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hannah arendt

Soirées Internationales Schibboleth FIGURES DU MAL Paris-Tel Aviv en visioconférence - Séquence II - dimanche 20 Décembre 2020

December 16 2020, 13:28pm

Posted by Schibboleth

Dimanche 20 décembre 2020

18:30-20:00
Session 13 — L’antisémitisme au miroir de BDS. « Banalité du mal » et figures de la bonne conscience

  • avec
  • Maurice IFERGAN (journaliste)
  • Joel KOTEK (historien) : L'antisémitisme au miroir de BDS
  • Pierre LURÇAT (essayiste) : Banalité ou radicalité du mal ?
  • Hannah Arendt à Jerusalem
  • Yves MAMOU (journaliste) : Le lent cheminement de la bonne
  • conscience européenne
20h-21h30
Session 14 — Les secrets de Monsieur Chouchani (Michaël GRYNSZPAN)

Projection et conférence-débat autour du film éponyme de Michaël GRYNSZPAN
  • avec 

  • Antoine MERCIER (journaliste, réalisateur, écrivain)
  • Michaël GRYNSZPAN (réalisateur, journaliste, documentariste)
 

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Le retour de l’affaire Dreyfus - autour du film J’accuse de Roman Polanski

November 15 2019, 14:52pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Les spectateurs ne s’y sont pas trompés : ils ont plébiscité le film de Roman Polanski, J’accuse, sorti mercredi dernier sur les écrans, sur fond de polémique, et classé premier au box-office des nouveautés. Focalisé sur la personnage du colonel Picquart, dont il fait le héros véritable de l’affaire Dreyfus (1), le film est excellent. C’est un véritable “thriller” politico-judiciaire, dont on suit le déroulement avec une tension grandissante qui ne se relâche pas, durant plus de deux heures. Jean Dujardin, qui incarne Picquart, est époustouflant de vérité et c’est sans doute un de ses plus grands rôles à ce jour. Louis Garrel est lui aussi très bon dans le rôle de Dreyfus, et les autres acteurs également (Emmanuelle Seigner notamment, qui incarne la maîtresse de Picquart).


 

Du grand cinéma


 

La dimension juive minimisée

 

La dimension juive de l’Affaire est assez peu présente dans le film, pour plusieurs raisons. la première est que Dreyfus lui-même n’a jamais été un “héros juif”, mais bien plutôt une sorte de anti-héros, placé bien malgré lui au coeur d’une affaire qui le dépassait, et se battant pour défendre son innocence et faire valoir ses droits. A ce sujet, Hannah Arendt, une des nombreuses intellectuelles qui s’est intéressée à l’Affaire, note que “Dreyfus ne bénéficia jamais d’un acquittement dans les règles” et elle rappelle aussi qu’au moment du transfert du corps de Zola au Panthéon, voulu par Georges Clémenceau, Alfred Dreyfus fut agressé en pleine rue et que son agresseur fut acquitté par un tribunal parisien… (2) On aurait donc tort de croire que la victoire tardive (et partielle) des dreyfusards et du “J’accuse” de Zola marqua la fin d’un antisémitisme devenu endémique en France. Non seulement l’Affaire ne mit pas fin à l’antisémitisme, mais elle le fit plutôt redoubler de vigueur. 

 

Une autre raison de l’absence relative de la dimension juive dans J’accuse est que le film de Polanski, malgré toutes ses qualités, ne donne quasiment aucun contexte historique à l’Affaire (un film n’est pas un livre d’histoire...). Le film débute par la dégradation du capitaine, place du Champ-de-Mars, en supposant que chacun sait comment on en est arrivé là. Il n’évoque pas le contexte de l’antisémitisme grandissant, depuis l’affaire de Panama notamment, et l’essor prodigieux du journal La Libre Parole de Drumont, qui ont permis à l’antisémitisme de connaître l’ampleur que l’on sait, au tournant du siècle. La “haine la plus longue”, présente en France depuis des temps immémoriaux, connaît ainsi un pic sans précédent à la fin du 19e siècle, avant de culminer à nouveau au milieu du 20e siècle, sous le régime de Vichy. Pour les Juifs de France, la réhabilitation tardive du capitaine Dreyfus ne fut donc qu’une accalmie provisoire, en attendant la prochaine tempête...


