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Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise, Pierre Lurçat

November 14 2022, 09:40am

Posted by Pierre Lurçat

Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise, Pierre Lurçat

 

Cher Alain Finkielkraut,

 

J’avais tout d’abord pensé adresser cette lettre ouverte à Gad Elmaleh et à vous conjointement, pour les raisons que vous allez bientôt comprendre. Finalement, j’ai décidé de vous l’envoyer à vous seul. J’ai souvent ri - comme beaucoup - en regardant les sketches de Gad, y compris celui où il évoque sa préférence pour les enterrements catholiques, tellement plus grandioses et impressionnants que les enterrements juifs… J’ai ri alors, parce que j’ignorais évidemment que l’humoriste parlait très sérieusement et que ce “ballon d’essai” annonçait d’autres révélations bien plus fracassantes encore. Celle qu’il dit avoir reçue de la Vierge Marie, qui “l’accompagne à chaque instant, y compris sur scène” et celle qu’il a faite tout récemment au grand public, de sa conversion à la religion catholique.

 

J’ai donc choisi de vous écrire à vous seul, cher Alain Finkielkraut. Car bien entendu, votre cas n’a rien à voir avec celui de l’humoriste. J’aurais presque envie de dire que tout vous sépare... Il est originaire du Maroc, alors que vous êtes né à Paris de parents Juifs venus de Pologne, tout comme mes grands-parents. Il est un homme de spectacle, alors que vous êtes un homme de pensée et de plume. Il se dit attiré par la religion catholique depuis tout jeune, alors que vous êtes un philosophe non croyant et ne pratiquez aucune religion. Et pourtant… Dans votre dernière émission Répliques, en compagnie de l’acteur Fabrice Lucchini, avec lequel vous entretenez des liens d‘amitié, vous répondez à une question très personnelle sur vos liens avec la religion catholique[1]. Je cite mot à mot votre échange :

 

“Fabrice Lucchini : Ce qui est beau c’est votre amour de Pascal, illustré admirablement dans l’émission avec Pierre Manent… J’ai l’impression que vous êtes à deux doigts,..

A Finkielkraut : De me convertir ?

F. L. Je le dis solennellement, vous qui êtes d’une communauté qui n’est pas chrétienne, vous êtes à deux doigts de franchir… Un Finkielkraut chrétien, un Finkielkraut réconcilié, voilà ce qui va se passer dans les mois qui vont arriver…

A.F. (Rires)

F.L Oui, auditeurs de France Culture, ce moment est rare… Cet homme qui a si bien parlé du judaïsme, cet homme qui a démontré sa passion pour la langue française, n’est pas loin de se convertir !

A.F. Je pourrais répondre quand même…”

 

L’entretien alors change de sujet, car Fabrice Lucchini déclame une fable de La Fontaine et on reste sur l’impression que l’échange précédent était une farce… Mais votre interlocuteur revient à la charge, comme un missionnaire zélé, avec un plaisir gourmand dans la voix :

 

F.L. Et la conversion Alain ?

A.F.  Alors… Et ensuite je reviendrai à la question de la langue. Non il n’est pas question que je me convertisse, mais il est vrai que je suis… fasciné par la proposition chrétienne[2]. Je ne me convertirai pas, parce que les Juifs persistent dans leur être, quand bien même ils ne croient plus en Dieu, majoritairement… C’est d’ailleurs pour moi-même un mystère, mais c’est comme ça. Pour ce qui est de la proposition chrétienne, je suis fasciné par le fait que le Christ a dit sur la Croix, “Mon Dieu, Mon Dieu, ou mon Père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Non seulement il l’a dit ; mais c’est dans les Evangiles. Et la peinture, les grands chefs d’œuvre de la peinture, sont des descentes de Croix. Donc, le christianisme nous montre la mort… Il ne nous dissimule rien de la mort. Alors il retire à la mort son dard venimeux, il y a la résurrection du Christ, peut-être, mais il y la mort..

Et il y a cette phrase bouleversante, je trouve que c’est le génie du christianisme et ça je n’ai pas peur de le dire, parce qu’aucune religion n’est allée jusque-là, jusque faire mourir son Messie, mourir Dieu même. Voilà ce que j’aime, mais il n’est pas question de conversion…

F.L. Ce n’est pas évident, votre exaltation... Pourquoi c’est unique ?

A.F. Tout d’un coup il y a la finitude, la souffrance de la mort, dont le Christ lui-même, par laquelle passe le Christ… Et au cœur de l’Evangile, au cœur de la Bonne nouvelle, il y a cette phrase-là, pourquoi m’as-tu abandonné., je trouve que c’est au cœur de la croyance quelque chose d’incroyable”.

