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Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

April 16 2023, 10:26am

Posted by Pierre Lurçat

Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

En hommage à l'écrivain disparu à la veille du dernier jour de Pessah, je republie ici ces lignes extraites de mon livre La trahison des clercs d'Israël. P.L

 

Dans une interview donnée il y a quelques semaines au journal Olam Katan, publié à Jérusalem, l’écrivain Meir Shalev déclarait : « La littérature n’a plus aujourd’hui d’influence sur la politique en Israël ». Avec franchise, il reconnaît ainsi que son activité de publiciste et les articles qu’il publie dans Yediot Aharonot depuis plus de 25 ans ne convainquent que les convaincus, et qu’il n’exerce aucun « magistère moral », brisant ainsi le stéréotype de l’écrivain israélien engagé, que les médias ont bâti depuis plusieurs décennies autour de certains auteurs, parmi lesquels Amos Oz, A.B. Yehoshua et David Grossman.

 

Meir Shalev est né en 1948 à Nahalal, fameux moshav de la vallée de Jezréel où habita Moshé Dayan et où étudia la poétesse Hanna Senesh, tragiquement disparue pendant la Deuxième Guerre mondiale. Shalev appartient à une famille d’écrivains : son père, Itshak Shalev, était un poète et sa cousine est l’écrivain Zeruya Shalev, qui m’avait déclaré dans une interview il y a quelques années ne pas vouloir mêler la politique et la littérature et dont l’œuvre explore surtout les territoires de l’âme humaine*.

Shalev est un écrivain engagé qui s’exprime régulièrement sur les sujets brûlants de la politique israélienne, revendiquant des opinions de gauche très marquées sur la question des territoires et de la question palestinienne. A cet égard, il est très éloigné des idéaux de son père, qui faisait partie du Mouvement pour l’Intégrité de la Terre d’Israël, aux côtés des écrivains Nathan Alterman et Moshé Shamir (lequel n’a pratiquement pas été traduit en français).


A l’instar d’Amos Oz, qui appartenait à une famille sioniste révisionniste (son oncle était l’historien Joseph Klauzner, comme il l’évoque dans son beau livre autobiographique, Une histoire d’amour et de ténèbres), Shalev a effectué un virage à 180 degrés par rapport à la génération de ses parents. Paradoxalement, les écrivains de la génération des pères (Shalev père, Alterman) exerçaient, eux, une véritable influence politique en Israël.

Comme le reconnaît Shalev, « Lorsqu’Alterman publiait un poème politique, tant Ben Gourion que Moshé Dayan étaient influencés par ce qu’il écrivait… Lorsqu’il a publié des propos critiques contre des soldats qui avaient attaqué des civils, les coupables ont été punis… » Cet exemple est révélateur, parce qu’il contient sans doute une raison de la perte d’influence des écrivains israéliens sur la politique intérieure du pays.


Quand Alterman s’élève contre un acte de violence à l’encontre de civils commis par des soldats, il exerce son autorité morale, sans remettre en cause les prérogatives de l’armée, au nom du principe de « pureté des armes » inhérent à l’éthos sioniste de son époque. Tout autre est l’attitude d’Amos Oz ou de D. Grossman, lorsqu’ils se servent de leur notoriété politique pour exprimer des opinions critiques contre « l’occupation des territoires » ou la « colonisation » ; loin de renforcer la moralité de Tsahal en dénonçant d’éventuels dérapages (qui existent dans toutes les armées du monde), ils partent du postulat que toute action militaire israélienne est suspecte a priori et que « l’occupation » corrompt l’armée et la société dans son ensemble depuis 1967.

La position assumée aujourd’hui par plusieurs écrivains israéliens, parmi les plus réputés en dehors d’Israël ressemble, de l’avis de Shalev, à celle des prophètes face au pouvoir politique dans la Bible. Or, « même à l’époque du Tanakh », écrit-il, « rares étaient les prophètes qui avaient une influence véritable… En général, le prophète occupe, à l’instar de l’écrivain, le rôle de l’opposant systématique… ». Le propos de Shalev infirme l’idée – trop souvent entendue – selon laquelle l’écrivain aurait quelque chose à dire sur les questions politiques, en tant qu’autorité morale incontestable. Aux yeux de Shalev, l’écrivain israélien n’assume aujourd’hui aucun magistère ; il a le droit de s’exprimer mais il prend le risque de ne pas être entendu et de parler dans le désert…


