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“Israël, Etat à vendre”? la souveraineté d’Israël en danger

October 30 2022, 15:03pm

Posted by Pierre Lurcat

“Israël, Etat à vendre”? la souveraineté d’Israël en danger

Le livre que vient de publier Matan Peled explore un sujet crucial, rarement abordé par les médias israéliens : celui de l’implication d’ONG et de gouvernements étrangers dans la politique israélienne. Intitulé “Medina le-mekhira” (“Un Etat à vendre”), il est sous-titré “Si vous pensiez qu’Israël est un Etat souverain, pensez-y à deux fois”. Le sujet du livre est à la fois simple et complexe. C'est ainsi qu'il est exposé en couverture du livre : “Différents pays du monde – et en particulier les pays européens – transfèrent chaque année des dizaines de millions de shekels à des associations israéliennes pour qu’elles interfèrent dans la politique intérieure sur des sujets aussi importants que la lutte contre le terrorisme, l’émigration ou la politique de peuplement et l’intégration des minorités arabes et l’action de Tsahal”.

 

L'auteur, Matan Peled, 42 ans, dirige l’association Im Tirtsu (“Si vous le voulez”), qui lutte pour défendre le caractère juif et sioniste et la souveraineté de l’Etat d’Israël. Son livre décrit en détail l’activité de ces ONG (dont les plus connues sont Bt’selem et Breaking the Silence) et la manière dont elles permettent aux Etats européens de s’immiscer dans la politique israélienne, de manière très brutale et efficace, notamment au moyen de recours devant la Cour suprême financés et organisés par ces ONG.

 

L’aspect le plus étonnant à mes yeux n’est pas tant l’intervention de ces Etats étrangers (la soft-power est un aspect constant de la politique étrangère des différents pays, mais dans le cas d’Israël elle atteint un niveau rarement égalé dans aucun autre pays), mais plutôt le fait que celle-ci soit acceptée par l’Etat d’Israël comme allant de soi… Sans l’action de quelques organisations issues de la société civile israélienne, telles que NGO Monitor ou Im Tirtsu, l’action de ces ONG subversives et leur financement par des pays étrangers serait en effet totalement passés sous silence par les grands médias et par l’échelon politique en Israël. Pourquoi ?

 

La raison principale est liée à la “Révolution constitutionnelle” du juge Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême d’Israël. C’est en effet sous sa houlette que celle-ci est devenue le premier pouvoir en Israël (1). Ce n’est évidemment pas un hasard si la Révolution constitutionnelle a été concomitante à la période des accords d’Oslo, qui ont vu triompher en Israël les idées post-sionistes.  Quand la gauche israélienne a constaté qu’elle était devenue minoritaire dans l’opinion, elle a compris qu’elle pouvait néanmoins conserver son pouvoir en contournant les institutions démocratiques, à l’aide notamment de la Cour suprême, des médias et de l’université, largement acquises aux thèses post-sionistes.

 

Une autre raison, plus profonde, tient sans doute au fait que le peuple Juif a longtemps vécu dans l’exil et la dispersion, privé de souveraineté et de la capacité d’être maître de son destin. Comme l’a dit un dirigeant israélien célèbre, ‘il est plus difficile de faire sortir l’exil du Juif que de faire sortir les Juifs de l’exil”. Nous avons certes retrouvé notre souveraineté en terre d’Israël et édifié un Etat modèle à de nombreux égards, mais il reste encore beaucoup à accomplir, dans de nombreux domaines. Un domaine crucial pour notre avenir est précisément celui de la souveraineté. Comme je l’écrivais au lendemain des émeutes de l’an dernier dans les villes mixtes israéliennes, les Arabes d’Israël doivent apprendre à être une minorité dans un Etat juif, et les Juifs doivent apprendre à être une majorité et à se comporter comme tels, dans un Etat juif souverain et fier. Puisse le résultat des prochaines élections aller dans ce sens !

Pierre Lurçat

 

1. Je renvoie sur ce sujet à mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, paru dans la revue Pardès, mai 2022.

“Israël, Etat à vendre”? la souveraineté d’Israël en danger

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Face au terrorisme, l’erreur tragique de la justice israélienne, Pierre Lurçat

April 3 2022, 06:39am

Posted by Pierre Lurçat

 

La nouvelle vague de terrorisme qui frappe Israël ne remet pas seulement en cause la sécurité quotidienne des Israéliens, mais elle interroge la validité du modèle israélien de lutte antiterroriste, dont la réputation n'est plus à faire. Confronté au terrorisme depuis de nombreuses décennies, l'État hébreu peut compter sur l'excellence de ses services de sécurité et de renseignements, sur la détermination de ses dirigeants à éradiquer la menace terroriste et sur la résilience de sa société civile.

 

Un élément vient toutefois assombrir ce tableau et constitue en quelque sorte le maillon faible d'Israël - mais aussi d'autres pays et notamment de la France - face au terrorisme djihadiste. Ce maillon faible est celui de la justice. Pour s'en convaincre, il faut lire les premiers éléments de l'enquête sur l'attentat de Bnei Brak, qui a fait cinq victimes. Son auteur avait été emprisonné il y a quelques années, après avoir projeté un attentat suicide. Pourtant, le tribunal militaire a fait preuve à son égard d'une clémence stupéfiante, en acceptant un "plea bargain" aux termes duquel le terroriste en puissance n'a passé que deux ans et demi derrière les barreaux, avant d'être libéré et de pouvoir mettre à exécution ses projets criminels.

 

Attaque mortelle en Israël : "On ne pensait pas qu'un attentat pouvait  avoir lieu ici", témoigne une habitante de Bnei Brak, près de Tel-Aviv

La justice militaire israélienne n'est pas réputée pour être spécialement laxiste et elle prononce souvent des peines de prison à perpétuité contre les terroristes palestiniens. Comment expliquer sa clémence dans le cas de Diaa Hamarsheh? Le journal Ha’aretz nous donne quelques éléments de réponse. Lors du procès de 2013, le tribunal a été convaincu par les réquisitions du procureur et par la plaidoirie de l'avocat de l'accusé et lui a accordé une "seconde chance". Le juge a même été jusqu’à considérer que Dia Hamarsheh avait été “victime d’une escroquerie”, n’ayant pas reçu du Djihad islamique la ceinture explosive qu’il avait payée…. 

 

Plus qu'une simple erreur d'appréciation presque comique, il y a là un défaut de compréhension, dont les conséquences se sont avérées tragiques. La clé de cette incompréhension du phénomène terroriste de la part de la justice israélienne est donnée par le dernier roman de Karine Tuil, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes. L'erreur du juge israélien est en effet partagée par ses collègues français, comme la juge antiterroriste héroïne du livre La décision. Comme elle, il croit que le terrorisme de l'État islamique s'apparente à la criminalité de droit commun et que le rôle de la justice est de permettre aux criminels de s'amender, en leur offrant une seconde chance.

 

Cette conception erronée ne relève pas seulement de la politique pénale, mais procède plus fondamentalement d'une vision de l'homme qui nie la possibilité même du mal radical, en considérant que les terroristes, même les plus extrémistes, peuvent être ramenés dans le droit chemin. Cette erreur philosophique s'avère lourde de conséquences, en Israël comme en France. Face au terrorisme, le présupposé d'humanité des criminels se retourne contre leurs victimes. Comme dit le Talmud, " la pitié pour les méchants fait tort aux justes".
 

Pierre Lurçat

Article paru dans Causeur

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Quand Isaac Bashevis Singer visitait Israël

February 14 2022, 18:20pm

Posted by Pierre Lurçat

N.B. Article publié dans Causeur

Les grands écrivains continuent de publier après leur mort… C’est la réflexion en forme de boutade que je me suis faite en lisant le dernier livre d’Isaac Bashevis-Singer, qui vient d’être publié en hébreu, traduit du yiddish (1). Il s’agit d’un carnet de voyages en Israël, rédigé en 1955 sous forme d’articles pour le journal Forverts, et qui offre une vision étonnante, non seulement de l’Etat d’Israël des premières années, mais aussi (et surtout) de la manière dont le grand écrivain yiddish a perçu l’Etat juif renaissant. 

Parti de Marseille avec sa femme sur le Artsa, Bahevis-Singer débarque à Haïfa en septembre 1955. D’emblée, il est sous le charme et ne cache pas son émotion. “Combien limpide la ville apparaît depuis notre bateau ! Tellement ensoleillée et lumineuse. C’est sans doute à cela que ressemblera un jour la Résurrection des morts. La terre s’ouvrira et en sortiront des jeunes hommes et des jeunes femmes aux joues roses, un sourire dans les yeux”. Il se rend ensuite à Tel-Aviv, accompagné de l’écrivain Itshak Perlov. 

