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islam et violence

Rencontres israéliennes : Michaël Ben Ari, un historien en quête de la vérité sur l’islam

June 30 2024, 10:32am

Posted by Pierre Lurçat

Rencontres israéliennes :  Michaël Ben Ari, un historien en quête de la vérité sur l’islam

 

J’avais rencontré Michaël Ben Ari pour Israël Magazine en 2010, alors qu’il était député à la Knesset (dans les rangs du parti “Ihoud Haleumi”). A l’époque, son attaché parlementaire était un certain… Itamar Ben Gvir, qui a fait depuis bien du chemin. Entretemps, Ben Ari a été interdit de se présenter à la 21e Knesset, pour “incitation au racisme”, sur décision de la Cour suprême, qui avait alors annulé la décision de la Commission électorale autorisant sa candidature. Douze ans après notre première rencontre, l’homme n’a guère changé au premier abord ; il est toujours aussi affable et passionné.

 

Notre entretien a lieu dans un petit café du quartier de Givat Tsarfatit, au nord de Jérusalem. Ben Ari est un homme pressé, car il vient tout juste d’achever son dernier livre, intitulé La vision et le sabre (en hébreu). Je lui raconte avoir publié il y a vingt ans un livre au titre presque identique, Le sabre et le Coran, portant sur un sujet similaire : l’islam des Frères musulmans. Nous évoquons les fondateurs du mouvement des Frères musulmans, Hassan al-Banna et Said Qutb. Ce dernier, lors d’un voyage aux Etats-Unis dans les années 1950, avait dirigé ses critiques acerbes contre l’Occident, lieu de déprédation et de superficialité.

 

Tout ce qu’il a écrit à l’époque était vrai…”, m’explique Ben Ari avec un brin de provocation. Comment en est-il venu à s’intéresser aux Frères musulmans et à consacrer quatre années à enquêter sur le thème de son livre ? “Au départ, j’ai voulu comprendre l’état d’esprit des Arabes israéliens… Petit à petit, j’ai remonté l’histoire jusqu’à la création des Frères musulmans, et finalement jusqu’aux débuts de l’islam”. Une des questions qui obsédait Ben Ari, bien avant le 7 octobre, est celle de savoir pourquoi nous sommes incapables de comprendre nos ennemis.

 

M. B.-A. Nous sommes devenus une société très matérialiste, qui juge le monde entier à l’aune du Dow Jones… Le concept de sainteté nous est devenu étranger.

C’est selon lui la racine de notre incompréhension de l’islam.

P.L. Pourtant, nos soldats se battent et sont prêts à donner leur vie…

M. B.-A. Nous sommes prêts à nous battre pour défendre nos vies, mais pas pour défendre notre terre. Si on nous proposait demain de donner la Judée-Samarie contre la paix, nous serions prêts à y renoncer !

 

Mon interlocuteur m’explique comment les Frères musulmans ont réussi à faire triompher leur vision du panislamisme, au détriment de leurs adversaires idéologiques au sein du monde arabo-musulman, le nationalisme et le panarabisme.

M. B.-A. Aujourd’hui, un immigré syrien qui débarque à Marseille est accueilli par la communauté musulmane locale, qui lui trouve un emploi et une école pour ses enfants… Je décris dans mon livre le programme politique des Frères musulmans, qui a été appliqué avec succès par le Hamas à Gaza. Ils ont commencé par créer des associations sportives et caritatives, avant de devenir une organisation militaire.

 

Pour écrire ce livre, Ben Ari – qui est spécialisé dans l’histoire du Second Temple – s’est plongé dans les textes des pères fondateurs des Frères musulmans, dont certains sont traduits en hébreu. Nous abordons le sujet des islamologues israéliens.

M. B.-A. Nous avons des islamologues compétents, mais ils refusent de voir la vérité et de l’exprimer sans fard, comme l’avait fait Samuel Huntington, qui avait écrit que les frontières de l’islam sont scellées par le sang.

Aux yeux de Ben Ari, la plupart des islamologues refusent de dire la vérité, allant jusqu’à expliquer que le mouvement islamiste arabe israélien n’a rien à voir avec les Frères musulmans !

 

P.L. Est-ce que nous ne savons pas, ou bien est-ce que nous refusons de savoir ?

