniversaire d’un mensonge métaphysique (I),  Pierre Lurçat

 

Le quarantième anniversaire des massacres de Sabra et Chatila est l’occasion pour plusieurs médias de faire revivre le mensonge de la “culpabilité juive” dans ce massacre de Palestiniens musulmans par des Phalangistes chrétiens. Ajoutons que les récentes “révélations” de médias israéliens concernant la connaissance qu’Israël a pu avoir des événements en temps réel ne modifie pas fondamentalement la vérité énoncée par Ariel Sharon à l’époque : “Des goyim ont tué d’autres goyim, et ce sont les Juifs qu’on accuse…” 

 

Si j’ai choisi Sabra et Chatila comme exemple emblématique des “mythes de l’antisionisme”, dans le cours donné sur Akadem et publié depuis en livre, c’est précisément parce que cet événement “est intégralement noué à la question juive, en tant qu’elle est le lieu auquel sont nouées l’angoisse du Bien et l’angoisse du Mal”, comme l’explique Eric Marty. “Sabra et Chatila en ce sens est un événement métaphysique, auquel le scénario du bouc émissaire confère une sorte d’universalisme spectaculaire qui ne peut que fasciner la planète.

 

Rappelons brièvement les faits : entre le 16 et le 18 septembre 1982, des centaines de réfugiés palestiniens étaient massacrés par des milices chrétiennes phalangistes dans la banlieue de Beyrouth, sur l’instigation du chef des services secrets libanais, Elie Hobeika. Paul Giniewski, auteur de plusieurs ouvrages sur l’antisionisme, note à ce sujet qu’aucun des grands thèmes de la démonisation d’Israël n’a occupé l’avant-scène avec une permanence sans faille, autant que le massacre de Sabra et Chatila et le rôle prêté à Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.

 

On mesure à quel point le thème de Sabra et Chatila est demeuré vivace, dans la propagande palestinienne et dans ses relais occidentaux, à l’aune des innombrables textes, films, reportages et œuvres d’art qui lui sont consacrés jusqu’à ce jour. Citons à titre d’exemple, un remake du Guernica de Picasso, intitulé sobrement “Le massacre de Sabra et Chatila”, exposé au Tate Modern de Londres. La véritable logorrhée verbale, médiatique, artistique et intellectuelle, autour du massacre de Sabra et Chatila et de la prétendue responsabilité israélienne prouve, si besoin était, la véracité du constat fait par l’écrivain Paul Giniewski :

 

Quatre des plus grands journaux américains y avaient consacré davantage d’espace qu’aux dix plus grands massacres qui avaient marqué la décennie 1972-1982, et qui comprenaient celui de l’Ouganda sous Idi amine, les 20 000 civils massacrés à Hama en Syrie, la boucherie de 2,5 millions de Cambodgiens par leurs compatriotes. Trois ans après les faits, un autre massacre eut lieu dans les mêmes camps, alors sous contrôle des Libanais chiites, faisant plus de 500 morts”. Et Giniewski de poursuivre : “Les mêmes quatre quotidiens américains y consacrèrent dix fois moins d’espace qu’au Sabra et Chatila “enjuivé”. En 1982, ce vrai, cet unique Sabra et Chatila digne de mobiliser la conscience universelle avait produit 10 000 mots sur 7 pages dans le même numéro de l’un des grands quotidiens : davantage que l’espace mérité par le débarquement allié en Normandie pendant la Deuxième Guerre mondiale”

 

Autre exemple de cette disproportion et de cette logorrhée médiatique : le fameux texte de l’écrivain Jean Genet, “Quatre heures à Chatila”, auquel il doit une partie non négligeable de sa célébrité. Ce texte a donné lieu à d’innombrables commentaires, mises en scène, et jusqu’à un récent spectacle de danse. L’écrivain français au passé trouble, (qui se présentait lui-même par les mots “Jean Genet, voleur” à ses compagnons de cellule, pendant la Deuxième guerre mondiale), n’a jamais été autant apprécié et célébré que lorsqu’il a écrit ce texte et qu’il est devenu ainsi le “porte-parole” des Palestiniens, auxquels il a consacré de nombreux autres textes. Lisons à ce sujet l’analyse éclairante d’Éric Marty, dans son livre Bref séjour à Jérusalem :

 

Sabra et Chatila n’est jamais apparu comme un événement au sens purement historique du terme - tel Austerlitz qui n’efface pas Wagram et qui n’est pas éclipsé par Waterloo - , il est apparu comme un surévènement, en tant qu’il rend inaudible le nom de tous les autres, en tant que les trois jours qu’il dura effacent les sept ou huit ans de guerre civile et de massacre qui le précédèrent et les huit ans de tueries qui suivirent ; il est apparu comme événement en tant qu’il est devenu l’unique événement par lequel l’on se remémore un très long épisode historique.

