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liliane lurcat

“Do bin ich geboren” : la petite fille de Jérusalem, par Pierre Lurçat

June 7 2019, 10:38am

 

Dans les dernières années de sa longue vie, ma mère se plaisait à parler yiddish, langue de son enfance qu’elle n’avait jamais oubliée, sans guère la pratiquer. Le yiddish était resté ancré quelque part, au tréfonds de sa mémoire. Lorsque je lui disais au téléphone, dans mes pauvres rudiments de yiddish faits de bribes glanées de sa bouche, complétées par des souvenirs de l’allemand étudié au lycée, que je l’appelais de “Yerousholoyeïm” (Jérusalem), elle me répondait immanquablement, avec un éclat de fierté dans la voix : “Do bin ich geboren!” - “C’est là que je suis née !” Elle ne s’en était jamais cachée. Ses origines n’étaient pas un secret honteux, enfoui sous le masque d’un nouveau nom acquis par mariage ou par naturalisation, comme chez certains juifs étrangers qui étaient, comme elle, devenus Français par mariage ou par naturalisation.

 

 

La petite Lipah Kurtz était certes devenue, dans des circonstances que je raconterai, Liliane Kurtz, puis Liliane Lurçat. Son nom et son prénom ne dénotaient aucune ascendance étrangère, et son visage au regard pénétrant, son front haut et son nez droit ne trahissaient guère ses origines. Mais jamais, au grand jamais, pas même pendant la période de l’Occupation, elle n’avait cherché à dissimuler celles-ci. Bien au contraire, elle les dévoilait au détour d’une phrase, dans une conversation anodine avec le facteur, avec un chauffeur de taxi ou un voisin de palier : “Vous savez, je suis née à Jérusalem…”. Elle portait fièrement ses origines yérosolymitaines, sans ostentation mais sans s’en cacher. La Jérusalem où elle était née - dans l’hôpital de la rue des Prophètes - et avait vécu quelques mois, avant de partir en France, pour y revenir brièvement à l’âge de trois ans, était bien différente de la métropole d’aujourd’hui. C’était une petite ville provinciale, poussiéreuse et somnolente, aux ruelles en terre battue, qu’arpentaient les commerçants - vendeurs de “tamar Hindi” - et les chameliers (un des premiers et rares souvenirs qu’elle avait gardés de sa prime enfance à Jérusalem).


 

Un chamelier à Jérusalem, 1928

 

Jérusalem en 1928, année de sa naissance, était une ville orientale, excentrée aux confins de l’empire ottoman, dont la domination avait pris fin dix ans auparavant, pour laisser place au mandat britannique. La communauté juive qui l’habitait était encore réduite, répartie entre les représentants de l’Ancien Yishouv, juifs religieux vivant de la ‘Halouka (c’est-à-dire l’aumône) et ceux du Nouveau Yishouv, pionniers sionistes laïcs, comme l’étaient mes grands-parents. Une photo de famille de l’époque, dont la couleur sépia trahit l’ancienneté - elle date de 1928 - montre mes grands-parents maternels entourés des frères et soeurs de ma grand-mère et de leurs parents, posant avec solennité chez un photographe de Jérusalem. Ma grand-mère, Chaya Kurtz, tient dans ses bras un bébé emmailloté, selon l’habitude d’alors, qui n’est autre que ma mère, Lipah. C’est la première et quasiment la seule photographie montrant ma mère bébé, petite fille de Jérusalem.


 

 

 

Quand et pourquoi mes grands-parents maternels s’étaient-ils installés à Jérusalem? Je n’ai pas de réponse précise à cette question, qui demeure entourée de mystère, ajoutant encore un parfum d’exotisme aux circonstances entourant la naissance de ma mère. Etait-ce là que vivaient les parents de Chaya, ou peut-être son mari y travaillait-il, après avoir mis fin à son errance perpétuelle de pionnier? Quoi qu’il en soit, c’était dans cette ville qu’ils s’étaient rencontrés et mariés, selon le récit familial transmis oralement par ma mère, qu’aucun document écrit ne venait attester.