M. B.-A. Nous refusons de savoir. Car nous sommes incapables d’affronter la vérité… Accepter de voir que nous avons laissé grandir un monstre qui veut nous détruire, et que le plus gentil de nos voisins arabes et le médecin le plus compétent à l’hôpital partagent la vision de l’islam, dans laquelle il n’y a pas de place pour les Juifs… Peut-être qu’il ne participera pas lui-même aux attentats, mais il les soutiendra financièrement. Les Frères musulmans représentent l’islam authentique, or l’islam est obligé de conquérir le monde. S’il ne le fait pas, cela veut dire que le Prophète s’est trompé…

 

P.L. Votre livre montre que le problème ne se limite pas à l’islam politique, ou à l’“islam radical” des Frères musulmans, car il concerne bien l’islam tout entier.

M. B.-A. Absolument. C’est précisément la raison pour laquelle l’Occident refuse de voir la vérité. Il refuse d’admettre que le conflit actuel est une guerre de civilisation, dans laquelle l’ennemi est l’islam tout entier. Nous préférons fermer les yeux et nourrir l’islam radical en notre sein, plutôt que d’affronter la vérité et d’en tirer les conséquences. Nous sommes incapables d’imaginer chez l’autre des choses auxquelles nous ne croyons pas…

P.L. En Israël aussi, nous n’avons pas voulu voir la réalité de l’islam et du mal radical. C’est presque une erreur philosophique. Nous n’avons pas pu croire qu’il existait un mal aussi absolu. Comme ces rabbins qui nous expliquaient avant le 7 octobre qu’Amalek ne désignait pas les Palestiniens…

(Extrait de l'article paru dans Israël Magazine, mai 2024)

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A la racine de la “Conceptsia” (III): Pourquoi les meilleurs islamologues israéliens sont-ils des Juifs pratiquants ?

June 3 2024, 10:41am

Posted by Pierre Lurçat

 A la racine de la “Conceptsia” (III):  Pourquoi les meilleurs islamologues israéliens sont-ils des Juifs  pratiquants ?

 

 

La plupart des islamologues, en Israël comme en Occident, ne peuvent s’empêcher de croire que les musulmans – y compris les plus radicaux – partagent avec nous certaines valeurs fondamentales, comme l’amour de la vie et le respect de l’autre. Ils sont incapables de penser le hiatus incommensurable qui nous sépare des tenants de l’islam militant, leur amour de la mort proclamé soir et matin et leur mépris de la vie humaine. Cet impensé est une des causes de la surprise tragique du 7 octobre. Troisième volet de notre série d’articles sur les orientalistes qui n’ont rien compris au Hamas.

 

A la racine de la “Conceptsia” : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas - VudeJerusalem.over-blog.com

A la racine de la “Conceptsia” (II) : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris à l'islam - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Dans les 2 premiers volets de cet article, nous nous sommes interrogés sur ces orientalistes israéliens, au sein de l’armée et de l’université, qui n’avaient rien compris au Hamas avant le 7 octobre, et qui persistent – pour certains d’entre eux – dans l’erreur depuis lors. Nous voudrions évoquer à présent ceux qui avaient compris ce qu’était le Hamas, et dont la voix n’a pas été entendue.

 

Un ami, professeur d’études arabes et hébraïques à la Sorbonne, m’a récemment raconté comment sa candidature à l’université de Tel-Aviv avait été rejetée, au profit d’une candidate non-juive allemande, militante LGBT et dont les opinions étaient supposées plus conformes à la doxa. Au-delà de l’anecdote, cela dit quelque chose du biais politique dont souffrent la plupart des universités israéliennes. Or les conséquences de ce biais vont bien au-delà de l’université, et elles ont quelque chose à voir avec le 7 octobre. Quel est en effet le point commun entre les spécialistes de l’islam que sont Ephraim Errera, Paul Fenton, Eliezer Cherki ou Tsvi Yehezkeli?

 

Ce sont tous des Juifs pratiquants. C’est sans doute une des raisons qui les ont empêchés de succomber aux sirènes du politiquement correct concernant l’islam et leur ont permis d’aborder leur sujet d’étude avec un état d’esprit différent des tenants de la “Conceptsia” que nous avons évoqués précédemment. En effet, comme nous l’avons expliqué, c’est la dimension religieuse – et plus encore, la dimension eschatologique et apocalyptique – de l’islam contemporain[1] qui a échappé aux orientalistes mainstream israéliens, tant dans l’université que dans les Renseignements militaires. Pourquoi?