En vérité, si l’on poursuit la comparaison judicieuse faite par Shalev, les écrivains israéliens les plus adulés par les médias étrangers, en raison de leurs opinions politiques tout autant que pour leur œuvre littéraire, sont considérés comme des « prophètes » en dehors d’Israël, mais pas dans leur pays natal, où leurs opinions n’étonnent – et n’intéressent – presque plus personne… Comme dit le proverbe, Nul n’est prophète en son pays…


Au-delà des opinions politiques qu’il défend dans cette interview, Shalev exprime aussi son amour pour la langue hébraïque et pour le Tanakh. Extraits : « Je considère [la Bible hébraïque] comme le fondement de la culture à laquelle j’appartiens et de la langue dans laquelle j’écris. En outre, une des caractéristiques littéraires marquantes de la Bible est qu’elle ne s’aventure pas dans des descriptions psychologiques, comme celle dont la littérature moderne est friande. Elle ne décrit presque que des actes et des paroles… »

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d'Israël, La Maison d'édition 2016)

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J'ai le plaisir d'annoncer la parution de mon nouveau livre, Quelle démocratie pour Israël : gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L’éléphant 2023.

 

Un ouvrage de droit qui se lit comme un roman policier

Liliane Messika

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël

Albert Lévy

 
Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

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Israël “Etat d’apartheid”? Contre-vérités et propagande mensongère autour de la Loi “Israël Etat-nation du peuple Juif”, par Pierre Lurçat, avocat

August 6 2018, 16:20pm

Posted by Pierre Lurçat

Israël “Etat d’apartheid”? Contre-vérités et propagande mensongère autour de la Loi “Israël Etat-nation du peuple Juif”, par Pierre Lurçat, avocat

Israël “Etat d’apartheid”? Contre-vérités et propagande mensongère autour de la Loi “Israël Etat-nation du peuple Juif”, par Pierre Lurçat, avocat

 

“Tes destructeurs et les auteurs de ta ruine sortiront de toi”.

Isaïe 49, 17

 

Depuis le vote par la Knesset de la Loi fondamentale “Israël Etat-nation du peuple Juif”, les opposants à la loi en Israël, relayés par certains médias internationaux hostiles à Israël, propagent de nombreuses contre-vérités à son sujet, par ignorance ou par malveillance. Le présent article vise à rétablir certaines vérités fondamentales sur ce sujet important.

 

Une “loi controversée”, partisane et “contraire aux principes fondateurs de l’Etat d’Israël?”

 

Loi controversée” : par cette expression, les médias entendent discréditer le contenu de la loi avant même de l’avoir exposé. En réalité, cette loi fondamentale a été adoptée par une majorité absolue de 62 députés de la Knesset contre 55. (A titre de comparaison, la “Loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaine” avait été adoptée en 1992 à une majorité de 32 voix contre 21). A noter : le principal artisan de la Loi, Avi Dichter, était au moment où il a entamé le travail législatif, il y a huit ans, membre du parti centriste Kadima, aux côtés de Tsippi Livni, qui mène aujourd’hui la campagne de l’opposition contre la Loi, ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas d’un texte partisan ou “d’extrême-droite”...

 

Une loi qui bouleverse le statu-quo, et transforme Israël en Etat-nation du peuple Juif?

 

Selon certains de ses opposants, cette loi serait contraire aux “fondements d’un Etat juif et démocratique” (selon les termes de la pétition signée par plusieurs centaines d’intellectuels israéliens, qui ne l’ont apparemment pas bien lue). En réalité, la Loi fondamentale s’inscrit dans la suite logique de la Déclaration d’indépendance de 1948, dont elle reprend les éléments essentiels. Elle ne “transforme” pas Israël en Etat-nation du peuple Juif, ce qu’il a toujours été conformément aux principes du sionisme politique et à la volonté de ses pères fondateurs. La loi se contente, plus modestement, de réaffirmer le caractère juif de l’Etat et le droit à l’autodétermination du peuple Juif dans le cadre d’un Etat-nation, deux notions essentielles qui étaient largement considérées comme acquises depuis 1948 et faisaient depuis toujours partie du consensus à l’intérieur d’Israël.

 

Une loi contraire à la Déclaration d’indépendance de 1948?

