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De l’affaire Dreyfus à l’affaire Sarah Halimi : Mensonge d’État et déni de réalité des responsables du judaïsme de France

April 18 2021, 08:13am

Posted by Pierre Lurçat

De l’affaire Dreyfus à l’affaire Sarah Halimi :  Mensonge d’État et déni de réalité des responsables du judaïsme de France

Je remets en ligne cet article à l'occasion de la récente décision de la Cour de cassation dans l'affaire Sarah Halimi (faut-il feindre de s'en étonner?) et de l'anniversaire de Theodor Herzl, le 'Visionnaire de l'Etat', qui aura lieu cette semaine.

 

Beaucoup a déjà été dit sur l’affaire Sarah Halimi et pourtant, l’essentiel ne l’a sans doute pas encore été. Au-delà de l’injustice et de tout ce qu’elle renferme d’inquiétant pour l’avenir de la France, se pose la question, cruciale, de l’avenir des Juifs. L’appel lancé par Theodor Herzl, au lendemain de la dégradation du capitaine Dreyfus, demeure d’une actualité brûlante. 

 

Contrairement à la promesse faite par le président Emmanuel Macron, le 16 juillet 2017, lors de la cérémonie commémorative du Vel d’Hiv, de “faire toute la clarté” sur l’affaire Halimi - tout semble être fait pour étouffer une réalité, bien plus sinistre encore qu’on ne pouvait l’imaginer alors. Comme l’a révélé le frère de la victime, M. William Attal, lors d’une manifestation organisée dimanche dernier à Paris, la police était non seulement présente en bas de l’immeuble, mais aussi, apparemment, derrière la porte même de l’appartement de Mme Halimi, sans intervenir, pendant les quarante minutes interminables qu’a duré l’assassinat de Sarah Halimi !


Dans ces circonstances, la décision de la cour d’appel de Paris - à présent confirmée par la Cour de cassation - de conclure à l’irresponsabilité pénale de l’assassin, semble destinée avant tout à empêcher que toute la lumière soit faite sur les circonstances précises de l’assassinat et sur les manquements de la police et de la justice, avant, pendant et après le crime. En d’autres termes, cela ressemble à un véritable mensonge d’État.

 

E. Macron au Vel d’Hiv : un mensonge d’Etat?


 

Quelle leçon pour les Juifs de France?

 

Mais l’essentiel n’est sans doute pas là. Car pour les Juifs de France, qui vivent tant bien que mal, d’un attentat antisémite à un autre, la leçon principale de cette nouvelle affaire reste encore à tirer. Cette leçon avait pourtant déjà été énoncée, il y a plus de cent vingt ans, par un journaliste juif au nom fameux, alors correspondant à Paris d’un grand quotidien autrichien : Theodor Herzl. Contrairement à une légende tenace, Herzl n’a pas “découvert” le sionisme en assistant à la dégradation du capitaine Dreyfus, place des Invalides. Car il avait déjà commencé à étudier la question juive bien avant le début de l’Affaire. 

 

Ce que Herzl a découvert à cette occasion, c’est le caractère inéluctable de la solution sioniste. Alors que ses interlocuteurs - membres de l’establishment juif de l’époque - se berçaient encore d’illusions et pensaient que le sionisme était, dans le meilleur des cas, une solution pour les Juifs de Russie et d’Europe centrale, mais pas pour eux, et dans le pire des cas, une folie pure et simple, Herzl avait acquis de son côté la certitude que l’émancipation et l’intégration des Juifs dans les sociétés occidentales étaient vouées à l’échec.

 

Avec une prescience quasiment prophétique, le “Visionnaire de l’État” avait aussi entrevu la catastrophe qui allait engloutir les deux tiers du judaïsme européen, un demi-siècle plus tard. C’est mu par cette vision prophétique et par l’énergie du désespoir (le fameux “Judennot” - la souffrance juive qu’il ressentait dans sa propre chair), que Theodor Herzl a consacré sa vie entière et sacrifié sa carrière, sa santé et jusqu’à sa vie de famille à la cause du peuple Juif. “Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve” avait-il proclamé, en donnant la date de naissance de l’État juif, presque jour pour jour…

 

Th. Herzl, le “Visionnaire de l’État” juif


 

Le déni de réalité des dirigeants du judaïsme français

 

En quoi la leçon tirée par Herzl de l’Affaire Dreyfus nous importe-t-elle, encore aujourd’hui? Le sionisme serait-il seulement une affaire du passé? La nouvelle Affaire qui secoue actuellement le judaïsme de France nous rappelle qu’il n’en est rien. L’injustice flagrante commise envers la victime, Sarah Halimi, envers ses proches et l’ensemble de la communauté juive de France constitue un rappel douloureux de la réalité, que la plupart des dirigeants de cette communauté s’évertuent à cacher depuis des années. 