 

Jean Dujardin : époustouflant de vérité


 

Dans sa préface à L’histoire de l’antisémitisme de Bernard Lazare, Jean-Denis Bredin observe que Lazare fut “le premier, sinon le seul, qui donna à l’Affaire sa dimension juive”. Quelle était-elle alors, et quelle est encore aujourd’hui cette dimension? Comme l’explique Renée Neher-Bernheim, l’Affaire Dreyfus fut “pour beaucoup de Juifs assimilés un rappel brutal de leur condition juive, et une prise de conscience salutaire… Nombre de jeunes universitaires se rapprochèrent du judaïsme ; certains d’entre eux (comme Bernard Lazare, Edmond Fleg, André Spire) se groupent autour de Péguy, qui fait de ses Cahiers de la quinzaine la revue des partisans de Dreyfus et de la justice” (3). Point de départ d’un retour aux racines juives, l’Affaire a aussi joué un rôle important dans l’histoire du sionisme politique.

 

L’affaire Dreyfus, Herzl et le sionisme

 

Dans l’imagerie d’Epinal de l’historiographie sioniste, une des images les plus tenaces est en effet celle du fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl, assistant à la dégradation de Dreyfus au Champ-de-Mars (en tant que correspondant parisien de la Neue Freie Presse) et “découvrant” à cette occasion l’idée sioniste. La réalité, comme souvent, est plus complexe. Citons à cet égard deux auteurs aux vues opposés : Renée Neher-Bernheim et Georges Weisz. La première, dans son Histoire juive de la Renaissance à nos jours, présente la vision traditionnelle : “La dégradation eut lieu le 5 janvier 1895 à Paris… De nombreux reporters et journalistes assistèrent à la scène. Parmi eux, Théodore Herzl, pour qui cette vision fut la révélation fulgurante de l’antisémitisme, et le point de départ de son orientation ultérieure”. 

 

Une version cinématographique antérieure de l’Affaire

 

Georges Weisz, de son côté, remet en cause cette conception en écrivant que “l’examen attentif de la jeunesse de Herzl met en évidence d’une part, la conscience aiguë qu’il avait de sa judéité bien avant l’Affaire Dreyfus, et elle amène, d’autre part, à douter de la causalité  directe entre l’Affaire Dreyfus et la révolution intérieure qu’il va vivre en 1895”. (4) Quoi qu’il en soit, l’Affaire Dreyfus fut lourde de conséquences, tant dans l’histoire de la France au vingtième siècle que dans celle des Juifs de France et du peuple Juif.

Pierre Lurçat

 

(1) L’idée d’un Picquard héros sans faille est remise en question par l’historien Philippe Oriol, spécialiste de l’Affaire, dans un livre qui vient de paraître.

https://www.grasset.fr/livres/le-faux-ami-du-capitaine-dreyfus-9782246860044

(2) H. Arendt, Les origines du totalitarisme, Quarto Gallimard p. 381.

(3) R. Neher-Bernheim, Histoire juive de la Renaissance à nos jours. Tome 2 p. 295. Paris, éditions Klincksieck 1971.

(4) G. Weisz, Theodor Herzl. Une nouvelle lecture. L’Harmattan 2006. Page 41.

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La négation du mal et l’angélisme meurtrier de la gauche, Pierre Lurçat

August 19 2018, 15:53pm

Posted by Pierre Lurçat

“La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas”

Baudelaire, Le Spleen de Paris

La citation placée en exergue (1) m’est revenue en mémoire, en lisant sur Internet l’histoire terrible de ce couple d’Américains jeunes et naïfs, partis au Tadjikistan en vélo, qui ont fini assassinés par des hommes de l’Etat islamique, morts parce qu’ils croyaient que le mal n’existe pas (comme ils l’ont écrit sur leur blog). Le mal est un concept imaginaire que nous avons inventé pour faire face à la complexité des valeurs, des croyances et des perspectives différentes des nôtres….. En général, les humains sont gentils”, expliquaient ces modernes Candides. L’histoire tragique de ce jeune couple américain n’est pas un simple fait divers : elle illustre l’angélisme d’une partie non négligeable de la gauche en Occident, angélisme qui s’avère souvent meurtrier face à des ennemis sanguinaires qui incarnent le mal aujourd’hui, tout comme il le fut hier, face à Hitler et ses alliés.

