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jabotinsky

"Tout le contraire d'un fasciste" : (re)découvrir Jabotinsky, Pierre Lurçat

December 26 2021, 09:05am

Posted by Pierre Lurçat

A l'occasion de la "Conférence Jabotinsky sur le sionisme" qui aura lieu cet après-midi à Jérusalem, en présence du Président de l'Etat Itshak Herzog, je publie l'interview que j'ai accordée à BokerTov Yeroushalayim.

 

Aujourd’hui je poste une interview de Pierre Lurçat qui nous fait découvrir dans son dernier ouvrage la pensée de Jabotinsky sur le rapport entre le Judaïsme et l’Etat. Pour ce faire Pierre Lurçat a traduit ses textes : Questions autour de la tradition juive, et  Etat et religion. Pierre Lurçat a fait précéder sa traduction d’une importante préface Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar*, préface bien nécessaire pour aborder la pensée complexe de Vladimir Zeev Jabotinsky, qui fut une figure des plus marquantes du sionisme et que très peu connaissent réellement.

 

Hanna :
Pierre Lurçat, pourriez-vous tout d’abord vous présenter et nous dire comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la pensée de Jabotinsky ?

Pierre Lurçat :
Je vis depuis 1994 à Jérusalem, où ma mère était née en 1928. Mes grands-parents venaient de Cracovie et de Bialystok, et mon grand-père a fait partie du Gdoud ha-Avoda et des Chomrim. Mon histoire familiale me prédisposait donc à monter en Israël. De plus, j’ai milité au Tagar, mouvement sioniste étudiant jabotinskien, pendant plusieurs années avant mon alyah. Mais je n’ai vraiment découvert la pensée de Jabotinsky que bien plus tard, à l’occasion d’une conférence donnée par son petit-fils à Jérusalem.
C’est alors que j’ai entamé la traduction de son autobiographie. Plus tard, j’ai découvert ses écrits et entrepris leur traduction, dans le cadre de la Bibliothèque sioniste que j’ai fondée l’an dernier, dans le but de mettre à la disposition du public francophone les grands textes des principaux théoriciens et dirigeants sionistes. J’ai déjà publié deux recueils de textes de Jabotinsky, consacrés à sa pensée sociale et à ses conceptions en matière de religion.

Hanna :
Pourriez-vous nous décrire les principales étapes de la vie de Jabotinsky?

Pierre Lurçat :
Enfant terrible du sionisme russe, il a – un peu comme Theodor Herzl – renoncé à une carrière littéraire pour se consacrer entièrement à la cause juive découverte à l’occasion des pogromes de Kichinev. Plus tard, à l’orée de la Première Guerre mondiale, il a eu l’intuition géniale qu’il fallait que le mouvement sioniste – et à travers lui, le peuple Juif – prenne une part active à la guerre, et qu’il devait s’allier aux Puissances alliées (Grande-Bretagne et Russie) et non pas aux Empires centraux.
C’est ainsi qu’il a été amené à créer la Légion juive, première force armée se battant sous un drapeau juif depuis l’époque des Makabim. Le corps des Muletiers de Sion puis les bataillons juifs (Gdoudim ha-Ivriim) qui se sont battus à Gallipoli et en Eretz Israël (campagne à laquelle Jabotinsky a lui-même participé en tant que lieutenant) ont joué un rôle important dans l’obtention de la Déclaration Balfour.
Plus tard, Jabotinsky a fondé le Betar, mouvement de jeunesse et incarnation de son idéal du “Nouveau Juif”, puis le mouvement sioniste révisionniste, qui entendait revenir aux principes fondamentaux du sionisme, qui avaient été selon lui délaissés par l’exécutif sioniste depuis la mort de Herzl. Dans la dernière période de sa vie, “Jabo” a parcouru inlassablement les bourgades juives de Pologne, en exhortant les Juifs à partir avant qu’il ne soit trop tard… Lui-même est décédé à New York, en 1940, à l’âge de 60 ans.

 

Jabotinsky's Lost Moment: June, 1940 - The Tower - The Tower

Jabotinsky passant en revue un Misdar du Betar, NY 1940

Hanna :
Jabotinsky est né à Odessa, ville ouverte, et non pas dans un shtetl de la zone de résidence où étaient assignés les Juifs. Pensez-vous que le caractère cosmopolite de cette ville a joué dans son approche du sionisme mais aussi peut-être dans sa conception des relations entre le peuple juif et les autres peuples? 

Pierre Lurçat :
Effectivement, il a été marqué de manière très durable par l’atmosphère très particulière d’Odessa, comme il le raconte dans son autobiographie et aussi dans son roman Les cinq. Odessa était une ville portuaire, ouverte à toutes sortes d’influences étrangères, et une ville cosmopolite. Jabotinsky a conservé toute sa vie l’amour de sa ville natale, dans laquelle il n’est pas revenu à l’âge adulte, tout comme il a été influencé par sa période italienne, qualifiant l’Italie de “patrie spirituelle”.
A la différence des dirigeants sionistes issus de la “Zone de résidence” et du shtetl, Jabotinsky avait une conception beaucoup plus simple des rapports entre le peuple Juif et les autres nations. C’est ainsi qu’il a pu se lier d’amitié avec des dirigeants anglais, français ou ukrainiens, entretenant des relations d’égal à égal, sans aucun “complexe juif galoutique”…

 

Ryanair to hit the tarmac in Odessa

Odessa

Hanna :
Dans sa jeunesse, Jabotinsky est influencé par les idées socialistes. Il prône lui aussi une nécessité de la réparation du monde, le tikoun olam. A-t-il été en contact avec Théodore Herzl, lui aussi mû par l’impératif de mettre fin au malheur des Juifs? Bien que ce ne soit pas le sujet de ce livre, pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce qu’il appelait la rédemption sociale?

Pierre Lurçat :
Sa brève rencontre avec Herzl, lors du 6e Congrès sioniste, a plutôt été une rencontre manquée, même s’il reconnaît être tombé en admiration devant le fondateur du mouvement sioniste. Effectivement, il partage avec Herzl l’idée qu’il faut normaliser la condition juive pour mettre fin au “Judennot”, le malheur juif ancestral.
Ses idées sociales et économiques, auxquelles j’ai consacré le premier volume de la Bibliothèque sioniste (La rédemption sociale), sont inspirées de la Bible hébraïque, dont il était un lecteur assidu et qu’il considérait comme le trésor national du peuple Juif et pas seulement comme un texte “religieux”. A l’instar de Herzl ou de Moïse, il avait été frappé par la misère du peuple Juif et son programme sioniste visait non seulement à régénérer le peuple Juif sur le plan national, mais aussi sur le plan économique et social. Dans ses “éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque”, il soutient ainsi l’idée qu’il faut remettre en vigueur le concept biblique du Yovel (Jubilé) afin de réduire les inégalités et de mettre fin à la pauvreté.

Hanna :
Pourriez-vous nous parler de sa rupture avec les idées de Marx et de cet élément spirituel primordial qu’il ajoute aux fameux moyens de production de Marx?

Pierre Lurçat :
A Rome, où il avait étudié le droit dans sa jeunesse, Jabotinsky avait été un temps inspiré par les théories marxistes, dont certains de ses professeurs étaient partisans. Plus tard, il a compris que la doctrine du matérialisme historique comportait une lacune énorme, du fait qu’elle négligeait totalement l’élément spirituel. Comme il l’explique dans son Exposé sur l’histoire d’Israël, “de tous les moyens de production, le premier et le plus important est le mécanisme spirituel”.
Jabotinsky entend par cette expression ce qui donne à chaque peuple sa spécificité, sa “ségoula” pour employer la notion de la Bible. A cet égard, et de manière très caractéristique de sa pensée, “Jabo” ne considère pas le peuple Juif comme étant “supérieur”, puisqu’il affirme que chaque peuple possède sa propre “ségoula”, son propre mécanisme spirituel qui lui donne son caractère unique et qui lui permet de contribuer à la richesse de l’humanité, constituée de peuples multiples et divers. Nous sommes ici très éloignés des utopies actuelles concernant une humanité délivrée des nations…

Hanna :
 Pour beaucoup Jabotinsky est assimilé à un fasciste. Sachant qu’un état fasciste est un état dictatorial qui ne laisse aucune place à la liberté humaine, comment Jabotinsky voit-il l’état idéal?