 

Joseph Kurtz, mon grand-père

 

Mon grand-père, Joseph Kurtz, originaire de Cracovie, était “monté” en Israël juste après la Première Guerre mondiale, animé par l’idéologie sioniste socialiste et la volonté de construire le pays nouveau. En authentique “halouts”, il avait défriché les marécages et pavé les routes, allant d’un endroit à un autre, sans jamais s’installer à demeure, dans le cadre du Bataillon du Travail (Gdoud ha-Avoda) qui portait bien son nom, car ses membres étaient de véritables soldats, engagés corps et âme au service de leur mission édificatrice. Joseph avait aussi appartenu, sans doute brièvement, aux Chomrim, ces gardes à cheval qui protégeaient les kibboutz contre les incursions de maraudeurs et les attaques de bandes arabes. Une  photo de l’époque le montre, vêtu du costume bédouin prisé des Chomrim, un sabre dans les mains, coiffé d’une keffiah.


 

Chaya Kurtz, ma grand-mère

 

Ma grand-mère, Chaya Kurtz, née Shatzky, était venue en Palestine avec ses frères et soeurs et leurs parents. Sa grand-mère, Madame Landau, possédait une entreprise de textile à Bialystok, qu’elle avait vendue pour affréter un navire, et emmener des jeunes Juifs en Eretz-Israël. Sur la photo de famille couleur sépia, on la voit, entourée de sa famille : ses trois soeurs Fanya, Esther et Bluma, et leur frère Nahman. Je ne sais rien de la rencontre de mes grands-parents, sinon qu’ils se marièrent à Jérusalem, où sont nés ma mère et son frère aîné, Menahem, et qu’ils vécurent ensemble toute leur vie, jusqu’à la mort de Joseph, survenue l’année de ma naissance.

 

Liliane Lurçat z.l.

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Hommage à Liliane Lurçat 1928-2019 par Evelyne Tschirhart

May 24 2019, 09:25am

Posted by Evelyne TSCHIRHART

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Liliane Lurçat vient de nous quitter. Insuffisamment connue du grand public, bien qu’elle ait publié de nombreux ouvrages, elle eut cependant un vrai succès d’estime auprès de ceux qui se sont intéressés à l’école et à sa lente destruction depuis bientôt cinquante ans. Son dernier livre, co-signé avec Laurent Lafforgue[1], des enseignants et philosophes : « La débâcle de l’école, une tragédie incomprise »[2] sonnait le tocsin afin de susciter un sursaut des autorités de l’Éducation nationale, sursaut qui ne s’est pas produit car l’Institution s’est enlisée encore plus avant dans une vision de l’école égalitariste et déstructurante, qui ne pouvait que déboucher sur des résultats catastrophiques et une inégalité toujours plus grande.

Docteur en Psychologie et docteur es Lettres, elle a été directrice de recherche au CNRS. Ses investigations l’ont menée à enquêter dans les écoles maternelles et primaires de Paris et de la région parisienne pendant toute sa carrière.

Enseignante, j’avais pris connaissance des œuvres de Liliane Lurçat dans les années 1990 quand j’ai été confrontée à la destruction programmée de l’école de Jules Ferry, imposée par les « penseurs » de l’éducation qui sévissent, hélas, encore aujourd’hui.

Parmi les lectures critiques que je faisais à cette époque, Liliane Lurçat fut pour moi un guide des plus précieux car elle abordait l’origine et le cheminement idéologique de cette destruction en s’appuyant sur des exemples à la fois historiques et concrets, dans un ouvrage capital : « La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs »[3]. Ses livres sont aux antipodes du discours abscons des idéologues des sciences de l’éducation et riches d’une expérience sur le terrain permettant de comprendre les mécanismes qui allaient déstructurer l’école et abolir la transmission qui avait pourtant fait ses preuves depuis la troisième République.

 

Sa connaissance de l’enfant, de ses besoins spatiaux-temporels, de son développement psychologique et cognitif l’ont amenée à démontrer, notamment, que les nouvelles méthodes d’apprentissage de la lecture : globale et semi-globale mais aussi du calcul, se sont avérées désastreuses et ont constitué un handicap dans les apprentissages de base, dès l’école primaire. Dans son livre : « La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs », Liliane Lurçat nous permet d’appréhender les idéologies à l’œuvre qui ont empêché la plupart des élèves de maîtriser la langue. Car il y a bien eu destruction volontaire d’un système qui, sans être parfait, permettait à tous les enfants, quelque fût leur milieu, d’accéder à des connaissances de base essentielles.

