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politique americaine

Israël-Iran : la guerre à venir et l’héritage de Donald Trump, Pierre Lurçat

January 17 2021, 14:20pm

Posted by Pierre Lurçat

 

 

La récente information, largement relayée par les médias israéliens et étrangers, concernant les nouveaux plans de Tsahal pour contrer le programme nucléaire iranien, montre que l’armée israélienne est déjà entrée dans l’ère Biden. En la matière, la fin de l’ère Trump et l’arrivée de l’administration Biden a une signification très claire : Israël doit se préparer à la guerre. Non pas seulement la guerre qui se déroule déjà depuis longtemps, en Syrie, en Iran même et dans le cyberespace, entre Tsahal d’un côté, l’Iran et ses alliés de l’autre. Mais la guerre aux frontières - voire au coeur même du territoire israélien. Le chef d’état-major israélien Kochavi et les autres dirigeants israéliens savent parfaitement ce que signifie l’entrée en fonctions d’une administration qui a déjà annoncé son intention de “négocier” avec l’Iran son retour dans le cadre du JCPOA : cela signifie que le danger iranien sera encore plus menaçant que jamais.

 

La vie internationale n’est pas un concours de maintien pour jeunes filles : 

parade militaire àTéhéran



 

Il n’y a pas loin du Capitole à la roche tarpéienne”; jamais l’adage latin n’aura eu une signification plus évidente que pour le président sortant Donald Trump. Il est particulièrement édifiant de lire, dans les colonnes du journal israélien Makor Rishon, l’analyse de trois éminents Juifs américains républicains, dressant le bilan de l’ère Trump. Un “massacre américain”, un “désastre”... : Bret Stephens, Dov Zackheim et William Kristol ne tarissent pas de superlatifs pour décrire la catastrophe que représente selon eux le mandat de Donald Trump. Le plus étonnant est de constater que le discours de ces représentants du camp républicain au sein du judaïsme américain ne diffère pas fondamentalement de celui de leurs collègues démocrates (au point que Kristol - dont le père était un intellectuel phare du courant néoconservateur américain - a même appelé à voter Biden aux dernières élections).



Quel que soit le jugement que l’on porte sur le bilan intérieur américain des quatre années Trump, il ne doit pas occulter le fait - largement passé sous silence ou minimisé par ces analystes, pourtant considérés comme de fervents partisans d’Israël - que la présidence Trump a été marquée par un rapprochement jamais vu auparavant dans les relations entre Israël et son allié américain. L’héritage de Donald Trump ne se mesure pas seulement dans le domaine diplomatique et symbolique - dans lequel il a effectivement été le président le plus pro-israélien depuis Harry Truman, qui avait voté en faveur de la proclamation d’Israël aux Nations Unies. L’héritage de Trump, c’est avant tout le soutien concret, total et inconditionnel à Israël dans sa guerre existentielle contre un Iran voué à sa destruction. 



 

 Le monde a besoin de dirigeants sachant comment mener la guerre

 

La personnalité (de Trump) compte plus à mes yeux que sa politique”. Ce jugement formulé par un commentateur juif républicain exprime un sentiment partagé par beaucoup de ses coreligonnaires, aux Etats-Unis et ailleurs. Mais en vérité, ce n’est pas seulement un atavisme juif, car à l’ère des médias sociaux, les hommes politiques sont jugés bien plus pour leur apparence et pour leur manière de s’exprimer que pour leur politique. Dans le cas de Donald Trump, de toute évidence, son franc-parler, son mépris affiché des conventions et son goût de la provocation ne l’ont pas servi, ni aux yeux de ses adversaires, ni même de ses partisans. Mais quand il est question de la guerre Israël-Iran, ce n’est plus de bonnes manières qu’il s’agit, mais de vie ou de mort. 

 

Aussi il y a quelque chose de pusillanime dans l’attitude de ceux - y compris en Israël - qui préfèrent voir à la Maison Blanche un président qui “sait se tenir” et tenir sa langue, qu’un président qui sait comment se comporter avec les dirigeants de Téhéran. Face aux ennemis d’Israël, le monde a besoin de dirigeants sachant comment mener la guerre, et pas de dirigeants qui savent plaire aux médias, ou disserter sur l’art ou la littérature. La vie internationale n’est pas un concours de cuture générale ou de maintien pour jeunes filles bien nées. Comme le disait Woody Allen, “Même quand l’agneau et le loup coexisteront, je préfèrerai être le loup”. Dans un monde où les loups n’ont pas encore déposé les armes, Israël doit non seulement se comporter en conséquence, mais doit aussi pouvoir compter sur des alliés qui savent aussi comment affronter les loups de Téhéran, Damas ou ailleurs. Israël n’a pas fini de regretter la présidence Trump.