Pierre Lurçat :
Jabotinsky est tout le contraire d’un fasciste ! En effet, comme je l’explique dans le recueil État et religion, son idéal est un “État minimaliste”, qui se contenterait d’offrir à ses citoyens les services et les protections sociales indispensables, tout en laissant à l’individu la liberté maximale. Comme l’explique Jabotinsky : “Au commencement, Dieu a créé l’individu…. La société a été créée pour le bien des individus et non le contraire…” Ceux qui le qualifient de “fasciste” ou de partisan d’un État autoritaire n’ont rien compris à sa pensée, ou ne l’ont tout simplement pas lu.

Hanna :
Dans sa jeunesse, sa compréhension du judaïsme est très claire. Il écrit à l’âge de 25 ans que : l’exil a fait mourir le judaïsme…Le judaïsme a permis de conserver en vie l’identité nationale mais ce trésor caché n’est pas la religion elle-même. Mais dans les années 30, il a complètement changé. Il veut introduire la tradition juive dans la sphère publique. Parlez-nous de ses rapports avec le rav Kook…

Pierre Lurçat :
Effectivement, le changement d’attitude de Jabotinsky envers la religion est étroitement lié à ses rencontres et notamment à l’influence du rabbin Kook, qu’il n’a pas rencontré en personne mais par lequel il a été marqué au moment de l’affaire Stavsky. Quand le rabbin Kook a pris publiquement la défense des trois jeunes militants du Betar – injustement accusés du meurtre de Hayim Arlosoroff – Jabotinsky a compris que le judaïsme était une “force vive”, comme il l’a écrit, et non pas une “momie”. Son admiration pour le rav Kook (qu’il qualifie de “Cohen Gadol”) s’est accompagnée d’une évolution considérable de ses conceptions concernant la religion, que je décris en détail dans le livre État et religion.

Rav Kook Archives – Tradition Online

Le rav Kook

Hanna :
Bien que ce ne soit pas le sujet de ce livre, vous écrivez que Jabotinsky s’est montré très lucide sur le sujet crucial des relations avec les Arabes. Il a compris très tôt qu’on ne pourrait parvenir à un règlement qu’en nous montrant inflexibles, mais en prenant aussi au sérieux les revendications et l’identité arabe. Donc, pour ceux qui rêvent encore aux accords d’Oslo, pourriez-vous expliquer en quoi ils furent une erreur tragique ? Et en quoi les accords d’Abraham sont différents ?

Pierre Lurçat :
L’idée fondamentale développée par Jabotinsky, notamment dans son fameux article sur le “Mur de fer”, est que la paix ne pourra venir tant que nos ennemis caresseront l’idée de nous expulser ou de nous anéantir militairement (ou conjointement par des moyens politiques et militaires, comme le souhaitait Arafat à l’époque des accords d’Oslo). Ainsi, le rêve de la paix est conditionné par la capacité d’endurance et de dissuasion d’Israël…
Ce réalisme pessimiste s’accompagne d’un profond respect de Jabotinsky pour l’identité nationale arabe, conforme à sa conception de la nation que nous avons évoquée plus haut. A cet égard, toute notion d’un compromis territorial est illusoire, parce qu’elle méconnaît l’idée essentielle que le peuple Juif est revenu sur sa terre et qu’il n’est pas un intrus en Eretz Israël. J’ajoute que, si la doctrine du “Mur de fer” est souvent considérée comme l’inspiratrice de la doctrine stratégique de Tsahal, les développements actuels et la construction d’un mur autour de Gaza, tout comme le “Dôme d’acier” me semblent éloignés des idées de Jabotinsky, en ce qu’ils sont des mécanismes purement défensifs, qui empêchent Tsahal de reprendre l’offensive. Comme l’avait écrit Jabotinsky, le peuple Juif n’a pas encore atteint le stade du militarisme… Nous sommes encore empreints de la mentalité galoutique et du désir de vivre en paix à tout prix.

Hanna :
Dans son article du 25/6/1937, Jabotinsky écrit que la question essentielle est : de distinguer qu’est ce qui est sacré et qu’est ce qui n’est que l’enveloppe du sacré ?
Pensez-vous que nos sages d’aujourd’hui se préoccupent assez de séparer le sacré de son enveloppe sans craindre le libre exercice de la pensée du chercheur ?

Pierre Lurçat :

C’est une question complexe… Effectivement, Jabotinsky a développé une conception des rapports entre État et religion dans laquelle l’affirmation du caractère juif de l’État dans la sphère publique s’accompagne de la plus grande liberté individuelle dans la sphère privée. La citation à laquelle vous faites référence, qui clôt son article “La tradition religieuse juive” et que j’ai placée en conclusion du recueil État et religion, exprime en quelque sorte le “testament spirituel” de Jabotinsky sur ce sujet.
Il est évidemment demeuré loin de toute orthodoxie religieuse, fidèle à l’esprit libéral “odessite” dans lequel il a grandi, mais cela ne l’empêche nullement d’écrire, dans le même article, que le futur “État idéal, lumière pour les nations” aura trois piliers, sur lesquels seront gravés respectivement la Bible hébraïque, la Michna et le Rambam*… Ceux qui présentent Jabotinsky comme un Juif assimilé, voire comme un ennemi de la religion, n’ont décidément rien compris !
Pour en revenir à votre question, je dirai que le débat public en Israël demeure encore trop focalisé sur de vaines oppositions et simplifications, et que les partisans d’un “État de tous ses citoyens” coupé de ses racines nous empêchent parfois de nous occuper de la tâche essentielle, celle de faire revivre et de développer la Tradition d’Israël, en l’adaptant à la vie nationale.

J’ai lu le livre de Pierre Lurçat d’une traite et puis je l’ai repris doucement car chaque phrase me parlait

Je vous souhaite une bonne lecture!

EN VENTE SUR AMAZON ET DANS LES LIBRAIRIES FRANCAISES D'ISRAEL

A bientôt,

*Le Rambam: Maimonide

https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2021/12/25/vladimir-zeev-jabotinsky/

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La guerre des Juifs au cœur de l’idéologie du camp “progressiste” en Israël

December 9 2021, 10:04am

Posted by Pierre Lurçat

L’Altalena en flammes au large de Tel-Aviv

L’Altalena en flammes au large de Tel-Aviv

Lorsque Yair Lapid et Naftali Bennett ont formé leur gouvernement en juin dernier, de nombreux commentateurs se sont interrogés sur le caractère hétéroclite de leur coalition, qui réunissait des transfuges du sionisme religieux (que certains médias français s’obstinent à qualifier – contre toute évidence – de représentants de “l’extrême-droite”), des partis centristes, les lambeaux du parti travailliste et un parti arabe islamiste. S’agissait-il d’un gouvernement “d’union nationale”, du retour de la gauche post-sioniste, ou tout simplement de l’assemblage contre-nature de tous les membres du camp “Rak lo-Bibi” (“Tout sauf-Bibi”) ?

 

La réponse à cette question a été donnée quelques semaines plus tard : ce gouvernement représente en fait l’arrivée au pouvoir en Israël du courant “progressiste”, déjà incarné aux Etats-Unis par la frange la plus radicale du parti démocrate, au pouvoir depuis la victoire de Joe Biden. Mais ce qualificatif de “progressiste” est, comme beaucoup d’autres adjectifs du vocabulaire politique, trompeur. Car derrière le slogan du “progrès” et de la défense des droits de toutes les minorités, qu’on a déjà vus à l’œuvre dans de nombreux domaines (1), se dissimule tant bien que mal une idéologie radicale.

 

C’est au nom de cette idéologie que le ministre de la Défense a convoqué la semaine dernière une réunion au plus haut niveau de tous les chefs des organes de sécurité israéliens, pour lutter contre… les exactions commises par les habitants juifs de Judée-Samarie. Oui, moins de six mois après les sanglantes émeutes déclenchées par des pogromistes arabes qui ont incendié des synagogues et des biens juifs dans toutes les villes mixtes d’Israël, et alors qu’une nouvelle vague d’attentats frappe au cœur de Jérusalem, le ministre Gantz a trouvé le véritable “ennemi” à abattre. Ce sont les “Juifs des collines”, ces quelques dizaines de jeunes gens habitant dans des localités, souvent construites sur les lieux d’attentats anti-israéliens, qui sont apparemment, aux yeux de Gantz et des autres responsables sécuritaires, le danger le plus grave pour la sécurité intérieure d’Israël.