Le couple d'Américains victimes de l'Etat islamique et de leur angélisme

 

Nous croyons souvent être immunisés, en tant que Juifs, contre la naïveté et l’angélisme, après la Shoah et alors que le “devoir de mémoire” est devenu un nouveau commandement universellement partagé, en apparence, au sein du monde démocratique. Pourtant, l’histoire récente, en Israël et ailleurs, nous montre que nous ne sommes nullement à l’abri de cet angélisme meurtrier. Le supplément hebdomadaire du quotidien israélien Makor Rishon le rappelle utilement, dans un numéro spécial publié ce vendredi à l’occasion du 25e anniversaire des accords d’Oslo, sous le titre évocateur : “Du champagne et du sang”.

 

Le champagne, c’est celui des célébrations officielles qui ont accompagné le “processus de paix” pendant les semaines d’euphorie qui ont précédé et accompagné la signature de ces accords, censés amener la paix et la tranquillité aux Israéliens. Le sang, c’est celui des milliers de victimes innocentes du terrorisme palestinien, dont le nombre a été décuplé après l’intronisation d’Arafat en “partenaire de paix” et son arrivée triomphale à Gaza.


 

L’attentat de la pizzeria Sbaro à Jérusalem, 2001

 

Dans ce supplément spécial, Haggaï Segal rappelle que le principal architecte des accords, Shimon Pérès, avait prononcé devant la Knesset un discours au ton bien différent de l’angélisme qu’il a adopté à l’époque d’Oslo. Cela se passait en 1979, alors que Yasser Arafat venait d’être accueilli à Vienne par le chancelier autrichien Bruno Kreisky, premier chef d’Etat occidental à reconnaître l’OLP comme “représentant officiel du peuple palestinien”. Le Premier ministre Menahem Begin s’exprima avec virulence devant la Knesset, rappelant les attentats meurtriers commis par l’OLP à Kyriat Shemona et ailleurs, et citant longuement la Charte de l’OLP. Après Begin, ce fut au tour du chef de l’opposition d’alors Shimon Pérès, de prendre la parole. Lui aussi s’en prit à l’OLP et à ceux qui prétendaient vouloir négocier avec son chef, concluant son discours par ces mots : “Il est clair à nos yeux que les loups ne changent pas lorsqu’on les caresse”. Alors pourquoi a-t-il fini par caresser les loups de l’OLP?


 

“Les loups ne changent pas lorsqu’on les caresse”


 

L’idéologie pacifiste qui a triomphé à l’époque des accords d’Oslo a des racines anciennes (2), qui remontent à l’époque du Mandat britannique, quand une poignée d’intellectuels juifs allemands réunis autour de Martin Buber créèrent le Brith Shalom, ancêtre lointain de Chalom Archav. Ceux-ci professaient le même pacifisme angélique et la même idéologie de “la paix à tout prix”, coupée des réalités de la région et du monde qui entoure Israël. Cette idéologie n’a pas disparu avec l’échec des accords d’Oslo : elle est encore bien vivante aujourd’hui. On en donnera pour preuve les lignes suivantes, écrites par l’éditorialiste Shalom Yerushalmi :

 

Nétanyahou est obligé d’entretenir chez chaque citoyen (israélien) une profonde crainte pour sa vie et sa sécurité… C’est la raison de son entêtement concernant la Loi sur la Nation, qu’il va transformer en étendard lors des prochaines élections… Dans quelques années, quand il ne sera plus là, nous pourrons nous demander pourquoi nous avons vécu si longtemps dans la crainte de l’Iran, du Hezbollah et de tous les autres ennemis inventés par Nétanyahou. (Makor Rishon, 17/8/2018). Ainsi, aux yeux d’une partie importante de la gauche israélienne, le danger n’est pas la bombe iranienne, ou les missiles du Hezbollah pointés sur Israël… Le seul danger véritable, c’est Nétanyahou et la Loi sur la Nation...

