Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

islam

«Face à l'islamisme, nos élites ont trahi», Interview d'Yves Mamou

October 6 2018, 18:58pm

Posted by Yves

«Face à l'islamisme, nos élites ont trahi», Interview d'Yves Mamou

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Alors que l'existence de tensions communautaires a été reconnue par Gérard Collomb lui-même, le journaliste Yves Mamou accuse les élites françaises de s'être coupablement désintéressées de l'immigration, et d'avoir fermé les yeux sur l'islamisation du pays.

 


Yves Mamou est un ancien journaliste du Monde. Il a également collaboré au Canard Enchaîné, à Libération et à La Tribune. Collaborateur régulier du site américain The Gatestone Insitute, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Hezbollah, dernier acte (éd. Plein jour, 2013) et Le Grand abandon. Les élites françaises et l'islamisme (éd. L'Artilleur), paru le 25 septembre 2018.


FIGAROVOX.- Selon vous, l'immigration et l'islamisation auraient pour conséquence d'empêcher les Français de «faire nation»? Quel lien faites-vous entre la supposée émergence perturbatrice de l'islam et la supposée désagrégation de la nation française?

Découvrez les différentes façons de déguster du whisky.

JE DÉCOUVRE

Yves MAMOU.- Le Grand Abandon est une tentative de reconstitution. J'ai essayé de savoir pourquoi et comment, à côté de la nation française, une nation islamique avait pu progressivement se constituer. Les déclarations fracassantes de Gérard Collomb, ex-ministre de l'Intérieur, au matin de sa passation de pouvoir à Edouard Philippe, Premier ministre, montrent que la juxtaposition de ces deux nations aujourd'hui en France engendre un risque d'affrontement. Nous sommes aujourd'hui «côte à côte» (sous-entendu musulmans et non-musulmans) a dit Gérard Collomb, mais rien ne garantit que demain nous ne serons pas «face à face». Cet avis de guerre civile en bonne et due forme a été proféré par l'homme qui, pendant un an et demi, Place Beauvau, a eu sous les yeux, au quotidien, tous les rapports de police et de gendarmerie.

Gérard Collomb est partie prenante de l'élite politique française. Il abandonne son poste en informant que la guerre civile est à nos portes. Une fuite qui à elle seule justifie mon titre «Le Grand Abandon». L'avertissement aurait eu plus de force s'il avait été proféré par un ministre en exercice. L'avoir prononcé sur le pas de la porte a fait que certains médias ne l'ont même pas repris.

La guerre civile se définit comme le déchirement d'une nation. Je ne sais pas si cette guerre aura lieu, mais il m'a semblé utile de m'interroger sur la présence de deux nations sur le même territoire national. Parfois, ce sont des frontières mal tracées qui créent les conditions d'un affrontement entre deux nations. Mais en France, la nation islamique a été fabriquée de toutes pièces. Elle est le résultat d'une politique. Les élites françaises, c'est-à-dire les grands corps de l'État, les partis politiques, les experts, les magistrats, les médias, les élites culturelles… ont, pour de multiples raisons, plusieurs décennies durant - et encore aujourd'hui - encouragé et légitimé l'immigration musulmane.

Cette préférence des élites pour l'islam a produit un fossé abyssal entre la France d'en haut et la France d'en bas. Le Baromètre de la Confiance que le Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po, publie année après année, illustre parfaitement le phénomène: la majorité de la population française témoigne à l'égard de sa classe politique d'une gamme de sentiments qui va de l'écœurement au dégoût, en passant par le rejet et l'indifférence. Et sur quoi se cristallise cette rupture entre le haut et le bas de la société? Sur l'islam jugé trop invasif et l'immigration jugée excessive.

Curieusement, ce baromètre du Cevipof sauve la mise de deux institutions, l'armée et la police qui jouissent d'un taux de confiance de près de 80 %.

Peut-être, mais est-ce suffisant pour affirmer comme vous le faites que l'islamisme et l'immigrationnisme ont été voulus, théorisés, écrits et préparés à l'avance?

L'immigration a été voulue et organisée, mais l'islamisation de cette immigration n'était sans doute pas inscrite au menu. Si l'immigration se poursuit malgré l'islamisation, c'est sans doute que nos élites la jugent insignifiante. Ou bien qu'elle leur est indifférente. Et c'est cette indifférence au risque de guerre civile que j'ai voulu souligner.

La constance avec laquelle le Conseil d'État a aidé à la constitution d'une nation islamique en France est sidérante. Je liste dans mon livre tous les arrêts du Conseil d'État favorables à l'immigration musulmane, favorables au voile, favorables au burkini, favorables à la burqa, favorables aux familles polygames et j'en passe. Idem pour le Conseil constitutionnel qui trouve conforme à l'intérêt général de laisser les écoles salafistes proliférer ou de supprimer, au nom de la «solidarité», les peines qui frappaient autrefois les délinquants qui facilitaient l'immigration clandestine. Mon livre passe également au crible l'étrange aveuglement de l'Observatoire de la laïcité quand il est question d'islam et l'étrange sensibilité du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux récriminations des téléspectateurs musulmans.

Il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l'islam.

Tout ce que j'avance dans mon livre est sourcé. Le Grand Abandon est riche de plus de 700 notes et références. L'ordonnancement et la mise en relation de ces faits étayés et vérifiés entre eux mettent en lumière une évidence: il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l'islam.

Ce qui nous ramène à votre première question. Ce n'est pas seulement l'islam qui empêche aujourd'hui de faire nation. Les élites aussi ne veulent plus faire nation.

«L'antiracisme politique qui sévit aujourd'hui n'a jamais eu pour but de combattre le racisme.» Que voulez-vous dire?