 

Cette décision très médiatisée et soutenue par une large fraction de l’establishment culturel et politique en dit long sur l’agenda politique du nouveau gouvernement. Moins d’un mois après la déclaration de six ONG liées au FPLP comme “organisations terroristes”, justifiée et appuyée sur des éléments de preuve incontestables, la décision du ministre Gantz n’est pas seulement une manœuvre tactique, destinée à rassurer l’aile gauche de sa coalition. Il s’agit, plus fondamentalement, de “resserrer les rangs”’ idéologiques du camp “tout sauf Bibi”, en désignant une fois de plus à la vindicte populaire un ennemi intérieur.

 

Il ne s’agit plus cette fois de l’ancien Premier ministre, envers lequel l’hostilité sans limite des médias n’a pas faibli depuis son éviction de la rue Balfour, mais du noyau idéologique des habitants juifs en Judée-Samarie. Cette désignation d’un “bouc émissaire” à l’intérieur même d’Israël s’inscrit dans la droite ligne de nombreux événements du même acabit, depuis l’époque des accords d’Oslo, par lesquels Rabin et Pérès entendaient sacrifier les Juifs au-delà de la “ligne verte” sur l’autel d’une paix illusoire avec les ennemis – véritables – de l’OLP, intronisée en “partenaire de paix”. Mais cette politique du “bouc émissaire” remonte plus loin encore dans l’histoire moderne d’Israël.

 

On la trouve déjà à l’œuvre à l’époque du Yishouv, quand le Mapaï prédominant utilisait son emprise sur l’économie – au moyen de la toute puissante Histadrout – pour exclure du marché du travail les jeunes membres du Betar, dont le chef idéologique, Vladimir Jabotinsky, était qualifié de “fasciste” et d’ennemi du peuple. On la retrouve pendant les années de plomb de la lutte pour l’Indépendance, quand la Haganah et le Palmah s’alliaient aux forces de police britanniques pour chasser manu militari et parfois torturer et assassiner des jeunes membres du Lehi et de l’Etsel, eux aussi proclamés “ennemis du peuple”, au nom du même parti-pris idéologique, qui préfère s’allier à l’ennemi extérieur pour “nettoyer” le pays de certains de ses adversaires idéologiques…

 

Manifestation anti-Nétanyahou (photo Israel National News)

Manifestation anti-Nétanyahou (photo Israel National News)

On la retrouve aussi quand le Premier ministre David Ben Gourion ordonnait au chef du Palmah, Itshak Rabin, de bombarder l’Altalena, bateau affrété par l’Irgoun à bord duquel des militants de l’Irgoun, parfois rescapés de la Shoah, transportaient une précieuse cargaison d’armes destinées à équiper la petite armée juive, face aux ennemis arabes plus nombreux et mieux armés. Cet épisode est crucial pour comprendre l’ADN idéologique d’une partie de la gauche israélienne, hier comme aujourd’hui. Non seulement Ben Gourion (2) ordonna de couler l’Altalena, en arguant d’un prétendu risque de sédition de la part de son adversaire politique, Menahem Begin. Pire encore : il qualifia le canon qui avait bombardé l’Altalena – faisant plusieurs morts parmi ses passagers – de “canon sacré” (3).

 

Cette sacralisation de la violence fratricide et de la guerre civile se poursuit jusqu’à nos jours. La volonté du gouvernement “progressiste” Bennett-Lapid-Raam de désigner un ennemi idéologique au sein du peuple Juif s’inscrit dans la droite filiation de l’Altalena et du “canon sacré” de David Ben Gourion. Elle montre qu’aux yeux du camp “progressiste” et d’une partie de la gauche israélienne, l’impératif politique demeure, envers et contre tout, celui de la démonisation et de la lutte à outrance contre l’adversaire politique, désigné comme bouc émissaire et comme “ennemi intérieur”, au lieu de s’allier à lui pour lutter contre les ennemis extérieurs au peuple Juif.

Pierre Lurçat

Article paru initialement sur le site Menora.info,

https://www.menora.info/la-guerre-des-juifs-au-coeur-de-lideologie-du-camp-progressiste-en-israel/

 

Notes

1. Dont le combat très médiatisé des “Femmes du Kottel” n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

2. Ben Gourion avait pourtant rencontré Jabotinsky à Londres et conclu un accord avec lui, pour lequel il fut désavoué par son propre camp, épisode relaté dans une pièce de théâtre écrite par A.B. Yehoshua.

3. Le journaliste Shlomo Nakdimon rapporte que lorsque le commandant adjoint de l’armée de l’air se mit en quête de volontaires pour bombarder le navire en haute-mer, trois pilotes non-juifs refusèrent l’ordre de mission, l’un deux déclarant “Je n’ai pas perdu quatre camarades et volé 10 000 miles pour bombarder des Juifs”. Un autre soldat, Yosef Aksen, vétéran de l’Armée rouge, déclara être prêt à subir la mort pour insubordination, plutôt que de tirer sur des Juifs.

Article paru sur le site Menora.info

https://www.menora.info/la-guerre-des-juifs-au-coeur-de-lideologie-du-camp-progressiste-en-israel/

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Israël, État et religion : « En quoi la pensée de Jabotinsky est-elle pertinente aujourd’hui ? » (1)

September 12 2021, 07:46am

Posted by Pierre Lurçat

Israël, État et religion : « En quoi la pensée de Jabotinsky est-elle pertinente aujourd’hui ? » (1)

La conception de la religion de Jabotinsky permet de répondre à certaines des questions les plus brûlantes qui agitent le débat public en Israël depuis plusieurs décennies, et pour ainsi dire, depuis le début du sionisme politique.  Dans ce débat interminable qui revient, génération après génération, se poser en termes quasiment identiques et qui semble parfois constituer un des points de discorde les plus marquants de la société israélienne, certaines questions pourraient sans doute être résolues, ou tout du moins simplifiées, si l’on prenait la peine d’établir certaines distinctions essentielles, en s’inspirant des conceptions développées par Jabotinsky.

La première distinction, essentielle, est celle de la sphère privée et de la sphère publique[1].  Le constat que fait Jabotinsky dans son article De la religion est tout aussi valable aujourd’hui qu’à son époque : “Cela fait longtemps que nous aurions dû, nous autres Juifs, réviser notre attitude intellectuelle envers la religion… Une attitude positive envers la religion devra s’exprimer d’une manière différente. Par une manifestation positive, par exemple, lors des assemblées des congrès nationaux, des conférences et des assemblées élues – il faudrait qu’ils s’ouvrent par une cérémonie religieuse ; et peu importe que leurs membres soient croyants ou “non croyants”. Car ces démonstrations revêtent une signification plus profonde que la question des croyances individuelles, ou celle des doutes de l’individu[2].

En somme, ce que nous dit Jabotinsky est que la religion est plus importante pour la collectivité nationale que pour l’individu. Pourquoi ? Parce que, explique-t-il, “Ce qui compte est la manifestation d’une foi puissante et historique partagée par des milliers de personnes”. Cette affirmation touche à une question essentielle et  souvent mal comprise dans la pensée de Jabotinsky, qui a donné lieu à d’innombrables erreurs d’interprétation et accusations infondées. Citons, à titre d’exemple, un historien qu’on ne saurait soupçonner d’inimitié pour l’épopée sioniste, Georges Bensoussan. Dans son ouvrage monumental, Histoire intellectuelle du sionisme, il écrit ainsi que Jabotinsky “exalte le groupe et la nation dans lesquels l’individu se fond, en appelant à dépasser l’individu[3]. C’est sur le fondement d’une telle appréciation qu’on a pu accuser Jabotinsky de sympathies pour le fascisme italien, notamment après qu’il eut créé en Italie l’école navale de Civitavecchia, où  furent formés les premiers cadres de la future marine israélienne. Or cette affirmation repose tout entière sur un contresens.