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Cette destruction a commencé avec l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en abandonnant la méthode syllabique au profit d’une méthode aléatoire : globale et semi-globale et en dissociant la lecture de l’écriture. Ce découplage s’est révélé catastrophique si l’on considère le nombre d’élèves qui suivent aujourd’hui des séances d’orthophonie pour- soi-disant- dyslexie. La pensée gauchiste visait, à travers ces transformations, jamais évaluées, à faire croire que la lecture ne doit pas être « l’exclusivité d’une élite savante et cultivée » et, pour qu’elle soit accessible à tout le monde, qu’il « faut apprendre à lire de manière fonctionnelle, des écrits eux-mêmes fonctionnels. » D’où l’idée que chacun a le temps d’apprendre à lire, à son rythme (et pourquoi pas tout au long de la vie, proclameront les nouveaux pédagogues). Par ailleurs, Liliane Lurçat fait une critique exhaustive d’un certain Foucambert, parmi d’autres idéologues, qui voulait « déscolariser la lecture ».

« Foucambert interprète l’opposition des méthodes en termes révolutionnaires. Dans quel but ? C’est la fin de l’école républicaine, annonce-t-il, « ce qui est certain, c’est que le comportement alphabétique est devenu superflu ». « L’ère de l’alphabétisation est en train de s’achever. » Mais pas celle de l’écrit, poursuit Liliane Lurçat, on va donc remplacer l’alphabétisation par la « lecturisation » car « l’école n’a plus guère de raison d’être en tant qu’instrument d’alphabétisation », elle doit « rompre avec ses pratiques historiques ».

Ce que veulent ces penseurs, c’est la Révolution ! Thème que Vincent Peillon reprendra plus tard.

De façon minutieuse, Liliane Lurçat a démontré comment des idéologues de gauche, sous couvert de recherche scientifique ont abandonné les méthodes traditionnelles qui avaient fait leurs preuves pour favoriser des théories aventureuses, bien qu’expérimentales et procédant de l’idée que l’école traditionnelles reproduisait les inégalités sociales (Bourdieu).

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Dans un autre livre tout aussi important : « Vers une école totalitaire »[4] Liliane Lurçat avait révélé, en pionnière qu’elle était, que les penseurs des Sciences de l’éducation par la mise en place du « pédagogisme », faisaient de la pédagogie « en soi » le moteur de la connaissance au détriment des disciplines. Cette confusion conduisit à imposer un projet pédagogique appliqué dans les IUFM[5]  où les « compétences » allaient remplacer les connaissances afin de créer un homme nouveau. L’illettrisme s’est répandu et du même coup, la fonction enseignante s’est disqualifiée auprès des enfants et des parents. Sont apparues alors les « zones d’éducation prioritaire[6] », généralement dans les banlieues à forte population immigrée et les « penseurs » de l’éducation, loin de remettre en cause leurs théories fumeuses, ont décidé que l’école devait se mettre à la portée de ces élèves en difficulté sociale.  Liliane Lurçat écrit à ce sujet :

« Le modèle que sous-tend l’expérience des ZEP présente une analogie troublante avec l’Affirmative Action aux États Unis. L'Affirmative Action consiste à favoriser les défavorisés en introduisant notamment dans l’appréciation des résultats des étudiants, des considérations de race et de sexe. »

Nous sommes loin de la formation d’hommes libres, nourris de la tradition et ayant acquis les outils de base pour s’approprier des connaissances et développer une pensée autonome. Liliane Lurçat avait déjà analysé qu’à la place des connaissances fondamentale, s’installait une politique de bourrage de crâne afin de faire des élèves de bons petits soldats formatés aux idées des « droits de l’homme »

« Le discours est principalement politique et il répète des thèmes ambiants : lutter contre le racisme, ouvrir les frontières, faire voter les immigrés et les étrangers. L’influence de la télévision est également très forte, elle fournit des modèles et suggère les désirs et les identifications. »

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Cette analyse était non seulement juste mais elle s’avérait prémonitoire. En effet, tous ces thèmes étrangers aux connaissances allaient se développer par la suite et faire de l’école une immense caisse de résonnance à la bien-pensance, par exemple en supprimant des pans entiers de l’histoire de France, au profit de l’histoires de régions du monde, en imposant l’apprentissage de l’arabe à l’école, en réduisant les grands classiques de la littérature à la portion congrue, en imposant la théorie du genre dès le plus jeune âge et ses corolaires que sont la prise en compte des LBTG et des sexualités choisies.[7] L’école s’est arrogé le droit d’éduquer sans instruire !