« Pour qui vais-je voter ? », affiches de campagne électorale sur un mur de Tel-Aviv, Tel Aviv, 1955. Moshe Pridan – Courtesy of the GPO (Government Press Office)

Ce qui le frappe dès les premiers instants (comme beaucoup de visiteurs juifs découvrant Israël), c’est l’omniprésence de la culture et de l’histoire juive, jusque dans les noms des rues, comme il le rapporte avec sa malice habituelle : “Le Juif allemand qui habite ici est sans doute un peu snob, mais son adresse est rue Chalom Aleichem. Et il est ainsi obligé, plusieurs fois par jour, de répéter ce nom…” Ainsi, l’identité juive devient en Israël une réalité à laquelle nul ne peut échapper, y compris chez les Juifs les plus assimilés. Et, de manière moins anecdotique, il observe encore : “Comme ce fut le cas au Mont Sinaï, la culture juive – au sens le plus profond – s’est imposée aux Juifs en Israël et les interpelle : Vous devez m’adopter, vous ne pouvez plus m’ignorer, vous ne pouvez plus me dissimuler”. 

Le périple israélien de Singer le mène aux quatre coins du pays (qui est alors très petit, dans les frontières d’avant 1967) : à Jérusalem et à Beer-Sheva, à Safed et dans le Néguev. Il rencontre des personnalités et des gens de la rue, des écrivains et des hommes politiques. Sur le bateau déjà, il a été frappé par la piété des Juifs tunisiens, et en Israël aussi, il découvre le peuple Juif dans sa diversité ethnique et culturelle. Visitant des ma’abarot (camps de transit où sont installés les Juifs venus d’Afrique du Nord dans des conditions très difficiles), il ne se départit pas de son regard plein d’humanité et d’optimisme : “Les Juifs ici ont l’air à la fois en colère et plein d’espoir. Ils ont beaucoup de récriminations à l’encontre des dirigeants israéliens. Mais ils doivent s’occuper de leurs propre vies. Leurs enfants iront dans des écoles juives. Ils font d’ores et déjà partie du peuple. Bientôt on les retrouvera dans des ministères et à la Knesset”. 

 

Singer devant l’immeuble du Forwerts à New York, années 1950. Crédit David Attie

Singer est particulièrement séduit par Tel-Aviv, dont il sait apprécier – contrairement à d’autres voyageurs – la beauté et le style architectural. “Elle est à mes yeux une ville très belle, construite avec beaucoup de soin et de goût. Les maisons y sont claires et les balcons adaptés au climat subtropical et enchanteur. Oui, c’est enchanteur comme une pluie d’été”. On comprend que l’écrivain né en Pologne et installé à New-York apprécie le charme de la première ville juive construite sur les dunes… “Tout exprime ici l’ouverture, la bénédiction et la paix. Il n’y a pas une once de snobisme dans cette ville. Elle est tout entière comme une grande auberge juive”. A Safed, il rencontre des combattants de la guerre d’Indépendance.

Sa visite à Jérusalem ne lui laisse pas, par contre, une impression très forte. Mais c’est du kibboutz Beit Alfa qu’il rapporte les sensations les plus marquantes. Il s’y rend avec sa seconde femme, Alma, pour rendre visite à son fils Israël Zamir, qui vit en Israël depuis 1938 (2). C’est là, au pied du mont Gilboa, dans ce kibboutz fondé par l’Hachomer Hatzaïr (dont son fils est membre), que Singer partage un repas shabbatique dans le réfectoire commun et qu’il fait sans doute l’expérience la plus forte de son séjour. “Si c’était un kibboutz religieux, la femme allumerait les bougies et le mari se rendrait à la synagogue pour accueillir le shabbat. Mais ici, c’est le soleil qui allume les bougies. Il colore les monts alentour d’une rougeur merveilleuse, l’éclat de bougies de shabbat célestes… La transition entre le jour et la nuit est rapide. 

Il y a un instant encore, le soleil était rouge flamboyant, et voici que les étoiles apparaissent dans l’obscurité. Nuit de shabbat. J’ai un sentiment étrange – ici, on ne peut pas profaner le shabbat. Il est là, empreint de sa sainteté intrinsèque. Ici, le shabbat se sent chez lui, et ces jeunes gens et jeunes filles professant l’athéisme ne parviennent pas à le chasser”. L’écrivain est également frappé par le courage des habitants du kibboutz: “L’ennemi peut attaquer de toutes parts, du Nord, du Sud, de l’Est… Mais le visiteur en Israël est gagné par la bravoure partagée par tous les Juifs du pays, une sorte de courage qu’il est difficile d’expliquer”. 

Quelle aurait pu être la carrière littéraire de Bashevis-Singer, s’il avait décidé de rejoindre le jeune Etat juif et d’en devenir citoyen ? Quelle aurait pu être sa contribution aux lettres israéliennes, et comment sa carrière littéraire en aurait-elle été modifiée ? Autant de questions auxquelles seule l’imagination permet de répondre. Souhaitons que ce beau livre soit également traduit en français. 

Pierre Lurçat

1. Les voyages de Bashevis en Eretz Israël, éditions Blima, Berlin-Jérusalem 2021.

2. Israël Zamir, abandonné par son père alors qu’il était enfant, a raconté son expérience dans un livre autobiographique, Mon père inconnu, Isaac Bashevis Singer.



 

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Au-delà du mythe de l’État d’apartheid : Israël, État égalitaire et démocratique

February 7 2022, 15:49pm

Posted by Pierre Lurçat

 

L’apartheid n’existe pas en Israël. Les non-Juifs en général et les Arabes en particulier jouissent de droits identiques à ceux des Juifs. Ils votent à la Knesset et y sont élus, et ils jouissent des mêmes droits civiques, politiques, sociaux et économiques que tous les autres citoyens. Israël n’est pas un État juif au sens ethnique, c'est-à-dire au sens où tous ses habitants seraient juifs, mais un État dont la population est diverse et hétérogène, et dont la majorité est juive. L’exigence d’une majorité juive, inscrite dans le programme sioniste bien avant 1948, tenait à la volonté de créer un État (le seul!) dans lequel les Juifs seraient la majorité. Comme l’écrit Emmanuel Lévinas, “l’idée inaliénable” du sionisme politique, “c’est la nécessité pour le peuple juif de ne pas continuer à être minorité dans son cadre politique”[1]. Le refus de cette exigence trahit le refus arabe de l'existence même de l’État d’Israël, c’est-à-dire le refus de la souveraineté juive, pour des raisons profondes tenant tant à l’histoire du monde arabe qu’à la conception de la dhimma.

 

(Photo Ben Goldstein, reprise de l’excellent blog Bokertovyerushalayim)

             Le seul “apartheid” qu’on peut constater en Israël, si tant est que cette expression ait un sens, vise non pas les citoyens arabes, mais bien plutôt les Juifs. Ce sont les Juifs qui ne peuvent pas se rendre dans les territoires passés sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, devenus “judenrein” de manière tout à fait officielle, au nom de la “paix”. Des pancartes rouges préviennent d’ailleurs les automobilistes juifs, sur les routes de Judée Samarie - les fameuses “routes de l’apartheid” dénoncées par les militants antisionistes - qu’ils ne doivent pas pénétrer dans les territoires de l’AP, sous peine d’y risquer leur vie. Dans le même ordre d’idées, on peut constater qu’il existe en Israël des compagnies d’autobus israéliennes (comme Egged ou Dan) dans lesquelles chacun peut voyager, sans aucune distinction ethnique ou nationale (les chauffeurs d’Egged étant indistinctement juifs, arabes ou druzes). Dans les compagnies d’autobus arabes, en service notamment à Jérusalem, ne voyagent que des habitants arabes. Ce que signifient ces exemples - choisis parmi d’autres - c’est que la vie quotidienne en Israël dément tous les clichés et slogans de l’antisionisme, largement répandus par les médias occidentaux. En Israël règne une égalité de droits totale entre citoyens juifs, arabes, druzes, circassiens, etc. A cet égard, l’État juif offre un modèle de pluralisme et de coexistence inter-ethnique, dont de nombreux pays occidentaux pourraient s’inspirer.