 

Pour une raison à la fois très simple et profonde. La plupart des islamologues, en Israël comme en Occident, ne peuvent s’empêcher de croire que les musulmans – y compris les plus radicaux – partagent avec nous certaines valeurs fondamentales, comme l’amour de la vie et le respect de l’autre. Ils sont incapables de penser le hiatus incommensurable qui nous sépare des tenants de l’islam militant, leur amour de la mort proclamé soir et matin et leur mépris de la vie humaine. Cet impensé est une des causes de la surprise tragique du 7 octobre.

 

Celui qui a le mieux expliqué cet aspect fondamental du conflit entre l’islam, l’Occident et Israël est un politologue français, Pierre Manent. Dans son lumineux Cours de philosophie politique, il explique ainsi que l’Occident contemporain est intimement persuadé que la guerre n’a pas de raison d’être, idée qui est devenue “un bien commun de la plupart des écoles philosophiques et des partis politiques”. Pour le comprendre, il faut relire un philosophe libéral du 19e siècle, Benjamin Constant, qui écrivait en 1814:

Nous sommes arrivés à l’époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre”.

 

En quoi cette citation d’un auteur vieille de deux siècles éclaire-t-elle notre réalité dramatique actuelle ? Parce que, explique Pierre Manent, “son présupposé est aussi le nôtre” et que “sa psychologie est la nôtre. Nous pensons que le désir du bien-être et du confort est plus raisonnable, plus naturel, plus humain que le souci de l’honneur et le désir de vaincre”. Or c’est précisément ce présupposé et cette psychologie qui sont au cœur de la Conceptsia, que nous nous efforçons de décrypter ici.

 

La majorité des Israéliens, de leurs dirigeants civils et militaires, ont ainsi été persuadés que les chefs du Hamas avaient eux aussi le “désir du bien-être et du confort”, pour eux et pour leur peuple, et que les valises d’argent du Qatar suffiraient à calmer leur ardeur guerrière… Hélas ! Ce présupposé a volé en éclats le 7 octobre, dans le chaos et l’horreur de la guerre terrible lancée par le Hamas, pour qui “le souci de l’honneur et le désir de vaincre” sont bien plus importants que toutes autres considérations pratiques ou matérielles.

 

Pour être capable de comprendre cette donnée fondamentale du conflit qui oppose le peuple qui sanctifie la vie à celui qui sanctifie la mort, il faut donc faire abstraction de trois siècles de pensée rationaliste et d’idéologie des droits de l’homme. Il faut être capable de se mettre à la place d’êtres humains dont les valeurs suprêmes sont, pour citer Manent, “le souci de l’honneur et le désir de vaincre”, et dont la conception même de la victoire n’a rien à avoir avec la nôtre. En deux mots ; il faut être capable d’appréhender un mode de pensée et une culture qui n’ont rien à voir avec les nôtres, ce que la “crème” des orientalistes ont visiblement été incapables de faire avant le 7 octobre.

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon article concernant le Hamas, publié initialement en 2009, Le Hamas, un mouvement islamiste apocalyptique - Le CAPE (jcpa-lecape.org)

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A la racine de la “Conceptsia” (II) : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris à l'islam

May 16 2024, 13:05pm

Posted by Pierre Lurçat

A la racine de la “Conceptsia” (II) :  Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris à l'islam

Dans la première partie de cet article, nous nous interrogions sur ce spécialiste du Hamas qui prétendait – après le 7 octobre ! – que “les membres du Hamas sont des êtres humains comme nous”. Pour tenter de comprendre plus précisément encore son attitude et de savoir quelle a été l’erreur de ces orientalistes qui n’ont rien compris au Hamas, nous voudrions décrire leur erreur fondamentale, celle qui est à la base de tout l’édifice idéologique et intellectuel qui sous-tend la “Conceptsia”, la fameuse doctrine erronée qui a mené au 7 octobre.

 

Une enquête passionnante du journaliste Yaniv Kobovitz, récemment publiée dans Ha’aretz, cherche à comprendre comment les Renseignements militaires ont échoué à déchiffrer les intentions du Hamas avant le 7 octobre. Une des conclusions de cette longue enquête est que les dirigeants du département d’Aman (les Renseignements militaires) chargé du front Sud et de Gaza ne se préoccupaient plus, depuis 2021, de surveiller les faits et gestes des dirigeants du Hamas, étant entièrement obnubilés par les capacités strictement militaires du mouvement islamiste et par ses capacités de tirs de roquettes notamment.

