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naomi shemer

Une étincelle d’hébreu : “Bé-Damayikh Hayyi” - Quand la Bible et Naomi Shemer éclairent notre quotidien, P. Lurçat

January 23 2024, 08:49am

Posted by Pierre Lurçat

Une étincelle d’hébreu :  “Bé-Damayikh Hayyi” - Quand la Bible et Naomi Shemer éclairent notre quotidien, P. Lurçat

 

 

C’est le génie de la langue hébraïque de rester toujours jeune. Elle est, pourrait-on dire, la langue antique et jeune du peuple éternel, de retour sur sa terre retrouvée. Pour illustrer ce phénomène sui generis, j’ai choisi le texte d’une chanson de Naomi Shemer, qui résonne de manière tragique avec l’actualité terrible de ce matin. “Bé-Damayikh Hayyi” est une des dernières chansons écrites par la grande Naomi Shemer. Elle porte en titre le fameux verset du prophète Ezechiel – que chaque Juif connaît au moins pour l’avoir entendu lors de la cérémonie de la Brith Mila – “Vis dans ton sang”.

 

Ce verset, rappelle Avraham Zigman dans le très beau livre qu’il a consacré à l’œuvre de Naomi Shemer[1], est la parole adressée par Dieu, par la voix du prophète Ezechiel, à Jérusalem. “L’obligation de ‘vivre dans le sang’ n’a malheureusement pas changé depuis l’époque du prophète et jusqu’à nos jours, car l’histoire du peuple Juif baigne dans le sang”, écrit encore Zigman. C’est sans doute la raison pour laquelle les mots de la Bible nous sont tellement proches, ces jours-ci plus encore que d’habitude.

 

Les mots antiques me donnent de la force, dans les voix anciennes je puise un réconfort” : c’est ainsi que Naomi Shemer décrit sa relation intime avec l’hébreu de la Bible, dans la chanson Bé-Damayikh Hayyi. On ne saurait mieux décrire ce que de nombreux Juifs en Israël et à travers le monde trouvent actuellement dans le Livre des Livres (Sefer ha-Sefarim), depuis le début de la guerre qui a commencé le jour de Simhat Torah, où nous avons repris la lecture du Livre de Berechit. Personnellement, la lecture de la section hebdomadaire de la Bible m’éclaire plus sur la guerre que bien des commentaires savants entendus à la radio, et je suis certain de ne pas être le seul dans ce cas.

 

La Bible n’est pas seulement le récit de notre histoire nationale et le trésor que nous avons légué à l’humanité (qui a encore tant de mal à le lire et à le comprendre). Elle est aussi le Livre dans lequel nous trouvons la clé des événements que nous vivons et aussi, avec l’aide de D., la capacité d’endurer les difficultés de notre histoire. “Et soudain, un arc-en-ciel apparaît au-dessus de ma tête, un éventail coloré se déploie, annonciateur de vie et d’espoir, de paix, de tranquillité et de Hessed”. Que les mots de Naomi Shemer nous donnent la force et la persévérance, et que D.ieu protège nos soldats, ramène nos captifs et console nos familles endeuillées !

P. Lurçat

 

 

[1] Midrash Naomi, Les sources juives de la poésie de Naomi Shemer, Yad Ben Tsvi 2009.

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Hannoukah, histoire sainte ou histoire profane? Le “Maoz Tsour” traditionnel et le “Shiv’hé Maoz” de Naomi Shemer

December 12 2020, 18:19pm

Posted by Pierre Lurçat

Dans une belle émission diffusée sur Galei Tsahal il y a deux ans, Ofer Gabish relatait l’anecdote suivante, au micro de Shimon Parnass. L’histoire se passe en décembre 1969, pendant Hannoukah, il y a tout juste 51 ans. Nous sommes en pleine guerre d’usure - guerre difficile et injustement oubliée, qui s’est déroulée le long du canal de Suez entre la guerre des Six Jours et la guerre de Kippour. Naomi Shemer avait été invitée à visiter les fortins de Tsahal dans le Sinaï pour y rencontrer les soldats, selon une belle tradition qui veut que les meilleurs chanteurs israéliens viennent réjouir et renforcer le moral des soldats, jusque sur les lignes de front.

