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accords de camp david

« Frontière de paix » ? : trois réflexions sur les relations israélo-égyptiennes Pierre Lurçat

June 11 2023, 07:58am

Posted by Pierre Lurçat

« Frontière de paix » ? : trois réflexions sur les relations israélo-égyptiennes Pierre Lurçat

 

 

1.

 

Le tragique incident survenu samedi dernier à la frontière entre Israël et l’Egypte, au cours duquel trois jeunes soldats ont trouvé la mort sous les tirs d’un policier égyptien armé d’un fusil et d’un Coran, n’interroge pas seulement les procédures et dispositions militaires en vigueur à cet endroit, et plus généralement, sur l’ensemble de la frontière entre Israël et l’Egypte d’une part, et entre Israël et la Jordanie d’autre part. (Cet incident rappelle d’ailleurs un autre incident tragique survenu sur la frontière jordanienne, au cours duquel un policier jordanien avait tué plusieurs adolescents israéliens).

 

Ce qui est en jeu dépasse de loin les aspects purement techniques ou militaires : il s’agit de la « conception » qui préside aux relations bilatérales entre Israël et l’Egypte depuis plusieurs décennies. Deux éléments édifiants méritent d’être mentionnés à cet égard : le premier est le fait que le ministre égyptien de la Défense a publié un communiqué évoquant les « victimes des deux côtés », en mettant sur le même plan les trois soldats israéliens et leur assassin égyptien, sans que cette déclaration scandaleuse ait, à ma connaissance, suscité de protestation officielle d’Israël.

 

2.

 

Le deuxième élément est l’expression entendue à la radio de l’armée israélienne, Galei Tsahal, de « frontières de paix » (gvoulot shalom) pour désigner la frontière israélo-égyptienne. Nous avons appris depuis samedi que le passage par lequel s’était introduit le policier égyptien pour commettre son attaque meurtrière était fermé par de simples menottes en plastique, qu’il n’a pas eu de mal à découper pour s’introduire sur le territoire israélien. Ce que signifient ces différents éléments, lorsqu’on les réunit, est que l’idée qu’Israël se fait de la paix avec l’Egypte est tout aussi erronée aujourd’hui qu’elle l’était hier.

 

Ce qui est apparu, plus précisément, à l’occasion de ce dramatique incident de frontière, c’est le gouffre qui sépare en effet la conception israélienne de la paix de la conception égyptienne. Quand Israël parle de « retour à la normale » et de « frontière de paix », l’Egypte de son côté, met sur le même plan son policier assassin et les soldats israéliens victimes. Cette dissonance n’est pas fortuite ; car ce gouffre conceptuel existe depuis les débuts de la paix froide entre Israël et l’Egypte.

 

 

3.

 

Dans son livre Être Israël, publié au lendemain des accords de Camp David[1], Paul Giniewski évoque ses sentiments mitigés en écoutant le discours de Sadate à la Knesset ; « J’écoute. Ma déception augmente. Le mot paix revient de plus en plus souvent : [Sadate :] « Je prononce le mot paix, et que la miséricorde de Dieu tout-puissant soit sur vous, et que la paix vienne pour nous tous. Paix sur toutes les terres arabes, et paix sur Israël ! » Mais en même temps, l’accusation devient de plus en plus précise. Sadate est venu à la Knesset pour dénoncer Israël ! (…) Je viens d’entendre ce qui, chez les Arabes, fait l’unanimité des modérés et de ceux du camp du refus. Les uns réclament la destruction d’Israël. Les autres acceptent son existence, au prix de concessions qui conduiront à sa destruction : la restitution des territoires, un État palestinien. La différence est dans les mots, dans le style, mais pas dans le but final... »

 

Giniewski rapporte aussi les mots de Golda Meir, la dame de fer d’Israël, interrogée sur les accords de Camp David par un journaliste, qui lui déclare : « Sadate et Begin méritent le prix Nobel de la paix ». Elle sourit : - « Peut-être aussi l’oscar du cinéma ? ». A la buvette du Parlement, où les députés se congratulaient avant le discours [de Sadate], je l’entends dire de sa voix désabusée : - Vous attendez le Messie ? Quand nous sommes allés au kilomètre 101 [2], [le général] Aharon Yariv négociait avec un officier égyptien. Nous avons aussi cru que c’était le Messie. Mes enfants, quand le Messie viendra, il ne s’arrêtera pas au kilomètre 101 ».