En effet, Jabotinsky n’exalte jamais le groupe au détriment de l’individu, ni la collectivité au détriment de la liberté de conscience. Il pose lui-même la question, dans son autobiographie, de savoir qui doit avoir préséance, entre l’individu et la collectivité, entre l’autonomie de la personne et les exigences de la nation. Cette question est cruciale pour toute nation en voie d’édification, et on comprend donc que Jabotinsky se la soit posée. Sa réponse mérite d’être citée, tant pour éclairer la pensée de Jabotinsky que pour répondre à des questions toujours actuelles :

Au commencement, Dieu a créé l’individu : chaque individu est un Roi égal à son prochain. Il vaut mieux que l’individu pèche envers la collectivité, plutôt que la collectivité pèche envers l’individu. La société a été créée pour le bien des individus, et non le contraire ; et la fin des temps, la vision des jours messianiques – est le paradis de l’individu, un régime d’anarchie splendide – où la société n’a pas d’autre rôle que d’aider celui qui tombe, de le consoler et de le relever[4]. On comprend bien, en lisant ces lignes, que Jabotinsky est tout le contraire d’un partisan des régimes autoritaires, comme certains continuent de le penser, y compris parmi les historiens sérieux. Non seulement Jabotinsky abhorre l’autoritarisme et l’État totalitaire, mais il est en fait adepte d’un État minimaliste, dont la seule fonction serait de l’ordre de la protection sociale.

Comment cette conception de l’État et de l’individu se concilie-t-elle avec son idée du rôle de la religion dans l’existence nationale? La réponse est simple : la question des croyances individuelles relève de la liberté de conscience et appartient au domaine exclusif de l’individu, qui est roi, et nul ne peut empiéter sur ce domaine sacré. Mais dans l’ordre collectif, il est important de faire régulièrement la “manifestation d’une foi puissante et historique, dans le respect et l’obstination”. Les deux mots choisis par Jabotinsky ne l’ont pas été par hasard. Le respect est, nous l’avons vu, l’élément essentiel de sa conception du judaïsme. L’obstination, c’est une des qualités spécifiques au peuple Juif, le “peuple à la nuque raide” dont parle la Bible. Si l’on veut préserver les qualités spécifiques et la culture nationale propre au peuple Juif, il importe donc de manifester le lien entre le “judaïsme national” et le mont Sinaï, pour reprendre les termes de Jabotinsky.

Importance du judaïsme dans l’éducation

L’autre domaine – crucial – dans lequel il convient selon Jabotinsky de manifester une attitude positive envers le judaïsme est celui de l’éducation. Non pas par souci de prosélytisme, contrairement à ce que croient les adversaires de toute éducation juive – y compris en Israël – qui évoquent à tout bout de champ un prétendu risque de “coercition religieuse”. Non pour “susciter un enthousiasme artificiel envers la Tradition”, affirme Jabotinsky mais parce que “l’élève”, qu’il se conforme ou pas aux commandements religieux, “doit cependant connaître les coutumes (du judaïsme), tout comme il doit connaître l’histoire et la littérature, car les coutumes font partie tant de notre histoire que de notre littérature, et plus encore, elles font partie de l’âme de notre nation”.

L’idée qu’il faut enseigner le judaïsme en tant que culture peut paraître banale, après tout on enseigne aujourd’hui la Bible hébraïque dans les écoles israéliennes les plus laïques…. Rappelons que Jabotinsky a lutté très tôt et tout au long de sa vie contre le danger de l’assimilation. Mais il ne se contente pas d’affirmer que les coutumes juives font partie de la “culture générale” que tout élève juif doit étudier. Il va plus loin, en expliquant qu’elles “font partie de l’âme de notre nation”. Qu’est-ce à dire? Nous voyons ici que la question de la religion est indissolublement liée chez Jabotinsky à celle de la nation. Le judaïsme n’est pas seulement un ensemble de lois et de coutumes extérieures et une religion “légaliste”, dénuée de chaleur (comme l’ont décrite certains de ses adversaires, Kant notamment). Le judaïsme est l’âme de la nation juive, ce qui lui donne sa spécificité, sa “segoula” pour employer un terme hébraïque. Précisons que la segoula n’est pas chez lui l’apanage du peuple Juif. Elle existe en fait chez tous les peuples, car aux yeux de Jabotinsky – qui se dit “fou d’égalité” -, les peuples sont égaux comme les individus[5].

État juif ou État de “tous ses citoyens”?

            Abordons à présent une autre controverse, tout aussi actuelle, celle qui oppose aujourd’hui les partisans d’un État juif et démocratique à ceux d’un “État de tous ses citoyens”. Certains commentateurs ont voulu annexer Jabotinsky au camp libéral et “progressiste” – c’est-à-dire au camp de ceux qui sont favorables à un État dans lequel l’égalité entre tous l’emporterait sur l’impératif de préserver le caractère juif de l’État. Cette interprétation repose selon nous sur deux erreurs communes dans l’interprétation de sa doctrine. La première consiste à faire d’un élément accessoire le principal, par exemple en considérant que l’idée d’égalité – effectivement très présente dans la pensée politique de Jabotinsky  – doit l’emporter sur toutes les autres. Or, l’individualisme et l’égalité des hommes (“tout homme est un Roi”) doivent parfois, nous l’avons vu, s’effacer derrière d’autres impératifs, comme ceux de l’intérêt national en temps de guerre et de la préservation du caractère national.

            Aux yeux de Jabotinsky, la multiplicité des nations et des peuples est une bénédiction, idée très juive qu’il n’a pas trouvée seulement dans la Bible mais aussi dans sa réflexion théorique sur la “question des nationalités”. Il est certes, comme le relève un commentateur[6], persuadé que le monde évolue vers une internationalisation croissante (il envisage même l’apparition d’une langue internationale et soutient avec enthousiasme l’espéranto), mais il n’en demeure pas moins convaincu que les États-Nations doivent subsister, pour le bien de l’humanité.

            La deuxième erreur est l’anachronisme. Tout comme Herzl, Jabotinsky a parfois montré un optimisme excessif à certains endroits de son œuvre, par exemple lorsqu’il envisageait une parité entre Juifs et Arabes au sein des organes du gouvernement. Il serait ainsi tout à fait anachronique et erroné d’en faire un partisan d’un gouvernement juif qui s’appuierait sur un parti arabe irrédentiste, ne reconnaissant pas le caractère juif de l’État. Je cite ici ses écrits : “Dans des conditions normales, c’est-à-dire dans un pays où vivent deux ou plusieurs peuples cultivés, et qui est gouverné selon un régime parlementaire – il est légitime que le caractère national de la majorité marque en fin de compte son empreinte la vie de l’État tout entier”.

Importance du judaïsme pour l’État juif et pour le monde : le sionisme suprême

            Venons-en à l’élément le plus original de la conception de la religion et du judaïsme de Jabotinsky : celle qu’il a élaborée dans les dernières années de sa vie, dans la décennie qui va de 1930 à son décès prématuré, à New York, en 1940. Cette conception est aussi celle qu’il a exprimée dans la Constitution de la Nouvelle Organisation sioniste, fondée en 1935. Dans ses interventions au congrès fondateur de la N.O.S. et dans les résolutions adoptées par celles-ci, Jabotinsky donna libre cours à l’esquisse de sa nouvelle conception du rôle que devrait remplir la religion juive dans le futur État juif : [7]

            “L’objectif du sionisme est la rédemption d’Israël sur sa terre, la renaissance de sa nation et de sa langue et l’enracinement des principes sacrés de sa Torah dans la vie nationale, et par cela, la création d’une majorité juive en Eretz-Israël sur les deux rives du Jourdain ; la création d’un État juif fondé sur les libertés civiques et sur les principes de justice inspirés par la Torah ; le retour à Sion de tous ceux qui aspirent à Sion et la fin de l’exil. Cet objectif a préséance sur les intérêts de tout individu, collectivité ou classe sociale”. Cette résolution fut adoptée par les délégués du Congrès après l’intervention enthousiaste de Jabotinsky en sa faveur. Dans son discours, il affirma que “le Congrès fondateur (de la N.O.S.) devait également reformuler tant les relations entre la renaissance nationale et la tradition religieuse” et qu’il fallait accorder à la religion une place essentielle dans l’entreprise sioniste”, en expliquant qu’il avait changé d’avis sur ce sujet.