Je n'ai pas remarqué de mobilisation des organisations antiracistes contre le rappeur Nick Conrad qui a chanté le meurtre des Blancs et des enfants blancs dans les crèches. Ni contre les Indigènes de la République ou le syndicat SUD Éducation qui ont organisé des séminaires «racisés» fermés aux «Blancs», ni contre Médine qui rêve de crucifier les laïcards au Golgotha, ni contre Mmes Ernotte (France Télévisions) et Nyssen (ministère de la culture) qui souhaitaient voir moins de «Blancs» à la télévision.

En revanche, quand Éric Zemmour a affirmé que les immigrés étaient surreprésentés dans les prisons, ou quand Georges Bensoussan a tenté d'expliquer que l'antisémitisme sévissait dans une large frange de la population musulmane en France, les associations antiracistes se sont unies pour les traîner devant un tribunal. Au nom de la lutte antiraciste!

Ces quelques exemples permettent de situer la zone d'action de l'antiracisme: faire taire tout critique de la «diversité». La «diversité» n'est pas un slogan antiraciste un peu creux. Je démontre dans mon livre que la «diversité» est en réalité une politique. Et cette politique passe par les organisations antiracistes subventionnées par l'État, par l'école où l'apprentissage de l'arabe est proposé aujourd'hui dès le primaire, par une politique du ministère de la Culture qui subventionne la «diversité» au cinéma et au théâtre, par l'Afnor qui labellise les entreprises pour plus de «diversité», par le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui, avec son Baromètre de la «diversité» rêve d'imposer des quasi quotas ethniques sur le petit écran, et par divers lobbys comme le Club XXI d'Hakim el Karoui ou l'association Coexister...

Le Grand Abandon démontre que l'antiracisme politique et le discours diversitaire n'ont pas pour but de combattre le racisme. Ce sont des outils au service d'une réinitialisation des consciences. Ils servent à marteler

La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique.

que les immigrés de couleur sont par essence des victimes. Les services du Premier ministre diffusent actuellement des clips contre les violences sexistes. L'un de ces clips montre un «Blanc» qui agresse sexuellement une jeune fille d'origine maghrébine laquelle est défendue par une «Blanche» en couple avec un homme noir. Ce clip d'État d'une grande pureté idéologique assigne la violence sexuelle aux hommes Blancs et refuse d'évoquer celle qui peut aussi exister chez les «victimes» de couleur. J'affirme que cette victimisation forcenée des Français de couleur participe à la fabrication de la violence d'aujourd'hui.

Quand vous parlez des «élites», qui désignez-vous exactement? Peut-on mettre tous les responsables politiques, économiques, culturels, médiatiques… dans le même panier?

Mon livre passe en revue les partis politiques, le ministère de la justice, les associations antiracistes, l'université, l'école, les experts, les intellectuels, le monde du cinéma et du théâtre et de quelques autres encore… Chacun de ces groupes ou institutions œuvre, dans le champ qui est le sien, à la promotion de la «diversité» et de son corollaire le «vivre-ensemble». J'ai déjà évoqué le cas du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Mais je liste également le cas des intellectuels qui pétitionnent et lynchent médiatiquement toute personnalité publique qui émet des opinions non conformes aux leurs. L'écrivain algérien Kamel Daoud en a ainsi fait les frais quand il a expliqué que les viols de masse de Cologne en 2015 étaient dus à l'importation en Allemagne d'une culture patriarcale des relations entre les sexes. Les experts justifient et encouragent l'immigration au nom de supposés bienfaits économiques. Le ministère de la justice met à mal la liberté d'expression des Zemmour et Bensoussan… etc. J'ai 600 pages d'exemples et de logiques qui s'emboîtent les unes dans les autres et qui tous ensemble concourent à une révolution, «par le haut».

En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque. Il s'agit d'une authentique révolution qui se poursuit encore aujourd'hui sous nos yeux. Les élites politiques, économiques et institutionnelles ont balayé le vieux modèle laïque et républicain sans demander l'avis du reste de la population. Les élites françaises ont été à l'origine du plus grand casse du siècle, lequel s'avère être aussi un casse de la démocratie et de la laïcité. Pour quel profit? Je crains que seul l'islamisme soit à même de tirer les marrons du feu.

Les politiques ont selon vous une responsabilité toute particulière dans la diffusion de l'islamisme. Tous, y compris le Front national, pourquoi?

Le Front national a joué les repoussoirs. Par sa seule présence, le Front national a empêché l'émergence de tout débat sérieux sur l'islam et l'immigration. Les éructations de Jean-Marie Le Pen toujours à la limite du racisme et de l'antisémitisme ont contribué au caractère hégémonique du discours antiraciste. Marine Le Pen a bien tenté de redresser l'image de son parti, mais le mal était fait. Et il dure encore.

Quant aux gouvernements de gauche, ils portent une responsabilité historique que j'expose dans Le Grand Abandon.

Vous reprochez aux politiques, notamment de gauche («islamo-gauchistes») leur clientélisme, mais vous le reconnaissez vous-même en introduction, les musulmans deviennent une composante à part entière de la population: il faut bien que des politiques leur parlent à eux aussi?

La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique: baux emphytéotiques pour la construction de mosquées, heures de piscine réservées aux femmes, etc., cela dans le but de recueillir les voix des musulmans. L'islamo-gauchisme accompagne la violence islamiste pour conquérir le pouvoir. Ce sont deux démarches différentes, mais les deux instrumentalisent les musulmans comme outil de conquête du pouvoir.

En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque.