Pierre Lurçat

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J’ai le grand plaisir d’annoncer la parution de deux livres en hommage à ma mère, Liliane Lurçat (1928-2019), qui paraissent simultanément ces jours-ci. Le premier, intitulé “Un parapluie pour monter jusqu’au ciel”, est un livre de souvenirs inédit dans lequel elle relate sa jeunesse, depuis sa naissance à Jérusalem, au Paris d’avant la guerre et à l’internement à Drancy et à Vittel. Comme elle l’a expliqué ailleurs : “Ma formation de psychologue a deux sources, l’école de la vie pendant l’Occupation allemande, et plus tard, l’attention affectueuse d’un maître…” C’est le récit de cette “école de la vie” qui est ici présenté au lecteur, école souvent rude et parfois cruelle, mais riche d’enseignements.

 

 

 

 

L’histoire de cette jeune femme qui a eu seize ans à Drancy en 1943, et dont la guerre a occupé une large partie de sa jeunesse, est édifiante. Elle est un modèle de courage, d’obstination et de foi en l’avenir. Dans son récit, on voit poindre les qualités d'observation des autres et de pénétration psychologique qu'elle a plus tard déployées dans sa vie professionnelle, en tant que chercheur au CNRS.

 

Le second livre, intitulé “Vis et Ris!”, est un livre d‘hommage dans lequel je décris la personne que j’ai connue et ce que je lui dois. A la fois témoignage personnel et réflexion sur la transmission et l’identité juive, il tente de répondre à la question du contenu de la Yiddishkeit que j’ai reçue en héritage. Ce livre est, plus encore qu’un livre de souvenirs et un chant d’amour, un chant d’espérance.

 

 

Dans les moments d’allégresse ou de peine, aux heures où la joie m’envahit ou, au contraire, quand le découragement me gagne, je revois ton visage plein de grâce et de sagesse, ma mère, et j’entends ta voix qui continue de me parler, comme tu l’as fait depuis les premiers instants de ma naissance et jusqu’aux derniers souffles de ta vie. Je t’entends aussi chanter, par-delà l’éternité, les refrains qui ont bercé mon enfance et qui continuent de m’accompagner. Et j’entends ces deux mots qui résument à mes yeux tout ce que tu m’as légué, cette philosophie de la vie forgée dans l’épreuve et dans le rire, sagesse ancestrale exprimée dans la langue de nos ancêtres Juifs d’Europe centrale, qui figurent en titre de ce livre : “Leib un lach!”.

Pierre Lurçat

 

 

 

Les deux livres sont disponible sur Amazon, en format Kindle ou broché. En Israël, ils peuvent être commandés auprès de l’auteur. pierre.lurcat@gmail.com  

Les demandes de service de presse sont les bienvenues .pierre.lurcat@gmail.com 


 

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Donald Trump, l’Amérique et l’identité d’Israël : une explication, Pierre Lurçat

November 24 2020, 07:58am

Posted by Pierre Lurçat

 

Je donnerai à ta descendance toutes ces provinces, et par ta descendance seront bénies toutes les nations du monde” (Genèse 26-4)

 

Comme l’expliquait avec émotion le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo lors de sa visite en Israël la semaine dernière, après s’être rendu sur le site d’Ir David - capitale du Roi David il y a trois mille ans - la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël “est une simple reconnaissance de la réalité. Il est insensé que les Etats-Unis ne l’aient jamais fait jusqu’à ce jour” (1). Ces quelques mots ne suffisent toutefois pas à décrire l’importance du changement radical apporté par l’administration Trump dans les relations entre les Etats-Unis et Israël. Celui-ci va bien au-delà de la politique et des relations internationales, telles que nous les comprenons généralement et touche à un aspect bien plus profond des rapports entre les peuples, qu’on peut définir comme celui de la reconnaissance de l’identité collective authentique d’Israël.