 

Au-delà de cette explication très concrète, le fait est que les experts militaires ont – dans leur grande majorité – échoué à décrypter les intentions de l’ennemi à Gaza, en se focalisant sur des aspects purement techniques et opérationnels, au lieu de voir l’ensemble du tableau… Dans ce tableau général qu’ils ont négligé, un élément essentiel a particulièrement fait défaut : celui de l’idéologie et des croyances religieuses du Hamas. Paradoxalement ; c’est en effet la dimension religieuse du Hamas qui a largement échappé aux orientalistes experts du mouvement au sein de Tsahal.

 

Le soi-disant “pragmatisme” du Hamas : une illusion mortelle

 

Lorsqu’on relit aujourd’hui le livre consacré au Hamas par Avraham Sella, ancien analyste des Renseignements militaires, on est étonné (et accablé) de trouver à maintes reprises les adjectifs “pragmatique” ou “réaliste” pour décrire l’attitude des dirigeants du mouvement islamiste palestinien. Tout se passe comme si cet expert – qui n'est évidemment pas le seul dans ce cas – avait projeté sur les dirigeants du Hamas sa propre vision du monde et ses propres valeurs (rationalité, pragmatisme, poursuite d'intérêts économiques, etc.), au lieu de chercher à pénétrer dans la tête du Hamas.

 

Cette erreur capitale est très répandue. Elle repose sur une attitude commune à chacun de nous. Confrontés à d'autres hommes qui ne partagent pas notre culture, nous avons tendance à croire qu'ils ont néanmoins en commun avec nous certaines valeurs fondamentales, comme le respect de la vie ou l'amour de la paix. S'agissant du Hamas et de l'islam, cette croyance est totalement erronée. Ce n'est pas seulement que les terroristes de la Nou’hba et leurs chefs n'ont aucun respect pour la vie des civils israéliens, y compris les femmes et les enfants, mais ils n'en ont pas plus pour la vie de leurs propres concitoyens à Gaza…

 

C'est précisément cet écart culturel et moral incommensurable entre les valeurs de l'Occident et celles de l'islam qui rend difficile, voire quasiment impossible, toute négociation avec le Hamas sur les otages détenus à Gaza. Et c'est l'incapacité de ces experts à appréhender la culture de l'ennemi qui a rendu possible la surprise du 7 octobre, alors que “l'inscription était sur le mur”... Le refus d'aborder l'islam pour ce qu'il est, à savoir une culture mortifère et rétrograde, a empêché ces experts de faire leur travail et de donner à Israël les moyens d'anticiper l'attaque meurtrière du 7 octobre.

 

Comme l’explique le Dr. Michael Milstein, ancien des Renseignements militaires qui est un des voix discordantes dans la communauté des “orientalistes” israéliens, “celui qui se demande pourquoi le Hamas a déclenché l’attaque du 7 octobre et mis ainsi en péril son propre pouvoir démontre qu’il n’a rien compris au Hamas, qui est un mouvement religieux messianiste”. Dans la suite de cet article, nous tenterons de comprendre pourquoi c’est précisément cette dimension religieuse et messianiste du Hamas qui a échappé aux experts israéliens. (à suivre…)

Pierre Lurçat

 

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A la racine de la “Conceptsia” : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas

May 7 2024, 08:55am

Posted by Pierre Lurçat

A la racine de la “Conceptsia” :  Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas

C'est sur eux que repose la tâche essentielle de comprendre la mentalité et de “se mettre dans la tête” de l'ennemi… Mais, en s’obstinant à minimiser la violence intrinsèque à l’islam et à considérer les membres du Hamas comme des “êtres humains comme nous”, les experts des renseignements militaires et sécuritaires se sont empêchés d’anticiper l’attaque du 7 octobre, en dépit de tous les signes annonciateurs. Premier volet d’une série d’articles consacrée aux orientalistes israéliens qui n’ont rien compris au Hamas. P.L.