 

Si j’ai retranscrit intégralement cet échange étonnant, qui ne défigurerait pas un roman de votre ami Philip Roth ou de son jeune émule Joshua Cohen, c’est parce qu’il nous dit beaucoup sur la condition juive en France (et ailleurs en exil) aujourd’hui. Bien entendu, vous avez, tout comme Gad Elmaleh, choisi le ton de l’humour et de la farce pour aborder ce sujet délicat et douloureux. Mais il n’aura échappé à aucun de vos auditeurs que, rebondissant sur l’amorce se voulant drôle de Lucchini, qui prend à parti les auditeurs de France Culture en prétendant annoncer votre conversion, vous avez répondu le plus sérieusement du monde, et malgré votre refus de la conversion, votre ami Lucchini n’a pas été déçu…

 

Je ne fais pas partie des “gardiens de la foi” juive, et mon propos n’est pas de vous faire reproche d’envisager une conversion, que vous dites écarter sans hésitation et sans la moindre ambiguïté, contrairement à votre compatriote Gad Elmaleh. La question, à mes yeux, dépasse de loin celle de la conversion, qui est d'ailleurs beaucoup plus répandue qu’on ne le pense. Après tout, des milliers de Juifs se convertissent chaque jour à toutes sortes de religions, parfois sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Il y a eu et il y a encore des Juifs communistes, des Juifs trotskystes, des Juifs staliniens, et il y a aujourd’hui des Juifs bouddhistes, des Juifs wokistes et même des Juifs convertis à l’islam radical[3]

 

Ce qui est grave à mes yeux, c’est la fascination que vous dites ressentir pour le christianisme, et la manière dont vous l’expliquez à votre interlocuteur, en citant le passage des Evangiles, “Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné”... Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, cette phrase que vous dites bouleversante et qui illustre à vos yeux le “génie du christianisme”, cette phrase n’est pas chrétienne, mais bien juive, puisqu’elle est tirée des Psaumes du Roi David ! “Eli, Eli, lama hazavtani ?” est un verset du Psaume 22, bien connu de tout Juif qui respecte sa tradition, verset qui a été souvent mis en musique par des artistes israéliens contemporains. En faire la preuve éclatante du “génie du christianisme” est aussi erroné que d’affirmer, par exemple que le christianisme aurait “inventé” l’idée d’amour ou que "tu aimeras ton prochain comme toi-même" serait une maxime chrétienne.

 

Voilà toute la tragédie que révèle cet échange badin entre deux amoureux de la littérature française sur France Culture : il révèle l’étendue insondable de l’assimilation juive en France et de son corollaire, l’ignorance ! Oui, on peut être comme vous, cher Alain Finkielkraut, un lettré et un amoureux des Lettres françaises, avoir été élu à l’Académie française, et être dans le même temps, un ‘Am-Haaretz[4]. J’imagine la déception que notre ami commun Benny Lévy éprouverait en écoutant cet échange, et quelle admonestation il aurait pu vous faire, lui qui avait vainement tenté d’inculquer quelques notions de judaïsme à ses deux anciens camarades de la rue d’Ulm, BHL et vous…

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En vous réécoutant, en constatant une fois de plus combien était sincère votre rejet de la conversion et votre fascination concomitante pour le Christ (oui le Christ, dont vous prononcez le nom sans la moindre réserve ; "Oï ya broch!" comme disait ma grand-mère, qui parlait la même langue que la vôtre), j’ai repensé à un grand écrivain et un grand Juif français, Edmond Fleg. Fleg avait en effet tout comme vous été fasciné par le Christ. Mais cela se passait avant la Shoah, et il n’avait pas 73 ans comme vous mais une vingtaine d’années. Il avait lui aussi joué avec l'idée de la conversion et était même parti visiter la Palestine d'alors, "sur les traces du Christ".

 

Le récit de ce voyage est un magnifique témoignage de “Techouva”, de retour à son peuple, à sa terre et à la tradition de ses pères. Livre que je vous invite à relire, cher Alain Finkielkraut, en même temps que le livre des Psaumes et celui de Kohelet.  Je vous invite donc à étudier votre héritage juif, avant d'en percevoir la beauté plagiée dans la religion et dans la culture des autres. Vous y trouverez les trésors que notre peuple a donnés à l'humanité et vous verrez aussi que, quoi qu'en pense Fabrice Lucchini et quoi que vous en pensiez vous-même, le christianisme n’a rien à "proposer" à Israël, pas plus aujourd’hui qu’hier.

Pierre Lurçat

 

 

 

[1] Je remercie vivement mon ami Michael Grynszpan qui m’a signalé cet échange et l’émission dont il est tiré.

[2] La proposition chrétienne est le titre du dernier livre de Pierre Manent, auquel A. Finkielkraut a consacré récemment une émission. J'ajoute que j'avais lu et apprécié en son temps le remarquable Cours de philosophie politique de P. Manent.

[3] Sujet que j’ai abordé naguère dans mon livre Pour Allah jusqu’à la mort, Enquête sur les convertis à l’islam radical.

[4] Je précise que cette expression ne désigne pas un lecteur du journal Ha’aretz que vous connaissez trop bien, cher Alain, mais un homme sans éducation.