Cette instrumentalisation de l'islam par la gauche a creusé la tombe de la laïcité. La laïcité non plus n'est pas un mot creux. C'est l'espace de la citoyenneté. Et la citoyenneté c'est l'espace du politique parce qu'il est débarrassé de tous les sujets qui ne prêtent pas à la discussion et à la négociation. Si la laïcité a cantonné la religion au domicile et aux lieux de culte, c'est précisément pour les sortir de l'espace politique. En réintroduisant la religion - et surtout la religion musulmane - dans l'espace de la politique, la gauche (mais aussi la droite) a disséminé les germes de la guerre civile.

Une République laïque ne doit reconnaître que des citoyens et non des communautés, et moins encore des communautés religieuses. Penser comme le font nos élus de droite et de gauche que la République doit des mosquées aux musulmans est une erreur et une trahison. Une erreur parce qu'elle conforte le communautarisme et le sécessionnisme musulman. Et une trahison parce que ce que la République doit aux Français, quelle que soit leur confession ou leur couleur de peau, ce sont des écoles, la liberté de pensée et d'expression.

Vous critiques beaucoup aussi l'Église. Mais n'est-elle pas dans son rôle lorsqu'elle exprime une compassion à l'égard des migrants? Faut-il toujours tout ramener à une vision politique?

Le rôle des journalistes n'est pas de prendre les apparences pour le réel. Quand Macron va au Collèges des Bernardins et déclare aux plus hautes personnalités du catholicisme français qu'il faut «réparer» le lien abîmé entre l'Église et l'État, que croyez-vous qu'il fasse? Une bonne action? Non, il fait de la politique. Il s'adresse à une Église catholique blessée par cent ans de laïcité et qui souffre d'une hémorragie de fidèles. Il lui dit: oublions la laïcité, revenez dans le jeu politique. Pourquoi Macron fait-il cela? Pour se constituer des alliés dans son grand projet de bâtir ce qu'il appelle l' «Islam de France». Macron a besoin d'alliés pour se débarrasser de la laïcité. Quel meilleur allié que l'Église?

Quant à la compassion de l'Église pour les migrants musulmans, il est bon de rappeler que cette compassion est sélective. L'Église ne défend pas les Coptes quand ils sont massacrés en Égypte, elle proteste à peine contre l'authentique épuration ethnique qui frappe les chrétiens d'Orient, et elle n'a guère eu de mot charitable pour les Yazidis massacrés par l'État islamique. C'est cette sélectivité compassionnelle qui interroge. J'essaye de montrer dans mon livre que la charité affichée de l'Église envers les musulmans est aussi une politique.

Quant aux médias, pour finir, vous y voyez des «falsificateurs de la vérité»?

Il y a quelques jours, le Journal télévisé de France 2 a diffusé un reportage sur l'épidémie d'attaques au couteau qui sévit à Londres. Mais la même épidémie sévit en France et aucun média ne dresse un tableau de la situation. Il faut feuilleter la presse de province, journal par journal, pour se rendre compte de l'ampleur des violences gratuites, souvent mortelles, commises au quotidien. Quand un journal évoque une attaque au couteau, on ignore le nom de l'agresseur et ses motivations. Comme s'il y avait une volonté d'anonymiser le «déséquilibré»! Les médias, dans leur grande majorité, participent au casse du siècle. Ils n'informent plus sur les problèmes, ils prêchent la «diversité» et le «vivre ensemble».

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2018/10/05/31001-20181005ARTFIG00341-face-a-l-islamisme-nos-elites-ont-trahi.php?redirect_premium

See comments

Rencontre avec Bat Ye’or : Un combat pour la vérité, par Pierre Lurçat

September 22 2018, 19:01pm

Posted by Pierre Lurçat

Rencontre avec Bat Ye’or : Un combat pour la vérité, par Pierre Lurçat

Rencontre avec Bat Ye’or : Un combat pour la vérité, par Pierre Lurçat

 

Je connais Bat Ye’or depuis près de 30 ans. Notre première rencontre date de la fin des années 1980, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Association France-Israël et son président d’alors, Michel Darmon. Elle était alors au milieu de sa carrière d’historienne et n’avait pas encore atteint la notoriété internationale que lui valu son livre le plus fameux, dont le nom est désormais entré dans le vocabulaire politique contemporain: Eurabia. Je l’ai interviewée à plusieurs reprises sur ses travaux et sur ses différents ouvrages (1). Mais l’entretien qu’elle m’a accordé à l’occasion de la parution de son autobiographie politique, est différent. Bat Ye’or a en effet accepté de parler non seulement des sujets de ses livres, tous passionnants, mais aussi de son parcours intellectuel et personnel et de sa vie aux côtés de David Littman, son mari décédé il y a six ans.


 

Gisèle et David Littmann

(photo : site Les Provinciales)


 

Bat Ye’or nous reçoit dans sa maison sur les rives du lac de Genève, en Suisse, où elle vit depuis plusieurs décennies. Notre entretien porte tout d’abord sur la personnalité et l’action de celui qui a partagé sa vie et ses combats, David Littman. Un récent article de Jean Birnbaum dans le Monde des livres présentait Bat Ye’or de manière caricaturale, en omettant entièrement le nom de son mari. Or, celui-ci a joué un rôle important dans l’oeuvre de Bat Ye’or, comme me le confirme celle-ci.

 

David a été très généreux avec moi. Il disposait de techniques  acquises à l’université. J’étais plus impulsive dans mon écriture. Il contrôlait mes sources. Il ne me laissait pas écrire et publier sans son contrôle… Nous n’avions pas toujours les mêmes opinions. Il lisait mon travail et me procurait des livres, des articles qui m'intéresseraient et que je n'avais pas le temps d'aller chercher”.