 

J’ai récemment interviewé, avec André Darmon, le général (rés.) Israël Ziv, devenu un invité régulier des plateaux de télévision et des radios depuis le 7 octobre. Dans l’entretien qui paraît ces jours-ci dans Israël Magazine, il raconte comment il est descendu vers Gaza dès le matin de Simhat Torah et les combats qu’il a menés pendant les jours qui ont suivi. Ziv est un homme courageux et sympathique. Mais, lorsque je lui ai demandé si le retrait du nord de la Samarie était une erreur, il devenu très ironique et presqu’agressif, en entonnant le refrain bien connu sur “Ben Gvir et Smotrich”... Aux yeux de Ziv et de bien d'autres, il n'est pas question de changer d'un iota leur vision du monde après le 7 octobre.

 

Cette attitude de mépris intellectuel est sans doute un des éléments clés de la “Conceptsia” qui a mené au 7 octobre, laquelle est partagée par de nombreux membres de l’establishment militaire, politique et sécuritaire israélien. Dans les lignes qui suivent, nous voudrions nous attacher à une des facettes moins connues de cette Conceptsia, celle des “orientalistes” et des spécialistes de l’islam au sein de l’establishment sécuritaire et des renseignements. Ce sont en effet ces derniers qui ont forgé la “conception” israélienne dominante concernant le Hamas depuis 2006, c’est-à-dire depuis l'arrivée au pouvoir du Hamas consécutive au retrait israélien de Gaza en 2005.

 

Pour réaliser à quel point cette Conceptsia était éloignée de la réalité du Hamas et de son idéologie, il suffit de lire l’extrait suivant d’une interview donnée par Avraham Sela au quotidien Ha’aretz, le 19 octobre 2023. “J’ai appartenu pendant 16 ans aux renseignements militaires, et aujourd’hui je suis à l’université, et je souhaite apporter la voix de la logique. Ni la vengeance, ni la victoire. Aujourd’hui il faut faire parler la logique, même lorsque notre sang bout… L’argument selon lequel les Arabes auraient une attitude [envers nous] inscrite dans leur A.D.N., est stupide à mes yeux. Car en fin de compte, nous avons affaire à des êtres humains”.

 

L’auteur de ces mots n’est pas n’importe qui. Il a occupé le poste d’analyste au sein des Renseignements militaires pendant 16 ans, avant d’aborder une carrière universitaire. Il est l’auteur avec Shaul Mishal d’un des ouvrages de référence sur le Hamas, paru en l’an 2000 aux éditions Columbia University Press, sous le titre The Palestinian Hamas, Vision, Violence and Coexistence. Lorsque j’ai lu ce livre, quelques années après sa parution, je travaillais moi-même à un ouvrage sur le Hamas, après avoir publié un premier livre sur les Frères musulmans[1]. J’ai éprouvé en lisant le livre de Mishal et Sela un sentiment de malaise, que je ne parvenais pas à définir alors. En le relisant après le 7 octobre, j’ai compris pourquoi. L’extrait suivant est révélateur de l’esprit dans lequel il a été rédigé.

 

Comment le Hamas a-t-il combiné le dogme religieux avec la pratique ? Quelles étaient les racines de la flexibilité qui a permis au Hamas d’échapper à la tentation de traduire sa rigidité normative en une attitude de “tout ou rien”? Et plus loin : “Les perspectives analytiques fondées sur des métaphores linéaires et des modes de pensée binaires ne peuvent pas appréhender ces incertitudes et ces complexités… C’est en s’écartant de la perception binaire qu’on parvient à une nouvelle manière de comprendre la complexité de la politique du Hamas, qui a permis au mouvement de manœuvrer entre la prose de la réalité politique sans jamais cesser de réciter la poésie de l’idéologie”.

 

J'aurais évidemment beau jeu de moquer cet extrait – et la métaphore poétique particulièrement inadaptée pour désigner l'idéologie meurtrière du Hamas – à la lueur de ce que l’on sait aujourd’hui. Mais mon propos n’est pas de tourner en dérision le livre de Mishal et Sela, au demeurant intéressant, mais bien de saisir ce qui, dans leur manière de considérer le Hamas, a abouti à la Conceptsia… Pour résumer, c’est leur obstination à récuser toute lecture culturelle – et plus précisément toute lecture fondée sur la culture arabo-musulmane du mouvement islamiste palestinien – qui est caractéristique de l’état d’esprit des tenants de la Conceptsia. Or, c’est précisément la culture de l’islam qui est la clé de la compréhension de l’idéologie du Hamas et, plus largement, du fait que la plupart des habitants de Gaza - sans être eux-mêmes membres ou affiliés au mouvement, partagent son idéologie et ont approuvé les exactions du 7 octobre. (à suivre…)

P. Lurçat

 

 

[1] Le Sabre et le Coran. Mon projet de livre sur le Hamas n’a pas abouti. J’ai publié à la place un livre sur les convertis à l’islam radical, intitulé Pour Allah jusqu’à la mort.