 

             La réalité ontologique, et phénoménologique de l’État juif (ou pour dire les choses plus simplement, la réalité de l’État d’Israël tel qu’il existe, tout comme la nature du projet sioniste) apportent un démenti cinglant aux critiques antisionistes visant sa nature supposément “raciste” et à la comparaison avec l’apartheid sud-africain. Lisons à ce sujet les remarques d’Elhanan Yakira, répondant à la qualification de “démocratie ethnique” (ou ethnocratie) [2]: “C’est faux, pour deux raisons principales : d’abord, le peuple juif n’est pas un ethnos. La communauté juive d’Israël - et il suffit de faire un tour rapide de Jérusalem pour s’en rendre compte - n’est pas une communauté ethnique. Elle n’est pas une communauté religieuse non plus… Parler du qualificatif “juif” comme ayant essentiellement une signification religieuse et/ou ethnique est une simplification, voire une abjection par rapport à la réalité”. Juif, dans l’expression “État juif” signifie un fait national dans le sens politique du mot”.

Cette réalité s’illustre sur le plan démographique dans la présence en Israël de plusieurs centaines de milliers de citoyens qui ne sont pas Juifs sur le plan de la halakha (loi religieuse juive), venus de l’ex-URSS et des autres pays d’Europe de l’Est. Elle s’illustre aussi, sur le plan idéologique et historique, dans les textes fondateurs du sionisme politique, et notamment dans ceux du père fondateur du mouvement national juif moderne, Theodor Herzl.

 

 

L’idéal de tolérance et d’égalité du fondateur du sionisme politique

Rappelons ici les deux ouvrages essentiels du fondateur du sionisme politique : Altneuland et l’État juif . Le premier, roman utopique écrit dans le style des romanciers futuristes du 19e siècle, comme Jules Verne (dont Herzl partageait la foi en la science, émancipatrice de l’humanité), décrit le futur État juif, pays à la fois ancien et nouveau, “nouvelle société” établie “sur notre chère vieille terre”. Dans un passage clé du roman, David Littwak, futur président de l’État (qui ressemble à Herzl lui-même) décrit ainsi l’idéal de tolérance du futur pays ancien-nouveau : 

“Pour ce qui est de la religion, vous trouvez à côté de nos temples les lieux de culte des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes et des brahmanes. Permettez-moi de vous dire que mes compagnons ne font aucune différence entre les hommes. Nous ne demandons à personne à quelle religion et à quelle race il appartient. Il est un homme, cela nous suffit”. Cet idéal de tolérance est aussi exprimé dans la devise figurant sur le fronton du Palais de la Paix, un des deux édifices construits au centre de la nouvelle Jérusalem imaginée par Herzl (aux côtés du Temple) : “Nil humani a me alienum puto” (“Rien de ce qui est humain ne m’est étranger”, devise empruntée au poète latin Térence).

Dans le second livre, L’État juif, ouvrage programmatique qui décrit, avec une exactitude de visionnaire, le futur État d’Israël, Herzl écrit ce qui suit : “S’il se trouve parmi nous des fidèles appartenant à d’autres religions ou à d’autres nationalités, nous leur garantirons une protection honorable et l’égalité des droits”. Le traducteur du livre, Claude Klein, professeur de droit à l’université hébraïque de Jérusalem, note que cette vision égalitaire est reprise dans un passage du Journal de Herzl, intitulé : “Mon testament pour le peuple Juif”, dans les termes suivants : “établissez votre État de sorte que l’étranger s’y sente bien” .

Ce testament politique et cet idéal sont devenus une réalité dans l’État d’Israël aujourd’hui, où l’étranger se sent bien, comme en atteste l’afflux de travailleurs étrangers venus des quatre coins de la planète, pour travailler dans l’hôtellerie, les services aux personnes, la construction où l’agriculture, mais aussi dans le high-tech ou l’immobilier. Non seulement les étrangers se sentent bien en Israël, mais les Arabes eux-mêmes s’y sentent mieux que dans la plupart des pays arabo-musulmans, au point que les Arabes israéliens, généralement bien intégrés au sein de l’État juif, n’échangeraient pour rien au monde leur statut actuel contre celui de citoyens d’un futur et hypothétique État palestinien, dans lequel leur situation politique, sociale et économique serait bien moins confortable, comme ils ne l’ignorent pas

Si l’État d’Israël est devenu un modèle d’égalité, il est également un îlot de tolérance et de démocratie au sein du monde arabe, où l’intolérance et l’autoritarisme règnent encore trop souvent, malgré de récents signes d’évolution encourageants ici et là. Contrairement au mythe de “l’État d’apartheid”, Israël encourage et favorise la coexistence pacifique entre différentes ethnies, races et religions, tandis que ce sont souvent des États musulmans qui ont développé la haine de l’étranger, des non-musulmans et des Juifs en particulier. 

Citons à cet égard la confidence faite à Jean Daniel par deux dirigeants du FLN, à la fin de la guerre d’Algérie, qui lui expliquaient que “l’Algérie serait arabe et musulmane et qu’il n’y aurait aucune place pour les non musulmans” .  Ce programme a bien été appliqué, avec constance, dans le nouvel État algérien, aujourd’hui judenrein, à l’instar de nombreux États de l’espace arabo-musulman. Car le monde arabo-musulman vit encore, en grande partie – même si des signes de changement se font jour dans certains pays - à l’heure de la dhimma, ce statut d'infériorité imposé aux non-musulmans depuis les débuts de l'islam.

Comme l’explique Georges Bensoussan  : “Le statut du dhimmi n’a jamais disparu des consciences. Il tapisse l’imaginaire d’une partie des musulmans à l’endroit des Juifs. Quand bien même la liste (fort longue) des obligations auxquelles est soumis le sujet juif (et chrétien) n’a pas toujours été appliquée. Savoir qu’elle existe érige une digue entre les uns et les autres, qui rend l’égalité inconcevable. La soumission du Juif demeure le maître mot de cet univers mental”.

Pierre Lurçat

 


[1] E. Lévinas, L’au-delà du verset, lectures et discours talmudiques, éd. de Minuit 1982, p. 14.

[2] E. Yakira, Post-sionisme, post-Shoah, op. cit. p. 59.

NB L’article ci-dessus est extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, fondé sur le cours donné en 2019-20 dans le cadre de l’Université populaire du judaïsme dirigée par Shmuel Trigano. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Lurçat présente le livre au micro de Cathy Choukroun sur RADIO QUALITA

 

https://www.youtube.com/watch?v=T5aGrpsaHI4

 

“Une des plus grandes dames de la scène politique israélienne…”

Ilana Ferhadian, RADIO J

 

https://www.youtube.com/watch?v=iiJLxxXn3-M

 

On éprouve du bonheur à lire ces pages où la famille apparaît comme un puissant socle”.

Olivier Ypsilantis, Zakhor Online

 

“La biographie la plus précoce de la« grand-mère d’Israël », avec

une riche préface offrant un éclairage enrichissant”.

 

Liliane Messika

 

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« Bande de Gaza emmurée » : les vérités occultées de Christian Chesnot, par InfoEquitable

December 16 2021, 11:02am

Posted by InfoEquitable

Prétendant expliquer la situation à la frontière de Gaza à l’aide d’une photo du nouveau mur de sécurité construit par Israël, Christian Chesnot occulte la réalité du conflit armé déclenché par le Hamas et accuse Israël d’emmurer les Palestiniens. Troisième volet de notre enquête sur la manière dont France Culture traite du conflit israélo-palestinien.

L’article publié la semaine dernière sur le site de France Culture et signé Christian Chesnot, intitulé « La bande de Gaza emmurée, les Palestiniens occultés », apporte des éléments de réponse à une question souvent posée, au sujet de la couverture médiatique d’Israël par les médias français : celle de leur bonne foi.

Dans son travail de rectification, InfoEquitable se contente le plus souvent de rétablir la réalité des faits, sans s’interroger sur les motivations idéologiques des médias concernés et sur leur bonne foi. Parfois, cependant, il est difficile de leur accorder le bénéfice du doute.

Ainsi, quand Christian Chesnot prétend analyser la politique sécuritaire d’Israël, face aux attaques incessantes menées par le Hamas et les autres groupes djihadistes depuis la bande de Gaza, en prenant pour seul élément d’information « une photo de Menahem Kahana de l’AFP », il se livre à un exercice périlleux pour la déontologie journalistique.

Certes, « une image vaut mille mots », comme dit l’adage. Mais que dit en réalité la photo de l’AFP, intitulée « Trois soldats israéliens devant le nouveau mur qui ceinture la bande de Gaza », et surtout que ne dit-elle pas de la réalité du conflit armé entre Israël et le Hamas ?