 

Naomi Shemer se rendit donc sur le canal de Suez - qui tenait lieu de frontière israélo-égyptienne entre la fin de la guerre des Six Jours et le retrait israélien en 1980. Elle visita les fortins les plus avancés et entendit les soldats raconter les bombardements. Ils lui racontèrent aussi comment ils avaient fabriqué une immense Hannoukiah, faite de morceaux d’obus, érigée juste en face du canal. Chaque soir, ils allumaient d’immenses flammes - visibles par les soldats égyptiens sur l’autre rive - et entonnaient en choeur le chant traditionnel “Maoz Tsur”. C’est alors que la chanteuse eut l’idée, simple mais géniale, de modifier le premier vers de Maoz Tsur, en transformant sa signification. 
 

Naomi Shemer en visite sur le canal de Suez, 1969 (photo : Archives de Tsahal)

 

Le “Rocher puissant de ma délivrance” devint ainsi le “Fortin, rocher de ma délivrance”: conformément à l’esprit de laïcisation inhérent à l’hébreu moderne, ce n’est plus le “Rocher d’Israël” (appellation traditionnelle de Dieu, qui figure aussi dans la Déclaration d’Indépendance d’Israël), mais le Fortin (maoz), qui est donc la source de notre délivrance. Le chant de louange à Dieu qui nous apportera la Délivrance finale devient ainsi, sous la plume de Naomi Shemer, un chant militaire en l’honneur des fortins du Canal de Suez et de leurs vaillants défenseurs. 

 

On pourrait certes voir là un énième épisode de la guerre culturelle - qui remonte aux débuts du sionisme politique et encore avant - entre deux visions radicalement opposées de l’histoire juive: la première, Histoire sainte dans laquelle les hommes ne sont que les instruments du projet divin, tandis que le héros véritable est, selon l’expression de la michna de Avot, “Celui qui maîtrise son penchant”. La seconde, histoire purement humaine dans laquelle Dieu n’a aucune part et où les guerres, à l’époque des Maccabim comme aujourd’hui, sont remportées uniquement par l’héroïsme des soldats. Mais une telle vision ferait insulte à la fois à la riche personnalité de Naomi Shemer, et à la réalité complexe de l’histoire d’Israël.



 

Soldats de Tsahal allumant les bougies de Hannouka

Car en réalité, la chanson “Shivhé Maoz” de Naomi Shemer n’est pas simplement un chant militaire (qui a été notamment interprété par la Lahakat Pikoud Darom) et un hymne au courage des soldats de Tsahal. Elle est aussi, comme l’a démontré Ofer Gabish, pétrie de citations des prophètes Isaïe, Jérémie et d’autres livres de la Bible (Shmuel et les Juges). Dans les chansons de Naomi Shemer en général, comme dans celles d’autres artistes de sa génération, la réinterprétation de motifs traditionnels n’est pas tant motivée par la volonté d’effacer le Nom de Dieu, que par celle de montrer - par des allusions et des références constantes aux textes de la Tradition - qu’il est présent même lorsqu’il paraît ne pas l’être, selon la thématique traditionnelle du “Ester Panim”, du “voilement de la face de Dieu”.

 

Le débat ancien pour savoir si la victoire de Hannoukah a été rendue possible par l’héroïsme des Maccabim, ou par la Main providentielle de Dieu a pris un sens nouveau depuis 1948. La réponse à cette question ancienne est devenue plus évidente au cours des guerres modernes d’Israël : ce sont évidemment les deux ! Libre à chacun de préférer voir le bras de nos soldats, ou la “main tendue” du Rocher d’Israël. Le génie de Naomi Shemer est précisément de signifier, par petites touches allusives, ce que chaque Israélien comprend confusément. L’histoire récente d’Israël, qui s’écrit sous nos yeux, est une histoire humaine, pleine d’héroïsme et de bravoure, écrite par des hommes, mais aussi une Histoire sainte, celle d’un peuple spécial, Am Segoula dont le destin échappe aux lois de l’histoire humaine en général. Hag Ourim saméah!