 

Alors comme aujourd’hui, Israël conçoit la paix à l’aune de la vision messianique d’une paix éternelle (notion laïcisée dans la pensée politique européenne, à travers le concept de la paix kantien)[3]. L’Egypte de son côté, s’en tient à la vision classique de la « trêve » islamique (Houdna) et d’une « paix en échange des territoires ». En d’autres termes, l’Egypte – qui a récemment introduit des forces armées dans le Sinaï en violation des accords de Camp David – ne considère la paix que comme un moyen d’obtenir des avantages, financiers, économiques ou militaires. Israël serait bien inspiré de revoir, après le tragique incident qui a coûté la vie à trois jeunes soldats, l’ensemble de sa doctrine stratégique concernant la paix avec l’Egypte.

 

Pierre Lurçat

 

 

[1] Paul Giniewski, Etre Israël, Stock 1978.

[2] Lieu où se déroulèrent les pourparlers de cessez-le-feu entre le général israélien Aharon Yariv et le général égyptien Gamassi qui mirent officiellement fin à la guerre de Kippour.

[3] Sujet que j’aborde dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.

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1978-2018 : Les accords de Camp David et le "faux Messie" de la paix, par Pierre Lurçat

March 26 2019, 09:06am

Posted by Pierre Lurçat

sadateL'anniversaire de la signature des accords de Camp David entre Israël et l'Egypte, il y a tout juste 40 ans - est l'occasion de revenir sur cet événement historique, dont la signification véritable apparaît bien différemment aujourd'hui. Par une ironie de l'histoire, c'est Menahem Begin, le "faucon", qui fixa le précédent dangereux et trompeur de "la paix contre les territoires". Le faux messianisme de la paix qui triompha par la suite à Oslo était déjà présent dans la société et dans la classe politique israélienne en 1977.

Le premier à avoir compris, dans le camp arabe, la transformation qu’avait subie l’État d’Israël au lendemain de la « guerre d’octobre » fut Anouar Al-Sadate. Un certain discours le présente aujourd’hui, à l’instar de Rabin, comme un « faucon devenu colombe ». Mais ce raccourci journalistique est faux et trompeur, pour l’un comme pour l’autre. Il faut relire le dernier discours de Rabin à la Knesset [1] pour comprendre qu’il n’a jamais renié son passé ; et il faut relire le discours de Sadate à Jérusalem, pour comprendre qu’il est lui aussi resté fidèle à ses engagements et à sa vision, conforme à la doctrine politique de l’Égypte établie depuis la Révolution des officiers libres en 1952. Le plus farouche ennemi d’Israël, admirateur d’Hitler dans sa jeunesse [2], ne s’est pas transformé du jour au lendemain en ami des Juifs : il a tout simplement compris que la meilleure façon de vaincre Israël était de se servir de la paix comme d’un cheval de Troie pour affaiblir et diviser l’opinion israélienne, et pour obtenir par la négociation ce que les armées arabes n’avaient pu remporter sur les champs de bataille.

 

sadate

Sadate et Moubarak

D’une société idéaliste à une société individualiste

 

Un des ouvrages qui a le mieux décrit cette transformation en Israël est celui d’un sociologue de l’université de Haïfa, Oz Almog [3], qui a montré le passage d’une société idéaliste et collectiviste (celle de la génération de 1948 ou « génération de l’État ») à une société plus matérialiste et individualiste, celle de l’après-guerre de Kippour. Cette transformation a pris des formes multiples, touchant tous les domaines de la société et de la vie publique et privée (les médias, les arts, les rapports hommes-femmes, etc.) Mais c’est dans le domaine politique que ses conséquences ont été les plus marquantes.

Le soldat des guerres d’Indépendance et des Six jours, animé par l’énergie du désespoir (celle des combattants de 1948, dont beaucoup sont tombés les armes à la main face à un ennemi supérieur en nombre mais beaucoup moins motivé ; et celle des soldats de 1967, conscients de protéger leur pays contre la menace d’extermination proférée par Nasser) s’est transformé en un soldat fatigué de se battre, qui doutait de la justesse de sa cause. Ces doutes sont apparus au grand jour dès le lendemain de la guerre de Kippour et ont culminé lors de la Première Guerre du Liban, en 1982. Sadate avait bien compris ce sentiment de lassitude animant la société israélienne lorsqu’il est venu à Jérusalem, non pas pour offrir une « paix des braves », selon l’image d’Epinal, mais pour exiger d’Israël qu’il accepte toutes ses conditions. Ce faisant, il a fixé le dangereux précédent de la « paix contre les territoires », paradigme trompeur accepté par Israël qui subsiste jusqu’à ce jour.