Il est important de noter qu’initialement, Jabotinsky avait voulu insérer dans la Constitution de la N.O.S un paragraphe évoquant “l’enracinement de la Torah dans la vie internationale”, mais qu’il avait dû faire marche arrière pour ne parler que de l’enracinement dans la Torah dans la vie nationale”. Comme il l’explique :

« l’État juif n’est que la première phase de la réalisation du sionisme suprême. Après cela viendra la deuxième phase, le retour du peuple Juif à Sion… Ce n’est que dans la troisième phase qu’apparaîtra le but final authentique du sionisme suprême – but pour lequel les grandes nations existent : la création d’une culture nationale qui diffusera sa splendeur dans le monde entier, comme il est écrit : ‘Car de Sion sortira la Torah’ ».

            Comment interpréter ces mots à la lumière de ce que nous avons exposé? Jabotinsky n’est pas devenu un Juif pratiquant. Il est demeuré toute sa vie durant le Juif libéral et laïque qu’il était depuis sa jeunesse. Mais il a compris que la tradition juive n’appartenait pas à un camp ou à un parti politique, qu’elle n’était pas seulement une enveloppe, une “structure” extérieure et une “religion”, mais qu’elle était l’âme du peuple Juif tout entier, et qu’à ce titre, elle devait être au cœur de la culture nationale qui allait refleurir dans le futur Etat juif dont il n’a pas vu le jour.

© Pierre Lurçat 

Questions autour de la tradition d’Israël : Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.
Editions de la Bibliothèque sioniste, Jérusalem 2021. En vente sur Amazon.


[1] Distinction fondamentale de tout régime politique moderne, qui a tendance à s’estomper dans les sociétés contemporaines, notamment du fait de l’apparition des réseaux sociaux et de leur emprise croissante.

[2] Voir supra, p. 43.

[3] G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle du sionisme, Fayard 2012, p. 677.

[4] Histoire de ma vie, Les provinciales 2011, page 41.

[5] Ce qui ne l’empêche pas de préférer son propre peuple, sentiment naturel et tout à fait légitime à ses yeux.

[6] Aryeh Naor. In the Eye of The Storm, Essays on Ze’ev Jabotinsky. Edited by. Avi Bareli. Pinhas Ginossar. Tel-Aviv 2004.

[7] Cité par Eliezer Don Yehia, https://in.bgu.ac.il/bgi/iyunim/DocLib3/zeev3d.pdf 

 

A tous les lecteurs de VudeJérusalem, que l'année qui commence vous apporte joie et santé, 

CHANA TOVA

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Un événement éditorial : parution du livre de V. Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive

September 1 2021, 09:22am

Posted by Pierre Lurçat

NB j'évoquais ce matin les rapports de Jabotinsky à la tradition juive au micro d'Olivier Granilic sur Studio Qualita.

 

Editions L’éléphant 

Paris-Jérusalem

 

COMMUNIQUÉ

Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, 

Questions autour de la tradition juive

 

La question des rapports entre État et religion ne cesse d’occuper le débat public, en Israël comme en France et ailleurs. Les conceptions de Jabotinsky sur ce sujet brûlant permettent de répondre à certaines des questions qui divisent la société israélienne depuis plusieurs décennies, comme la place de la religion dans la sphère publique et le caractère juif de l’État. Au-delà même de leur importance pour Israël aujourd’hui, ces questions interpellent le lecteur contemporain par leur actualité et par l’originalité du regard de Jabotinsky. 

 

Les textes ici publiés en français pour la première fois exposent les conceptions originales de Jabotinsky concernant la religion et les rapports entre le judaïsme et le futur État juif, à la création duquel il a consacré sa vie. Entre 1905 et 1935, Jabotinsky est passé d’une conception utilitariste de la religion et du judaïsme, considéré comme une “momie” et une structure purement extérieure - ayant permis au peuple Juif de conserver son identité nationale pendant les siècles de l’exil - à une conception beaucoup plus positive d’un judaïsme vivant, fondement spirituel essentiel au futur État juif.

 

 

 

Né à Odessa en 1880 et mort dans l’État de New-York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky est une des figures les plus marquantes du sionisme russe. Écrivain, journaliste et militant infatigable, créateur du mouvement sioniste révisionniste et du Bétar, il a conquis sa place parmi les fondateurs de l’État d’Israël, entre la génération de Théodor Herzl et celle de David Ben Gourion. Théoricien politique extrêmement lucide, il avait compris la vertu cardinale pour les Juifs de se défendre eux-mêmes, et dès la Première Guerre mondiale, il obtint leur participation militaire sous un drapeau juif à l’effort de guerre des Alliés.

 

Questions autour de la tradition juive, précédé de État et religion dans la pensée du Roch Betar, traduction et présentation de Pierre Lurçat

 

Pour recevoir un service de presse, veuillez écrire à editionslelephant@gmail.com

 

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Jabotinsky et le rav Kook : la “rencontre” de deux géants, Pierre Lurçat

August 22 2021, 11:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yahrzeit du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, qui a été célébré le 3 Eloul, je publie ici un extrait inédit du nouveau livre de Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, qui paraît ces jours-ci. J’y évoque l’influence décisive qu’a eue sur Jabotinsky la prise de position courageuse du rav Kook dans l’affaire Arlosoroff. P. Lurçat

 

 

L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira”. (Jabotinsky, De la religion)

 

Le pronostic formulé par Jabotinsky selon lequel “l’homme entier sera religieux”, marque une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans son article Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entretemps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus aujourd’hui qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité humaine, aux côtés de la musique et de l’art ? Les raisons de cette évolution radicale sont multiples. Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel de Jabotinsky, qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment pas le jeune homme fougueux de 25 ans.

 

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et des personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham, qui exerça une influence importante sur l’idée que Jabotinsky se faisait du judaïsme et de la religion. Dans une lettre adressée en juin 1934 à Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Benjamin Nétanyahou, Jabotinsky parle en ces termes du rabbin Kook : “Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre)”.



 

 

Le rav Kook : le “Cohen Gadol”

Jabotinsky : un “ange descendu du ciel”



 

De son côté, le rabbin Kook, selon certains témoignages, aurait qualifié Jabotinsky “d’ange de Dieu” . Les deux qualificatifs sont assez forts et inhabituels, tant dans la bouche de Jabotinsky que dans celle du rabbin Kook, pour mériter qu’on y prête attention. Comment ces deux hommes, que tout séparait en apparence et qui ne se sont selon toute évidence jamais rencontrés, en sont-ils venus à se porter une telle estime réciproque ? La réponse à cette question est liée à un événement qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire politique du Yishouv, l’affaire Arlosoroff, mais aussi dans l’évolution des conceptions de Jabotinsky  concernant la place de la religion juive dans le futur État juif, et des rapports entre État et religion en général. 

 

Lorsque le dirigeant sioniste travailliste Haïm Arlosoroff est assassiné sur une plage de Tel-Aviv le 16 juin 1933, la presse et les dirigeants du Yishouv accusent immédiatement – et sans la moindre preuve – le Betar. Trois militants sont arrêtés, sur la base d’un témoignage obscur de la veuve d'Arlosoroff et l’un d’eux, Avraham Stavsky, est condamné à mort. Jabotinsky  est d’emblée convaincu qu’il s’agit d’une fausse accusation et il œuvre sans relâche pour obtenir l’acquittement de Stavsky, qu’il compare dans des articles à Mendel Beilis (Juif ukrainien accusé de crime rituel en 1911). Dans ce combat, Jabotinsky  reçoit le soutien décisif du grand-rabbin de Palestine mandataire, Avraham I. Hacohen Kook. Ce dernier prend courageusement la défense des accusés, s’exposant à la vindicte des journaux et partis de gauche, qui l’insultent et dont certains (comme l’Hashomer Hatzaïr) n'hésitent pas à couvrir le pays d’affiches proclamant “Honte au pays dont les rabbins soutiennent des assassins”!  

 

 

Très impressionné par l’intervention du rabbin Kook, Jabotinsky  écrira plus tard, dans une lettre adressée au rabbin Milikowski, organisateur du comité de défense des accusés, “Vous ne pouvez pas estimer la valeur de cette action… Outre son rôle décisif pour faire triompher la justice dans l’affaire Stavsky, elle aura des conséquences profondes et essentielles sur l’orientation politique et spirituelle du public hébreu en Eretz-Israël et en diaspora. Un exemple : j’ai déjà reçu plusieurs lettres demandant que je propose, lors de notre prochain Congrès mondial, une motion spéciale concernant les rapports entre l’Hatsohar (Organisation sioniste révisionniste) et la tradition religieuse”.