 

David Littman (1933-2012)


 

David Littman, intellectuel et aventurier

 

La collaboration entre David et son épouse n’était pas seulement intellectuelle. Leur histoire d’amour, relatée avec pudeur dans l’autobiographie de Bat Ye’or, est aussi une histoire de courage et d’aventure, car Littman n’était pas un historien enfermé dans les bibliothèques et les salles d’archives, c’était un véritable globe-trotter.

 

Nous avons passé trois mois en Asie. David voulait poursuivre des Indes jusqu'en Afghanistan, mais j'étais trop malade et il y a renoncé. Au fil des ans et avec une famille, David a renoncé à son côté aventureux pour vivre avec moi”.

 

P.L. Il a remplacé le goût de l’aventure physique par celui de l’aventure intellectuelle?

 

B.Y. “C’était un homme d’action, plus encore qu’un intellectuel. J’ai toujours eu le remords de ne pas avoir écrit un livre sur l’opération Mural”. Après cette opération - au cours de laquelle David et Bat Ye'or ont organisé le départ clandestin de cinq cent trente enfants juifs du Maroc vers Israël (1), Israël lui a proposé une nouvelle mission à Djerba, mais David, après mûre réflexion, a dû refuser. Nous nous étions engagés bénévolement pour aider les enfants juifs du Maroc, voulant accomplir une mitsva, mais de retour, nous voulions achever nos études.

Controverse avec Bernard Lewis

 

Nous abordons à présent les rapports entre les Littman et Bernard Lewis, le célèbre orientaliste américain, récemment décédé à l’âge de 102 ans. Bat Ye’or porte un regard critique sur l’oeuvre de Lewis, notamment en raison de son attitude à l’égard du génocide arménien (Lewis ayant contesté le génocide arménien, en adoptant peu ou prou la version turque de l’histoire du génocide).

 

"Quand je lisais les livres de Lewis, j’y trouvais dans certains domaines des erreurs et des généralisations, malgré son immense savoir et son érudition”.

 

Bat Ye’or souligne le refus de Lewis du concept générique (dont elle est l’inventrice) de la dhimmitude - c’est-à-dire d’une condition commune à l’ensemble des peuples soumis par le djihad et gouvernés par la chariah. Il avait une opinion très favorable de cette condition.

 

Je lui demande comment elle explique une telle attitude de la part d’un savant mondialement connu.

Il peut y avoir plusieurs raisons. L’amour que l’on porte à la civilisation que l’on étudie. Les intérêts professionnels, la prudence politique. Et surtout le parallèle avec la Shoah, monstruosité sans pareille. Lewis ne s’est intéressé aux minorités religieuses que tardivement, après moi. Il était plutôt un spécialiste de la civilisation ottomane, un turcologue. C’est un autre domaine. Quant à moi, j’avais la chance d’être indépendante. Je comprends les scrupules de ceux qui craignent de perdre leur poste. »  

 

Le propos est incisif, et l’indulgence apparente masque à peine un reproche très dur envers Lewis et beaucoup d’autres chercheurs, qui n’ont pas eu l’audace intellectuelle de Bat Ye’or.

 

Nous parlons maintenant le sujet le plus controversé de ses travaux, celui d’Eurabia, thème de son livre le plus fameux et toujours très actuel.

 

Dans une interview réalisée en 2009, elle définissait ainsi Eurabia : “C'est un nouveau continent qui est en train d'émerger, un continent de culture hybride, arabo-européenne. La culture européenne, dans ses fondements judéo-chrétiens, est en train de s'affaiblir progressivement, et de disparaître pour être remplacée par une nouvelle symbiose, islamo-chrétienne”.

 

Je lui demande si elle voit une évolution à cet égard depuis 2009. “Les gouvernements craignent (aujourd’hui) la rébellion de leurs peuples. Car maintenant, ces populations constatent les résultats de leurs décisions.…Et elles s’opposent à la politique d’Eurabia. Mais on ne peut changer facilement une idéologie et ses structures gouvernementales implantées depuis quatre décennies.

 

Nous évoquons aussi l’actualité d’Eurabia, au sujet du récent procès contre l’historien Georges Bensoussan, victime du “djihad judiciaire” (il vient d’être relaxé par la Cour d’appel de Paris). B.Y. : “Bensoussan était la cible idéale. C’est l’homme et son oeuvre qui furent visés à travers ce procès”.

 

 

Les sources de la dhimmitude

 

Bat Ye’or en vient à parler de la dhimmitude, thème central de ses travaux qui a fait l’objet de son premier livre, Le dhimmi, paru initialement en 1980 (et récemment réédité en France). Dans une précédente interview, elle m’avait expliqué ainsi sa découverte du thème fondamentale de la dhimmitude :

 

Mon projet initial fut d'écrire sur la condition des Juifs des pays arabes. J’en avais rencontré un grand nombre qui avaient été expulsés de leur pays d'origine et je les avais interviewés... On me demanda d’être l’un des membres fondateurs du WOJAC, l'association internationale des Juifs des pays arabes.

 

Nous avions tous vécu la même histoire, de persécutions, de spoliations et d'expulsions... C'est au cours de mes recherches que j'ai découvert la condition du dhimmi, qui a fait l'objet de mon livre Le Dhimmi, paru en 1980. Après sa parution, des chrétiens me contactèrent, et je commençai à m'intéresser à l'islamisation des pays chrétiens, thème auquel j'ai consacré un autre livre.

- Vous avez en fait découvert un pan inexploré de l'histoire mondiale.