 

Hannah Arendt : “le mal n’est jamais radical”


 

Il y a plus de soixante ans, en pleine polémique sur le procès Eichmann, Hannah Arendt tentait d’expliquer à son vieil ami Gershom Scholem son idée de la “banalité du mal” :“À l’heure actuelle, mon avis est que le mal n’est jamais “radical”, qu’il est seulement extrême, et qu’il ne possède ni profondeur ni dimension démoniaque” (3). Cette conception philosophique d’un mal qui n’est ni radical ni démoniaque, développée par celle qui est largement devenue l’icône juive de l’intelligentsia contemporaine, depuis plusieurs décennies, n’est sans doute pas étrangère aux errements politiques de la gauche actuelle, en Israël comme ailleurs.

Pierre Lurçat

 

Notes

(1) Cette réflexion de Baudelaire est citée par l’écrivain et philosophe Denis de Rougemont, dans son beau livre La part du diable, écrit en pleine guerre, alors qu’il était réfugié aux Etats-Unis.

(2) Je renvoie à ce sujet à mon livre La trahison des clerc d’Israël, La Maison d’Edition.

(3) Cité par Mireille-Irène Brudny, “La polémique Scholem/Arendt ou le rapport à la tradition”. Raisons politiques, vol. no 7, no. 3, 2002, pp. 181-198.

 

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Hannah Arendt et le combat pour une armée juive (II) : de l’engagement à la distanciation

November 2 2017, 14:59pm

Posted by Pierre Lurçat

Hannah Arendt et le combat pour une armée juive (II) : de l’engagement à la distanciation

Dans la première partie de cet article, nous avons vu comment la philosophe juive allemande, exilée en France puis aux Etats-Unis, avait évolué d’un intérêt purement théorique pour les questions juives à un engagement politique, à la suite de son internement au camp de Gurs et de sa rencontre avec des militants et des organisations sionistes. Dans la seconde partie, nous allons à présent retracer son engagement en faveur d’une armée juive et ses rapports ambivalents avec les autres protagonistes de ce combat, qui la conduiront à s’éloigner de la cause sioniste.

 

Son premier texte sur le sujet, “ “L’armée juive - le début d’une politique juive?”, (1) prend pour point de départ la commémoration de la Déclaration Balfour par les organisations sionistes américaines, et “leur revendication d’une armée juive pour défendre la Palestine”. Arendt reprend à son compte cette revendication, affirmant que “ce qui aujourd’hui ne représente encore qu’une exigence isolée des Juifs de Palestine et de leurs représentants à l’étranger doit devenir demain la volonté active d’une grande partie du peuple, qui prendra part au combat contre Hitler, en tant que Juifs, dans des formations juives et sous le drapeau juif.

 

Comme l’a fait remarquer Adam Kirsh (2), ces phrases auraient pu être écrites par un disciple de Zeev Jabotinsky, le théoricien de la droite sioniste et promoteur de la première armée juive, la Légion juive, pendant la Première Guerre mondiale. C’est en effet à la droite de l’échiquier politique juif et sioniste qu’est né l’idée d’une armée juive, non pas pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais  trente ans auparavant, au début de la Première Guerre mondiale. Jabotinsky, alors correspondant de guerre d’un journal russe, se trouvait à Bordeaux lors de l’annonce de l’entrée en guerre de la Turquie, aux côtés des Empires centraux (l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie). C’est là, comme il le relate dans son autobiographie, qu’il eut l’intuition que les Juifs devaient se ranger aux côtés des pays de la Triple-Entente contre les Empires centraux (3).