 

 

Pour répondre à cette question, nous n’avons pas eu à chercher bien loin. La réponse figure en effet dans un autre article signé Christian Chesnot sur le même site de France Culture, et publié le 25 mai 2021.

 

 

Dans cet entretien, fort intéressant et documenté, l’interlocuteur de Christian Chesnot, Michel Goya, ancien colonel d’infanterie de marine et analyste militaire, explique notamment que « le Hamas est bloqué et ne peut pas envahir Israël ! ».

En effet, poursuit-il, « Israël est protégé par une barrière physique qui empêche les incursions terrestres et par une barrière anti-aérienne qui empêche en grande partie les frappes aériennes ». Effectivement, la barrière construite par Israël est le complément de l’infrastructure anti-aérienne (les batteries de missiles anti-missiles Patriot) déployée par l’Etat hébreu tout autour de la bande de Gaza : elle est de nature purement défensive.

Christian Chesnot le reconnaît d’ailleurs explicitement au détour d’une phrase, dans son article du 11 décembre, en expliquant qu’« après trois ans de travaux, cette barrière sécuritaire est pourvue de centaine (sic) de caméras, de radars et d’autres capteurs destinée (sic) à empêcher toute infiltration vers Israël ».

 

Du registre de l’information à celui de la littérature

Mais cet aveu est aussitôt contredit par la suite de l’article, où il écrit notamment, citant le photographe palestinien Ammar Abd Rabbo, que « Le cliché de Menahem Kahana revêt une dimension intemporelle et universelle. Où sommes-nous ? Sur quelle planète ? « Ce qui me frappe, c’est le manque d’horizon qui est bouché, comme pour signifier qu’il n’y avait (sic) pas d’avenir pour la population palestinienne de l’autre côté du mur. » Cette dernière semble avoir disparu ».

Avec cette envolée lyrique et malgré les fautes d’orthographe, nous ne sommes plus, de toute évidence, dans le registre de l’information, mais dans celui de la littérature.

L’article développe ensuite le thème bien connu du malheur palestinien  De l’autre côté de la barrière de béton, 2 millions de Palestiniens survivent dans un territoire de poche, miné par la pauvreté et le désespoir »), sans jamais poser la question de savoir qui est responsable de cette situation. La conclusion de cet article à charge est à l’avenant : « Pour sortir de l’enclave, les Palestiniens ne disposent que d’une seule issue au sud, celle du terminal de Rafah, qui débouche sur le territoire égyptien… Ainsi va la vie des Gazaouis, dont le quotidien est coincé entre la Méditerranée, la frontière égyptienne et le nouveau mur israélien ».

Le journaliste (et ancien otage) Christian Chesnot* est donc parfaitement informé de la nature défensive et des justifications militaires de la barrière construite par Israël autour de Gaza.

Mais il préfère néanmoins la décrire à partir d’une image – nécessairement tronquée – de la réalité, celle que lui fournit la photo de l’AFP. Photo sans contexte, qui s’adresse à l’émotion plutôt qu’à la raison.

France Culture, une fois de plus, a donné le pas à l’émotion sur la réflexion, aux clichés (photographiques et journalistiques) sur les analyses et au narratif palestinien sur l’objectivité.

*  Christian Chesnot, grand-reporter à France Inter, est coauteur d’un livre intitulé Palestiniens 1948-1998, Génération Fedayin : de la lutte armée à l’autonomie (Autrement 1998).

 

A lire également, les deux premiers volets de notre enquête France Culture et Israël :

(I): Un discours antisioniste dans «Répliques»

(II): Architecture et mise en accusation de l’Etat juif

 

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Auteur : InfoEquitable. Si vous souhaitez reproduire cet article, merci de demander ici une autorisation écrite préalable.

Image : Flickr CC BY 2.0 Rob Pierson

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Sarah, Eric, Alain et les autres… Lettre à trois Juifs inaccomplis, à la veille de Yom Kippour, Pierre Lurçat

September 15 2021, 10:08am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans quelques heures, le soleil descendra à l’horizon et tout notre pays sera plongé dans l’atmosphère incomparable de la Journée la plus sacrée du calendrier juif, Yom Kippour. Chez nous, en Israël, cette journée a - plus encore que les autres fêtes - une saveur bien particulière qu’on ne peut ressentir qu’ici, dans notre pays ancien-nouveau, sur notre grande et petite terre que le monde entier nous dispute et vers laquelle se tournent à chaque instant les yeux de tous… C’est le moment que je choisis pour m’adresser à vous, trois Juifs de France, trois “coreligionnaires” - comme on disait autrefois - expression désuète et trompeuse, car ce que nous partageons a peu à voir avec la “religion”.

 

 

Je commencerai par vous, Sarah. Lorsque j’ai entendu parler de vous dans les médias, et que j’ai lu votre déclaration, “Je suis de confession juive, mais je me sens de culture chrétienne. Chez moi, Charles Péguy est aussi important que la Torah…”, je n’ai pas tant été choqué qu’ému et aussi un peu attristé. Car voyez-vous, j’aurais pu dire la même chose quand j’avais 15 ans. J’ai grandi, comme vous, dans une maison où la culture française était bien plus importante que la culture juive. J’ai vibré en lisant les pages de Gaston Bonheur sur l’histoire de France, et je me suis identifié à ses héros, à Clovis et à Jeanne d’Arc, bien plus qu’à ceux de l’histoire d’Israël dont j’ignorais jusqu’au nom.

C’est pourquoi j’éprouve une certaine sympathie pour votre sincérité et pour votre parcours. Comme vous aussi, j’ai étudié dans les meilleures écoles et lycées parisiens, et j’aurais sans doute pu choisir moi aussi de faire carrière dans la fonction publique. Si j’ai pris une autre voie, c’est uniquement parce que j’avais assez jeune reçu le vaccin sioniste, qui m’a inoculé contre la maladie de l’assimilation et de l’exil. Je me souviens encore de l’émotion ressentie, à vingt ans, en lisant les mots toujours actuels de Theodor Lessing, philosophe juif allemand qui parlait de ces “Jeunes Juifs qui préfèrent embrasser des carrières judiciaires ou littéraires… au lieu de porter des pierres sur la route de Jérusalem” (1). La première fois que j’ai lu son livre-testament, j’ai su immédiatement que telle serait ma vocation, et que j’irais - tout comme mon grand-père, le Haloutz - “porter des pierres” sur la route de Jérusalem, où je vis depuis bientôt trente ans.

 


Mon grand-père, Joseph Kurtz

Je comprends que vous ayiez fait le choix inverse, et je souhaite que vous réussissiez dans vos entreprises, sans toutefois oublier que vous êtes une “Bat Israël”, une fille de notre peuple. En lisant le nom de Péguy, j’ai évidemment pensé à un autre de nos “coreligionnaires”, Alain Finkielkraut. Modèle de l’assimilation judéo-française, fils d’émigrés venus de Pologne comme mes grands-parents, qui est entré à l’Académie française. Qui n’a pas été ému en écoutant votre discours, Alain, dédié à vos parents et grands-parents, en vous entendant évoquer votre “nom à coucher dehors, (qui) est reçu aujourd’hui sous la coupole de l’institution fondée, il y aura bientôt quatre siècles, par le cardinal de Richelieu”... Moi aussi, cher Alain, j’ai comme vous “appris à honorer ma langue maternelle qui n’était pas la langue de ma mère” et le nom de Richelieu évoquait bien plus de souvenirs à mon oreille (les romans d’Alexandre Dumas qui ont enchanté mon enfance) que ceux du roi David ou du prophète Jérémie… 

 

Mais je suis bien conscient de la tragédie que cela représente, pour moi, et pour notre peuple. Que des enfants juifs de Paris, de New York ou de Moscou grandissent loin de notre tradition, de notre histoire et de notre peuple, voilà la tragédie, qui a pour nom assimilation… Quand je lis sous votre plume, que “J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle, et que son « après » n’avait rien d’attrayant”, je ne peux évidemment que souscrire à cette déclaration d’amour. Je ne fais pas partie de ceux qui ont quitté la France comme on quitte un navire en perdition. Non! J’ai suivi avec inquiétude, depuis trois décennies, le long enfoncement de mon pays d’enfance dans le marasme politique et idéologique où elle se trouve aujourd’hui plongée. J’ai même écrit quelques livres pour éclairer mes anciens compatriotes sur les dangers de l’islam politique. 