- Non… On a beaucoup écrit sur ce sujet jusque dans les années 1960s. Il existait de très bonnes monographies abordant le thème des conquêtes islamiques. Le sujet était traité au niveau historique donnant le récit des faits, des dates intégrés dans les relations internationales et le conflit des intérêts et des ambitions des Puissances. Je me suis placée du point de vue des populations conquises, c'est-à-dire des dhimmis. J’ai été attaquée pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’on considérait que je n’avais aucune légitimité pour en parler. Ensuite parce que j'englobais Juifs et chrétiens dans le même concept alors que l’on voulait absolument les séparer afin d’attribuer à Israël la cause des persécutions des chrétiens perpétrées par les musulmans. A partir des années 1970-80s peu osaient parler du Djihad. C'était un terme presque tabou, parce qu'il contredisait le mythe de la coexistence pacifique en terre d'Islam, que j'ai désigné comme le "mythe andalou".

 

La source de la plupart des discriminations de la dhimmitude se trouve dans les lois du statut des juifs et des chrétiens schismatiques selon le droit canon de l’Eglise et du droit byzantin. L’orientaliste Louis Gardet avait noté cette similitude. Cependant même si certaines restrictions sont identiques, leurs justifications théologiques diffèrent dans l’islam et le christianisme et à certains égards le statut du dhimmi est plus sévère que celui du juif dans certains pays chrétiens. Ainsi il ne fut jamais interdit aux juifs européens de sortir chaussés ou de monter à cheval. Le Concile de Latran (1215) a repris la Rouelle de l’islam, qui imposait depuis des siècles déjà des signes distinctifs infamants vestimentaires et autres aux juifs et aux chrétiens. Dans l’islam, les juifs et les chrétiens ont un statut identique.


 

On retrouve aujourd’hui cette communauté de destin dans Eurabia, où le terrorisme (dont les Juifs ont été les premières victimes) se retourne contre les chrétiens, et contre l’Occident en général, tout comme la dhimmitude infligée par l’Eglise s’est retournée contre les chrétiens.

 

 

Réformer l’islam?

 

Pour conclure notre entretien, je lui demande si elle pense qu’un espoir de réformer l’islam existe. “Ce n’est pas à nous d’en décider. Il nous appartient de dire tout cela, de choisir des politiques qui tiennent compte de tout cela… (comme le fait Viktor Orban en Hongrie).

Cela encouragera les musulmans qui sont nombreux à vouloir moderniser l’islam, à agir dans leur pays et au sein de leur peuple.

 

Propos recueillis par Pierre Lurçat (avril 2018)

 

(1) Voir notamment, interview au Jérusalem Post, 2 janvier 2007,  “De la dhimmitude à l’Eurabie”. “Le référendum suisse est une défaite d’Eurabia”, 2 décembre 2009. Interview au sujet de son livre L’Europe et le Califat, novembre 2010. Et plus récemment, “Bat Ye’or répond à ses détracteurs”, février 2018.

 

(2) Sur l’opération Mural, Voir notre interview de David et Gisèle Littman pour Israël Magazine, et l’extrait du film Opération Mural sur le site Danilette.com

 

Bat Ye’or, photo de Pierre Lurçat ©

See comments

La sexualité dans le judaïsme et dans l'islam : le jour et la nuit, Pierre Lurçat

September 20 2018, 11:29am

Posted by Pierre Lurçat

La sexualité dans le judaïsme et dans l'islam : le jour et la nuit, Pierre Lurçat

Nous avons lu hier, pendant la journée la plus sainte du calendrier juif, les passages du Lévitique sur les interdits sexuels. C'est l'occasion de réfléchir sur la conception juive de la sexualité, et sur celle de l'islam. Dans ce domaine, comme dans d'autres, le rapport de filiation lointaine entre les deux 'religions' (concept évidemment discutable concernant le judaïsme, qui est à la fois une religion et une nation) n'est presque plus décelable, tant l'islam s'est éloigné de sa source juive.

L'article qu'on lira ci-dessous, publié par le site de l'institut MEMRI, éclaire le rapport très particulier de l'islam à la sexualité et aux relations entre les hommes et les femmes. Au-delà de la lecture particulière que ce cheikh d'origine américaine, diplômé d'une grande université, fait des textes de l'islam sur ce sujet capital, c'est la question plus générale, et cruciale aujourd'hui,  de la place de la femme dans l'islam qui est posée. A titre de comparaison, rappelons-nous des beaux textes de notre Tradition sur le 'Ona', le droit de la femme au plaisir et le devoir que l'homme a de lui procurer... Peut-on imaginer deux conceptions plus éloignées? 

Voir les extraits vidéo sur MEMRI TV

 

Le cheikh canadien-américain Azhar Nasser : Un époux a droit à des « rapports intimes » quand il le désire et peut frapper sa femme « pour sauver le mariage »

 

Lors d’un cours donné le 15 septembre 2018 au Centre islamique Az-Zahraa de Richmond, en Colombie-Britannique, le cheikh chiite américain Azhar Nasser a débattu du « verset ‘comment battre sa femme’ » dans le Coran. Selon lui, du fait qu'un homme entretient sa femme, il a droit à des rapports intimes quand il le souhaite et d’après certaines sources, il est interdit à l'épouse de refuser ou de retarder cette intimité, « de crainte que les anges ne demandent à Allah de la priver de Sa miséricorde ».  Et d’ajouter que selon certains érudits, une femme ne peut quitter la maison sans l’autorisation de son mari, car il pourrait la désirer pendant son absence.