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Spécialiste de la petite enfance, Liliane Lurçat a été une pionnière dans les études concernant la relation des enfants à une télévision mortifère. Dans son livre : « Le temps prisonnier, des enfances volées par la télévision[8] » elle analyse les effets délétères de l’abandon des jeunes enfants devant l’écran télévisuel. Comment enfants et adolescents sont devenus captifs d’un univers violent, décervelant, qui ne permet aucun travail de l’imagination mais conduit le jeune cerveau à absorber, sans toujours les comprendre, des images séductrices qui s’imposent sans lui laisser la possibilité de les soumettre à une distance raisonnable ou à la vraisemblance. La télévision, pour beaucoup de jeunes devient une drogue, une addiction qui les soumet souvent à une vision faussée, voire caricaturale du monde. Ce qui ne peut manquer d’avoir de graves conséquences sur leur vie psychique et leur jugement. On le voit quotidiennement avec la violence qui se développe dans les cours d’école, sans parler des scènes pornographiques qui font des ravages chez les très jeunes et les adolescents. Ajoutons, que l’image est plus attractive parce qu’immédiate ; elle se substitue à la lecture et à l’effort que celle-ci oblige mais qui est d’une richesse incomparable.

Enfin, je ne saurais rendre cet hommage à Liliane Lurçat, écrivain et penseur, sans évoquer, grâce au blog de Pierre Lurçat, son fils[9], les persécutions nazies qu’elle eut à subir en tant que Juive, lors de son internement à Drancy en 1944 quand elle était encore adolescente.

Cette discrimination dramatique ne l’a pas empêchée d’aimer la France mais aussi de constater avec tristesse, bien avant les dernières années de sa vie, comment notre pays se délite sous les coups d’une immigration totalement incontrôlée, refusant de s’intégrer et qui est à l’origine d’un antisémitisme violent qu’on croyait révolu et d’un antichristianisme avéré. Elle qui avait émigré en France, y avait fait des études universitaires et avait apporté une contribution intellectuelle de premier ordre à la France, nous a quittés avec sans doute un sentiment d’inquiétude et de tristesse face aux périls qui noircissent notre avenir. Par bonheur, ses enfants, petits - enfants et arrière - petits enfants font et feront fructifier l’héritage qu’elle et son époux, le philosophe et scientifique François Lurçat[10], leur ont transmis.

Ses livres sont propres à éclairer ceux qui veulent comprendre comment nous en sommes arrivés là, dans cet état de dé-instruction qui cause des ravages parmi les jeunes qui n’ont pas la possibilité de quitter l’école publique pour des établissements privés hors contrat où l’on dispense un véritable enseignement de la transmission des connaissances. L’école égalitaire promise par les idéologues, s’est muée en une école de la discrimination par l’argent.

                                                                                                           Evelyne Tschirhart

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[1] Laurent Lafforgue  Médaille Field de mathématiques.

[2] Laurent Lafforgue, Liliane Lurçat, La débâcle de l’école ; une Tragédie incomprise 2007 éditions François-Xavier de Guibert

[3] Liliane Lurçat : « La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs » éditions françois -Xavier de Guibert 1998.

[4] Liliane Lurçat : « Vers une école totalitaire ? L’enfance massifiée à l’école et dans la société. » éditions François -Xavier de Guibert 1998.

[5] IUFM : institut de formation des maîtres.

[6]  Les ZEP : zones d’éducation prioritaire.

[7] Voir à ce sujet Evelyne Tschirhart : « L’école du désastre, Lâcheté à droire… Destruction à gauche. » éditions de Paris Max Chaleil 2018.

[8] Liliane Lurçat : Le temps prisonnier, des enfances volées par la télévision, édition Desclée de Brouwer - 1995

[9]  Pierre Lurçat – avocat et écrivain, auteur notamment de « Israël, le rêve inachevé » éditions de Paris, Max Chaleil 2018.

[10]  François Lurçat : « La science suicidaire, Athènes sans Jérusalem. » Editions françoise-Xavier de Guibert 1999.

 

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Deux destins : Menahem Giladi et Lipah Liliane Lurçat

May 20 2019, 13:57pm

Posted by Liliane Lurçat


index.jpgNous sommes nés tous les deux à Jérusalem Menahem en 1925, moi en 1928.

Je regrette l'école de mon enfance, l'école de la Troisième République forte de ses méthodes et de sa volonté d'instruire.

 

Elle a permis à Menahem (francisé en Marcel) et moi francisée en Lili, puis en Liliane d'acquérir chacun dans son école, lui chez les garçons, moi chez les filles les savoirs utilitaires indispensables à la mise en place définitive de la lecture, de l'écriture et du calcul.

 

Ces savoirs, qualifiés de savoirs utilitaires car ils doivent servir toute la vie. On enseignait aussi l'histoire de France, la géographie, il y avait des cours de chant, donnés par une femme passionnée d'éducation populaire, elle rassemblait les enfants du quartier dans une chorale lors du passage au cours complémentaire.