 

 

Je partage donc votre inquiétude et votre amour, cher Alain. Mais j’ai depuis lors renoncé à l’illusion de croire que c’était à nous, Juifs, qu’il appartiendrait de sauver la France contre ses démons et d’être en quelque sorte les derniers Français de France… Et cela m’amène à vous, Eric. Je suis votre engagement avec intérêt et je n’éprouvais pas jusqu’à récemment la répulsion que votre nom provoque chez certains. Que vous soyez un patriote français ne me choque pas du tout. Après tout, quitte à rester en France, autant que cela soit avec conviction et avec la volonté de tout faire pour que ce pays reste fidèle à son histoire et à ses traditions. 

 

Là où je ne vous suis pas, c’est lorsque vous vous identifiez totalement et sans réserve à cette histoire et à ces traditions, sans voir ce qu’Alain déclarait en entrant sous la Coupole : “C’est de France, et avec la complicité de l’État français, que mon père a été déporté...Le franco-judaïsme a volé en éclats,  les Juifs qui avaient cru reconnaître dans l’émancipation une nouvelle sortie d’Égypte, ont compris qu’ils ne pouvaient pas fuir leur condition”.  (Si seulement l’auteur de ces paroles en avait tiré toutes les conséquences…)

 

 

J’ai été choqué comme tout Juif qui se respecte par votre dernière sortie et par vos paroles malencontreuses, dans lesquelles vous faites reproche aux familles Sandler et Monsonego d’avoir enterré leurs enfants assassinés en Israël. J’ai repensé en lisant vos phrases choquantes aux mots de Péguy, ce grand Français que vous trois, Eric, Alain et Sarah, lisez et appréciez ; “Heureux ceux qui sont morts pour une terre charnelle, mais pourvu que ce fût dans une juste guerre”... Ces mots qui me touchent comme vous n’évoquent pas pour moi les morts de Sedan ou de Verdun, mais ceux de Massada et de Tel-Haï. Ils m’évoquent un héros juif, Yossef Trumpeldor, qui a écrit d’autres mots impérissables : “Tov la-mout béad Artsénou”, “Il est bon de mourir pour son pays”.

 

Or voyez-vous, cher Alain, Eric et chère Sarah, s’il est bon de mourir pour son pays, encore faut-il ne pas se tromper de pays. Si les parents des enfants Sandler et de la petite Myriam Monsonégo ont choisi d’enterrer leurs enfants dans la terre d’Israël, ce n’était pas par mépris pour la France et son histoire, mais plus simplement parce qu’ils avaient compris dans leur chair ce que vous vous refusez tous les trois à admettre, en dépit de votre érudition et de vos écrits savants. L’histoire de France n’est pas la nôtre, sa terre n’est pas mienne et son avenir n’est pas celui du peuple Juif. 

 

 

Que vous ayiez choisi de croire au “Destin français”, cher Eric, et de servir la France par vos écrits, cher Alain, et par votre carrière, chère Sarah, ne peut effacer cette réalité que Lévinas et Jankélévitch connaissaient bien, il y a déjà de nombreuses années. On peut échapper au destin juif - vécu par certains comme un malheur - en voulant épouser l’histoire, la culture et le destin d’un autre peuple. On peut être un bon Juif français, et même devenir un “Français d’origine juive”, mais on ne peut, pour vous citer, cher Alain, échapper à “l’irrémissibilité de l’être juif” (2). On peut par contre, refuser le malheur juif pour choisir le “dur bonheur d’être Juif” (André Neher) et assumer librement sur notre Terre retrouvée la vocation juive et israélienne. Gmar Hatima tova.

Pierre Lurçat

1. In Th. Lessing, La haine de soi juive. Je cite de mémoire.

2. L’expression est d’Emmanuel Lévinas.

 

 

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

August 19 2021, 10:53am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

Pierre Lurçat : Vous avez visité Israël plusieurs fois et séjourné dans des bases de Tsahal en tant que volontaire de Sar-El. Votre intérêt pour la cause juive n’est pas purement livresque et intellectuel. Qu’est-ce qui vous attire en Israël ?

 

Olivier Ypsilantis : Je me suis toujours rendu en Israël pour y faire quelque chose, et je m’y rendrai toujours avec la même intention. Israël n’est pas pour moi un pays de tourisme. Je n’y viens pas simplement pour marcher sur les pas de Jésus ou pour visiter le tombeau de Rachel ; et je respecte infiniment Jésus et Rachel. Je pourrais me contenter de faire du tourisme aux Seychelles ou à Bali, mais je n’ai pas de temps à perdre et aller promener ma personne sous les cocotiers le long d’une plage ne me convient qu’un jour et encore.

En Israël, la présence juive m’intéresse plus que les autres. Je m’intéresse bien sûr aux autres présences dans cet espace plus disputé que n’importe quel espace au monde et où tout est tellement imbriqué. Mais j’insiste, en Israël la présence juive m’intéresse plus que toutes les autres. A ce propos, peu savent (ou ne veulent pas savoir) que la présence juive sur cette terre a été continue, plus ou moins marquée (au plus bas durant la période chrétienne), mais continue. L’exil n’a pas vidé Israël de ses Juifs, avec une période d’environ deux mille ans d’absence totale puis un retour soudain après la Shoah. Cette image fausse où la propagande et l’ignorance se donnent la main doit être détruite. Presque personne n’a entendu parler du Yichouv, de ce proto-État qui a précédé et annoncé l’État d’Israël. Presque personne ne connaît l’histoire des Juifs de Safed et de Tibériade. Presque personne ne connaît la fabuleuse histoire de Doña Gracia (Gracia Nasi), marrane d’origine espagnole née à Lisbonne au début du XVIe siècle. Et ainsi de suite.

Et en Israël, c’est surtout l’Israël d’aujourd’hui que j’aime, Israël bien vivant, un pays très ancien mais qui n’a pourtant que quelques décennies. J’aime Jérusalem mais je préfère Tel Aviv. Cette préférence ne s’appuie en rien sur une opposition laïcité/religion. J’ai exposé (trop brièvement il est vrai) mon immense intérêt pour le judaïsme. Ma préférence prend appui sur autre chose. Tel Aviv est une ville infiniment émouvante. C’est une ville exclusivement juive, née du sable, de rien, de presque rien. Certes, il y avait cette ville antique, Jaffa, contre laquelle Tel Aviv a pris appui pour se développer vers le nord, jusqu’au fleuve Yarkon et au-delà, mais cette ville est bien née de presque rien. Il faut visiter le musée du peintre Reuven Rubin, à Tel Aviv, pour apprécier la naissance et la croissance de cette ville.

 

Les débuts de Tel Aviv par Reuven Rubin

 

Il y a longtemps, et avant même d’entreprendre mes études, que le Bauhaus me passionne. Le Bauhaus est le phénomène artistique le plus important dans l’Europe du XXe siècle, et je pèse mes mots. Le Bauhaus en architecture a pensé comme personne l’union de la fonctionnalité et la beauté par les seules proportions. Les Juifs de ces années, en Israël, n’avaient pas de temps et d’argent pour les fioritures. J’ai rendu compte sur ce blog d’une passionnante lecture, un must me semble-t-il sur le sujet : « Tel Aviv, naissance d’une ville 1909-1936 » (chez Albin Michel, dans la collection Présences du judaïsme). Cette ville est pleine de constructions directement issues de l’enseignement du Bauhaus. Tel Aviv a d’abord été une ville ashkénaze, conçue et édifiée par des Juifs allemands.

Je me souviens de mon plaisir à me promener dans le quartier de Montefiore et dans certains quartiers limitrophes. Des souvenirs d’Athènes ne cessaient de me revenir. Athènes ! Athènes est elle aussi une ville orientale, de la Méditerranée orientale, comme Tel Aviv. Il faut avoir marché longuement dans le quartier de Monastiraki (Μοναστηράκι) à Athènes et de Montefiore à Tel Aviv pour être saisi par une même ambiance.

Mais j’en reviens à votre question. J’ai très vite éprouvé que mon intérêt pour Israël et la cause juive ne pouvaient s’en tenir à une connaissance livresque. J’ai toujours voulu appréhender Israël en y voyageant et, une fois encore, pour y faire un peu de tourisme mais pas que du tourisme. Dans mes jeunes années, soient les années 1980, j’ai travaillé dans des kibboutz, non parce que c’était à la mode mais par sionisme. Il me semble que je suis né sioniste, que je suis tombé dans une potion magique de sionisme. Il est vrai que le père d’Astérix était juif et ses aventures sont aussi juives que celles que rapporte la Bible.