 

Pierre Lurçat

 

Naomi Shemer (1930-2004)

 

שבחי מעוז / נעמי שמר

מָעוֹז צוּר יְשׁוּעָתִי, לְךָ נָאֶה לְשַׁבֵּחַ

הַרְחֵק־הַרְחֵק לְיַד בֵּיתִי, הַפַּרְדֵּסִים נָתְנוּ רֵיחַ

אָבוֹא בַּמִּנְהָרוֹת וּבַמְּצָדוֹת וּבַמְּעָרוֹת

וּבְנִקְרוֹת־צוּרִים וּבִמְחִלּוֹת־עָפָר

אֵי־שָׁם בְּלֵב הַלַּיְלָה, דָּרוּךְ וַחֲרִישִׁי

צוֹפֶה בִּי, מְבַקֵּשׁ נַפְשִׁי.

מעוֹז צוּר יְשׁוּעָתִי, מִבְצָר עִקֵּשׁ וְקִשֵּׁחַ

עֲצִי־שָׁקֵד לְיַד בֵּיתִי, עוֹמְדִים בְּלֹבֶן פּוֹרֵחַ

אָבוֹא בַּמִּנְהָרוֹת וּבַמְּצָדוֹת וּבַמְּעָרוֹת

וּבְנִקְרוֹת־צוּרִים וּבִמְחִלּוֹת־עָפָר

אֵי־שָׁם בְּלֵב הַלַּיְלָה, דָּרוּךְ וַחֲרִישִׁי

מַבִּיט בִּי מְבַקֵּשׁ־נַפְשִׁי.

מָעוֹז צוּר יְשׁוּעָתִי, בִּקְרַב אֵין קֵץ יְנַצֵּח

אֵלַי אַיֶּלֶת אֲחוֹתִי, חִיּוּךְ עָיֵף תְּשַׁלֵּחַ

אָבוֹא בַּמִּנְהָרוֹת וּבַמְּצָדוֹת וּבַמְּעָרוֹת

וּבְנִקְרוֹת־צוּרִים וּבִמְחִלּוֹת־עָפָר

אֵי־שָׁם בְּלֵב הַלַּיְלָה, דָּרוּךְ וַחֲרִישִׁי

אוֹרֵב לִי מְבַקֵּשׁ־נַפְשִׁי.

אֲבוֹי לוֹ מֵעֻקְצִי, וַאֲבוֹי לוֹ מִדִּבְשִׁי

אֲבוֹי לִמְבַקֵּשׁ־נַפְשִׁי.

 

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“On dit qu’il existe un pays…” Mutation et paradoxes de l’identité culturelle israélienne (I) Pierre Lurçat

July 19 2019, 08:54am

Posted by Pierre Lurçat

“On dit qu’il existe un pays…”  Mutation et paradoxes de l’identité culturelle israélienne (I)  Pierre Lurçat

A Judith, 

באהבה ובהצלחה

 

La naissance d’une tradition israélienne” : c’est le titre d’un article passionnant de Yoav Shorek dans le numéro de juin 2018 de la revue Hashiloah, qui paraît à Jérusalem depuis trois ans et dont il est le rédacteur en chef (1). L’auteur y explique notamment comment la volonté d’édifier en Israël une culture entièrement laïque et de créer un “Nouveau juif”, qui caractérisait le projet culturel sioniste pendant plusieurs décennies, a fait place depuis peu à l’élaboration d’une synthèse originale, dans laquelle identité juive et identité israélienne ne sont plus contradictoires, mais complémentaires. 

 

Il ne s’agit pas seulement”, écrit Shorek, “d’un changement du rapport à l’identité juive, mais aussi d’une transformation du caractère de l’identité civile israélienne”. Selon lui, la réalité israélienne contemporaine s’inscrit en faux contre l’idée du “Nouveau juif”, mais aussi contre la conception sioniste-religieuse, qui voudrait que “le sionisme laïc ait achevé son rôle” (de fondateur de l’Etat) et qu’il appartiendrait désormais aux membres du courant sioniste-religieux (les fameuses “kippot srougot”) de construire “l’étage supérieur, celui de Jérusalem, du Retour à Sion”. En effet, poursuit Shorek, c’est “l’identité israélienne qui devient la tradition partagée par tous - tradition qui n’est ni laïque ni religieuse”.

 

Cette présentation, résumée ici très succinctement, a le mérite d’offrir une vision un peu plus complexe de la réalité d’Israël aujourd’hui, que l’opposition sommaire et simpliste entre “religieux” et “laïcs”, dont on fait souvent l’aleph et le tav du débat culturel et politique israélien. (2) Pour illustrer le propos de Yoav Shorek, je voudrais évoquer ici la figure d’un des grands écrivains de langue hébraïque, mal connu du public francophone mais très présent dans la vie culturelle israélienne : Shaul Tchernikovsky.