 

Nous avons puisé chacun dans notre école le plaisir et le goût d'apprendre, d'aimer l'école. Tout près de nos écoles se trouvait la bibliothèque destinée aux enfants: "L'heure Joyeuse," que nous avons fréquentée assidûment. Jusqu'au moment où nous avons exploré ensemble les bouquinistes des quais de la Seine.

 

Liliane Lurçat

 

En l939 nos destins ont été scellés par la guerre. Marcel avait le brevet, moi le certificat d'études primaires. Il était urgent de grandir. Il trouva le chemin de la résistance en France, puis, en 1943 il fut échangé contre des allemands résidant en Palestine.

Par la suite, nous avons accompli notre destin, chacun dans un pays différent. Agé de 17 ans Marcel, déjà militant dans un réseau de Résistance, fut caché durant deux mois dans l'hôpital américain, puis il partit encadré par deux allemands, vers la Palestine où il fut échangé contre des Allemands.

marcel.JPGAprès une année passée dans une école d'agriculture, où il se prépara au combat, il s'est engagé dans la Brigade Juive de l'armée anglaise. Après la guerre, il a participé à l'occupation en Allemagne Puis il a enchaîné sa vie aventureuse et guerrière dans les combats pour la création de l'Etat d'Israël. Colonel de l'armée d'Israël, directeur de l'Agence Juive à Paris, Il est mort à Herzlia à l'âge de 84 ans.

 

J'ai fréquenté l'Ecole de filles jusqu'au certificat d'Etudes primaires. Les bases que j'ai acquises dans cette école mitoyenne de celle de Marcel puis deux années de cours complémentaire ont constitué mon savoir utilitaire. Jusqu'à notre arrestation en janvier 1944

 

Ma mère, mon frère Samuel et moi en tant que sujets britanniques ; mon père avait été arrêté le jour de l'entrée des allemands en France pour la même raison

Armée des seules bases acquises dans mon école primaire, j'ai pu, à Vittel lire les livres des bibliothèques du camp de prisonniers de guerre installé dans tous les hôtels. 

 

Les bases acquises à l'école rue Saint Jacques m'ont permis de préparer le baccalauréat , sans transition, et de passer à l'Université, pour faire ensuite carrière au CNRS, avec l'extrême gentillesse du professeur Henri Wallon, mon maître, qui ne m'avait pas du tout encouragée à postuler prévoyant une foule d'avatars qui n'ont pas tardé à se manifester.

 

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Henri Wallon, pour son quatre-vingtième anniversaire, entouré d'Hélène Gratiot-Alphandéry, Irène Lézine, Germaine Bernyer, Lucette Merlette, et Liliane Lurçat (à droite)

 

Nos destins furent différents. Nous avions pour bagage le merveilleux enseignement de notre école primaire.

 

Déjà bien vieux tous les deux, échangeant nos souvenirs parisiens, c'est de cette école que nous parlions, que jamais nos enfants n'ont connue

 

Et aussi bien sûr, des quais de la Seine, de ses livres et de nos merveilleuses ballades. J'ai, durant toute ma carrière, mené mes recherches dans les écoles publiques Je pense avoir rendu à la France ce qu'elle m'avait offert.

 

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Liliane Lurçat z.l. (13 mars 1928 - 15 mai 2019)

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Prague 1951 : dans l'ombre du procès Slansky, Par Liliane Lurçat

May 14 2019, 16:31pm

Posted by Liliane Lurçat

prague,1951,slansky

J'ai eu la chance, ou la malchance, de me trouver souvent au mauvais endroit et au pire des moments : on appelle cela les hasards de la  vie. Cela m'a permis de voir des choses qui ont déterminé ma vie, sans comprendre, sur le moment, la signification de ce que je vivais, dont la portée m'échappait totalement et pour longtemps encore.

J'étais jeune, étudiante en psychologie, mère d'un petit Olivier âgé de 17 mois, épouse d'un étudiant en philosophie. Sans un sous, nous étions en quête de travail. On nous proposa alors d'aller à Prague.

On devait déménager le siège du Conseil Mondial de la Paix dans cette ville. Ce mouvement d'obédience communiste, se trouvait jusque-là à Paris.

A l'époque, comme beaucoup d'étudiants un peu paumés dans la Sorbonne, je m'étais inscrite au parti communiste qui recrutait parmi les étudiants. Le parti communiste se glorifiait d'être le « parti des fusillés » pendant la résistance.

