La Reine d'Angleterre et nous : De la Couronne d’Angleterre à la Royauté d’Israël
La Reine d'Angleterre n'était pas seulement le symbole d'une institution ancienne et souvent considérée comme désuète, voire comme totalement obsolète. Elle incarnait une dimension du sacré qui fait cruellement défaut à la politique aujourd'hui, en Israël comme ailleurs. Extraits de mon livre Seuls dans l’arche.
Dans une scène clé de la série The Crown, quand Lord Mountbatten demande à la Reine son épouse, lors de son couronnement, de le dispenser de s’agenouiller devant elle, elle justifie son refus par deux arguments : la Tradition et la dimension sacrée du rituel du couronnement, qui ne saurait être modifié. Ce sont précisément ces deux éléments qui donnaient à la Reine d’Angleterre son attrait presque magique aux yeux d’un public nombreux. L’histoire de la famille royale anglaise réunit en effet ces deux dimensions, presque totalement absentes de la vie politique moderne et que beaucoup regardent avec une nostalgie souvent inavouée : la tradition et le sacré.
Pendant longtemps, nous avons vécu dans l’illusion que la soif de sens pouvait être épanchée à d’autres sources qu’à celles de l’espace politique et social. La religion a ainsi été reléguée entièrement dans la sphère privée, dans la droite ligne du mouvement de séparation du politique et du religieux sur lequel repose l’Occident moderne et sa forme politique de prédilection, l’Etat démocratique et laïc. Ce “désenchantement” du monde moderne a été décrit par Max Weber dans deux conférences prononcées entre 1917 et 1919, dans les termes suivants : “Le destin de notre époque, caractérisée par la rationalisation, par l’intellectualisation et surtout par le désenchantement du monde, a conduit les humains à bannir les valeurs suprêmes les plus sublimes de la vie publique” (1). Lorsque le célèbre sociologue allemand prononça ces deux conférences, il était plongé dans la lecture de la Bible hébraïque et notamment des Prophètes et du Livre de Job.
Comment dès lors réenchanter l’espace politique, sans sacrifier les acquis de la démocratie ? Il faudrait pour cela redonner “corps” au politique, sans pour autant abolir l’espace privé et la liberté de pensée. Autant dire qu’il ne s’agit évidemment pas de retourner à l’Ancien Régime d’avant 1789. La réponse, comme l’avait confusément entrevu Max Weber, alors qu’il décrivait le monde désenchanté de l’Europe à la fin de la Grande Guerre, réside peut-être dans une autre forme de régime politique, plus ancienne encore que ce dernier, et largement absente du débat politique actuel : je veux parler de l’hébraïsme politique, source occultée de la pensée politique moderne (2). Ce n’est pas un hasard si des regards toujours plus nombreux se tournent aujourd’hui, tant en Occident que dans le monde musulman, vers Israël.
Ce que le monde contemporain attend d’Israël, c’est en effet précisément la réponse à cette question lancinante, aussi ancienne que le peuple Juif, en tant que “nation par excellence” : quelle forme politique peut garantir la liberté individuelle, sans pour autant renoncer à la vérité ? Ou, pour dire les choses autrement, comment réinsuffler l’esprit des Prophètes d’Israël dans un monde politique désincarné ? Le monde attend d’Israël - redevenu l’Israël “charnel” sur sa Terre retrouvée, qu’il assume pleinement sa vocation de Lumière des nations (3), non pas seulement en tant que “Start-up Nation”, mais aussi en tant que peuple ancien-nouveau qui a, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, cherché à édifier un ordre politique conforme à la parole de Dieu.
Pendant les siècles de la dispersion, quand le peuple Juif ‘était réfugié dans les “quatre coudées de la Loi”, ce sont les Nations – et au premier rang parmi elles, l’Angleterre et les Etats Unis – qui ont maintenu vivant le souvenir de l’antique Royaume de David et de Salomon en tant que réalité politique, souvenir dans lequel elles ont souvent trouvé une source d’inspiration (4). Aujourd’hui, alors qu’il est revenu sur sa Terre pour ne plus la quitter, le peuple d’Israël doit redevenir la source première d’inspiration de la politique moderne, en faisant revivre l’ancienne notion de Malhout Israël, pour éclairer et réenchanter le monde.
Pierre Lurçat
(L’analyse ci-dessus reprend largement le dernier chapitre de mon livre Seuls dans l’arche, éditions l’éléphant 2021).
1. M. Weber, Le savant et le politique, Plon 1959.
2. Notion explicitée notamment dans Political Hebraism, Judaic Sources in Early Modern Political Thought, Shalem Press, Jerusalem et New York, 2008.
3. Comme l’avait écrit Rousseau dans l’Emile : “Je ne croirai jamais avoir bien entendu les raisons des Juifs, qu’ils n’aient un Etat libre, des écoles, des universités... Alors seulement nous pourrons savoir ce qu’ils ont à dire”.
4. Cela apparaît bien lors du couronnement de la Reine Élizabeth 2, durant lequel sont mentionnés les noms de plusieurs des Rois d’Israël.