Rencontres israéliennes : Michel Koginsky, le peintre de Méa Sharim
Chaque homme a plusieurs facettes, comme une pierre précieuse dont tout l’éclat se révèle en la faisant miroiter à la lumière. De Michel Koginsky, rencontré à la synagogue de la rue Hildesheimer et devenu un ami, je connaissais celles du médecin, de l’élève de Manitou - auquel il a consacré un beau livre, paru il y a une vingtaine d’années sous le titre Un hébreu d’origine juive - et du père de famille. Ce n’est que tout récemment que j’ai découvert ses talents de peintre. Lors d’une visite chez lui, il m’avait montré un de ses tableaux et m’avait promis de me montrer son atelier, à une autre occasion. Entretemps est arrivé le Corona qui a chamboulé les projets de tous. “L’homme propose, et Dieu dispose”, dit le proverbe.
Michel Koginsky dans son atelier, photo P. Lurçat
Profitant d’une visite pas loin de Méa Shéarim, je me suis rendu au cabinet de Michel Koginsky pour donner enfin suite à ce projet. Le talent d’un artiste ne se mesure ni à sa notoriété, ni à la taille de son atelier. Celui de Koginsky n’est pas plus grand que la pièce de son cabinet médical où il reçoit les enfants de Méa Shéarim. (Ces jours-ci, il ne les y reçoit plus guère, me confie-t-il à mon arrivée, car il préfère interroger leurs parents à travers les barreaux de la porte d’entrée, Corona oblige). Mais le talent, lui, est indéniable. Les portraits qu’il peint attirent l’oeil, le retiennent et le captivent. Il y a quelque chose d’indicible et de puissant dans la manière dont il peint, avec la même force qui le caractérise - la vigueur de sa poigne de main et la ténacité qui lui a permis de gravir l’Everest - périple qui lui a inspiré plusieurs tableaux non figuratifs.
La force tranquille de Koginsky s’exprime dans sa manière de peindre, à grands traits fermes et décidés. Les couleurs sont vives et riches. Il n’a pas peur de la matière colorée qu’il dépose sur la toile sans parcimonie, avec la même générosité qu’on retrouve dans son sourire et son hospitalité. Je retrouve dans plusieurs de ses toiles les qualités de l’homme que je connais et apprécie. D’autres tableaux sont plus mystérieux, comme certaines toiles abstraites ou des portraits presque défigurés, exprimant parfois une expression de douleur ou d’incompréhension. Certains de ses portraits font penser à un vieux Juif croisé dans une rue de Jérusalem. Un petit bonhomme en bleu coiffé d’un chapeau ressemble à Isaac Bashevis Singer, tandis qu’un beau jeune homme m’évoque le visage d’un héros du Lehi ou de l’Irgoun.
Un petit bonhomme en bleu qui ressemble à Bashevis Singer
Comment est-il devenu peintre? “D’un seul coup, un beau jour” me répond-il sans hésiter. L’inspiration est arrivée toute seule, mais la technique, elle a été acquise par l’étude et la pratique. C’est ainsi que Koginsky occupe ses heures perdues, au coeur de Méa Shéarim, entre deux bambins à soigner, déposant sur une toile la couleur de son acrylique et de sa peinture à l’huile. Je lui demande si ses patients - pour la plupart des Juifs orthodoxes - savent qu’il peint ici même, et il me dit avoir préféré ne pas l’ébruiter. Un peintre à Méa Shéarim, ce n’est pas très habituel, et on ne sait pas comment réagiraient les habitants du quartier. En écoutant Michel Koginsky, je pense à Asher Lev, le beau personnage de Chaïm Potok inspiré par un autre peintre, Marc Chagall, et à ses crucifixions qui firent scandale. Chez Koginsky, point de tableaux scandaleux,mais simplement l’expression d’un talent et sa vision d’un monde extérieur et du monde intérieur qui l’habite et qu’il a su exprimer sur ses toiles.
Pierre Lurçat
Le site de Michel Koginsky :
https://www.michelkoginsky.com/