 

prague,1951,slansky

J'étais candide, sans méfiance, fâcheux défaut bien connu de ma mère qui me disait : « reste assise sur ton c... il ne t'arrivera rien » (ça sonne mieux en Yiddish).

Si j'avais obéi, ma vie aurait été sûrement différente et je ne raconterais pas mes mésaventures tchèques.

La fédération de Paris du Parti communiste Français nous demanda de remplir une biographie. Parmi les questions : « Avez-vous voyagé ? » j'ai répondu : « mon dernier voyage date de mes quatre ans, nous sommes retournés en Palestine en 1932, mais mon père s’est retrouvé au chômage et nous avons dû rentrer en France »

« Bête et disciplinée » selon la formule de mon amie Rachel, j'ai rempli ma « bio » en rajoutant ce qui n'était pas demandé et qui constituait une bombe à retardement, le nom de mon frère Ménahem officier de l'armée d'Israël.

prague,1951,slansky

 

La Tchécoslovaquie était alors en pleine ébullition. Une ambiance de terreur règnait à Prague. Dans l'hôtel où nous logions, le personnel était effrayé et mutique.

On nous emmenait en groupe participer à la vie politique : discours en coréen pendant une heure et demie, traduction en tchèque d’une durée identique. Après ça, on se sentait informés, mais de quoi ?

Le jour de notre arrivée tous les magasins d'alimentation étaient fermés pour deux jours. Le prétexte invoqué était celui d'un inventaire national pour connaitre l'état dans lequel se trouvait le pays.

 

prague,1951,slansky

Nourrir un enfant de 17 mois qui pesait 11 kg était un problème insoluble, d'autant que le salaire de mon mari suffisait tout juste à payer la chambre et deux repas un pour lui, un demi pour Olivier, un demi pour moi.

Quand Olivier ne pesa plus que dix kilos, je l'ai renvoyé à sa grand-mère à Paris. Il risquait de laisser sa peau à Prague. Il vaut mieux vivre de l'autre côté du rideau de fer que de mourir en République démocratique.

J'ai alors demandé à travailler. A quoi pouvait-on m'occuper ? C'était un autre problème insoluble... J'étais considérée comme quelqu'un de dangereux qui n'aurait jamais du venir.

prague,1951,slansky

A l'époque le procès Slansky était à l'ordre du jour. C'était le dirigeant juif du pays coupable d'avoir aidé Israël. Je n'en savais rien.

On m'a d'abord mise à l'ascenseur comme fille d'ascenseur, en compagnie d'un vieux juif terrorisé.

Et puis j'ai tourné la ronéo. J'avais les adresses de tous les correspondants clandestins de par le monde. Tâche mécanique certes, mais hautement responsable.

Ce qui me rendit philosophe : « et en plus ils sont cons… ». Je faisais des progrès.

Un grand responsable arriva de Paris. Laurent Casanova, membre du Bureau politique du PC, auteur de la classification des sciences en « sciences bourgeoises » et «sciences prolétariennes ».

C'est lui qui me convoqua : il me demanda ce que je faisais à Paris. Je lui répondis : « J'étais étudiante en psychologie et on m'a dit que c'était une science bourgeoise ».

Sa réponse : « Retournez à Paris et faites de la psychologie ». J'ai encore obéi.

Par hasard il y avait un poste de technicienne à mi-temps à pourvoir auprès du professeur Henri Wallon. On m’a choisie parmi plusieurs candidats. Mon avenir était écrit. Mais je n'en savais rien.

Slansky, lui, a été pendu.

                                                                       Liliane Lurçat

 

prague,1951,slansky

Le vieux cimetière juif de Prague

N.d.R. Le procès Slansky, qui aboutira aux "aveux" du dirigeant communiste tchèque Rudolf Slansky et à sa condamnation à mort, est le pendant de l'affaire du "complot des Blouses blanches" qui se déroule à la même époque en URSS. Au-delà de l'aspect politique intérieur et de la rivalité au sein du parti communiste, c'est l'antisémitisme qui en est le mobile principal. Cette affaire inspirera le fameux livre d'Artur London, L'aveu, adapté au cinéma par Costa Gavras.

 

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L'oeuf en chocolat - Souvenirs d'une enfance juive à Paris, 1929, par Liliane Lurçat

May 13 2019, 18:34pm

Posted by Liliane Lurçat

Paris_V_rue_Frédéric-Sauton_reductwk.jpgC'était avant la guerre, nous habitions rue Frédéric Sauton dans un quartier où beaucoup de juifs habitaient, réfugiés de Pologne pour la plupart, fuyant les pogromes.