Le campement de la Légion Juive, Yom Kippour, Jabotinsky est au premier rang


 

De fait, Arendt a rejoint, par sa réflexion et sur le fondement de son expérience vécue de la condition juive, les prémisses de la pensée sioniste. Comme l’indique le titre de son premier article sur le sujet, daté du 14 novembre 1941, elle envisage le combat pour une armée juive comme “le début d’une politique juive” car, plus précisément : “la défense de la Palestine est une partie du combat en vue de la liberté du peuple juif”. Cette affirmation montre à la fois sa convergence avec l’idée sioniste, et aussi - déjà - les limites de son identification au projet de création d’un foyer national. Elle place en effet la liberté du peuple juif dans sa totalité au-dessus du combat pour la Palestine juive (c’est un des points d’achoppement qui justifieront par la suite son éloignement du mouvement sioniste officiel).


 

Dans un nouvel article publié le 26 décembre 1941 (“Ceterum Censeo” - “En outre, je pense” - citation de Caton l’Ancien, qui terminait par ces mots ses interventions devant le Sénat romain), (4) elle explique ainsi la nécessité d’une armée juive se battant sous un drapeau juif : “Les Juifs combattent aujourd’hui sur tous les fronts : les Juifs anglais dans l’armée anglaise, les Juifs palestiniens dans le corps expéditionnaire libyen, les Juifs russes dans l’Armée rouge et enfin les Juifs américains dans l’armée et la Marine. Mais lorsque, après avoir remporté un combat, les Juifs de Palestine ont eu l’audace de hisser un petit drapeau juif, ils ont aussitôt été mis à l’écart. Après cette guerre, on écartera de la même manière nos délégués de la salle de réunion des puissances de ce monde…” Cette argumentation rejoint presque mot pour mot celle déployée par Jabotinsky, au début de la Première Guerre mondiale, pour justifier la revendication d’une force militaire juive : pour exister sur la scène internationale, les Juifs doivent être présents sur les champs de bataille, sous leur propre drapeau et pas seulement en tant que soldats des armées des pays où ils vivent.

 

Arendt au milieu des années 1940 aux Etats-Unis

 

Dans le même article, Arendt signale la tenue à Washington de la conférence du “Comité pour une armée juive”, émanation du mouvement sioniste révisionniste (5) en Amérique. Le Committee for a Jewish Army of Stateless and Palestinian Jews venait en effet d’être constitué par plusieurs membres de la New Zionist Organization of America (NZOA), branche américaine du sionisme révisionniste, au premier rang desquels se trouvait Hillel Kook. Kook, plus connu sous le pseudonyme de Peter Bergson, était le neveu du grand-rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, grand-rabbin de la Palestine mandataire dans les années 1930. Il fut le principal protagoniste du combat pour la création d’une armée juive aux Etats-Unis, avant de se consacrer à la mobilisation de l’opinion américaine pour sauver les Juifs d’Europe (6). Hannah Arendt, dans cet article du 26 décembre 1941, observait que la conférence du CJA avait eu “deux résultats positifs”, et tout d’abord “démontré que l’opinion publique non juive reconnaît et accepte l’idée d’une armée juive”.

 

De fait, l’action de lobbying menée par Bergson et ses amis était tournée en grande partie vers l’opinion publique américaine en général, et lors de sa première manifestation publique, quelques mois auparavant, tenue au centre de Manhattan en juin 1941, le principal orateur était le journaliste néerlandais Pierre van Paassen, qui présida le CJA entre 1941 et 1942. Mais Arendt émettait cependant des réserves sur l’appartenance politique des dirigeants du CJA, affirmant que “pour ce qui est des révisionnistes eux-mêmes, nous ne pourrons faire taire nos soupçons tant qu’ils n’auront pas exposé de façon claire et nette que leur politique terroriste en Palestine à l’époque des émeutes fut une erreur lourde de conséquences, [et] que non seulement ils sont prêts à se mettre d’accord avec la classe ouvrière, mais qu’ils reconnaissent que nos droits en Palestine ne peuvent être représentés que par les travailleurs”.

 

“The Forgotten Ally”, livre de P. Van Paassen

 

Dans la suite de cet article, nous verrons comment les réserves émises par Arendt sur le Committee for a Jewish Army vont évoluer très rapidement en une hostilité ouverte et l’amener finalement à rompre toute relation avec les défenseurs d’une armée juive aux Etats-Unis, prélude à la fin de son engagement sioniste.