 

Si l’on veut apprécier à leur juste mesure les accomplissements réalisés par le président américain Donald Trump pendant les quatre années de son mandat, il faut en effet envisager ceux-ci non pas comme des événements qui s’inscrivent dans le “temps court” de la vie politique et de la relation médiatique de l’actualité. Car ils s’inscrivent en réalité dans le temps long de l’histoire, et plus précisément, dans le temps spécifique à l’histoire juive et à l’histoire d’Israël, c’est-à-dire dans le temps des Toledot, concept hébraïque qui désigne, selon l’enseignement de Manitou, l’histoire des engendrements et le développement de l’identité humaine, et pas seulement l’histoire événementielle (2). 



 

Signature des Accords Abraham à la Maison Blanche

 

Pour prendre toute la mesure de ce changement radical, il faut revenir sur une des conséquences les plus remarquables de la politique de l’administration Trump au Moyen-Orient : la signature des “Accords Abraham” et l’établissement de relations diplomatiques entre Israël et plusieurs pays du Golfe. Contrairement à tous les accords de paix qui les ont précédés, les Accords Abraham” reposent non pas sur la cession de territoires par Israël, mais sur la reconnaissance pleine et entière du peuple Juif et de son identité nationale (3). Il ne s’agit pas seulement de la reconnaissance politique d’un Etat, mais aussi de l’acceptation de l’identité profonde d’Israël, celle qu’on ne peut définir uniquement par les termes du droit international. Il s’agit en fait, pour la première fois dans l’histoire des relations entre Israël et le monde arabo-musulman, d’un accord fondé non seulement sur des intérêts communs, mais aussi sur la conviction qu’Israël représente une chance et une bénédiction pour les pays de la région.

 

Les accords Abraham reposent ainsi - comme leur nom l’indique - sur la reconnaissance explicite par plusieurs dirigeants des pays du Golfe d’une filiation commune et sur leur compréhension de la promesse faite à Abraham, qui apparaît à plusieurs reprises dans le récit biblique : “Par ta descendance seront bénies toutes les nations du monde”. Or, c’est là précisément que réside le “secret” permettant de comprendre toute la portée, véritablement révolutionnaire, de la nouvelle politique instaurée sous l’administration Trump. Pendant plusieurs décennies, Israël a en effet poursuivi - avec l’encouragement des Etats-Unis et de nombreux pays occidentaux, de la Ligue arabe et d’autres acteurs de la politique internationale - une paix illusoire, qui reposait entièrement sur le principe mensonger de “la paix contre les territoires” et sur la négation de sa propre identité. 



 

Le mensonge d’Oslo : nier l’identité d’Israël



 

Le mensonge d’Oslo était largement le fruit de la volonté de certains Israéliens, encouragés par l’Europe notamment, d’échapper à l’identité collective authentique d’Israël (4). Comme l’avait affirmé à l’époque l’écrivain David Grossmann, avec une  absolue franchise : “Ce qui est demandé aujourd’hui aux Juifs vivant en Israël, ce n’est pas seulement de renoncer à des territoires géographiques. Nous devons aussi réaliser un “redéploiement” – voire un retrait total – de régions totales de notre âme… Comme la “pureté des armes”… Comme être un “peuple spécial” ou un peuple élu (Am Segoula)” (5). Or les accords Abraham, toute comme la nouvelle direction insufflée par l’administration Trump à la politique américaine à l’endroit d’Israël, reposent au contraire sur la reconnaissance du peuple Juif en tant que “peuple spécial” (Am Segoula), c’est-à-dire en tant que peuple qui apporte la bénédiction à toutes les nations. 

 

On comprend dès lors l’extrême froideur avec laquelle l’Union européenne et la France d’Emmanuel Macron ont accueilli les Accords Abraham et l’obstination presque diabolique (“perseverare diabolicum…”) avec laquelle elles s’entêtent à soutenir la fiction palestinienne. Dans l’inconscient collectif européen, l’Etat juif demeure le Juif des Etats, c’est-à-dire le représentant du peuple honni et maudit, qui a fini par trouver un refuge sur un bout de terre qui ne lui appartient pas… Il n’est pas anodin que la France souhaite d’une part bénéficier des avancées réalisées par Israël en tant que “start-up nation”, mais refuse d’autre part de reconnaître l’identité d’Israël et ses droits à Jérusalem et en Judée-Samarie. Car dans le schéma traditionnel de la diplomatie française, Israël incarne encore et toujours la figure du Juif maudit mais utile, prêteur d’argent ou conseiller des Princes, mais rien de plus. (6)