J’ai donc travaillé dans des kibboutz, un sur le Golan, très Likoud, l’autre sur la Ligne verte, un kibboutz du Nahal (l’histoire du Nahal est passionnante). Dans ce deuxième kibboutz, après le travail, je me rendais tous les jours dans les villages arabes des environs afin de mieux connaître le pays. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces rencontres, fort riches, mais, simplement, travaillant avec des Juifs, je trouvais tout naturel d’aller parler avec les Arabes qui vivaient à de l’autre côté de l’enceinte. Je me souviens d’être parti en excursion avec trois Arabes dans les collines environnantes. L’un d’eux rêvait de venir en France, et savez-vous pourquoi ? Pour visiter les châteaux de la Loire ! Il me raconta l’histoire de plusieurs de ces châteaux et me décrivit leur architecture ; je l’écoutais bouche bée. Mais c’est du kibboutz sur le Golan que je garde les souvenirs les plus forts. La vie y était rude mais une fois encore je me voyais dans le désert des Tartares. Il faisait froid. Au loin, les monts de Syrie étaient enneigés. Nous étions en 1982, peu après Sabra et Chatila. Un Juif de France, un Alsacien, m’avait accueilli en parka, fusil d’assaut en bandoulière. Il fulminait contre son pays et ses médias qui envoyaient toute la merde sur Israël. Je lui expliquai que si j’étais ici, en Israël, dans ce kibboutz, c’est aussi parce que je ne prêtais aucune valeur à ces médias, que je flairais le mensonge. La nuit, mon lit de camp tremblait parfois. Des chasseurs- bombardiers frappaient là-bas, du côté du proche Liban. Le ciel s’illuminait par à-coups. J’étais un peu inquiet mais, une fois encore, je savais que j’étais là où je devais être. J’ai toujours eu cette certitude en Israël, dans les kibboutz et plus encore au Sar-El.

Je ne sais ce qui m’attire en Israël. Peut-être suis-je victime des Sages de Sion ou d’un philtre d’amour, je ne sais. Plus sérieusement. Pour moi Israël c’est d’abord sa population, toutes ces femmes et tous ces hommes que j’ai rencontrés dans les kibboutz puis à Tsahal. J’ai par ailleurs beaucoup circulé dans ce pays, du Golan au Néguev. Ce qui m’attire en Israël ? Il me faudrait un livre pour répondre à cette question. Vous savez, il circule tellement d’idées fausses au sujet de ce pays. Israël est probablement le pays dont on parle le plus en Europe, et trop souvent avec un mélange de prétention et d’ignorance, deux « qualités » qui se tiennent par la main. Il n’y aucun rapport entre l’information mainstream au sujet de ce pays et la réalité de ce pays qui ne peut s’appréhender qu’en y voyageant et en y travaillant, en y voyageant de préférence hors de tout voyage organisé. Le travail de connaissance par les livres, les documents et Internet (l’ordure y traîne mais on trouve aussi d’excellentes choses dans cette grande bibliothèque virtuelle) est important, très important, mais Israël est aussi un pays qu’il faut parcourir et où il est bon d’avoir une activité afin de mieux comprendre ce pays très particulier et très complexe. Je préfère me faire dorer la pilule ailleurs qu’en Israël. Il y a trop à faire là-bas, trop à apprendre, tant de personnes à rencontrer, à interroger, à écouter, et pas uniquement des Juifs. 20 % de la population d’Israël est arabe, des Chrétiens et des Musulmans, et je passe sur d’autres minorités non-juives mais ayant la nationalité israélienne. Israël est un pays formidablement divers et pour deux raisons : premièrement, celle que je viens d’énoncer (il n’y pas que des Juifs en Israël) ; deuxièmement, le monde juif en Israël est au moins aussi divers et donc aussi riche que le monde juif en diaspora – et cette richesse se trouve concentrée dans un petit pays. Je rappelle qu’Israël est à peine plus grand que deux-trois départements français.

Sur les bases de Tsahal, j’ai travaillé avec des Juifs et des non-Juifs venus de (presque) partout. Certains Juifs étaient nés dans le pays (les Sabras), d’autres y avaient émigré et de ce fait n’avaient pas le même niveau d’hébreu, l’hébreu n’étant pas leur langue maternelle. J’ai travaillé avec des Bédouins dans un parc de Merkava II (chaleur suffocante), dans un hangar (chaleur non moins suffocante) pour y détruire des masses de documents avec des Béta Israël. A cette occasion, j’ai appris qu’il fallait éviter de les désigner par Falacha (qu’ils jugent péjoratif). J’ai fait équipe avec un Juif de Bombay, un officier druze, un Juif roumain. J’ai beaucoup sympathisé avec ce dernier. Il m’apprenait des mots d’hébreu, je lui apprenais des mots d’espagnol et de portugais. Je me souviens qu’il avait particulièrement apprécié les mots « amapola », « mariposa » et « borboleta » qu’il s’amusait à répéter. Un soir, j’ai longuement conversé avec un Juif originaire d’Istanbul. J’en garde un souvenir très ému car il s’exprimait en ladino et moi en espagnol, en castillan pour être plus précis. Il n’avait pas étudié le castillan, je n’avais pas étudié le ladino mais nous nous sommes compris et sans jamais nous efforcer. Pour faire simple, le ladino est à l’espagnol ce que le yiddish est à l’allemand. Mais je force probablement la note : il me semble que le ladino est plus proche de l’espagnol que le yiddish ne l’est de l’allemand. A ce propos, il y a peu, j’ai trouvé sur Internet un article en ladino, sur eSefarad, un article intitulé « Muestra lingua : Leon Pinsker por Edmond Cohen » dans lequel j’ai eu le plaisir de lire : « Un syerto Olivier Ypsilantis, en el sityo zakhor on line, a eskrito sovre el livro de Pinsker un artikolo interesante sovre el kual yo lavori. Asigun Ypsilantis, i yo so de akodro kon el, este teksto es “uno de los mas ermozos del syonismo” ». La fréquence de la lettre k saute à la vue car elle est très rare en espagnol.

C’est ce qui m’intéresse le plus en Israël, cette unité dans cette diversité. Lorsque j’étais en Israël, dans les années 1980, la population différait grandement de celle d’aujourd’hui, notamment avec l’arrivée de ces très nombreux Juifs russes et ukrainiens, depuis les années 1990, suite à l’effondrement de l’Union soviétique et son empire. Il est connu qu’un assez grand nombre d’entre eux (un tiers environ) ne sont pas vraiment juifs mais qu’importe : ils le sont devenus et comptent parmi les défenseurs les plus déterminés d’Israël à ce qu’on m’a dit.

Les Juifs constituent un peuple, en aucun cas une race. Et je me moque de savoir si un tel descend d’Abraham, d’une tribu d’Israël qui ne soit pas l’une des dix tribus perdues ou de convertis (avec notamment cette histoire de Khazars qui a été plus ou moins arrangée par Arthur Koestler (voir « La Treizième tribu ») puis par Shlomo Sand pour étayer ses mensonges. Les Juifs forment un peuple et non une race ; un peuple, soit une entité plus ample et, dirais-je, plus consistante qu’une race.

J’aime par ailleurs les paysages d’Israël. Certains d’entre eux pourraient être espagnols. A ce propos, les techniques agricoles les plus avancées au monde (à commencer par l’irrigation) sont espagnoles et israéliennes. L’Espagne a longtemps été une terre privilégiée pour les Juifs et leur expulsion de la péninsule (n’oublions pas le Portugal) a été une catastrophe majeure pour le monde juif.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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La Houtspa sans limite de la Cour suprême israélienne

July 15 2021, 10:48am

Posted by Pierre Lurçat

La Cour suprême d’Israël a dernièrement pris deux décisions très remarquées sur deux dossiers importants et lourds de conséquences. Le premier, la Loi “Israël - Etat-nation du peuple Juif”, a fait l’objet d’une décision de 10 juges sur 11 (l’avis minoritaire étant celui du Juge arabe chrétien Georges Kara), qui a rejeté les pourvois formés contre cette Loi fondamentale par des associations antisionistes, soutenues par l’Union européenne notamment.

 

Dans la deuxième décision, emblématique elle aussi, la Cour suprême a fait droit au recours des associations LGBT en se prononçant en faveur de la GPA pour les couples homosexuels, plaçant ainsi Israël en pointe des pays qui autorisent cette pratique controversée (qui est interdite en France). J’ai évoqué ces deux décisions au micro de Daniel Haïk de Studio Qualita.