L’adoration de Jésus enfant, Gerrit van Honthorst

L’adoration de Jésus enfant, Gerrit van Honthorst

Comment on this post
M
Pour Eric Grudmann<br /> <br /> La référence que vous cherchiez se trouve dans Lévitique 19.8
Reply
S
Bonjour<br /> Merci pour cette jolie te pertinente lettre ouverte à Alain Finkielkraukt que j apprécié par ailleurs.<br /> Néanmoins Benny Lévy lui avait déjà expliqué cela dans leur échange “le livre et les livres”… apparemment la “leçon” n’a pas été entendue … :)
Reply
Merci pour cette référence que je connaissais pas. Effectivement, Benny Lévy n'a pas été écouté...
M
Bonjour Mr Lurçat,<br /> <br /> La déclaration de Yeshoua sur la croix n'est pas surprenante car en tant que Maschia, il n'a fait qu'accomplir toutes les Ecritures.<br /> <br /> Voilà d'autres preuves:<br /> <br /> ESAIE 7.14: " Voici, la vierge deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel ". Marie ( Myriam ) n'a-t-elle pas conçu un fils alors qu'elle était vierge par l'action du Saint-Esprit et ne l'a-t-elle pas appelé Emmanuel ? ( Matthieu 1.18-23 )<br /> <br /> MICHEE 5.1: " Et toi, Bethléem Ephrata , petite entre les milliers de Juda, de toi sortira pour moi celui qui dominera sur Israël ". Yeshoua n'est-il pas issu de la lignée de David et né à Béthléem ? ( Mat 2.1 et Mat 1.6-16 )<br /> <br /> ZACHARIE 9.9: " Sois transportée d'allégresse, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi vient à toi; il est juste et victorieux, il est humble et monté sur un âne, sur un âne, le petit d'une ânesse ". Cette parole c'est réalisée avec Yeshoua ( Mat 21.1-5 )<br /> <br /> PSAUME 16.10 : " Car tu ne livreras pas mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton bien aimé voie la corruption ". De qui parle David si ce n'est du Machiah ? David est mort et son corps a connu la corruption. Mais Yeshoua est mort, certes, mais ressuscité et son corps n'a pas vu la corruption par conséquent.<br /> <br /> ESAIE 53.1-12. De qui parle Esaïe, dans ce passage si ce n'est de Yeshoua !<br /> <br /> Je vous conseille aussi de visiter le site " One For Israël ".<br /> <br /> Bonne journée,
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M
L'ignorance, en effet ! Combien de Juifs plus ou moins éloignés de la tradition ignorent que tant de textes et de paroles que l'on trouve dans le christianisme proviennent du judaïsme ! Y compris le Notre-Père...<br /> Pour ma part je suis fasciné par la musique chrétienne de l'époque baroque, que je considère comme un sommet de la création humaine, j'ai pratiqué l'orgue dans une église pendant trois ans et j'admire aussi l'architecture des églises et des cathédrales, que je prends plaisir à visiter et dont j'aime souvent goûter l'atmosphère. J'admire aussi la manière dont s'organise la messe, toujours réglée comme du papier à musique... mais rien de tout cela n'a jamais suscité en moi la moindre attirance pour la religion chrétienne, et c'est peu de le dire ! Le christianisme m'a toujours paru très malsain et je n'arrive pas à comprendre comment un Juif peut être attiré par cette religion, sans compter le reniement de soi et des siens que cela suppose.
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E
La filiation du judaïsme vers le christianisme est évidente. En relisant L'Ancien Testament, j'ai lu entre autres avec étonnement que le fameux "Aime ton prochain comme toi-même" attribué à Jésus s'y trouvait déjà (par contre j'ai oublié où). Mais très sincèrement, et sans aucun désir de polémique, je serais curieux de savoir ce que vous trouvez malsain dans le christianisme. Je parle évidemment des textes fondateurs, et en particulier des Evangiles.
Y
Incroyable ! Et dire que tout cet émerveillement est fondé sur un plagiat que AF n'a pas démasqué.<br /> "Mon D., bis, pourquoi m'as-tu abandonné" est un verset du Livre des Psaumes, XXII, 2.<br /> Il peut donc rester tranquille fidèle à ses racines.<br /> Il faudrait penser à intenter un procès aux colporteurs de ce scandaleux plagiat.<br /> Quant au comique, il est très drôle, mais il fait rire jaune. Triste comique.<br /> Il est navrant de voir que pour certains, il n'y a eu aucun progrès depuis cette triste époque où, pour s'épanouir et briller en société, il fallait d'abord être renégat, comme le compositeur Mendelsshon.<br /> L'exil empire, si, aujourd'hui, certains se font renégats sans que personne ne les contraigne. Ils prennent le bâton qui les frappait jadis et se frappent d'eux-mêmes.
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M
Yéohoua, il est malvenu de faire ce reproche au compositeur Mendelssohn. Il n'était pas un renégat, puisque c'est son père qui avait décidé de se convertir quand Félix (le futur compositeur) n'avait que sept ans. Félix a élevé dans la religion protestante depuis l'âge de sept ans, ce n'était donc pas sa faute. Si renégat il y a, c'est son père, le banquier Abraham Mendelssohn.