 

Dans le cadre de sa conférence, intitulée « Battue & meurtrie », Nasser a déclaré que dans « les cas extrêmes », lorsque la femme est « impudique », l'homme doit d'abord l’admonester, et si cela ne fonctionne pas, il doit séparer les lits pour « montrer son mécontentement ». Puis, s'il estime que cela peut « régler le problème et sauver le mariage », il peut la battre. Né et élevé au Michigan et diplômé de l'Université du Michigan, Azhar Nasser réside actuellement à Richmond, B.C., Canada. Cette allocution fait partie d'une série de conférences données au Centre islamique Az-Zahraa. Elle a été postée sur ses pages YouTube et Facebook. Extraits :

 

Azhar Nasser : Allons au verset, le verset qualifié de « verset ‘comment battre sa femme’ ». Si vous avez une application du Coran sur votre téléphone, j’aimerais que vous suiviez dans le texte. […]

 

Depuis le début, Allah appelle le mari « le gardien des femmes ». Allah a accordé certains privilèges aux hommes et Il a accordé certains privilèges aux femmes. Ils ont des droits différents. Le droit de l'épouse est qu'elle a le droit d'être entretenue. […]

 

Le mari, parce que vous l’entretenez, parce que vous lui fournissez un toit et de la nourriture, et que vous assumez des responsabilités financières… Parce que vous remplissez cette responsabilité, Allah vous donne un droit. Quel est ce droit ? Le droit au plaisir. Les juristes ont mentionné deux droits, le premier est que vous avez droit aux [rapports] intimes. […]

 

Le premier droit qu'Allah a donné à l'homme est que, lorsqu'il désire avoir des rapports intimes avec sa femme, elle ne peut pas le lui refuser […]

 

En fait, nous avons des récits disant que l'épouse ne devrait même pas retarder les rapports intimes, si le mari les désire. […]

 

Nous parlons d’une femme qui, lorsque son mari l'appelle, pour être intime avec elle, lui dit « plus tard, plus tard, plus tard », jusqu'à ce qu'il s'endorme, ce qui signifie qu'elle retarde ce droit conjugal. Le Saint Prophète dit qu'une telle femme, les anges demandent à Allah de la priver de Sa miséricorde. […]

 

Il [l’époux] peut lui donner des ordres de l'aube au crépuscule, le seul ordre qu’elle doit exécuter, sur le plan islamique, est s’il l’appelle pour être avec elle - l'intimité. Et certains juristes disent qu'elle ne peut quitter la maison sans son autorisation, et certains juristes ont dit que le second droit est également lié au premier, car il pourrait la désirer et si elle est absente, cela posera un problème. […]

 

Nous parlons d'un cas extrême où elle n'est pas vertueuse, elle désobéit à Dieu et ne surveille pas sa pudeur, le mari a peur, il devient suspect, il y a des signes d'infidélité. […]

 

Allah dit, vous n'êtes pas autorisé à les frapper, d'abord, admonestez-les. Parlez. Si vous avez quelques doutes, si son comportement vous insupporte, si vous sentez qu'elle ne garde pas sa chasteté, admonestez-les. C'est le numéro un. Si cela ne marche pas, séparez les lits pour exprimer votre mécontentement. Si cela ne fonctionne pas, c'est à ce moment que le verset dit : « Frappez-les. » Les érudits disent, vous ne faites que monter d’un cran au numéro trois, frappez-les… et cela comporte certaines conditions. Vous ne le faites que si vous sentez que cela peut régler le problème. L’objectif des coups ici n’est pas de punir. Il est de discipliner et de régler le problème pour sauver le mariage. […]

 

L’imam Al-Bakr dit : « Vous devez les frapper avec un siwak. » Vous connaissez les miswaks ? La petite branche utilisée pour l'hygiène dentaire ? Vous les frappez avec quelque chose de ce type.

 

http://memri.fr/2018/09/20/le-cheikh-canadien-americain-azhar-nasser-un-epoux-a-droit-a-des-rapports-intimes-quand-il-le-desire-et-peut-frapper-sa-femme-pour-sauver-le-mariage/

See comments

Face aux prêcheurs de haine dans les mosquées françaises, le silence n’est plus de mise

July 11 2018, 16:43pm

Posted by Pierre Lurçat, ¨Philippe Karsenty

Face aux prêcheurs de haine dans les mosquées françaises, le silence n’est plus de mise

Après le lâcher de colombes et le discours de l’imam Mohamed Tataï exaltant le rôle de rempart « contre l’extrémisme » de la nouvelle mosquée de Toulouse, inaugurée le 23 juin dernier, la vidéo mise en ligne par l’institut MEMRI a fait l’effet d’un trouble-fête. On y voit ce même imam Tataï citer in extenso un hadith contenant des propos virulents contre les juifs, et notamment la phrase suivante : « Le Prophète, que la prière et la paix soient sur Lui, a dit : le Temps ne viendra pas avant que les Musulmans ne combattent les Juifs et les tuent ; jusqu’à ce que les Juifs se cachent derrière des rochers et des arbres, et ceux-ci appelleront : Ô Musulman, il y a un Juif qui se cache derrière moi, viens et tue-le ! »

Ce hadith - propos du prophète rapporté par la tradition - est très souvent mentionné dans le discours islamiste contemporain. On le retrouve notamment dans la charte du Hamas, à l’article 7. Il illustre la dimension apocalyptique de l’islam, et la vision d’un affrontement avec les juifs qui n’est pas seulement politique, mais eschatologique : il est la condition préalable à la venue de la fin des temps. Cette dimension de l’islam rappelle à certains égards les conceptions hitlériennes de l’affrontement quasi-métaphysique entre l’Allemagne et les juifs.

SUR LE MÊME SUJET
 

Le double discours de Dalil Boubakeur

Face à de tels propos dénués de toute ambiguïté, la réaction de l’imam Tataï, et plus encore celle du recteur de la mosquée de Paris, le soutenant et accusant les médias d’avoir « déformé ses propos », réveillent les soupçons de double discours de certains représentants de l’islam de France. Quand Dalil Boubakeur prend la défense de l’imam de Toulouse et soutient que ses propos ont été « décontextualisés », il sous-estime l’intelligence du public français. L’imam Tataï n’en était d’ailleurs pas à son coup d’essai, comme cela a été rappelé dans ces colonnes.