Nous sommes arrivés en France en 1929. Mes parents, haloutzim chassés par les anglais, mon frère Menahem et moi. Mon jeune frère Sami est né à Paris  en 1932

Mes parents étaient pauvres  parmi les plus pauvres. Ils épargnaient à la caisse d'Epargne de quoi retourner un jour en Palestine (argent qui avait fondu à la fin de la guerre)

Mon père, manoeuvre industriel, travaillait 6 longues journées par semaine à l'usine. Il dormait le dimanche complètement éreinté.

Il portait une ceinture herniaire pour contenir ses hernies. Son travail consistait à soulever et à ranger d'énormes tiges de métal.

Ma mère s'était improvisée marchande ambulante. Elle se procurait la marchandise  chez des grossistes juifs du Sentier et la revendait sur le marché de la Porte d'Italie.

Elle partait , le soir, vers de lointaines banlieues  où logeaient des anarchistes italiens, son gros baluchon sur le bras

 

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Chaya Kurtz

 

Une dame juive fortunée, médecin  aux  idées  modernes  passait nous voir à la maison et nous exhortait à retourner en Palestine. Elle me trouva un jour assise dans l'escalier, attendant le retour de mes parents, mon cartable à côté de moi.

Elle m'entraîna à la boulangerie  et me fit choisir mon goûter : un gros oeuf en chocolat
C'était à Pâques . J'étais assise dans l'escalier au retour de mon père, le gros oeuf sur les genoux, vite rangé pour une consommation plus raisonnable

A la fin de la guerre, cette dame revint nous voir. Désespérée et désenchantée  après les grands massacres, elle nous dit : nous sommes sur terre pour accomplir notre cycle. Mes parents ont dit, plus raisonnables qu'elle: on a survécu, il nous reste seulement la vie, "nor mit un leben".

 

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« J’ai eu seize ans à Drancy » : 21 janvier 1944 - 21 mars 1944, par Liliane Lurçat

May 1 2019, 19:44pm

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatDans la nuit du 20 janvier I944, la concierge Marie vient frapper à notre porte : « C'est moi, Marie ». Nous habitons au 5-7 rue Frédéric Sauton, tout près de Notre Dame. Ma mère ouvre, sans méfiance. Marie ne vient pas seule, elle est suivie d'un homme petit au regard fuyant. Il est maigre, en civil, sans papiers officiels. Il a des vêtements avachis, usagés, d'une propreté douteuse, son regard est fuyant. Embarrassé et agressif ; « Je vous arrête ! ». Nous étions tous les trois, ma mère, mon  petit frère Sami et moi. Il fallait le suivre, avec une valise hâtivement bouclée. Aucun témoin, à part Marie.

J'ai encore une fois perdu l'occasion de me taire « Vous faites un bien sale métier ! » Furieux, il nous bouscule et nous  entraîne, dans les rues désertes et la nuit noire. Le noir de l’Occupation, tous les éclairages étant masqués.

Au Commissariat du Panthéon. Les grands hommes du Panthéon n'ont pas protesté, enfermés qu'ils sont dans leurs boîtes, sauf  celui qui tend un flambeau et qui m'effrayait tant quand j'étais petite.

Au commissariat du Panthéon, nous n'étions pas les premiers. Quelques  habitants du cinquième arrondissement, ramassés avant nous, étaient rassemblés près des toilettes malodorantes.

On ne se connaissait pas. On avait en commun d'être venus de Palestine, nous étions des sujets britanniques prisonniers sur parole, et nous devions signer chaque jour au poste de police à partir de l’âge de 15 ans.

 

Vers Drancy

Drancy, dernière étape avant Auschwitz pour des milliers de juifs vivant en France.

Je n'ai que ma mémoire pour faire surgir des bribes de ce passé, car notre séjour fut exceptionnellement long. Deux mois à Drancy, quand les déportés des rafles massives de la zone Sud n'y passaient que quelques jours.

 

Les conditions de notre ramassage  ont été calquées sur celles de juillet 1942 Les grandes rafles des juifs étrangers  commandées par Vichy. Les mêmes autobus ont suivi le même itinéraire, sans passer par le Vélodrome d'Hiver, directement vers Drancy. Nous n'étions que 300 : quelques hommes, surtout des femmes et des enfants.