 

C’est sans doute la contre-vérité la plus flagrante. Non seulement la Loi fondamentale n’est pas contraire à la Déclaration d’Indépendance, mais elle vient en réalité réaffirmer les principes essentiels de cette dernière. Pourquoi? Parce que le consensus exprimé dans la Déclaration d’indépendance de 1948 a été largement érodé au cours des dernières années, et notamment depuis que la Cour suprême a entrepris de porter atteinte au caractère juif de l’Etat d’Israël, depuis le début des années 1990, en prétendant remplacer l’Etat juif par un “Etat de tous ses citoyens”, selon la volonté affichée de son président, le juge Aharon Barak (1).

 

 

David Grossman, emporté par l’excès et l’emphase

 

Une loi excluant les minorités non juives de la pleine citoyenneté = une loi d’apartheid?

 

Cette accusation est la plus dangereuse de toutes, car elle accrédite la notion d’un “Etat d’apartheid” utilisée depuis des décennies par les ennemis d’Israël, notion à laquelle des intellectuels israéliens renommés apportent aujourd’hui leur caution morale. C’est ainsi que l’écrivain David Grossman écrit, dans les colonnes de Ha’aretz (repris et traduit intégralement par Libération), que “le Premier ministre d’Israël s’est déterminé à ne pas mettre fin à l’occupation et à la situation d’apartheid dans les Territoires occupés, mais, au contraire, à les intensifier et à les transférer de ces territoires au cœur de l’Etat d’Israël”. Ce faisant, il commet une double erreur. Erreur historique et politique tout d’abord, car il n’y a pas, et il n’y a jamais eu de situation d’apartheid en Israël, ni à l’intérieur de la “ligne verte”, ni dans les territoires de Judée-Samarie (2).

 

Erreur morale ensuite, parce qu’en accusant le gouvernement de vouloir instaurer un régime d’apartheid à l’intérieur d’Israël, Grossman n’efface pas seulement la frontière physique entre le “petit Israël” d’avant 1967 et les territoires bibliques de Judée et de Samarie. Il abolit aussi et surtout la mince frontière rhétoriquequi séparait encore, jusqu’à hier, la gauche sioniste de l’extrême-gauche antisioniste. En considérant désormais que la “réalité d’apartheid” - qu’il avait auparavant cru déceler dans les “territoires occupés” - menace l’ensemble de l’Etat d’Israël, David Grossman laisse sa pensée dériver, emporté par l’excès et l’emphase, au point de rejoindre dans son discours les contempteurs les plus radicaux du sionisme. Sa dénonciation de “l’apartheid” est désormais reprise par les médias du monde entier, et pas seulement par ceux qui ont fait de la détestation d’Israël leur marque de fabrique.

 

La dérive de la gauche israélienne

 

Entraînés par le courant de leur détestation envers B. Nétanyahou, les intellectuels de la gauche israélienne sont en train de franchir allègrement toutes les lignes rouges et de détruire les derniers éléments restés encore intacts du consensus national, déjà largement effrité par les accords d’Oslo et par le retrait de Gaza. Cette fuite en avant de la gauche israélienne se traduit notamment par son jeu dangereux à l’égard de la minorité druze, dont elle incite certains éléments radicaux (qui sont loin de représenter l’ensemble du public druze), en risquant de mettre à mal l’alliance scellée dans le sang des soldats de Tsahal, établie depuis 70 ans entre druzes et Juifs en Israël.

 

 

L’alliance scellée dans le sang entre Juifs et druzes


 

Comme l’écrit dans les colonnes d’Israel Hayom l’éditorialiste Amnon Lord, observateur attentif de la vie politique israélienne, et notamment de la gauche dont il est lui-même issu, “un grand écrivain israélien (3) a affirmé autrefois que “l’histoire juive tout entière nous montre que l’élite juive a toujours été en danger de faillite morale, alors que le petit peuple (N.d.T. “Am’ha” en hébreu) a constitué la colonne vertébrale du peuple Juif. Il en a été ainsi à l’époque du Premier et du Deuxième Temple, et aussi à la veille de la Shoah. L’élite a toujours été encline à l’auto-destruction. L’identité juive a été préservée par le petit peuple”. Et Amnon Lord conclut: “La Loi sur l’Etat-nation a été conçue pour le petit peuple. L’Etat juif a été fondé pour que des brutes - intellectuelles et physiques - ne viennent plus menacer les Juifs”. Ou pour dire les choses en d’autres termes, ceux du prophète Isaïe que nous avons lus samedi dernier dans la Haftara, “Tes destructeurs et les auteurs de ta ruine sortiront de toi”.