Les propos de l’imam Tataï constituent de toute évidence une incitation à la haine contre les juifs. Ils sont totalement contraires à la « charte des imams » et à la volonté affichée l’an dernier par le CFCM de lutter contre les discours radicaux tenus dans certaines mosquées, en proclamant « l’attachement des imams de France à l’islam du juste milieu et au pacte républicain ». Dans ce contexte, le discours du président Macron, selon lequel « il y a une lecture radicale, agressive de l'islam qui se fixe pour but de mettre en cause nos règles et nos lois de pays libre, de société libre dont les principes n'obéissent pas à des mots d'ordre religieux », est très en-deçà de la réalité.

SUR LE MÊME SUJET
 

Une triple réaction indispensable

L’affaire de l’imam Tataï constitue un test de la volonté présidentielle de « donner à l'islam un cadre et des règles garantissant qu'il s'exercera partout de manière conforme aux lois de la République ». Pour que le projet, maintes fois réaffirmé depuis plusieurs décennies, de créer un « islam de France » expurgé des discours radicaux, il faut que l’affaire de l’imam Tataï donne lieu à une triple réaction. Sur le plan judiciaire tout d’abord : la justice doit aller à son terme et condamner l’auteur des propos antijuifs. Il ne serait pas acceptable qu’un dirigeant religieux puisse prononcer des propos incitatifs à la haine, qui plus est dans une ville devenue un triste symbole du « nouvel antisémitisme » d’origine musulmane, sans être sanctionné.

Sur le plan politique ensuite : l’imam Tataï doit être démis de ses fonctions. Il n’est pas concevable que la nouvelle mosquée de Toulouse, qui vient d’être inaugurée, et la communauté musulmane de cette ville emblématique, soient abandonnées entre les mains d’un imam intégriste appelant à la guerre contre les juifs.

SUR LE MÊME SUJET
 

Sur le plan religieux enfin : cette affaire devrait donner l’impulsion nécessaire à une réflexion au sein de l’islam en France, pour que les hadiths comme celui des « rochers et des arbres », constitutifs d’un antijudaïsme virulent, apocalyptique et guerrier, soient abrogés ou tout simplement passés aux oubliettes. Cela est d’autant plus envisageable qu’il n’est pas question du Coran, mais simplement des propos attribués au prophète. Face à un discours islamiste radical et potentiellement meurtrier, le silence n’est plus de mise.

http://www.valeursactuelles.com/societe/macron-et-lislam-le-test-de-limam-de-toulouse-97230

See comments

Eclairer le monde ou l’obscurcir? Réponse aux idéologues de gauche qui ferment les yeux face à la réalité d’Eurabia, par Pierre Lurçat

March 6 2018, 12:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Bat Ye'or (photo P. Lurçat ©)

Bat Ye'or (photo P. Lurçat ©)

 

Les deux pleines pages consacrées par le Monde des Livres à l’historienne et essayiste Bat Ye’or, à l’occasion de la parution de son autobiographie, auront au moins eu le mérite de faire connaître au lectorat du Monde, pain quotidien des élites françaises, l’existence des travaux de celle qui, depuis plusieurs décennies, a porté à la connaissance des lecteurs du monde entier des sujets aussi importants que le dhimmi (sujet de son deuxième livre, Le Dhimmi, paru aux éditions Anthropos en 1980), la condition des minorités juive et chrétienne en terre d’islam et les notions essentielles de djihad et de dhimmitude. A ce titre, Bat Ye’or mérite la reconnaissance de tous ceux qui, sur plusieurs continents, ont découvert dans ses livres et ses écrits des notions indispensables à la compréhension du monde contemporain.

 

Le dhimmi, “ouvrage essentiel” (Le Monde en 1980)

 

Hélas, les lecteurs du Monde des Livres (et les auditeurs de France Culture, sur les ondes de laquelle sévit aussi le rédacteur en chef du supplément littéraire) n’en sauront pas beaucoup plus sur Bat Ye’or et sur son oeuvre. Son article relève plus en effet d’une entreprise de dénigrement et d’amalgame que d’une authentique enquête journalistique digne de ce nom, comme en attestent les lignes suivantes.  “Les obsessions pugnaces et les angoisses virulentes qui structurent son parcours s’enracinent dans le déracinement. Elevée au Caire dans une famille juive bourgeoise et cultivée, d’ascendance italienne côté paternel et franco-britannique côté maternel, Bat Ye’or, de son vrai nom Gisèle Orebi, a vu son monde vaciller puis s’effondrer De livre en livre, finalement, Bat Ye’or aura théorisé cette expérience d’inquiétude et de vulnérabilité, la radicalisant peu à peu jusqu’à l’universaliser dans un grand récit aux prétentions scientifiques douteuses, mais aux effets politiques explosifs”.

 

Ce portrait succinct contient plusieurs mensonges. Le premier est mineur, mais pas anodin. Bat Ye’or s’appelle certes Gisèle Orebi, de son nom de jeune fille, mais son vrai nom est Gisèle Littman, nom de son époux, David Littman, lui aussi historien et défenseur des droits de l’homme, disparu en 2012 (1). Ce dernier a non seulement partagé la vie de Bat Ye’or, mais il a aussi participé à ses combats et était lui aussi l’auteur d’une oeuvre importante et reconnue, touchant à des sujets très voisins de ceux abordés par son épouse, dont il a été le plus proche collaborateur, comme on le découvre en lisant son autobiographie (que J. Birnbaum n’a apparemment pas lue).