 

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 Au cours de la nuit du 20 au 21 janvier 1944, dans ce commissariat du Panthéon un jeune policier me reconnaît. On se rencontrait au poste de police où je signais tous les jours depuis le jour de mes quinze ans, je bavardais avec lui sur le pas de la porte pendant  les alertes, fréquentes à l'époque. Il avait cru que j'étais anglaise. Sujet britannique, certes mais aussi juive. Il est parti à l'ambassade suisse prévenir qu'on arrêtait des sujets britanniques : « c'est une initiative de la police française » m'ont-ils dit:

 Lors de notre retour, en octobre 1944, il n'était plus là. Le commissaire était le même.

 

Au camp de  Drancy

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatLes rafles de la zone Sud

 J'ai eu 16 ans à Drancy, le 13 mars 1944.

Au cours de ces deux mois commençaient les rafles de la zone sud

On voyait arriver des enfants affolés, extraits de pensionnats plus ou moins clandestins, perdus, errants solitaires.

Des jeunes gens plein de vigueur, qui chantaient aux corvées d'épluchage et qui gravaient leur nom sur des poteaux «  parti plein de courage pour travailler dans les camps  nom, âge ».Et toujours les convois femmes et enfants, ceux qui ont vu partir mes cousines Florette et Fanny en 1942, ceux destinés directement aux chambres à gaz.

 

Ce camp de Drancy était entièrement géré par des prisonniers juifs. Les deux allemands responsables étaient invisibles. Ils sont intervenus une seule fois pendant notre séjour quand des évadés ont été repris et se sont taillés les veines. Les Allemands ont voulu rassurer tout le monde en disant : « qu'on allait travailler mais pas mourir ».

 

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatLe bloc 3 logeait «les privilégiés » : on retarde la déportation de certains, on en conservait d'autres, en particulier un international de football autrichien surnommé « l'homme aux chiens », car il parcourait la cour avec ses deux grands chiens. Il choisissait de temps en temps une jeune fille en lui promettant de la garder à Drancy. Puis il l’expédiait dans le convoi suivant.

 

J'ai parlé avec le directeur du camp, ancien directeur des Folies bergères. Les cuisiniers, petit gars de Boulogne sur Mer, vivaient dans la peur craignant la déportation. En deux mois, dans un espace restreint, j'ai eu le temps de voir et de regarder avec le sentiment d'invulnérabilité propre à la jeunesse qui ne croit pas au malheur.

 

Notre chambrée comprenait une cinquantaine de lit superposés en planches. Les jours de déportation on avait l'interdiction de regarder par les fenêtres. Ils nous menaçaient de tirer dans les fenêtres si ils nous voyaient quand les autobus embarquaient les déportes parce qu'on ne devait pas le voir, les autobus remplis partaient à la gare et directement de la gare à Auschwitz. On se couchait à plat ventre pour ne pas être vus et on regardait.

 

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Voyage vers Vittel

 

L'homme aux chiens aux ordres des Allemands nous a accompagné jusqu’à Vittel, camp des prisonniers de guerre qui accueillait toutes les personnes faisant partie des pays en guerre contre l'Allemagne. Notre misérable cohorte est arrivée à Vittel sous le regard étonné des prisonniers anglais, américains, russes...

L'homme aux chiens n'est pas reparti les mains vides : il ramenait avec lui des Juifs de Varsovie qui avaient acheté des passeports latino-américains. Beaucoup se sont suicidés en se jetant par la fenêtre… Mon père qui nous attendait dans ce camp savait déjà qu'il n'y avait plus aucun survivant de sa famille en Europe.

 

La hâte de tuer

drancy,rafles,shoah,liliane lurcatLes arrestations en zone sur étaient incroyablement bestiales : j'ai vu arriver des dames en peignoir de bain, embarquées sans vêtement. D'autres avec une boite à lait, arrêtées en bas de leur immeuble sans pouvoir remonter  prendre quelques objets personnels.

Des religieuses : femmes converties qui se sont déclarées juives.

Les brutes cyniques dans le genre de celui qui nous avait arrêtés, collabos de tous poils, abjects tortionnaires d'enfants et profiteurs de guerre : c'est eux qui faisaient la sale besogne pour Vichy.

Non jamais je ne pourrai oublier les enfants perdus raflés dans des lieux clandestins par d'ignobles créatures à visages déshumanisés.

Quand je suis rentrée le 21 octobre 44 à Paris, après huit mois dans le camp de Vittel destiné aux prisonniers de guerre, j'avais toujours seize ans mais j'ai laissé ma jeunesse dans les camps.

Plus jamais je ne serai tranquille ; plus jamais je ne l'ai été.

 

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 Liliane Lurçat 

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