 

 

Le point commun entre ces deux décisions, apparemment contradictoires, est que la Cour suprême s’érige dans les deux cas en arbitre ultime - et pour ainsi dire exclusif - du débat public et politique sur des sujets cruciaux, qui touchent aux valeurs et aux normes fondamentales de l’Etat et de la société israélienne, valeurs sur lesquelles il n’existe aucun consensus.

 

En l’absence de tout consensus - et en l’absence même d’une Constitution qui l’autoriserait à mener un “contrôle de constitutionnalité” - la Cour suprême s’est ainsi arrogée, avec une arrogance inégalée dans aucun autre pays - le droit d’invalider des lois de la Knesset (y compris des Lois fondamentales), sans aucun mandat légal pour le faire (comme le reconnaît dans son avis un des juges ayant participé à la décision sur la Loi Israël Etat-nation, David Mintz).

 

L’actuelle présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut:

Une “houtspa” sans limite

 

Poursuivant sur la lancée du Juge Aharon Barak (1), instigateur de la “Révolution constitutionnelle” dans les années 1990 et partisan d’un activisme judiciaire sans limite, la présidente Esther Hayout entend ainsi préserver le pouvoir exorbitant que s’est arrogée la Cour suprême et développer la politique arrogante par laquelle celle-ci s’est transformée en premier pouvoir, au mépris de la Knesset, du gouvernement et des principes fondamentaux de toute démocratie authentique.

P. Lurçat

 

(1) Sur le juge Barak et sa “Révolution constitutionnelle”, je renvoie le lecteur aux articles suivants: “Aharon Barak et la religion du droit”. (partie I) et “Le fondamentalisme juridique au coeur du débat politique israélien” (Partie II), ainsi qu’à mon intervention au Colloque de Dialogia “Où va la démocratie israélienne?”, devant faire l’objet d’une publication dans le prochain numéro de la revue Pardès.

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VIENT DE PARAÎTRE - Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain

EN LIBRAIRIE - Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain

Éditions l’éléphant - Jérusalem 2021. En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon. Les demandes de service de presse doivent être adressées à pierre.lurcat@gmail.com

 
 

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Pourquoi les médias ‘mentent comme ils respirent’ à propos d’Israël : La construction de l’événement dans le discours anti-israélien et antisioniste

June 29 2021, 12:43pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans l’extrait qui suit de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, qui vient de paraître, j’analyse la distinction faite par Éric Marty à propos du récit de Sabra et Chatila par Jean Genet,  entre le fait et l’événement. Cette distinction est essentielle pour notre compréhension du discours et des mythes antisionistes.

 

Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique - il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente

Eric Marty

 

Tout le contraire d’un fait” - cette définition de l’événement s’applique parfaitement au récit médiatique du conflit israélo-arabe, dans lequel les faits sont constamment déformés, mutilés, obscurcis ou escamotés. Mais il ne s’agit pas tant d’une volonté délibérée de tromper (qui existe parfois), que d’une conséquence presque inévitable de la posture médiatique. En effet, comme l’écrit Marty à un autre endroit, “la déformation, la désinformation sont pratiquement totales, aussi naturelles aux médias... que le fait de respirer”. 

 

Si les médias, selon Eric Marty, “mentent comme ils respirent” à propos d’Israël, ce n’est pas, bien entendu, parce que les journalistes seraient des menteurs invétérés, mais plus prosaïquement, parce qu’ils ne se préoccupent guère des faits. lls cherchent - ou plutôt ils créent - des événements, c’est-à-dire des faits qui rentrent dans leur grille de lecture. Tout fait qui n’entre pas dans leur grille de lecture, qui ne lui correspond pas, ou qui la contredit, est évacué, éliminé, ou encore transformé et travesti pour lui correspondre. 

 

Les médias “mentent comme ils respirent” : Photo InfoEquitable

 

Ainsi, dans l’exemple de l’assassinat délibéré de la petite Shalevet Pass - le fait de cet assassinat était éliminé, pour faire place à l’événement que constituait, aux yeux du journal Le Monde ou de l’Associated Press, les “obsèques de la haine” ou les “appels à la vengeance” des Juifs de Hébron. L’événement, comme dit Marty de manière saisissante, est “le contraire d’un fait”. Dans les faits, un sniper palestinien tue un bébé juif israélien. Mais ce fait, apparemment limpide dans sa cruauté et sa barbarie, donne lieu pour les médias à la création d’un événement contraire, qui est le prétendu appel à la haine des Israéliens. 

 

Bien entendu, on pourrait offrir une lecture moins radicale du travail médiatique, en expliquant que les médias choisissent et sélectionnent les “faits”. Selon cette autre lecture, l’événement serait simplement un fait choisi et privilégié par les médias, et non plus le contraire d’un fait. Ainsi, entre le fait de l’assassinat du bébé juif, et le fait des appels à la vengeance, ils donneraient la préférence au second, qui cadre mieux avec leur grille de lecture. Mais une telle description est bien en-deça de la réalité, comme le montre l’analyse d’Eric Marty à propos de Sabra et Chatila. 

 

Dans la relation médiatique de cet événement, il ne s’agit plus seulement de choisir et de sélectionner certains faits, mais aussi et surtout d’ériger certains faits en événements, ou plutôt de créer des événements qui n’ont qu’un rapport lointain - le plus souvent d’inversion et de négation - avec les faits. Ainsi, le fait de l’assassinat de Palestiniens par des phalangistes chrétiens devient l’événement mythique dans lequel Ariel Sharon, Tsahal, Israël, voire “les Juifs” sont les coupables de ces assassinats. L’événement Sabra et Chatila, selon cette analyse, est bien le contraire des faits qui s’y sont déroulés. Mais notre nouvelle définition de l’événement médiatique est incomplète : il comporte en effet également une dimension supplémentaire, métaphysique. 

 

Cette “dimension métaphysique” de l’événement est particulièrement saisissante dans le cas de Sabra et Chatila, où le massacre de centaines de Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un acte d’accusation contre les Juifs. En effet, poursuit Marty, “Sabra et Chatila dit peu de choses des souffrances et de l’horreur que vécurent ses victimes”, parce qu’il “est intégralement noué à la question juive, en tant qu’elle est le lieu auquel sont nouées l’angoisse du Bien et l’angoisse du Mal. Sabra et Chatila en ce sens est un événement métaphysique, auquel le scénario du bouc émissaire confère une sorte d’universalisme spectaculaire qui ne peut que fasciner la planète.

 

Pour comprendre plus précisément cette dimension métaphysique de “l’événement Sabra et Chatila”, Eric Marty nous invite à lire ce qu’il appelle la “phrase primordiale et majeure” de Jean Genet, tirée de son livre Un captif amoureux : “Si elle ne se fût battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’Origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine… la révolution palestinienne m’eût-elle, avec tant de force, attiré?” Cette phrase, effectivement, est capitale, parce qu’elle donne la clé de compréhension non seulement de l’engagement de Jean Genet, qui se livre avec sincérité et lucidité, mais aussi de celui de très nombreux autres militants antisionistes. En ce sens, on a pu dire que la “chance” des Palestiniens était d’avoir pour adversaires les Juifs.

 

Jean Genet en visite dans un camp palestinien à Amman

 

C’est à la lueur de cette affirmation capitale de Genet, qu’on comprend aussi la dimension métaphysique et mythique de Sabra et Chatila, et au-delà de cet événement, du conflit israélo-arabe dans sa totalité. L’événement Sabra et Chatila - comme la Nakba que nous avons abordée plus haut, comme l’événement Deir Yassin sur lequel nous allons revenir et comme tant d’autres événements du même acabit - ne sont en effet que les maillons d’une même chaîne ininterrompue, qui remonte à la nuit des temps (c’est précisément la définition du mythe, qui renvoie toujours aux origines). C’est toujours le même spectacle qui est rejoué indéfiniment, et chaque partie est toujours assignée au même rôle : le Juif est toujours assigné à son rôle d’assassin (assassin du Christ pour les chrétiens, assassin des prophètes pour les musulmans, assassin des Palestiniens pour le téléspectateur contemporain).

Pierre Lurçat

 

Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, qui vient de paraître (éditions de l’éléphant, Jérusalem, disponible sur Amazon).