 

Gisèle et David Littman z.l.

 

L’absence de toute référence à Littman dans l’article du Monde des Livres n’est pas seulement une faute de goût ; elle participe en réalité d’une tentative pour discréditer les écrits et la personne de Gisèle Littman, présentée par Jean Birnbaum comme “l’hégérie des nouveaux croisés” et comme la coqueluche des sites et mouvements d’extrême-droite, surtout depuis la parution de son livre Eurabia.

 

Quand des intellectuels français reprennent à leur compte la terminologie islamiste

 

Le deuxième mensonge, plus significatif, consiste à faire croire que les écrits et travaux de Bat Ye’or participeraient d’une sorte de catharsis personnelle, tentative pour transformer une “expérience d’inquiétude et de vulnérabilité” en “grand récit” dont l’objectivité serait ainsi mise à mal par le vécu de son auteur… L’argument est familier aux lecteurs des auteurs post-modernes. Car comme on le sait aujourd’hui, il n’y a pas de vérité objective, mais seulement des “narratifs” concurrents… En vérité, derrière tout le fatras idéologique post-moderne auquel semble adhérer Birnbaum, se cache un autre “grand récit”, comme l’a bien vu Bat Ye’or elle-même, grand récit qui reprend à son compte la terminologie islamiste en parlant de “croisés” :

 

Il est curieux de voir ce vocabulaire qui est celui des organes et des penseurs de l’Organisation islamique mondiale parfaitement intégré par les intellectuels français – surtout lorsqu’on connaît les contextes et le sens auxquels il est associé. Le mot croisé, par exemple, est pris dans le sens médiéval du chrétien ennemi total et absolu de l’islam. Je ne suis pas certaine de la pertinence de ce terme aujourd’hui au vu des milliards prélevés sur les impôts payés par les Occidentaux pour le développement économique, l’aide aux réfugiés et aux migrants du monde musulman”.

 

Une historienne à l’écoute des courants souterrains de l’histoire

 

Jean Birnbaum, comme Ivan Jablonka dont il reprend presque mot à mot l’analyse très orientée (dans son article paru il y a une dizaine d’années dans la Vie des idées), opère une distinction entre l’historienne auteur du Dhimmi, que le Monde des livres lui-même avait salué comme un “livre de référence” lors de sa parution en 1980, et la polémiste auteur d’Eurabia, devenue “l’hégérie des croisés” et “l’inspiratrice” du tueur Breivik (accusation délirante et indigne, que Birnbaum reprend à son compte). Comme si rien ne s’était passé entre 1980 et 2005 (dates de parution respectives du Dhimmi et d’Eurabia), comme si Bat Ye’or seule, et pas le monde dans lequel nous vivons, avait changé…On reconnaît ici l’attitude dogmatique et la cécité au monde qui nous entoure propres aux idéologues de gauche, dont fait partie Birnbaum (2).

 

 

Si Bat Ye’or l’historienne est descendue de sa tour d’ivoire dans l’arène politique, en écrivant Eurabia et en forgeant ce néologisme entré, n’en déplaise aux gardiens de la pensée dominante, dans le vocabulaire politique contemporain, c’est parce que les nécessités de l’heure l’exigeaient. Après le 11 septembre, on ne pouvait plus se contenter d’analyser l’histoire de l’islam et de ses rapports conflictuels avec le monde environnant, comme s’il s’agissait uniquement du passé.

 

A l’opposé de cette exigence de lucidité et de courage, de nombreux universitaires français et occidentaux ont préféré fermer les yeux sur la réalité nouvelle de l’islam conquérant. Citons le cas de Gilles Kepel, ponte de l’islamologie en France, dont le grand livre Djihad, paru en l’an 2000, était sous-titré “Expansion et déclin de l’islamisme”... Quand sa thèse a volé en éclats dans le fracas des attentats du 11 septembre, nous n’avons pas entendu l’auteur se remettre en question. Au contraire, il a depuis lors publié plusieurs ouvrages médiocres et idéologiquement marqués, renvoyant dos-à-dos les militants de l’islam radical et les néo-conservateurs américains !

 

Dans une interview qu’elle m’avait accordée en 2005 pour le Jerusalem Post, Bat Ye’or expliquait ainsi la notion d’Eurabia, que ses détracteurs s’obstinent à décrire comme une “théorie du complot : “Eurabia est un nouveau continent qui est en train d'émerger, un continent de culture hybride, arabo-européenne. La culture européenne, dans ses fondements judéo-chrétiens, est en train de s'affaiblir progressivement, et de disparaître pour être remplacée par une nouvelle symbiose, islamo-chrétienne. J'ai reconnu ce processus, que j'avais déjà étudié dans mon livre sur les chrétientés d'Orient, où j'analysais les causes historiques du déclin des civilisations chrétiennes sous l'Islam... Ce qui m'a intéressée, c'est de tenter de découvrir les indices qui dessinent une évolution future, les courants souterrains de l'histoire qui mènent à des développements prévisibles, mais souvent imperceptibles”.

 

Le lecteur jugera qui a raison, entre le politologue français qui prédisait le “déclin de l’islamisme” en 2000, et l’historienne juive égyptienne qui tente depuis quatre décennies d’alerter le monde et d’éclairer les esprits sur les réalités de l’islam et de sa volonté de conquête.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Voir la page Wikipédia très exhaustive qui lui est consacrée : https://en.wikipedia.org/wiki/David_Littman_(activist)

 

(2) Birnbaum est pourtant lui aussi auteur d’un livre consacré à l’aveuglement de la gauche face à l’islam.

See comments

<< < 1 2 3