 

Cette analyse d’Éric Marty décrit très précisément le processus par lequel Sabra et Chatila, en tant qu'élément du mythe plus large du “génocide du peuple palestinien” - devient un événement mythique, qui efface toute la réalité historique de la guerre civile au Liban et de ses innombrables crimes, commis par des factions tellement diverses et variées, qu’il est difficile de s’y retrouver… Mais dans la version mythifiée, tout devient très simple : il ne reste plus qu’un seul crime, celui des Juifs. “Des goyim ont tué d’autres goyim, et ce sont les Juifs qu’on accuse” - la fameuse expression d’Ariel Sharon - lui-même transformé en accusé principal - dit très bien, de manière lapidaire, ce que Marty analyse sous un angle littéraire. 

 

La lecture par Éric Marty du récit de Sabra et Chatila fait par Jean Genet lui permet d’établir une distinction - essentielle pour notre compréhension du discours et des mythes antisionistes - entre le fait et l’événement : “Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique - il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente

 

Tout le contraire d’un fait” - cette définition de l’événement s’applique parfaitement au récit médiatique du conflit israélo-arabe, dans lequel les faits sont constamment déformés, mutilés, obscurcis ou escamotés. Mais il ne s’agit pas tant d’une volonté délibérée de tromper (qui existe parfois), que d’une conséquence presque inévitable de la posture médiatique. En effet, comme l’écrit Marty à un autre endroit, “la déformation, la désinformation sont pratiquement totales, aussi naturelles aux  médias... que le fait de respirer”. Si les médias, selon Éric Marty, “mentent comme ils respirent” à propos d’Israël, ce n’est pas, bien entendu, parce que les journalistes seraient des menteurs invétérés, mais plus prosaïquement, parce qu’ils ne se préoccupent guère des faits. lls cherchent - ou plutôt ils créent - des événements, c’est-à-dire des faits qui rentrent dans leur grille de lecture. Tout fait qui n’entre pas dans leur grille de lecture, qui ne lui correspond pas, ou qui la contredit, est évacué, éliminé, ou encore transformé et travesti pour lui correspondre. (à suivre…)

P. Lurçat

 

(Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éd. L’éléphant 2022)

 

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Pourquoi les médias mentent-ils sur Israël? La construction de l’événement dans le discours anti-israélien

January 16 2020, 11:52am

Posted by Pierre Lurçat


 

La mise en accusation quasi-planétaire d’Israël est moins le résultat de la propagande palestino-islamiste, qu’un effet du fonctionnement du système médiatique. La condamnation unanime d’Israël, indépendamment de toute analyse des faits, témoigne d’abord du mode de formation et de diffusion de l’information journalistique…


Pierre-André Taguieff, Israël et la question juive

 

Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique - il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente

 

Eric Marty, Bref séjour à Jérusalem


 

Lors d’une récente soirée musicale et poétique donnée à Jérusalem par le journaliste français Patrick Poivre d’Arvor, ce dernier a proclamé son “amitié” pour les Juifs, avant de lancer, au détour d’une phrase, une accusation sans appel contre Israël, qui selon lui “humilierait” les Palestiniens, au lieu de poursuivre dans la voie du “dialogue”... La tentative d’un membre du public pour lui répondre fut vite étouffée par le modérateur du débat, qui préféra ne pas froisser cet hôte de marque, en rétablissant la vérité des faits. 

 

Pour comprendre les raisons profondes du mensonge des médias français  et de leurs acteurs (fussent-ils les mieux intentionnés) sur Israël, je propose de recourir à la distinction capitale établie par le professeur de littérature Eric Marty, entre le fait et l’événement. “Tout le contraire d’un fait” - cette définition de l’événement, citée en exergue au présent article, s’applique parfaitement au récit médiatique du conflit israélo-arabe, dans lequel les faits sont constamment déformés, mutilés, obscurcis ou escamotés. Mais il ne s’agit pas tant d’une volonté délibérée de tromper (qui existe parfois), que d’une conséquence presque inévitable de la posture, ou de ce que Pierre-André Taguieff appelle le “système médiatique”. 

 

Les médias “mentent comme ils respirent” : Charles Enderlin à Jérusalem


 

Comme l’écrit Eric Marty à un autre endroit, “la déformation, la désinformation sont pratiquement totales, aussi naturelles aux médias français que le fait de respirer”. Ainsi, les médias, selon Eric Marty, “mentent comme ils respirent” à propos d’Israël... Pourquoi? Parce que les médias ne se préoccupent guère des faits. lls cherchent - ou plutôt ils créent - des événements, c’est-à-dire des faits qui rentrent dans leur grille de lecture. Tout fait qui n’entre pas dans leur grille de lecture, qui ne lui correspond pas, ou qui la contredit, est évacué, éliminé, ou encore transformé et travesti pour lui correspondre.