 

Le faux Messie de la paix, hier et aujourd’hui

 

Dans son beau livre Être Israël, publié en France quelques mois après les accords de Camp David [4], le journaliste Paul Giniewski raconte trente années de reportages et de voyages en Israël, de 1948 à 1978. Avec talent et justesse, il décrit l’euphorie qui a gagné la société israélienne lors de la visite de Sadate à Jérusalem. Dans un chapitre intitulé « 1977 : brève rencontre avec le Messie », il relate ses sentiments mitigés à l’écoute du discours de Sadate devant la Knesset :

 

sadate

« J’écoute. Ma déception augmente. Le mot paix revient de plus en plus souvent : [Sadate :] « Je prononce le mot paix, et que la miséricorde de Dieu tout-puissant soit sur vous, et que la paix vienne pour nous tous. Paix sur toutes les terres arabes, et paix sur Israël ! » Mais en même temps, l’accusation devient de plus en plus précise. Sadate est venu à la Knesset pour dénoncer Israël ! (…) Je viens d’entendre ce qui, chez les Arabes, fait l’unanimité des modérés et de ceux du camp du refus. Les uns réclament la destruction d’Israël. Les autres acceptent son existence, au prix de concessions qui conduiront à sa destruction : la restitution des territoires, un État palestinien. La différence est dans les mots, dans le style, mais pas dans le but final. .. »

 

Et Giniewski rapporte aussi les mots de Golda Meir, la dame de fer d’Israël, interrogée sur les accords de Camp David par un journaliste, qui lui déclare : « Sadate et Begin méritent le prix Nobel de la paix ». Elle sourit : - « Peut-être aussi l’oscar du cinéma ? ». A la buvette du Parlement, où les députés se congratulaient avant le discours [de Sadate], je l’entends dire de sa voix désabusée : - Vous attendez le Messie ? Quand nous sommes allés au kilomètre 101 [5], [le général] Aharon Yariv négociait avec un officier égyptien. Nous avons aussi cru que c’était le Messie. Mes enfants, quand le Messie viendra, il ne s’arrêtera pas au kilomètre 101 ».

 

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Jourdain depuis lors, après l’assassinat de Sadate et celui de Rabin. L’euphorie née de la visite de Sadate à Jérusalem s’est depuis longtemps dissipée, et même la gauche israélienne, qui avait voulu faire d’Arafat un partenaire de paix, a dû déchanter. Le Messie n’est pas venu à Camp David, ni à Oslo, et il n’a même pas appelé au téléphone, comme l’a chanté Chalom Hanoch. Mais le messianisme de la paix, lui, est bien vivant. Et toujours aussi dangereux, comme tous les faux Messies.

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d'Israël, La Maison d'édition 2016)

sadate

[1] Le 5 octobre 1995, Rabin prononça un discours politique qui devait être son dernier devant le Parlement israélien (Knesset), dans lequel il exposa sa vision des futures frontières de l’État d’Israël après les accords d’Oslo. Il y mentionna notamment son refus d’un retour aux « frontières de 1967 », l’importance de conserver des « blocs d’implantations » en Judée-Samarie et de maintenir le Jourdain comme frontière de sécurité et son refus de voir Jérusalem redivisée. Voir Dore Gold, « Rabin’s lats Knesset speech », Israel Hayom 2/11/2012.

[2] Voir à ce sujet la lettre adressée par Sadate à Hitler dans le journal cairote El-Moussaouar, le 18 septembre 1953 : « Mon cher Hitler, Je vous félicite du fond du cœur. Même s'il vous semble que vous avez été battu, en réalité vous êtes le vainqueur. Vous avez réussi en créant des dissensions entre le vieux Churchill et ses alliés, les fils de Satan. L'Allemagne vaincra car son existence est nécessaire à l'équilibre mondial. Elle renaîtra en dépit des puissances de l'Ouest et de l'Est. Il n'y aura pas de paix sans que l'Allemagne redevienne ce qu'elle a été...

Pour le passé, je pense que vous avez commis quelques fautes, comme d'ouvrir trop de fronts et [de ne pas avoir su parer à] l'imprévoyance de Ribbentrop face à l'experte diplomatie britannique. Mais ayez confiance en votre pays, et votre peuple réparera ces faux pas. Vous pouvez être fier d'être devenu immortel en Allemagne. Nous ne serions pas surpris si vous y apparaissiez de nouveau ou si un nouvel Hitler se levait dans votre sillage. » (Lettre reproduite par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz dans Le radeau de Mahomet, Lieu Commun, 1983, réédité chez Flammarion en 1984).

 

[3] Farewell to Srulik - Changing Values Among the Israeli Elite, Zmora Bitan and Haifa University Press, 2004 [hébreu].

 

[4] Paul Giniewski, Être Israël, Stock 1978.

[5] Lieu où se déroulèrent les pourparlers de cessez-le-feu entre le général israélien Aharon Yariv et le général égyptien Gamassi qui mirent officiellement fin à la guerre de Kippour.

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