 

Shaul Tchernikovsky

 

Shaul Tchernikovsky (1875-1943), décédé il y a tout juste 66 ans, est un des plus grands poètes de la Renaissance nationale hébraïque. Né en Ukraine, il étudie à Odessa où il publie ses premiers poèmes, avant de partir étudier la médecine à Heidelberg, puis à Lausanne. Il exerce quelques années en Russie, et combat dans l’armée russe en tant que médecin. Il émigre en Eretz-Israël en 1931 et y séjourne jusqu’à son décès en 1943. Outre ses poèmes, il a aussi traduit en hébreu plusieurs oeuvres majeures de la littérature mondiale, parmi lesquelles L’Iliade et L’Odyssée d’Homère, mais aussi Sophocle, Shakespeare, Molière, Pouchkine, Goethe, Heine, Byron, Shelley, etc.

 

Culture populaire et culture savante

 

Si ses traductions des plus grands classiques de la littérature européenne confèrent à Tchernikovsky une place de choix dans le Panthéon des lettres d’Israël, c’est par ses poèmes qu’il est demeuré présent jusqu’à aujourd’hui dans la vie culturelle. Ceux-ci ont en effet été mis en musique par les plus grands compositeurs de chansons populaires israéliens, parmi lesquels Yoel Angel et Nahum Nardi.  Plusieurs des chanteurs les plus connus ont interprété ces chansons, et notamment Naomi Shemer et Shlomo Artsi (3). En cela, Tchernikovsky n’est pas différent de plusieurs autres auteurs classiques de son époque, au premier rang desquels il faut mentionner Haïm Nahman Bialik (et de la génération suivante, comme Léa Goldberg). 

 

Tous ont en effet en commun d’être à la fois considérés comme des auteurs “classiques”, étudiés au lycée en Israël aujourd’hui (pas suffisamment…) et objets de nombreuses études littéraires savantes, mais aussi d’avoir vu leurs poèmes mis en musique par des chanteurs et d’être ainsi entrés dans la culture “populaire”. Ce faisant, la frontière entre auteurs classiques et contemporains, entre culture populaire et culture “savante”, a été largement abolie, ce qui constitue sans doute un trait original de la culture israélienne. C’est un des aspects que nous abordons, Judith et moi, dans notre nouvelle émission culturelle, diffusée sur Studio Qualita.

 

Pierre Lurçat

 

(1) www.hashiloach.org.il 

(2) J’ajoute que ce sujet est le thème de mon livre Israël, le rêve inachevé. Quel Etat pour le peuple Juif? Editions de Paris 2018.

 

(3) Le poème “On dit qu’il existe un pays…” (Omrim yeshna Eretz) dont nous donnons les paroles ci-dessous a été interprété notamment par Naomi Shemer et par Shlomo Artsi.

 

פָּגַע בְּאָח כְּהִגָּמְלוֹ,

פּוֹרֵשׂ אֵלָיו שָׁלוֹם –

וְאוֹר לָאִישׁ וְחָם לוֹ.

 

אַיָּם:

אוֹתָהּ אֶרֶץ,

כּוֹכְבֵי אוֹתָהּ גִּבְעָה?

מִי יַנְחֵנוּ דֶרֶךְ

יַגִּיד לִי הַנְּתִיבָה?

 

כְּבָר

עָבַרְנוּ כַמָּה

מִדְבָּרִיוֹת וְיַמִּים,

כְּבָר הָלַכְנוּ כַמָּה,

כֹּחוֹתֵינוּ תַמִּים.

 

כֵּיצַד

זֶה תָעִינוּ?

טֶרֶם הוּנַח לָנוּ?

אוֹתָהּ אֶרֶץ-שֶׁמֶשׁ,

אוֹתָהּ לֹא מָצָאנוּ.

 

אוּלַי – – –

כְּבָר אֵינֶנָּהּ?

וַדַּאי נִטַּל זִיוָהּ!

דָּבָר בִּשְׁבִילֵנוּ

אֲדֹנָי לֹא צִוָּה – – –

 

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