 

La solitude des Juifs de France est bien pire aujourd’hui qu’à l’époque du capitaine Dreyfus. Ils sont quasiment les seuls à protester et à manifester aujourd’hui, alors que la France était alors également partagée entre dreyfusards et antidreyfusards. Cela s’explique par le fait que les Juifs ont été progressivement exclus du statut de victimes, tandis que leurs assassins, eux, sont relégués au statut de victimes de “l’exclusion”. (1) 

 

Aussi il est probable que nul procès en révision ne viendra réparer l’arrêt inique de la Cour d’appel. Nul Zola ne se lèvera pour dénoncer l’antisémitisme, dans les colonnes d’un grand quotidien français. Le diagnostic sans appel formulé par Herzl, au lendemain de la dégradation du capitaine Dreyfus reste donc d’une actualité brûlante, alors que les Juifs de France sont encore partagés entre le déni et la désillusion. L’avenir n’est pas moins sombre aujourd’hui qu’il ne l’était alors. La seule différence, évidemment immense, c’est que le rêve sioniste est devenu réalité. 

 

C’est pourquoi il est grand temps que les responsables communautaires et spirituels du judaïsme français reconnaissent enfin, avec cent vingt ans de retard, ce qu’un journaliste juif viennois avait compris alors et qui est encore plus vrai aujourd’hui. Comme l’ont déclaré récemment, avec lucidité et courage, les directeurs d’écoles juives françaises, “notre place n’est plus en France”. Souhaitons que les dirigeants des institutions juives et les rabbins de France ouvrent eux aussi les yeux et se joignent à cet appel pressant, pour encourager l’alyah, seule solution à la détresse des Juifs de France.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Je renvoie sur ce sujet à mon article publié dans Causeur au lendemain de l’assassinat de Sarah Halimi, http://www.causeur.fr/lucie-halimi-medias-silence-43782.html

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Le retour de l’affaire Dreyfus - autour du film J’accuse de Roman Polanski

November 15 2019, 14:52pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Les spectateurs ne s’y sont pas trompés : ils ont plébiscité le film de Roman Polanski, J’accuse, sorti mercredi dernier sur les écrans, sur fond de polémique, et classé premier au box-office des nouveautés. Focalisé sur la personnage du colonel Picquart, dont il fait le héros véritable de l’affaire Dreyfus (1), le film est excellent. C’est un véritable “thriller” politico-judiciaire, dont on suit le déroulement avec une tension grandissante qui ne se relâche pas, durant plus de deux heures. Jean Dujardin, qui incarne Picquart, est époustouflant de vérité et c’est sans doute un de ses plus grands rôles à ce jour. Louis Garrel est lui aussi très bon dans le rôle de Dreyfus, et les autres acteurs également (Emmanuelle Seigner notamment, qui incarne la maîtresse de Picquart).


 

Du grand cinéma


 

La dimension juive minimisée

 

La dimension juive de l’Affaire est assez peu présente dans le film, pour plusieurs raisons. la première est que Dreyfus lui-même n’a jamais été un “héros juif”, mais bien plutôt une sorte de anti-héros, placé bien malgré lui au coeur d’une affaire qui le dépassait, et se battant pour défendre son innocence et faire valoir ses droits. A ce sujet, Hannah Arendt, une des nombreuses intellectuelles qui s’est intéressée à l’Affaire, note que “Dreyfus ne bénéficia jamais d’un acquittement dans les règles” et elle rappelle aussi qu’au moment du transfert du corps de Zola au Panthéon, voulu par Georges Clémenceau, Alfred Dreyfus fut agressé en pleine rue et que son agresseur fut acquitté par un tribunal parisien… (2) On aurait donc tort de croire que la victoire tardive (et partielle) des dreyfusards et du “J’accuse” de Zola marqua la fin d’un antisémitisme devenu endémique en France. Non seulement l’Affaire ne mit pas fin à l’antisémitisme, mais elle le fit plutôt redoubler de vigueur. 