 

Ainsi, de l’aveu même de Jabotinsky, c’est l’intervention du rabbin Milikovsky qui suscita le changement d’orientation de son mouvement, attaché à une laïcité militante, et son évolution vers une attitude plus favorable à la tradition juive. Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie “l’Alliance de Yéchouroun”, courant sioniste-religieux qui vient de s’intégrer au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. 

 

Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky  déclare : “Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré… Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…” Et il poursuit : “C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et qui la trompent parfois et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de Dieu ; pour qu’un espace subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs”...

 

Pierre Lurçat

 

Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, précédé de “État et religion dans la pensée du Roch Betar”. La Bibliothèque sioniste 2021. En vente sur Amazon.

 

Le deuxième volume de la BIBLIOTHEQUE SIONISTE VIENT DE PARAITRE:

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מה היה אומר ז'בוטינסקי על מדינת ישראל היום?

July 12 2021, 07:25am

Posted by Pierre Lurçat

Pour mes lecteurs hébraïsants, je reproduis cet article paru ce matin dans Makor Rishon.

 

אילו היה ז'בוטינסקי חוזר לחיים ומתהלך בינינו כיום, הוא כנראה היה מתפלא מעצם קיומה של מדינת ישראל ונרגש מהישגיה הרבים בכל התחומים, ובמיוחד בתחומי הכלכלה, הרפואה והביטחון. כידוע, ז'בוטינסקי היה חסיד נלהב של היוזמה הפרטית והוא סלד מהגישה הכלכלית-ריכוזית ומהבוז שרחשו הוגים ציוניים רבים בני זמנו לסוחרים ולבעלי הון יהודים. לכן אפשר להניח שהיה שמח לראות שמדינת ישראל, בשנת ה- 73 לקיומה, הפכה למעצמה בתחום ההיי-טק ופיתחה כלכלה חופשית, אשר אינה דומה כלל לזו שהכיר בתקופת היישוב.

למרות כל אלו, ז'בוטינסקי היה רואה בעין פחות יפה את פניה האחרות של מדינתנו. תחילה בתחום הכלכלה והחברה, שהיה קרוב לליבו. משה בלע, בספרו "עולמו של ז'בוטינסקי", כותב ש"לא הניחו שאלות תיקון החברה לנפשו הרגישה של ז'בוטינסקי''. סביר להניח כי הוא היה מתרגז מהעובדה שמדינת ישראל אכן הפכה להיות "START-UP NATION", אך ויתרה במידה רבה על חזון השוויון והצדק של נביאי ישראל, חזון אשר הוא היה שותף לו. קיומם של אלפים רבים החיים מתחת לקו העוני לא היה נותן לו מנוחה. כזכור, הוא נלחם בעוני וראה בכך פגיעה בכבודו של האדם הנברא בצלם אלוקים (כלשונו).

לא כולם זוכרים היום שז'בוטיסקי חיבר "פרקים בפילוסופיה הסוציאלית של התנ"ך'', שם פיתח גישה מאוד חדשנית ונועזת לפתרון בעיית העוני ברוח התורה בכלל, וברוח רעיון היובל בפרט. כפי שכתב:  "אני מאמין… שהחברה תעמיד לרשותו של כל אחד מאתנו את המינימום החומרי היסודי, ממש כמו שכבר כיום מעמידה היא לרשותו של כל אחד מאתנו את המינימום הרוחני – את בית הספר היסודי הכללי. רעב וקור וחוסר קורת-גג ייעלמו כליל." והוא המשיך בתיאור "עולם אשר בו תהא המלה "רעב" מצלצלת כאגדה מימים קדומים, עולם אשר בו יפוגו תשע מידות מן המרירות הטראגית, המציינת היום את ההבדל בין עני לעשיר''.

צילום: בית"ר העולמית
צילום: בית"ר העולמית

כמובן, תיאור זה אשר נראה היום כל כך רחוק מהמציאות הישראלית אינו מבוסס על תורת מרקס ואינו מכוון לכלכלה סוציאליסטית, שז'בוטינסקי סלד ממנה. הוא מבוסס כל כולו על התנ"ך ועל רעיונות השבת, הפאה והיובל, אותם ז'בוטינסקי רצה לחדש ולהפוך לבסיס השיטה הכלכלית והחברתית של מדינת ישראל אשר תקום. כפי שעוד כתב : "בוא יבוא מרקס חדש ויכתוב שלושה כרכים על האידיאל שלה, ואפשר, לא "הקאפיטאל" יהיה שמה, אלא "היובל"

דבר נוסף שכנראה היה מרגיז אותו מאוד כיום הוא רמת הביטחון האישי בישראל, ועצם העובדה שיהודים מותקפים ונרצחים רק בשל היותם יהודים. ז'בוטינסקי, שהפך לציוני אחרי הפוגרומים בקישינב, היה מתעצב ומתקומם כנגד המראות הקשים של הפרעות שחווינו לפני כחודש בעכו, בלוד ובמקומות אחרים בארץ. אני אף מתאר לעצמי שהוא היה מוכן לשבת בכלא (כפי שקרה לו בתקופת המנדט הבריטי), העיקר לא להישאר אדיש לגורל אחיו במדינת היהודים.

 

ז'בוטינסקי גם היה מתקומם כנגד קיומן של מפלגות ערביות שחרטו על דגלן את המאבק נגד עצם קיומה של מדינת ישראל כמדינה יהודית. שהרי תמיכתו בזכויות שוות לאזרחים יהודים וערבים היה מותנה בקבלת עיקרון שלטון הרוב. ז'בוטינסקי לא  רק היה מצטער לראות איך חלק מערביי ישראל מתנהגים כמיעוט חתרני בתוך כנסת ישראל, אך יותר מכך היה מצטער לראות איך היהודים אינם מתנהגים כרוב גאה ובטוח בצדקת דרכו ובזכויותיו.

ולבסוף, הוא היה נרגז וכואב לראות איך רעיון "קיר הברזל" שלו – אשר עליו מבוססת תורת ההגנה של צה"ל כולה – התהפך עם המצאת "כיפת ברזל". אכן, כיפת הברזל מנוגדת בעליל לעיקרון קיר הברזל, בכך שהיא שוללת מאיתנו את הזכות ואת החובה המוסרית לתקוף את אויבנו ולמנוע מהם את עצם הרצון לתקוף אותנו, כמו שהסביר ז'בוטינסקי במאמרו המפורסם לפני כמאה שנה.

https://www.makorrishon.co.il/opinion/372575/

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Les conceptions économiques et sociales de Jabotinsky

July 8 2021, 12:44pm

Posted by Olivier Ypsilantis

Les conceptions économiques et sociales de Jabotinsky

Je publie cet article d'Olivier Ypsilantis à l'occasion de l'anniversaire du décès de Jabotinsky, qui est marqué aujourd'hui en Israël. J'ai évoqué ce sujet avant-hier dans une conférence donnée en souvenir de Jacques Kupfer, disponible ici. Que le souvenir de ces deux grands Juifs soit béni. P.I.L

 

J’ai devant moi un petit livre, trois textes de Vladimir Zeev Jabotinsky publiés pour la première fois en français par Pierre Lurçat, traducteur de Jabotinsky. Ce livre s’enrichit d’une présentation et de notes, également de Pierre Lurçat. Titre : « La rédemption sociale », sous-titre : « Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque ». Ce livre qui s’annonce comme le premier tome de la « Bibliothèque sioniste » est dédié à Jacques Kupfer (1946-2021), un sioniste très actif, décédé le 10 janvier. Je me permets de mettre en lien cet hommage à Jacques Kupfer (zal) mis en ligne par l’Organisation sioniste mondiale en France :

https://osmfrance.fr/hommage-a-jacques-kupfer-zal/

Ce livre publié par Pierre Lurçat est précieux, et il s’agit d’une « première » considérant que la pensée économique et sociale de Jabotinsky n’est exposée de manière exhaustive et systématique dans aucun écrit. Les écrits de Jabotinsly sur cette question restent épars. Remercions Pierre Lurçat de les avoir rassemblés et proposés à un public francophone.

Ce livre fait moins de soixante pages. Il a été publié suivant le même procédé que « Seuls dans l’Arche ? Israël, laboratoire du monde ». Ces trois textes ont été écrits dans les années 1930, peu après la Great Depression. Leurs titres sont dans l’ordre : « La rédemption sociale », « Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque » (texte articulé en deux parties : a. « Celui qui lutte avec Dieu » ; b. « La protection sociale ») et « L’idée du Yovel ».