 

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Penser la guerre de Gaza (I) :  sortir de l'illusion technologique et retrouver les valeurs de Tsahal, Pierre Lurçat

May 23 2021, 07:37am

Posted by Pierre Lurçat

 

Le dernier round des hostilités à Gaza s’est terminé comme les précédents, en queue de poisson. La “victoire” tactique et ponctuelle de l’élimination de plusieurs chefs du Hamas et du Djihad islamique est largement effacée et rendue dérisoire par la défaite stratégique à long terme, que constitue la transformation de la moitié du territoire d’Israël et de sa population en vaste champ de bataille, offert aux missiles tirés de Gaza, sans riposte effective, sinon la protection du Dôme d’acier. Dans cette série d’articles, nous voudrions esquisser une réflexion approfondie pour penser la guerre à Gaza, en la resituant dans le contexte de l’évolution de la doctrine militaire israélienne et des valeurs qui la sous-tendent.

 

Dans leur livre sur la guerre d’Indépendance, publié en 1960 (1), Jon et David Kimhi ont cette remarque éclairante, au sujet de l’issue de la guerre de 1948. “A bien des égards, les combats eux-mêmes n’ont joué qu’un rôle secondaire dans la guerre de Palestine. Ce qui a été le plus important, c’est l’affrontement des volontés”. Cette phrase semble faire écho à un verset bien connu du prophète Zachariah : “Ni par la force, ni par la puissance, mais bien par mon esprit”. Pendant des décennies, les dirigeants de l’armée et de l’Etat d’Israël avaient bien conscience que le principal élément de la force de Tsahal, face à des ennemis plus nombreux et souvent mieux armés, était l’esprit combatif, la motivation et la conscience de ses soldats qu’ils étaient obligés de vaincre. “Eyn brera!”


 

Le drapeau israélien hissé à Eilat

 

Paradoxalement, cette force intérieure a décru, au fur et à mesure que se développait la puissance technologique de Tsahal (2). Nous sommes arrivés aujourd’hui à un stade où les prouesses technologiques pallient difficilement l'effritement de la volonté de vaincre, et ne sont parfois plus un élément de la force de Tsahal, mais bien plutôt un élément de sa faiblesse… Un des premiers à avoir compris ce paradoxe est un chercheur du Centre d’études moyen-orientales de l’université d’Ariel, Eyal Levin, dont les travaux portent sur la “résilience nationale” (‘hossen léoumi) : “Le système Dôme d’acier n’exprime pas notre résilience nationale, mais au contraire notre faiblesse”, disait-il en substance, au lendemain de l’opération “Colonne de nuée” (Amoud Anan) de novembre 2012. Ce constat de faiblesse est toujours aussi valable, neuf ans plus tard, après d’innombrables rounds d’hostilités à la frontière de Gaza.

 

Le système de défense antimissiles “Kippat Barzel”, comme nous l’écrivions dans ces colonnes (3), ressemble à un immense parapluie troué, qui constitue une arme défensive très insuffisante et comporte des effets pervers, en dispensant Tsahal d’une contre-attaque authentique, comme l’a montré l’amère expérience des dernières années. Plus la prouesse technologique qu’il constitue est réussie (empêcher les missiles de l’ennemi d’atteindre le sol israélien), plus son effet pervers s’accroît : priver Israël d’une indispensable offensive préventive, pour interdire à l’ennemi d’essayer même de l’attaquer. A cet égard, Kippat Barzel est en réalité la négation du Kir Habarzel - la muraille d’acier - concept développé par Jabotinsky dans son fameux article de 1923, qui est au fondement de la doctrine stratégique de Tsahal (4). 

 

La muraille d’acier signifie en effet qu’il faut dissuader l’ennemi de nous attaquer, et pas seulement se défendre contre ses attaques incessantes. Selon cette conception,  la paix et la sécurité ne viendront pas en élaborant des systèmes de défense de plus en plus perfectionnés, pour intercepter les missiles du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran. Elles ne viendront qu’en ripostant avec toute la force nécessaire et en attaquant les ennemis qui nous menacent, portant la guerre sur leur territoire - comme l’a fait Tsahal lors des guerres victorieuses de 1948, 1956, 1967 et 1973, jusqu’à ce qu’ils demandent grâce et renoncent à leurs intentions belliqueuses.

 

Une défaite morale et psychologique


Mais il faut aller plus loin encore. La réussite technologique (toute relative) de Kippat Barzel n’est pas seulement une défaite sur le plan militaire et psychologique, en empêchant Tsahal de riposter et en portant ainsi un coup fatal à notre capacité de dissuasion. Elle incarne aussi l’inversion et l’oubli des valeurs sur lesquelles reposait jadis la force de Tsahal. Un des exemples les plus frappants de cet oubli des valeurs fondatrices de l’armée de Défense d’Israël nous est donné par le cas tragique du soldat Hadar Goldin, capturé et tué par le Hamas le dernier jour de l’opération Tsouk Eytan à Gaza, et dont la dépouille est toujours détenue par le Hamas, sept ans plus tard.

 

Hadar Goldin z.l.

 

Comme l’a déclaré le père de Hadar, le Dr Simha Goldin, en août 2019 : “Hadar a été abandonné à trois reprises par la lâcheté de nos dirigeants. La première fois, sur le champ de bataille, lorsqu’ils ont empêché son officier de pénétrer dans l’hôpital du Hamas où il était apparemment détenu et blessé. La deuxième fois, à la fin de l’opération Tsouk Eytan, lorsque les dirigeants israéliens ont négocié (un cessez-le-feu) au Caire avec le Hamas, sans exiger la restitution des deux soldats Oron Shaul et Hadar Goldin. Et la troisième fois, pendant les cinq dernières années…” Simha Goldin a aussi déclaré, lors du congrès annuel du mouvement Im Tirtsu, que pour la première fois dans l’histoire de Tsahal, un soldat avait été déclaré “tombé au combat” en pleine guerre, alors qu’il était disparu et que son sort n’était pas encore connu avec certitude. 

 

Ce précédent dangereux a été fixé en contradiction avec la tradition remontant aux débuts de Tsahal, de ne jamais abandonner un soldat sur le champ de bataille et de ne pas le considérer comme mort, tant que sa dépouille n’avait pas été récupérée. L’exemple tragique de Hadar Goldin devrait susciter un vaste mouvement de réflexion et une prise de conscience au sein de la population israélienne, et surtout de sa jeunesse, dont la motivation pour servir dans les rangs de Tsahal n’a pas faibli. Car ce sont les valeurs fondatrices de Tsahal qui ont permis, jusqu’à ce jour, que des jeunes Israéliens s’engagent dans les rangs des unités combattantes. Si l’esprit de fraternité combattante (Reout) - immortalisé par les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri durant la guerre d’Indépendance - devait s’estomper, comment pourra-t-on demain appeler des jeunes soldats à risquer leur vie pour leur pays? 

 

Simha Goldin devant le Lion de Tel Haï

 

Hadar Goldin portait un nom plein de signification. “Hadar” signifie “splendeur” et il fait référence au Chir Betar, l’hymne du mouvement de jeunesse sioniste créé par Zeev Jabotinsky, qui fut aussi le fondateur de la Légion juive, ancêtre de Tsahal. Puissent les mots du Chir Betar inspirer les dirigeants qui se considèrent comme les héritiers de Jabotinsky. “Hébreu, dans la misère même tu es Prince, Dans la lumière ou l’obscurité. Souviens toi de cette couronne”. Qu’ils se souviennent, eux aussi, du Keter. Qu’ils se souviennent du Hadar et du Tagar. Et qu’ils n’oublient pas non plus les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri, de “l’amour consacré dans le sang” des soldats tombés dans les guerres d’Israël.

Pierre Lurçat

 

NB Je commente la fin de l'opération "Gardiens des murailles" au micro de Daniel Haïk sur Radio Qualita

https://www.youtube.com/watch?v=qlBysShmoYE&t=7s

 

Dans la suite de cet article, nous verrons comment la guerre asymétrique contre Gaza a fait perdre de vue la notion de guerre juste et quelles en sont les conséquences.

(1) La première guerre d’Israël, Arthaud 1969.

(2) Sur l’évolution de l’ethos de Tsahal et de la société israélienne en général, voir Oz Almog, Farewell to Srulik - Changing Values Among the Israeli Elite (Zmora Bitan and Haifa University Press, 2004).

(3) http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/11/israel-gaza-accepter-la-pax-islamica-du-hamas-par-pierre-lurcat.html?fbclid=IwAR3BG1p7wyMDw5sdwIW_YODWeVPCCzVbVP1f0sdXKLpMSXYDkeRAopTARAU

(4) Sur la “muraille d’acier” et l’héritage politique et militaire de Jabotinsky, je renvoie à ma postface à son autobiographie, que j’ai eu le plaisir de traduire en français.


 

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