 

Pierre Lurçat

Notes

1. Paru en allemand dans la revue juive américaine Aufbau le 14.11.1941.

2. Adam Kirsh, “Arendt’s conflicted Zionism”, New York Sun, 21/3/2007 http://www.nysun.com/arts/arendts-conflicted-zionism/50903/

3. Jabotinsky,Histoire de ma vie, p. 126 et s., Les provinciales 2011, trad. de P. Lurçat.

4. Publié dans Aufbau, trad. française dans Auschwitz et Jérusalem, repris dans Ecrits juifs, p. 276.

5. Le courant “révisionniste” du sionisme désigne la volonté de revenir aux fondamentaux du sionisme politique d’Herzl.

6. Voir D. Wyman et R. Medoff, A Race against Death, Peter Bergson, America and the Holocaust, The New Press, New York .

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Hannah Arendt et le combat pour une armée juive

October 21 2017, 19:28pm

Posted by Pierre Lurçat

Hannah Arendt et le combat pour une armée juive

 

“Le peuple juif commence pour la première fois à découvrir une vérité qu’il ignorait jusqu’à présent, à savoir qu’on ne peut se défendre qu’en qualité de ce au nom de quoi on a été attaqué. Un homme qui a été attaqué en tant que Juif ne peut pas se défendre en tant qu’Anglais ou que Français, sinon le monde entier en conclura tout simplement qu’il ne se défend même pas”

 

H. Arendt, “L’armée juive - le début d’une politique juive?”, Aufbau 14.11.1941


 

L’engagement d’Hannah Arendt en faveur de la création d’une armée juive pendant la Deuxième Guerre mondiale est beaucoup moins connu que la plupart de ses autres combats politiques. Le lecteur contemporain pourrait facilement être induit en erreur et croire que la philosophe juive allemande, dont l’aura n’a cessé de croître depuis le début des années 1960, s’est toujours opposée au sionisme et à l’Etat d’Israël, notamment à l’occasion de la fameuse polémique déclenchée par son compte-rendu du procès Eichmann, publié dans les colonnes du New Yorker puis sous forme d’un livre (Eichmann à Jérusalem), qui a suscité un intérêt jamais démenti depuis. Les choses sont éminemment plus complexes.

 

Cet engagement constitue, selon l’historien Walter Laqueur, la première fois où Arendt s’aventura dans le domaine de la politique, bien avant ses premiers écrits sur l’antisémitisme ou le totalitarisme qui lui vaudront sa renommée internationale. C’est pendant la guerre d’Espagne qu’elle aurait eu pour la première fois l’idée de revendiquer la création d’unités armées se battant sous un drapeau juif. Plus tard, elle fera de cette exigence un véritable leitmotive, dans plusieurs articles publiés entre 1942 et 1944, qui constituera “l’essentiel de son combat des deux premières années américaines” (1).

 

Avant de relater ce combat et de tenter de comprendre ses motivations profondes, il faut retracer brièvement comment Hannah Arendt a évolué, passant d’un intérêt pour les choses juives purement historique et théorique (dans le contexte de ses travaux sur Rahel Varnhagen, notamment), à une véritable conscience juive, ou plus exactement, à une conscience politique juive. La réponse se trouve dans la période 1933-1945. En effet, si les années passées en Allemagne auront été pour Arendt celles de sa formation intellectuelle et philosophique, la période française et américaine sera celle de son éducation politique. C’est en grande partie sous l’ombre grandissante du nazisme que la philosophe, dont la thèse portait sur “le concept d’amour chez Saint Augustin”, va se tourner vers les sujets de philosophie politique.

 

Le sionisme d’Arendt

 

La première étape de cette évolution est sa découverte du sionisme, qui a pris la forme de rencontres personnelles. Celle de Kurt Blumenfeld tout d’abord. Le dirigeant sioniste allemand, ami de sa famille devenu un ami personnel, lui confie au printemps 1933 la mission de rassembler des documents sur la propagande antisémite, ce qui lui vaut d’être brièvement arrêtée par la police avec sa mère. Libérée, elle décide de quitter l’Allemagne. La seconde étape se situe lors de son exil à Paris, où Arendt travaille pour deux organisations sionistes, tout d’abord au sein de l’association Agriculture et artisanat”, qui prépare les candidats à l’immigration en Eretz-Israël, puis dans le cadre de l’Alyah des Jeunes. C’est à cette occasion qu’elle effectue son premier voyage en Palestine, accompagnant un groupe d’adolescents juifs en 1935.