Jabotinsky est souvent mal connu, envisagé comme un va-t’en-guerre et un sympathisant du fascisme, un cœur dur. Il est vrai que cet esprit exigeant et rigoureux m’a jamais donné dans la démagogie, ce que lui reprochent probablement nombre de ses détracteurs, des démagogues qui ne savent pas que la démagogie trouble le regard et, en conséquence, le jugement.

Jabotinsky a été tellement occupé par le sionisme et l’édification de l’État juif qu’il n’a pu consacrer plus de temps aux questions économiques et sociales ; elles sont pourtant au cœur de ses préoccupations. Mais tout d’abord, comment circonscrire la place de la Bible (Tanakh) dans la pensée sioniste moderne ?

 

Vladimir Zeev Jabotinsky (1880-1940)

 

Jabotinsky s’est indéfectiblement envisagé comme un continuateur de Theodor Herzl au sionisme duquel il a ajouté une dimension militaire. Mais l’un et l’autre ont étudié la Tanakh et l’ont prise très au sérieux. Loin de lire la Torah comme un récit mythique, ces deux grands sionistes l’ont envisagée comme le livre de l’Histoire nationale juive. La Tanakh irrigue donc la pensée politique de Jabotinsky mais aussi, et plus encore, sa pensée économique et sociale.

Jabotinsky a été imprégné de socialisme dans sa jeunesse, notamment au cours de ses années romaines, à l’université puis en tant que journaliste chargé de couvrir l’actualité parlementaire au Palazzo Montecitorio. A ce propos, je recommande la lecture de l’autobiographie de Jabotinsky, traduite et présentée par Pierre Lurçat sous le titre « Histoire de ma vie » :

http://www.lesprovinciales.fr/livre/histoire-de-vie/

Cette sympathie à l’égard du socialisme va être « détruite de fond en comble par l’expérience rouge en Russie », un pays où il avait été marqué par la misère des Juifs.

Pour Jabotinsky, tous les hommes naissent et demeurent égaux. Il juge que le concept (marxiste) de classe est égoïste ; par ailleurs, ses réflexions politiques, économiques et sociales achèvent de l’éloigner du marxisme, des réflexions fondées sur la lecture de la Tanakh. Le socle de ces réflexions : la notion de Tikkoun Olam (réparation du monde). J’y reviendrai. Le Tikkoun Olam tel qu’il l’envisage pose l’impératif du combat contre la pauvreté. A cet effet, Jabotinsky élabore le programme des « cinq Mem » que nous verrons dans la présentation de « La rédemption sociale », un article en partie inspiré de Joseph Popper-Lynkeus (1838-1921), auteur de « L’obligation alimentaire générale » qui pose que l’État doit libérer tout citoyen de ces besoins fondamentaux que sont : l’alimentation, l’habillement et le logement. Jabotinsky y ajoute l’éducation et la santé.

La philosophie sociale biblique de Jabotinsky a deux volets : 1) La « protection sociale », avec le shabbat comme origine de toute la législation sociale moderne. 2) La « rédemption sociale » et le Yovel.

Jabotinsky estime que les socialistes veulent changer toute la structure économique de la société plutôt que de se concentrer sur l’essentiel, soit la suppression de la pauvreté – ce que prône la Bible, la Bible qui par ailleurs n’entend pas supprimer la concurrence, moteur de l’économie. Les socialistes veulent supprimer toute différence. La Bible veut « rétablir de manière périodique un minimum d’égalité et de justice sociale, en “remettant les compteurs à zéro” » : il s’agit pour ceux qui sont en compétition de se reposer avant de reprendre la lutte.

Cette notion de Yovel (Jubilé) peut sembler irréaliste, elle ne l’est pas tant si l’on considère que le projet sioniste n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’humanité, un projet qui paraissait fumeux jusqu’à 1948 et la refondation de l’État d’Israël. Le Yovel ne s’inscrit pas dans un programme économique, il est tension vers un idéal, tout comme l’est la prophétie d’Isaïe selon laquelle « les épées seront transformées en soc de charrue ». Et il y a bien un lien entre ces deux tensions : Jabotinsky explique dans son programme de « protection sociale » que les obligations de l’État (que nous venons d’énumérer) envers ses citoyens seraient déjà effectives si les dépenses d’armement n’étaient pas ce qu’elles sont. C’est donc méconnaître Jabotinsky que de faire du Roch Betar un va-t’en-guerre et un admirateur du fascisme. Jabotinsky fut un authentique pacifiste et un disciple des prophètes d’Israël.

Mais qu’en est-il d’Israël aujourd’hui ? Le pays est passé d’une économie socialiste à une économie ultra-libérale, avec inégalités croissantes et pauvreté qui touche une part importante de la population. A la lumière de ses réflexions économiques, on peut dire que Jabotinsky aurait refusé le socialisme dirigiste et centralisateur du parti travailliste (de la période pré-étatique au changement de majorité en 1977) mais aussi le capitalisme libéral (des années 1990 à aujourd’hui).

La pensée économique de Jabotinsky reste inachevée. Ne pourrait-on pas néanmoins s’en inspirer pour réformer l’économie du pays en évitant le socialisme dirigiste autant que le capitalisme libéral ?

Jabotinsky place l’individu au-dessus de tout et se dit « libéral bourgeois convaincu ». « Tout individu est roi » pourrait être sa devise, la devise du Roch Betar. Il pose que la misère doit être combattue, éradiquée. Il se dit partisan d’un État minimal mais aussi d’un État engagé dans la « protection sociale ». Il convient de considérer la complexité de sa pensée sans chercher à l’annexer au camp libéral ou social-démocrate. Jabotinsky est bien l’homme d’une « troisième voie » économique : interventionnisme étatique afin d’assurer les besoins fondamentaux des individus ; retrait de l’État afin de préserver et stimuler l’initiative individuelle et l’esprit d’entreprise. Ces deux principes sont-ils radicalement antagonistes ?

Israël a su faire la paix avec une partie du monde arabe en suivant les principes du « Mur de fer » (ou « Muraille de fer »), texte fondamental de Jabotinsky que je remets en lien tant il me semble important :

http://www.monbalagan.com/29-israel/sources-israel/1477-1923-zeev-jabotinsky-la-muraille-de-fer.html

Ne pourrait-on pas trouver dans les propositions économiques de Jabotinsky une voie vers une société plus empreinte de justice sociale, sans pour autant porter préjudice au dynamisme de l’économie israélienne, cette « Start-Up Nation » ?

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

https://zakhor-online.com/?p=20150

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De l’affaire Arlosoroff à aujourd’hui : Cette gauche israélienne et juive qui confond l’ennemi et l’adversaire

June 17 2021, 10:10am

Posted by Pierre Lurçat

 

Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même. Son identité est fondamentalement une identité du ressentiment.

Shmuel Trigano

 

Il est encore trop tôt pour faire le bilan de l’ère Nétanyahou et pour “enterrer” - comme l’ont déjà fait plusieurs éditorialistes et observateurs - celui qui, de l’avis de ses partisans comme de certains de ses détracteurs, est déjà entré dans l’Histoire comme un des grands dirigeants d’Israël à l’époque moderne. Mais, au lendemain de la formation du gouvernement le plus bizarre et le plus hétéroclite qu’Israël ait jamais connu, on peut tirer quelques leçons de cette campagne électorale et de son résultat. Le phénomène qui nous intéresse ici, au-delà même de la haine, qui a visé depuis plusieurs années Binyamin Nétanyahou, totalement irrationnelle et injustifiée (mais n’est-ce pas le propre de toute haine?), est celui de la confusion qu’une certaine gauche israélienne entretient délibérément entre ses adversaires et ses ennemis. 

 

Ce phénomène n’est pas nouveau. On pourrait même dire qu’il est inscrit dans l’ADN d’une fraction non négligeable de la gauche israélienne et juive, celle qui trouve ses racines historiques et politiques pas tant dans le sionisme travailliste des pères fondateurs, que dans la Troisième Internationale et dans le bolchévisme le plus pur et dur (au sens propre, comme le reconnaissait jadis Ben Gourion, en n’hésitant pas à se qualifier lui-même de “bolchévique”, au début des annés 1920) (1). C’est cette confusion dangereuse et lourde de conséquences dont nous voyons aujourd’hui les fruits amers. 