 

Pierre Lurçat

 

Notes

1. Je renvoie à ce sujet à mon article “Comment la gauche israélienne est devenue une minorité tyrannique”, Vu de Jérusalem, 5 février 2018.

2. Dans un discours prononcé à l’occasion du Jour des soldats tombés en Israël, David Grossman avait déjà dénoncé la “réalité d’apartheid dans les territoires occupés” (thème devenu son cheval de bataille depuis son livre Le vent jaune paru en 1988).

3. J’invite mes lecteurs perspicaces à trouver le nom de cet écrivain, qui n’est pas mentionné par Amnon Lord, et à me soumettre leurs suggestions à pierre.lurcat@gmail.com

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Prochaine formation à l'examen d'agent immobilier à Jérusalem / Tel-Aviv

Formation à l’examen d’agent immobilier israélien

Session août-septembre 2018 – Tel Aviv 

La prochaine formation à l'examen d'agent immobilier aura lieu du 28 août au 5 septembre à Tel-Aviv, en vue de l’examen d’agent immobilier israélien qui se tiendra le 23 octobre 2018. Au terme de la formation et après avoir réussi l’examen, les élèves pourront obtenir la carte professionnelle permettant d’exercer la profession d’agent immobilier (metave’h) en Israël, dans une agence ou à leur compte. * Une formation est également prévue à Jérusalem, me contacter.

J’ai mis en place cette formation depuis 2006 en Israël, et j’ai préparé plusieurs centaines d’Olim francophones (avec un taux de réussite dépassant 75%) à l’examen organisé par le ministère israélien de la Justice, seul habilité à délivrer la carte professionnelle. Important : il n’est pas nécessaire d’être israélien pour travailler comme agent immobilier en Israël !

Niveau d'hébreu exigé

Cet examen est un examen théorique portant sur le droit israélien, qui a lieu 4 fois par an en Israël. Il s’agit d’un QCM (questionnaire à choix multiple), ce qui signifie qu’il n’est pas indispensable de savoir écrire en hébreu. Il n'est pas non plus nécessaire d'avoir un très bon niveau de lecture pour suivre le cours. Un niveau moyen est suffisant, à condition de fournir un travail personnel en plus des cours de préparation.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à me contacter par email pierre.lurcat@gmail.com ou par téléphone au 050 286 5143 ou 06 80 83 26 44  (France).

 

Pierre Lurçat, avocat au barreau israélien, spécialiste de la formation aux examens de droit

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A propos du Yom Hazikaron “alternatif”: La cécité morale et intellectuelle de la gauche israélienne par Pierre Lurçat

April 22 2018, 07:21am

Posted by Pierre Lurçat

A propos du Yom Hazikaron “alternatif”: La cécité morale et intellectuelle de la gauche israélienne par Pierre Lurçat

Comme des millions d’Israéliens, j’ai fêté la semaine dernière l’anniversaire de notre petit-grand Etat, proclamé il y a 70 ans sur notre terre retrouvée, par la grâce de Dieu et grâce à l’héroïsme et au sacrifice de nos soldats. Comme le dit un adage qui a récemment circulé sur les réseaux sociaux, “Nous avons deux journées du souvenir des morts en Israël : une qui nous rappelle le prix à payer pour avoir un Etat, et l’autre pour nous rappeler le prix à payer pour ne pas en avoir”. Ces deux journées sont, évidemment, la Journée du Souvenir des soldats (Yom Hazikaron) et le Jour de la Shoah (Yom HaShoah). La semaine qui va du Yom HaShoah au Yom Hazikaron et au Yom Ha’atsmaout est sans doute la semaine la plus chargée d’émotion pour le peuple d’Israël.

 

J’ai passé la soirée du Yom Hazikaron sur la place Rabin à Tel-Aviv, où se déroule le traditionnel “Sharim ba-Kikar”, rituel laïque qui fait suite aux cérémonies d’ouverture de cette journée sacrée devant le Kottel, le mur occidental du Temple, en présence des familles endeuillées. La jeunesse du public, varié et nombreux, qui emplissait la place Rabin, venu écouter les chansons et évoquer le souvenir des soldats tombés pendant les guerres d’Israël, atteste que le caractère fédérateur de cette journée demeure intact et que les jeunes israéliens restent, aujourd’hui comme hier, tout aussi patriotes et engagés pour la défense de notre Etat, y compris à Tel-Aviv, qu’on se plaît à décrire parfois comme une “bulle” en dehors du pays.