 

Bénéficier de la “start-up nation” en niant l’identité d’Israël : E. Macron et B. Nétanyahou



 

Or c’est bien sur ce point fondamental, et rarement exprimé dans les relations internationales, que repose toute la nouveauté apportée par l’administration Trump, tellement décriée par les chancelleries et les médias de la vieille Europe. Donald Trump, digne représentant d’une Amérique qui n’a jamais oublié le récit biblique sur lequell elle est fondée, est le premier dirigeant à avoir donné à l’Etat juif son statut véritable de peuple spécial (Am Segoula), c’est-à-dire de peuple “par lequel sont bénies toutes les nations du monde”. A ce titre, Trump est déjà entré dans l’Histoire, comme un moderne Cyrus et comme un bienfaiteur d’Israël. Il est le premier dirigeant américain - et espérons-le, pas le dernier, dont  la politique envers Israël est guidée non par les éditoriaux du New York Times ou par les sondages, mais par la promesse plus actuelle que jamais, faite à Abraham à l’aube de l’histoire juive.

Pierre Lurçat

 

1. Voir le commentaire du Rav Manitou-Askénazi sur la parachat Toledot, Leçons sur la Torah, Albin Michel.

2. Propos rapportés par Odaya Krish-Hazony dans Makor Rishon, 20.11.2020.

3. Depuis les accords entre Israël et l’Egypte de 1978, et jusqu’aux accords d’Oslo de 1992, en passant par les accords avec la Jordanie. Tous ont instauré dans le meilleur des cas une paix froide, reposant sur le principe trompeur des “territoires contre la paix”. 

4. Je me permets de renvoyer sur ce sujet à mon livre Israël, le rêve inachevé, et à la présentation que j’en ai faite au micro de Richard Darmon, et dans un entretien avec le rav Uri Cherki.

5. Cité par Y. Hazony, L’État juif. Sionisme, post-sionisme et destins d’Israël, éditions de l’éclat 2007, page 113.

6. Sur le lien entre antisémitisme et diplomatie française, voir le livre classique de David Pryce-Jones, La diplomatie française et les Juifs.

 

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EN LIBRAIRIE - Jour de Sharav à Jérusalem

Longtemps épuisé, mon livre Jour de Sharav à Jérusalem est de nouveau disponible, en format Kindle et en format papier.

 

Le « sharav », c'est le vent du désert qui souffle parfois sur Jérusalem, ce qui donne son titre à l'une des nouvelles de cet agréable recueil. Né à Princeton aux États-Unis, l'auteur, qui a grandi en France, vit désormais à Jérusalem. Les textes, très courts mais finement ciselés, qu'il nous offre, se présentent comme autant d'hommages à la cité du roi David. (Jean-Pierre Allali, Crif.org)
 

Avec son livre si poétique, Pierre Itshak Lurçat nous offre toute une palette de couleurs d’émotions. Parfois, c’est la musique que l’on entend presque, tant sa présence revient comme une nostalgie lancinante de ses années de jeunesse, mais aussi comme la résonance de son intégration en Israël. (Julia Ser)
 

Lurçat n’est pas un portraitiste phraseur. C’est l’amour du peuple juif qui le porte et il est contagieux. La Ville Sainte qui le fascine abrite ses émotions et offre un écrin à ces histoires. « A Jérusalem, qu’on le veuille ou non, on est porté vers le haut » confie Lurçat. La photo en couverture du livre prend alors tout son sens. Ces destins qui traversent ces pages sont comme les cordes de cette harpe, tendus vers le ciel, qui vibrent en harmonie, traversés par un impératif d’élévation. (Katie Kriegel, Jerusalem Post)

Lisez ce livre, et relisez-le. Il mérite de prendre place à côté des meilleurs écrits de la littérature franco-isréalienne ou israélo-française… Le vibrato de ce livre tient aussi à cette structure particulière où chaque abacule vit sa vie pour mieux participer à la composition. Il est beau ce petit livre, entre Paris et Jérusalem, entre passé et présent, entre ici et là-bas. Comment ne pas y être sensible ? (Olivier Ypsilantis)

 

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Ruth Bader Ginsburg, Israël et le “Tikkun Olam” : La falsification d’un concept juif