 

Une autre raison de l’absence relative de la dimension juive dans J’accuse est que le film de Polanski, malgré toutes ses qualités, ne donne quasiment aucun contexte historique à l’Affaire (un film n’est pas un livre d’histoire...). Le film débute par la dégradation du capitaine, place du Champ-de-Mars, en supposant que chacun sait comment on en est arrivé là. Il n’évoque pas le contexte de l’antisémitisme grandissant, depuis l’affaire de Panama notamment, et l’essor prodigieux du journal La Libre Parole de Drumont, qui ont permis à l’antisémitisme de connaître l’ampleur que l’on sait, au tournant du siècle. La “haine la plus longue”, présente en France depuis des temps immémoriaux, connaît ainsi un pic sans précédent à la fin du 19e siècle, avant de culminer à nouveau au milieu du 20e siècle, sous le régime de Vichy. Pour les Juifs de France, la réhabilitation tardive du capitaine Dreyfus ne fut donc qu’une accalmie provisoire, en attendant la prochaine tempête...


 

Jean Dujardin : époustouflant de vérité


 

Dans sa préface à L’histoire de l’antisémitisme de Bernard Lazare, Jean-Denis Bredin observe que Lazare fut “le premier, sinon le seul, qui donna à l’Affaire sa dimension juive”. Quelle était-elle alors, et quelle est encore aujourd’hui cette dimension? Comme l’explique Renée Neher-Bernheim, l’Affaire Dreyfus fut “pour beaucoup de Juifs assimilés un rappel brutal de leur condition juive, et une prise de conscience salutaire… Nombre de jeunes universitaires se rapprochèrent du judaïsme ; certains d’entre eux (comme Bernard Lazare, Edmond Fleg, André Spire) se groupent autour de Péguy, qui fait de ses Cahiers de la quinzaine la revue des partisans de Dreyfus et de la justice” (3). Point de départ d’un retour aux racines juives, l’Affaire a aussi joué un rôle important dans l’histoire du sionisme politique.

 

L’affaire Dreyfus, Herzl et le sionisme

 

Dans l’imagerie d’Epinal de l’historiographie sioniste, une des images les plus tenaces est en effet celle du fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl, assistant à la dégradation de Dreyfus au Champ-de-Mars (en tant que correspondant parisien de la Neue Freie Presse) et “découvrant” à cette occasion l’idée sioniste. La réalité, comme souvent, est plus complexe. Citons à cet égard deux auteurs aux vues opposés : Renée Neher-Bernheim et Georges Weisz. La première, dans son Histoire juive de la Renaissance à nos jours, présente la vision traditionnelle : “La dégradation eut lieu le 5 janvier 1895 à Paris… De nombreux reporters et journalistes assistèrent à la scène. Parmi eux, Théodore Herzl, pour qui cette vision fut la révélation fulgurante de l’antisémitisme, et le point de départ de son orientation ultérieure”. 

 

Une version cinématographique antérieure de l’Affaire

 

Georges Weisz, de son côté, remet en cause cette conception en écrivant que “l’examen attentif de la jeunesse de Herzl met en évidence d’une part, la conscience aiguë qu’il avait de sa judéité bien avant l’Affaire Dreyfus, et elle amène, d’autre part, à douter de la causalité  directe entre l’Affaire Dreyfus et la révolution intérieure qu’il va vivre en 1895”. (4) Quoi qu’il en soit, l’Affaire Dreyfus fut lourde de conséquences, tant dans l’histoire de la France au vingtième siècle que dans celle des Juifs de France et du peuple Juif.

Pierre Lurçat

 

(1) L’idée d’un Picquard héros sans faille est remise en question par l’historien Philippe Oriol, spécialiste de l’Affaire, dans un livre qui vient de paraître.

https://www.grasset.fr/livres/le-faux-ami-du-capitaine-dreyfus-9782246860044

(2) H. Arendt, Les origines du totalitarisme, Quarto Gallimard p. 381.

(3) R. Neher-Bernheim, Histoire juive de la Renaissance à nos jours. Tome 2 p. 295. Paris, éditions Klincksieck 1971.

(4) G. Weisz, Theodor Herzl. Une nouvelle lecture. L’Harmattan 2006. Page 41.

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