A la racine de la “Conceptsia” :  Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas

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Ramadan : la question occultée - L’islam, la violence et le sacré, Pierre Lurçat

March 6 2024, 08:42am

Posted by Pierre Lurçat

7 octobre : une violence intrinsèque à l'islam

7 octobre : une violence intrinsèque à l'islam

L’observateur attentif de l’actualité, en France, en Israël ou ailleurs, n’aura pas manqué de constater que le mois du Ramadan, mois le plus sacré du calendrier musulman, est aussi celui marqué chaque année par une vague de violences. Ce “secret” est évidemment bien gardé par les médias et les hommes politiques occidentaux, qui préfèrent s’afficher lors de repas de l’Iftar et faire des déclarations d’amitié et de “dialogue interreligieux”. Mais ce n’est pas sur la question de cette attitude – marquée par l’hypocrisie ou par la condescendance – que je voudrais m’interroger ici. Une question plus essentielle encore est en effet de savoir comment s’explique ce lien entre violence et sacré. Est-il intrinsèque à l’islam et peut-il dans ce cas être modifié ?

 

La première réponse possible est qu’il ne s’agit pas de l’islam tout entier, mais d’une branche bien particulière de l’islam – à savoir, l’islam politique des Frères musulmans, dont sont issues les principaux mouvements islamistes (du Hamas à Al-Qaïda), comme je l’ai montré dans mon livre Le sabre et le Coran. Effectivement, la plupart des attentats terroristes à notre époque émanent de mouvements radicaux qui partagent tous une vision particulière de l’islam, dans laquelle le Djihad a été érigé en “sixième pilier”’ de l’islam. Quoique juste, cette réponse est loin d’épuiser le sujet. Elle risque au contraire d’obscurcir la question.

 

Violence de l’islam ou violence dans l’islam ?

 

En réalité, le problème de la violence dans l’islam est intrinsèquement lié à l’islam en tant que religion, en tant que culture et en tant que civilisation : on doit ainsi parler de la violence de l’islam et pas seulement de la violence dans l’islam. A cet égard, l’islamisme (ou l’islam politique) n’est pas, comme l’avait cru l’écrivain tunisien Abdelwahab Meddeb, une “maladie de l’islam”, mais bien son expression la plus authentique qui soit. Israël l’a encore appris à ses dépens le 7 octobre dernier… Le Hamas, comme je l’ai écrit depuis lors, parle le langage de l’islam et c’est la raison principale de son succès au sein de la population de Gaza et ailleurs.

 

Une autre réponse est donnée par Marie-Thérèse Urvoy dans un livre récent. Le Coran lui-même, explique-t-elle, est marqué par une “ambiguïté initiale” et par une “tension interne entre visée spirituelle et ambition d’emprise sur le monde”. La vie même du Prophète permet de comprendre cette dualité. En effet, dans sa période mecquoise, celui-ci est persécuté et se considère comme victime, ce qui l’amène à prêcher la patience et le pardon des offenses. Plus tard, devenu un chef de guerre victorieux, il appelle au djihad physique contre les mécréants, proclamés ennemis de l’islam. L’orientation guerrière du texte coranique apparaît ainsi dans la fameuse Sourate 9, qui appelle au “combat dans le Sentier de Dieu”, expression promise à un brillant (et sanglant) avenir.

 

La troisième réponse tient à ce que René Girard appelait dans son livre La violence et le sacré le “désir mimétique”, qui engendrait la violence dans les sociétés primitives. A de nombreux égards, l’islam n’a pas réussi à dépasser cette étape de l’histoire commune aux grandes religions, et reste jusqu’à ce jour empêtré dans une vision binaire du monde, où la violence demeure la clé d’appréhension et de résolution des conflits. Comment l’islam, auquel la notion même d'histoire est largement étrangère, pourra-t-il évoluer et faire son aggiornamento ? La réponse appartient aux musulmans eux-mêmes. Quant à l’Occident, il devrait soutenir toutes les forces progressistes et réformistes authentiques au sein du monde musulman, au lieu de chercher des alliances contre nature avec les Frères musulmans et leurs épigones.

Pierre Lurçat

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