September 23 2020, 14:16pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Une femme d’exception, captivant biopic consacré à Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour suprême des Etats-Unis décédée la semaine dernière, relate le parcours exceptionnel de cette fille d’immigrants juifs de Russie, devenue professeur de droit puis juge de la plus haute juridiction, au sein de la plus grande démocratie au monde. Au-delà de la success-story, caractéristique de la grande nation américaine et des chances qu’elle sait offrir aux meilleurs de ses enfants, le film montre surtout comment la juge Bader Ginsburg a fait évoluer le droit américain, en tant que membre de l’American Civil Liberties Union, en prenant pour cibles des lois discriminatoires contre les femmes et en transformant la Cour suprême en instrument d’empowerment et d’amélioration de la condition féminine.

 

 

La Cour suprême américaine est effectivement devenue, depuis le début des années 1970 notamment, un formidable instrument de transformation politique et sociétale. Non contente de “dire le droit” et d’interpréter les textes votés par les deux chambres du Congrès, elle est devenue créatrice de droit, et son pouvoir excède - sur de nombreux sujets, souvent essentiels - celui des élus du peuple siégeant au Capitole. Et c’est là que, comme le proclame l’affiche du film, “son histoire a changé l’histoire” et que l’itinéraire de la petite Ruth Ginsburg quitte la petite histoire, pour entrer dans la grande. Le récit de cette évolution et de la montée en puissance de la Cour suprême est sans doute une des pages les plus intéressantes de l’histoire américaine récente, et aussi de l’histoire des démocraties occidentales en général (1).

 

Bader Ginsburg et Israël : une relation ambivalente

 

Interrogé sur les ondes de la radio de Tsahal, au lendemain de Rosh Hashana, l’ancien président de la Cour suprême d’Israël Aharon Barak a refusé de se prononcer pour ou contre la politique du président Trump, au grand dépit du journaliste qui l’interrogeait. Mais il lui a confié deux remarques, bien plus intéressantes qu’un énième témoignage de Trump-bashing : il a révélé que la juge Bader Ginsburg “admirait beaucoup la Cour suprême israélienne” et qu’elle “partageait avec lui (Barak) la même conception du rôle du juge pour interpréter la loi”. En réalité, la relation qu’entretenait Ruth Bader-Ginsburg avec Israël était - de l’aveu même du journal Ha’aretz - une relation marquée par une proximité ambivalente, comme celle de l’ensemble de la gauche juive américaine. 



 

Bader Ginsburg recevant le Prix Genesis des mains du juge 

Aharon Barak à Jérusalem (à gauche, Esther Hayot)



 

Evoquant ses origines juives, lors d’une soirée donnée en son honneur à la cinémathèque de Jérusalem, Bader Ginsburg expliquait ainsi comment “le concept de tikkun olam” avait marqué son héritage juif. Pour comprendre tout ce que cette petite phrase signifie, il faut s’arrêter sur le concept de Tikkun Olam. Il s’agit en effet d’un véritable mot-codé, dont le signifiant - pour un large pan du judaïsme américain - va bien au-delà de sa traduction littérale : “réparation du monde”. En réalité, comme l’explique Jonathan Neumann dans un essai passionnant paru en 2018 (2), il s’agit d’un concept-clé pour comprendre les engagements politiques de la gauche juive américaine et sa participation au mouvement en faveur de la “justice sociale” : en somme, tout ce que représentait Bader Ginsburg.

 

Tikkun Olam : falsification et politisation d’un concept juif

 

Historiquement, ce concept est étroitement lié au mouvement de la Réforme juive, né en Allemagne et implanté aux Etats-Unis au début du XIXe siècle. Mais le Tikkun Olam a progressivement conquis des cercles toujours plus larges du judaïsme américain, du mouvement reconstructionniste au judaïsme conservative, et jusqu’à certaines franges de l’orthodoxie. Or, selon Neumann, l’histoire de cette réussite conceptuelle est avant tout celle d’une falsification : en effet, explique-t-il, la notion hébraïque authentique du Tikkun Olam n’a rien à voir avec le combat pour la justice sociale de la gauche juive américaine. L’expression, qui apparaît dans le texte originel de la prière Aleynou, récitée trois fois par jour, signifie en effet “établir le monde sous le Royaume de Dieu” (לתכן עולם) et non pas “réparer le monde (לתקן עולם) en tant que Royaume de Dieu” (3). Selon Neumann, plusieurs anciens livres de prières, yéménites notamment, comporteraient encore la version originale, לתכן עולם.