Or, c’est précisément ce rituel sacré et ce caractère fédérateur qui ont été cette année remis en question par la tentative d’instaurer une cérémonie ‘alternative’, réunissant des familles endeuillées israéliennes et palestiniennes. Comme l’expliquait vendredi après-midi Yehoram Gaon, dans son émission hebdomadaire sur Galei Tsahal, les promoteurs de cette initiative ont perdu le sens le plus élémentaire du bien et du mal. Comment peut-on en effet mettre sur le même plan nos soldats, tombés pour la défense d’Israël, et des terroristes palestiniens tombés en attaquant des Israéliens, civils ou militaires?

 

Une illustration de cette cécité morale et intellectuelle d’une frange radicale de la gauche israélienne nous est donnée par la lecture du journal Ha’aretz, dans lequel l’éditorial daté du vendredi 20 avril 2018, 5 Iyar 5778 (date du Jour de l’Indépendance,dont la célébration a été avancée d’un jour cette année en raison du shabbat), intitulé “Le jour de leur catastrophe”, explique que les festivités du Jour de l’Indépendance excluent un cinquième des citoyens de l’Etat et que, “tant qu’un Etat palestinien ne verra pas le jour, la Nakba et le deuil palestinien ne prendront pas fin”. Le journal des élites israéliennes post-sionistes * a depuis longtemps, on le sait, adopté le narratif de nos ennemis, celui de la Nakba (“catastrophe”).

 

Un très beau film réalisé au lendemain de la Deuxième Guerre du Liban décrivait la manière dont quatre mères israéliennes vivaient et partageaient leur deuil, après la mort tragique de leurs fils, membres de l’équipage du même tank, détruit par une roquette du Hezbollah alors qu’il portait secours à un autre tank. Le thème central du film était le lien tissé entre ces quatre femmes très différentes, représentant quatre secteurs de la société israélienne (une habitante religieuse d’une localité de Judée-Samarie, une femme de l’intelligentsia de gauche, une immigrante de l’ex-URSS…). L’armée est depuis ses débuts, un des endroits où se créent des liens entre les Israéliens de toutes origines (y compris les soldats druzes, bédouins et membres des autres minorités), liens indéfectibles qui durent souvent toute la vie et parfois au-delà, entre les familles endeuillées liées par la mort de leurs fils.

Uri Grossman z.l.

 

Un des quatre soldats tombés dans ce tank était Uri Grossman, fils de l’écrivain David Grossman. J’ai écrit dans ces colonnes le respect que j’éprouve pour David Grossman en tant que père endeuillé, membre de la “Mishpa’hat ha-shehol”, cette “famille des endeuillés” pour qui le deuil ne prend pas fin à l’issue du Yom Hazikaron, car il dure toute l’année. J’ai d’autant plus de tristesse à lire le discours de David Grossman, prononcé le Jour du Souvenir des soldats lors de la cérémonie alternative dont il a été un des principaux protagonistes, discours dans lequel il décrie le gouvernement (ce même gouvernement qui vient de lui décerner le Prix d’Israël) et parle de la “réalité d’apartheid qui existe dans les territoires occupés…”.

 

Le plus triste, dans ce discours comme dans les innombrables éditoriaux et articles qu’on peut lire jour après jour dans Ha’aretz **, c’est de voir que les tenants de cette idéologie, de plus en plus minoritaire mais toujours influente, se sont eux-mêmes exclus du consensus israélien. Ils ont eux-mêmes scié la branche qui les rattache au tronc commun de notre existence dans ce petit-grand pays, en prétendant partager le deuil de nos ennemis au lieu de pleurer, avec tout Israël, nos soldats tombés pour notre Indépendance.

 

Comme l’écrit Israël Harel, ils “critiquent toutes les belles choses qui ont été accomplies ici depuis le début du retour à Sion à l’époque moderne”. Au-delà de toutes les dissensions et divergences politiques, légitimes, c’est sans doute le plus grand reproche qu’on peut faire aux tenants de cette idéologie.. A l’instar des explorateurs dans le récit biblique, ils ne voient que les défauts et les dangers inhérents à notre existence nationale, oubliant combien notre Etat est miraculeux et combien notre peuple est beau.