 

Ainsi, au lendemain de l’assassinat à Hébron par un sniper palestinien de la petite Shalhevet Pass, bébé juif âgée d’à peine 1 an, le 26 mars 2001, la journaliste Catherine Dupeyron publiait dans le quotidien français Le Monde un article intitulé “Obsèques de la haine à Hébron pour la petite Shalhevet Pas”. La haine, comme on le comprenait en lisant l’article, n’était pas celle, bien avérée, des Palestiniens tueurs d’enfants juifs, mais celle, tout à fait imaginaire et supputée, des habitants juifs de Hébron, la ville des Patriarches, que la correspondante du Monde décrivait ainsi : “ville qui compte dix mille Palestiniens et près de quatre cent cinquante juifs radicaux”.

 

Enterrement de la petite Shalhevet H.y.d.


 

Dans cet exemple, l’assassinat délibéré de la petite Shalhevet Pass était ainsi éliminé, pour faire place à l’événement que constituait, aux yeux du journal Le Monde, les “obsèques de la haine” ou les “appels à la vengeance” des Juifs de Hébron. L’événement, comme dit Marty de manière lapidaire et saisissante, est “le contraire d’un fait”. Dans les faits, un sniper palestinien tue un bébé juif israélien. Mais ce fait, apparemment limpide dans sa cruauté et sa barbarie, donne lieu pour les médias à la création d’un événement contraire, qui est le prétendu appel à la haine des Israéliens. 

 

Bien entendu, on pourrait offrir une lecture moins radicale du travail médiatique que celle de Marty, en expliquant que les médias choisissent et sélectionnent les “faits”. Selon cette autre lecture, l’événement serait simplement un fait choisi et privilégié par les médias, et non plus le contraire d’un fait. Ainsi, entre le fait de l’assassinat du bébé juif, et le fait des appels à la vengeance, ils donneraient la préférence au second, qui cadre mieux avec leur grille de lecture.

 

Mais une telle description est bien en-deça de la réalité, comme le montre l’analyse d’Eric Marty à propos de Sabra et Chatila. Dans la relation médiatique de cet événement, il ne s’agit plus seulement de choisir et de sélectionner certains faits, mais aussi et surtout d’ériger certains faits en événements, ou plutôt de créer des événements, qui n’ont qu’un rapport lointain - le plus souvent d’inversion et de négation - avec les faits (1)

 

Le mythe de Sabra et Chatila

 

Ainsi, le fait de l’assassinat de Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un événement mythique, dans lequel Ariel Sharon, Tsahal, Israël, voire “les Juifs” sont les coupables... L’événement Sabra et Chatila, selon cette analyse, est bien le contraire des faits qui s’y sont déroulés. Mais cette nouvelle définition de l’événement médiatique est incomplète : “pour qu’un événement soit”, poursuit en effet Marty, “il suppose de porter en lui une dimension métaphysique”. Cette “dimension métaphysique” de l’événement est particulièrement saisissante dans le cas de Sabra et Chatila, où le massacre des Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un acte d’accusation contre… les Juifs. 

 

Jean Genet en visite dans un camp palestinien à Amman


 

Pour comprendre plus précisément cette dimension métaphysique de l’événement Sabra et Chatila, Eric Marty nous invite à lire ce qu’il appelle la “phrase primordiale et majeure” de Jean Genet, tirée de son livre Un captif amoureux : “Si elle ne se fût battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’Origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine… la révolution palestinienne m’eût-elle, avec tant de force, attiré?” Cette phrase, effectivement, est capitale, parce qu’elle donne la clé de compréhension non seulement de l’engagement de Jean Genet, qui se livre avec sincérité et lucidité, mais aussi de celui de très nombreux autres militants de la “cause palestinienne”... En ce sens, on a pu dire que la “chance” des Palestiniens était d’avoir pour adversaires les Juifs...

 

C’est à la lueur de cette affirmation capitale de Genet, qu’on comprend aussi la dimension métaphysique et mythique de Sabra et Chatila, et au-delà de cet événement, du conflit israélo-arabe dans sa totalité. L’événement Sabra et Chatila - comme celui de la Nakba, comme l’événement Deir Yassin et comme tant d’autres événements du même acabit - ne sont en effet que les maillons d’une même chaîne ininterrompue, qui remonte à la nuit des temps (c’est précisément la définition du mythe, qui renvoie presque toujours aux origines). C’est toujours le même spectacle qui est ainsi rejoué indéfiniment, et chaque partie est toujours assignée au même rôle (2) : le Juif est toujours assigné à son rôle d’assassin (assassin du Christ pour les chrétiens, assassin des prophètes pour les musulmans, assassin des Palestiniens pour le téléspectateur contemporain) et les "Palestiniens" sont toujours d'innocentes victimes, "humiliées" par Israël, selon l'expression de PPDA.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Sur le rapport entre faits et événements dans les médias, voir aussi l’analyse éclairante de Neil Postman dans son livre récemment traduit en français, Technopoly, édition L’échappée.

(2) Comme me l’avait expliqué le regretté Haim Azses dans son séminaire sur la désinformation donné à Paris lors de la Première Intifada, il y a plus de 30 ans. 

 

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Mon cours sur “Les mythes de l’antisionisme”, donné dans le cadre de l’Université populaire du judaïsme fondée par Shmuel Trigano, est en ligne sur Akadem.

 

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