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Groupe de jeunes juifs allemands de l’Alyat Hanoar

 

Mais son expérience la plus marquante, pendant les années noires de la montée du nazisme puis de la guerre, sera celle de l’internement à Gurs, en mai 1940, après son arrestation à Paris et son passage par le tristement célèbre Vélodrome d’Hiver. La condition de réfugié, éprouvée par Arendt dans sa chair, est incontestablement un des facteurs qui la conduiront à réfléchir sur le totalitarisme, thème de son premier grand livre de l’après-guerre. Mais avant même de réfléchir sur les grands sujets de philosophie politique qui seront au coeur de son oeuvre, elle consacre plusieurs articles, écrits en pleine guerre, à la condition de réfugié, sur un ton personnel et autobiographique qu’on ne retrouvera guère dans ses écrits d’après-guerre.

 

Ainsi, écrit-elle en 1943 dans son grand article “Nous autres réfugiés” (2), “Nous avons laissé nos parents dans les ghettos de Pologne, et nos meilleurs amis ont été assassinés dans les camps de concentration, ce qui signifie que nos vies privées ont été brisées… C’est pourquoi nous abandonnons la terre et tournons nos regards vers le ciel. Ce sont les étoiles - plutôt que les journaux - qui nous prédisent la défaite de Hitler… Je ne sais quels souvenirs et quelles pensées hantent nos rêves nocturnes… Mais parfois j’imagine qu’au moins la nuit nous nous souvenons de nos,morts et des poèmes que nous avons aimés autrefois”.

 

Le “Nous” qui s’exprime dans ce texte poignant est assez rare sous sa plume, pour mériter d’être souligné. Comme le relève Pierre Bouretz, interrogée sur ses opinions politiques en 1972, Arendt répondait : Je n’appartiens à aucun groupe. Vous savez que le seul groupe auquel j’ai jamais appartenu était celui des sionistes. C’était bien sûr seulement à cause d’Hitler. C’était entre 1933 et 1943. Ensuite, j’ai rompu”. Cette réponse cinglante et laconique rappelle la réponse qu’elle fera à Gershom Scholem, qui lui reprochera de manquer d’Ahavat Israël (amour d’Israël) lors de la polémique consécutive au procès Eichmann : “Je n’éprouve d’amour que pour les personnes, pas pour les peuples…”

 

Entre 1940 et 1945, Hannah Arendt se considère donc comme une Juive engagée et sioniste. Chassée de son pays natal, séparée de sa famille et de ses proches, internée comme étrangère et privée de sa liberté (“concept fondamental de toute politique”, écrira-t-elle), elle va élaborer l’esquisse d’une pensée politique juive radicale, d’une logique implacable, dont elle tirera toutes les conséquences. C’est ainsi que se conçoit son projet d’armée juive, qu’elle va défendre avec constance pendant une large partie des années 1940-1945. Dans la deuxième partie de cet article, nous verrons comment Arendt se consacrera au projet d’armée juive, aux côtés d’organisations sionistes américaines, avant d’évoluer vers une attitude critique et de se séparer définitivement du combat sioniste.

 

Pierre Lurçat

 

Notes

1. P. Bouretz, « Hannah Arendt et le sionisme : Cassandre aux pieds d'argile », Raisons politiques, vol. no 16, no. 4, 2004, pp. 125-138.

2. Article paru dans The Menorah Journal, janvier 1943, puis repris dans The Jew as Pariah et en français dans La tradition cachée.

3. « On Hannah Arendt », in Melvyn A. Hill (éd.), Hannah Arendt: The Recovery of the Public World, New York, St. Martin’s Press, 1979, p. 334. Cité par P. Bouretz, « Hannah Arendt et le sionisme : Cassandre aux pieds d'argile ».

 

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