 

* Je renvoie à ce sujet au chapitre de mon livre La trahison des clercs d’Israël consacré à Ha’aretz).

** Le même Ha'aretz dans lequel on a pu lire un article affirmant que Myriam Peretz avait reçu le Prix d'Israël "pour la seule raison qu'elle a perdu ses fils"... Il n'y a aucune limite dans l'ignominie.

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Le fil invisible, entre Günter Grass et David Grossman, Pierre Itshak Lurçat

February 13 2018, 09:23am

Posted by Pierre Lurçat

Le fil invisible, entre Günter Grass et David Grossman, Pierre Itshak Lurçat

A l'occasion de l'attribution du Prix d'Israël à David Grossman, je publie ici un chapitre de mon livre La trahison des clercs d'Israël, consacré à l'écrivain et à ses prises de position politiques. P.L.

Dans son roman Le livre de la grammaire intérieure, David Grossman décrit un enfant qui refuse de grandir et veut échapper à tout prix à la folie du monde des adultes, au point de se suicider. Ce thème est similaire à celui du Tambour, œuvre maîtresse du romancier allemand Günter Grass. Il n'y a apparemment aucune signification politique dans cet emprunt littéraire, mais il nous dit quelque chose sur les références culturelles du romancier israélien, dont l’œuvre - très appréciée dans son pays - l’est au moins au tant en Europe, où il fait partie du « triumvirat » des écrivains israéliens (Amos Oz, A.B. Yéhoshua et Grossman) les plus cités et reconnus.

 

Une chose relie pourtant les deux écrivains « engagés », à travers cet emprunt littéraire : dans leTambour, le jeune Oskar refuse de grandir dans l’Allemagne nazie. Dans le Livre de la grammaire intérieure, Aaron veut échapper au monde israélien de la période de la Guerre des Six Jours. Dans les deux cas, l’écrivain exalte la pureté et l’innocence du monde des enfants, opposée à la folie meurtrière des adultes, nazis dans le premier cas, Israéliens dans le second.

 

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Le Tambour, film de Volker Schlöndorff tiré du roman de G. Grass

 

Cette symétrie m’est revenue à l’esprit en suivant la polémique déclenchée par les propos scandaleux de l’écrivain allemand – dont j’avais aimé, autrefois, l’adaptation cinématographique de son grand roman. Quand Günter Grass accuse Israël de « menacer la paix mondiale » et de vouloir « l’éradication du peuple iranien », il recourt au procédé de l’inversion, consistant à accuser Israël des crimes de ses ennemis, procédé devenu très courant dans la vulgate politique européenne, ces dernières décennies, au moins depuis la Première Guerre du Liban (quand Beyrouth assiégée par les soldats de Tsahal était devenue Varsovie, aux yeux d’une certaine presse)…

Les condamnations presque unanimes des propos de Grass tiennent sans doute largement au fait que l’écrivain avait dévoilé publiquement, il y a quelques années, son appartenance aux Waffen-SS dans sa jeunesse, devenant de ce fait indéfendable.

 

Mais curieusement, ceux-là mêmes qui ont dénoncé justement les propos de Günter Grass ont applaudi des deux mains à un article de David Grossman sur le même sujet, aboutissant à une conclusion similaire, même si le ton employé est très différent. S’interrogeant sur la légitimité et l’opportunité d’une attaque préventive israélienne contre l’Iran, Grossman accuse en effet le premier ministre Nétanyahou de recourir à une « rhétorique apocalyptique » et d’être prêt à sacrifier des civils iraniens innocents et à déclencher une « catastrophe immédiate et annoncée » pour éviter un risque hypothétique…

 

Meir_Dagan.jpgLe débat sur l’opportunité d’une attaque contre l’Iran est certes légitime, et il se poursuit en Israël depuis déjà plusieurs années (on se souvient de l’intervention fracassante de l’ancien chef du Mossad, Meir Dagan - en photo ci-contre - il y a quelques années). Ce qui est moins légitime, c’est la manière dont Grossman justifie son opposition à une attaque israélienne contre l’Iran. Tout d’abord, parce qu’il choisit de s’exprimer dans un quotidien français, au lieu de présenter ses arguments au public israélien, premier concerné. Ensuite, parce qu’il accuse Nétanyahou d’utiliser une rhétorique apocalyptique et de faire des « références constantes à la Shoah » (accusation récurrente de la gauche israélienne qui l’employait déjà contre Menahem Begin à l’époque du bombardement de la centrale irakienne d’Osirak). Cette accusation est d’autant moins fondée qu’Israël fait face à l’Iran d’Ahmadinejad, qui est, pour le coup, le maître de la rhétorique apocalyptique… On retrouve ici – sous la plume de Grossman – le procédé de l’inversion utilisé par Günter Grass.