 

Comme l’écrivait Shmuel Trigano il y a vingt ans, “Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même” (2). On ne saurait mieux décrire l’identité du nouveau gouvernement des “anti-Bibi”, qu’aucun ciment idéologique ou politique ne réunit, sinon leur détestation abyssale envers Nétanyahou. La coalition des “anti-Bibi” a préféré faire alliance avec les islamistes des Frères musulmans, pour chasser du pouvoir son adversaire, c’est-à-dire qu’elle a fait alliance avec ses ennemis pour triompher de son adversaire.

 

Manifestation anti-Bibi

 

Cette politique de l’exclusion et du ressentiment, nous l’avons vue à l’œuvre, tout au long de l’histoire du sionisme politique, à chaque fois que les tenants du sionisme socialiste ont prétendu exclure leurs adversaires, tantôt du marché du travail dans le Yishouv des années 1920 et 1930 (en exigeant des travailleurs la carte de la Histadrout), tantôt de l’alyah (en privant les jeunes du Betar de certificats d’immigration). Elle a également visé l’apport du sionisme de droite à la fondation de l’État d’Israël, exclusion qui ne concerne pas seulement l’historiographie du sionisme (3), mais aussi les manuels d’histoire utilisés dans les lycées israéliens.

 

Depuis l’assassinat d’Arlosoroff (le 16 juin 1933) et jusqu’à nos jours,  cette fraction de la gauche sioniste s’est servie de la violence et des accusations de violence à des fins politiques - pour asseoir et maintenir son hégémonie (l’affaire Arlosoroff est survenue alors que le mouvement sioniste révisionniste était à son apogée) et elle a accusé ses adversaires, en recourant à la “reductio ad hitlerum” (bien avant que l’expression ne soit forgée par Leo Strauss au début des années 1950). La reductio a hitlerum, dont sont aujourd’hui victimes Israël et ses défenseurs sur la scène publique, est ainsi dans une large mesure une invention de cette gauche juive - sioniste et non sioniste -  à l’époque de Zeev Jabotinsky, que David Ben Gourion avait surnommé “Vladimir Hitler”.

 

Jabotinsky

 

Un exemple frappant, et presque ridicule, de cette confusion entre l’adversaire politique et l’ennemi nous a été donné dimanche dernier par la chanteuse Avinoam Nini, bien connue pour ses opinions radicales, qui a comparé Nétanyahou et… Haman, lors de la manifestation festive organisée par la gauche israélienne au lendemain de l’annonce du départ de B. Nétanyahou. Cette comparaison est d’autant plus choquante que Nétanyahou est sans doute le Premier ministre israélien qui a le plus œuvré pour protéger l’Etat juif contre les Haman modernes véritables que sont les dirigeants iraniens. Cet épisode révélateur montre précisément comment cette frange de la gauche à laquelle appartient la chanteuse confond Haman et Esther, réservant sa haine à ses adversaires politiques, tout en se montrant pleine d’indulgence envers nos ennemis. Il n’y a là, hélas, rien de nouveau sous le soleil.

Pierre Lurçat

NB Article paru sur le site Menora.info

1. Voir notamment l’article de Y. Nedava, “Ben Gourion et Jabotinsky”, dans Between two visions [hébreu] Rafael Hacohen éd. Jérusalem.

2. S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002. 

3. En hébreu, et aussi en français, Cf. mon article “Redonner à Jabotinsky son visage et sa place dans l'histoire du sionisme”, http://vudejerusalem.over-blog.com/2021/04/redonner-a-jabotinsky-son-visage-et-sa-place-dans-l-histoire-du-sionisme-pierre-lurcat.html

 

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La rédemption sociale : Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque, par Vladimir Zeev Jabotinsky

June 13 2021, 12:44pm

Posted by Jean Pierre Allali

La rédemption sociale : Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque, par Vladimir Zeev Jabotinsky

NB le livre La rédemption sociale de Jabotinsky est en vente à la librairie du Foyer de Tel-Aviv et chez Vice-Versa à Jérusalem. Ainsi que sur Amazon.

Pour le commun des mortels, le nom de Jabotinsky renvoie à la droite israélienne la plus dure. Et pourtant ! En lisant ce petit livre plein d’enseignements, on ne peut pas éviter de se dire : « Mais, finalement, Jabo, c’était un socialo ! ».

Né à Odessa en 1880, celui qui sera le fondateur du Bétar et de la Légion Juive, est mort à New York en 1940. Tel Moïse, il n’aura pas foulé la terre de l’État juif indépendant qu’il appelait de ses vœux.

On découvre que c’est lors de ses années de jeunesse passées à Rome que Jabotinsky va être exposé aux conceptions socialistes par le biais de son professeur, Antonio Labriola et du criminologue  Enrico Ferri. Il continuera de côtoyer les idées socialistes alors que, journaliste, il était chargé de couvrir les séances parlementaires de la Chambre des Députés au Palais Montecitorio de Rome. Dans son « Histoire de ma vie », il raconte : « À la tête de la gauche se trouvait le groupe parlementaire socialiste auquel je me joignis en pensée même si je n’y suis jamais entré de manière officielle… ».

Dans la pratique, Jabotinsky, est finalement déçu par « le contenu égoïste du concept de classe » et c’est dans la Torah qu’il trouvera le fondement de toute sa philosophie économique et sociale. Pour lui, la rédemption sociale de l’humanité qu’il espère avec, notamment la disparition de la pauvreté, repose sur le « Tikoun Olam », (Réparation du Monde). Un programme basé sur les « Cinq Mem ». Sans oublier le principe du « Yovel », le jubilé, « une tentative visant à instaurer un principe contraignant de révolutions sociales périodiques ». Les « Cinq Mem », ce sont « Mazon », « Maon », « Malbouch », « Moreh » er « Marpeh », c’est-à-dire : la nourriture, le logement, l’habillement, la possibilité d’éduquer ses enfants et celle de se soigner en cas de maladie..

Autre principe biblique rappelé par Jabotinsky, celui du « Péa ». « Quand vous moissonnerez la récolte de votre pays, tu laisseras la moisson inachevée au bout de ton champ » (Lévitique, 19-9).

Sans oublier l’essentiel : le principe juif du shabbat qui, tout compte fait, est à l’origine de la législation sociale moderne.

Très en avance sur son époque et véritablement prémonitoire, Jabotinsky envisage une ère où le robot remplacera l’homme pour une grande partie des tâches quotidiennes, entraînant une baisse drastique des heures de travail hebdomadaires.

Dès lors, « La crise de notre époque n’est pas tant, en réalité, une crise du « capitalisme », qu’elle n’est avant tout une crise du prolétariat. La machine rend l’ouvrier de plus en plus inutile… ».

Bref, se demande Jabotinsky : « Qu’est-ce qui est préférable ? Prévenir la misère ou bien la réparer ? »

Un petit livre. Mais quel souffle ! Remarquable !

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions de la Bibliothèque Sioniste. Présentation, traduction et notes de Pierre Lurçat. 64 pages.

http://www.crif.org/fr/content/lectures-de-jean-pierre-allali-la-r%C3%A9demption-sociale-%C3%A9l%C3%A9ments-de-philosophie-sociale-de-la

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CONFÉRENCE EN LIGNE - JEUDI 3 JUIN 19H00 - L’Etat juif selon Jabotinsky

June 3 2021, 07:59am

Posted by Pierre Lurçat

Après le succès de la première conférence de Pierre Lurçat sur Zeev Jabotinsky, l’OSM  l'invite à nouveau pour mieux vous faire connaître cet important dirigeant sioniste.

The Israeli Right: From Jabotinsky to Netanyahu - The Tikvah Fund

73 ans après la proclamation de l’État d’Israël, la question des liens entre État et religion et entre Juifs laïcs et religieux continue d'interpeller le public israélien. 

 

Jabotinsky, outre ses idées sur la politique et l'économie, a aussi élaboré une réflexion approfondie sur sa vision du futur État juif, et sur la place que la tradition juive devait y occuper. Sur ce sujet crucial, comme sur d’autres, sa réflexion est plus actuelle que jamais.

 

Rendez-vous jeudi 3 juin à 19h (FR) -  

 

INSCRIPTIONS http://bit.ly/Jabontinsky_et_la_religion

 



 

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