 

Mais plus encore que cette transformation linguistique, c’est l’utilisation politique qui a été faite du Tikkun Olam qui est lourde de conséquences. Aux yeux des militants juifs de la gauche américaine, la notion de Tikkun Olam a permis de donner un tampon de légitimité (ou de cacherout) à leurs engagements les plus éloignés du judaïsme traditionnel, contre la guerre au Vietnam ou pour un Etat palestinien. Ainsi, un activiste juif radical, Michaël Lerner, (qui s’était marié devant une pièce montée ornée du slogan “Détruisons la monogamie”, en échangeant des anneaux fabriqués à partir du fuselage d’un avion abattu par les Vietcongs) (3), a donné le nom de Tikkun à son magazine, visant à “réparer et transformer le monde” selon l’agenda de la gauche juive la plus radicale. 


 

 

Comme l’avait fait remarquer il ya déjà longtemps le rédacteur en chef de la revue juive américaine Commentary, Norman Podhoretz, le judaïsme liberal américain est devenu à de nombreux égards une nouvelle religion (ce qui n’est pas étonnant si l’on considère sa filiation avec la Réforme juive allemande, visant à faire du judaïsme une “copie” du protestantisme de l’époque). En faisant du Tikkun Olam l’aleph et le tav de leur conception du judaïsme, ces militants juifs américains ont effectivement donné naissance à une nouvelle religion politique, qui n’a pas grand chose à voir avec la tradition juive. Quel rapport avec la juge Bader Ginsburg? 

 

Au-delà de son combat méritoire pour l’empowerment des femmes américaines, celle-ci est devenue un symbole et une icône de la gauche juive et de l’ensemble du camp “liberal” aux États-Unis. Or les Juifs “liberal”, à l’encontre des militants juifs révolutionnaires du début du 20e siècle - qui avaient renoncé à leur judaïsme pour embrasser la Révolution - prétendent jouer sur les deux tableaux ou “danser dans deux mariages à la fois” : ils voudraient faire passer leur engagement politique pour l’expression la plus authentique du “message juif” bien compris (5). Au nom du “tikkun Olam”, la gauche juive aux Etats-Unis (et ailleurs) s’est ainsi livrée à une véritable captation d’héritage du judaïsme, ou pour reprendre l’expression de Jonathan Neumann, à un “rebranding du marxisme en judaïsme”.

 

Le judaïsme, est-il besoin de le préciser, n’est ni de gauche ni de droite, concepts politiques réducteurs dans lesquels on ne peut enfermer la tradition vivante d’Israël. Mais la récupération politique de la notion de Tikkun Olam et de “justice sociale” par la gauche juive américaine ne saurait effacer l’appel à la justice de la Bible hébraïque et des Prophètes, qui va bien au-delà d’un quelconque engagement politique partisan. Car l’idéal d’une société juste, en Israël,et ailleurs, reste encore à accomplir, et aucun parti ou mouvement ne peuvent s’en arroger l’exclusivité, de même qu’ils ne peuvent s’en affranchir. לשנה טובה תכתבו ותחתמו

Pierre Lurçat

 

(1) Sur cette évolution dans le cas israélien, je renvoie à mes articles sur le sujet, et notamment http://vudejerusalem.over-blog.com/2020/03/comment-la-cour-supreme-a-pris-le-pouvoir-en-israel-1-le-fondamentalisme-juridique-au-coeur-du-debat-politique-israelien-actuel-pier

(2) J. Neumann, To heal the World? All point book 2018, sous-titré : “Comment la gauche juive corrompt le judaïsme et met en danger Israël”.

(3) Voir aussi sur ce sujet, Mitchell First, “Aleinu: Obligation to Fix the World or the Text?”, http://www.hakirah.org/Vol%2011%20First.pdf 

(4) Anecdote rapportée par Jonathan Neuman dans son livre To Heal the World?.

(5) On trouve un exemple quelque peu similaire en France avec la femme-rabbin Delphine Horvilleur, représentante très médiatisée d’un judaïsme-soft et politiquement correct, qui donne un “parfum” de judaïsme aux idées progressistes les plus en vogue.

 

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