Israël - Etats-Unis : une alliance éternelle? Trois réflexions au lendemain du discours de Nétanyahou au Congrès
1.
Dans un exposé passionnant, donné pour l’année du décès du professeur Bentsion Nétanyahou à Jérusalem, Rafael Medoff relata la campagne menée par Nétanyahou aux Etats-Unis pour la création d’un État juif, dans les années 1940. Directeur de l’institut Wyman de recherche sur l’antisémitisme à Washington, Rafael Medoff a publié plusieurs livres sur la période des années 1940 aux États-Unis, et notamment A Race Against Death: Peter Bergson, America, and the Holocaust, qui relate le combat du « groupe Bergson » pour alerter l’opinion publique américaine sur l’anéantissement des Juifs en Europe. Peter Bergson et Bentsion Nétanyahou appartenaient aux mêmes cercles sionistes révisionnistes et ont mené plusieurs combats communs, même si leurs priorités étaient différentes : le premier se focalisait sur la lutte pour tenter de sauver les Juifs d’Europe, tandis que le second se consacrait au combat politique pour la création d’un État juif en Eretz-Israël.
Le point le plus marquant de cet exposé était le suivant : lors de son séjour aux États-Unis, en pleine Deuxième Guerre mondiale, Bentsion Nétanyahou créa l’embryon de ce qu’on appelle aujourd’hui le lobby juif américain. Alors que les sionistes « mainstream » parlaient aux dirigeants américains dans un langage prudent et souvent timoré, Nétanyahou s’exprimait clairement et sans aucune honte : il leur parlait le seul langage que les dirigeants politiques comprennent, à savoir celui des intérêts. Historien talentueux doué d’une capacité d’analyse politique hors du commun, Bentsion Nétanyahou fut ainsi le premier à défendre la cause sioniste aux États-Unis, en faisant valoir que la création d’un État juif servirait de rempart contre l’influence soviétique au Moyen-Orient. Et, contrairement aux dirigeants sionistes « mainstream » qui étaient acquis au président Roosevelt (lequel ne fit rien pour enrayer la destruction des Juifs d’Europe), Nétanyahou sut tisser des relations étroites avec les deux grands partis politiques américains, qui s’avérèrent essentielles lors du vote aux Nations unies sur la création d’un État juif.
2.
A cet égard, le “tropisme américain” de Benjamin Nétanyahou s’inscrit dans le droit fil de l’action de son père, comme on a pu le constater cette semaine, dans son remarquable discours prononcé (pour la 4e fois !) devant un Congrès enthousiaste. Les applaudissements nourris de la quasi-totalité des membres des deux chambres du Congrès américain, qui réservèrent au discours de “Bibi” un nombre record de “standing ovations”, n’étaient pas seulement destinés à la personne du Premier ministre. A travers lui, c’est au peuple d’Israël tout entier qu’ils s’adressaient. Chaque Juif et chaque Israélien (et aussi chaque observateur honnête) a pu mesurer à cette occasion la profondeur de l’amitié qui unit les deux peuples et les deux pays. Il est d’autant plus regrettable que certains commentateurs israéliens, à l’instar des médias français, n’aient pas saisi la grandeur du moment et ne soient pas parvenus à oublier - l’espace d’un instant - leur haine abyssale et totalement irrationnelle envers Nétanyahou… Celui-ci s’est une fois montré sous son meilleur visage : celui d’un homme d’Etat et d’un fin politique, qui maîtrise à la perfection les arcanes du Congrès et de la vie politique américaine en général.
3.
Mais le succès remporté par Nétanyahou – et, à travers lui, par Israël – devant le Congrès américain ne doit pas masquer la question préoccupante, qui est devenue de plus en plus pressante depuis le 7 octobre : combien de temps durera l’alliance entre Israël et les Etats-Unis ? L’absence remarquée de Kamala Harris lors du discours de Nétanyahou était à cet égard lourde de signification. Si elle devait, à D. ne plaise, être élue présidente des Etats-Unis en novembre, sa victoire porterait sans aucun doute un coup très lourd aux relations bilatérales entre les deux pays. Mais, même si Donald Trump est élu, la guerre qui a débuté le 7 octobre a montré les fragilités de l’alliance Israël-Etats-Unis et les dangers inhérents à la confiance excessive portée par l’establishment militaire et sécuritaire israélien dans l’allié américain.
Il est grand temps de repenser les fondements de cette alliance et de repenser aussi la doctrine stratégique d’Israël, en tirant les conclusions de neuf mois de guerre. Voici quelques directions dans lesquelles il conviendrait sans doute de s’orienter : aspirer à une véritable indépendance en matière d’armement, autant que faire se peut, pour échapper aux pressions exercées par les pays fournisseurs d'armes en pleine guerre. Et plus généralement, viser à devenir véritablement indépendants, dans la mesure du possible, sur le plan stratégique, militaire et politique. La sécurité d’Israël repose en définitive sur le seul peuple Juif, car comme l’écrivait David Ben Gourion en 1957, “L’État d’Israël ne peut compter que sur un seul allié fidèle dans le monde : le peuple Juif”[1]. Vérité ultime qui demeure tout aussi vraie aujourd’hui qu’alors.
P. Lurçat
[1] Dans un texte inédit en français, à paraître en septembre dans la Bibliothèque sioniste. D. Ben Gourion, En faveur du messianisme : L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple Juif, éd. de l’éléphant 2004.