 

 

Or, si on peut parler de « rhétorique apocalyptique » dans le discours politique israélien, c’est plutôt du côté de la gauche, toujours prompte à menacer de catastrophes imminentes si Israël ne fait pas de concessions territoriales et n’accepte pas les exigences de ses ennemis… L'histoire récente d’Israël est parsemée de prévisions apocalyptiques de la part des tenants du « camp de la paix », depuis la menace démographique (à l’époque du processus d’Oslo) et jusqu’au « tsunami politique » promis en septembre dernier si le gouvernement n’acceptait pas tous les diktats palestiniens pour retourner à la table des « négociations »…

 

Grossman est représentatif de cette gauche israélienne, devenue depuis longtemps ultra-minoritaire dans l’opinion israélienne, qui se tourne exclusivement vers le public occidental, européen ou américain, pour trouver une oreille attentive à ses propos acerbes contre le gouvernement israélien, surtout lorsqu’il est de droite… La haine envers Nétanyahou qui règne dans une large partie de l’establishment culturel et politique de gauche israélien n’a rien à envier à celle que lui vouent beaucoup de journalistes en Europe et ailleurs. (Sans parler d’Avigdor Lieberman, devenu lui aussi la bête noire de tous les bien-pensants).

 

Pour apprécier à leur juste valeur les propos de Grossman concernant l’Iran, il faut se souvenir qu’il appartient à un mouvement politique (La Paix maintenant), financé par l’Union européenne, qui s’est régulièrement trompé depuis trois décennies… Les intellectuels et artistes comme Grossman ou Amos Gitaï doivent une grande partie de leur notoriété en Europe à leurs attaques contre le gouvernement de leur pays (il y a quelques années, Grossman s’interrogeait publiquement sur son désir de quitter le pays et des centaines – voire des milliers – d’Israéliens d’extrême-gauche ont déjà franchi le pas et sont aujourd’hui résidents d’Europe ou d’Amérique, où on les retrouve souvent aux premiers rangs des appels au boycott d’Israël…)

 

 

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Le lien entre Grass et Grossman évoqué ci-dessus ne se limite pas, en définitive, à un simple emprunt littéraire. La fondation Günter Grass a en effet accordé à Grossman le prix Albatros en 2008. Ce n’était pas le premier prix allemand décerné à l’écrivain israélien, qui avait déjà obtenu le « Buxtehuder Bulle », et il est également Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. D’autres écrivains israéliens ont reçu des prix en Europe, et notamment en Allemagne, comme Amos Oz, titulaire du Prix Goethe. On peut y voir une simple marque d’estime et de reconnaissance pour leur talent d’écrivain. Mais ce serait une erreur à mon avis. Car ces prix prestigieux, parfois dotés de montants considérables, créent des liens de dépendance et d’allégeance entre les écrivains israéliens et les pays européens, connus pour leur hostilité à la politique israélienne.

 

grossman2.jpg

On peut se demander si les prises de position d’Amos Oz ou de David Grossman – comme l’opposition de ce dernier à une attaque israélienne contre l’Iran – ne sont pas en définitive la contrepartie, ou le tribut versé par ceux-ci, pour « mériter » les prix reçus en Europe. Car l’emprunt littéraire de Grossman à Günter Grass est, lui,  gratuit et ne tire pas à conséquence. Mais les dons reçus, en tant que Prix, de la Fondation Günter Grass et d’autres organismes allemands, sont eux, à titre onéreux : le prix à payer, pour David Grossman comme pour les autres écrivains-pacifistes adulés des médias européens, est de continuer encore et toujours à accuser le gouvernement et l’Etat d’Israël, et à s’opposer à toute action militaire de Tsahal, à Gaza ou en Iran, fut-ce contre des ennemis voués à notre destruction.

(Extrait de La trahison des clercs d'Israël, La Maison d'édition, 2016)

 

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