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A propos des juifs dans le Coran : Réponse à Meir Bar Asher, par Bat Ye’or

April 12 2019, 14:07pm

Posted by Bat Ye'or

 

Le texte qu’on lira ci-dessous m’a été adressé par Bat Ye’or, suite à ma recension du livre de Meir Bar Asher, Les juifs dans le Coran. Malgré son sujet pointu, il ne s’agit pas d’une querelle d’érudits. En réalité, Bat Ye’or répond ici à une accusation d’islamophobie qui est devenue un enjeu intellectuel et politique de premier plan dans l’Europe et le monde actuels. Ce faisant, elle donne aussi un aperçu passionnant de sa conception de l’histoire et de la “vérité historique”, et de l’actualité de ses travaux sur la dhimmitude. On mesure en la lisant ce qui sépare une intellectuelle libre et engagée, ayant introduit dans le lexique politique contemporain des concepts nouveaux et indispensables à la compréhension de notre monde (dhimmi, Eurabia) et un universitaire enfermé dans sa tour d’ivoire, qui doit nécessairement se soucier de ce qu’on peut et qu’on ne peut pas dire, dans le monde bien étriqué de l’université actuelle.

P. Lurçat

 

Bat Ye’or - (Photo P.Lurçat)

Il est stupéfiant de trouver parfois chez des érudits distingués des généralités dépourvues de sens. Il en est ainsi du livre de Meir M. Bar Asher, Les juifs dans le Coran, par ailleurs fort instructif.  Reprenant une citation de Bernard Lewis, éclairé selon ses thuriféraires, d’une infaillibilité de jugement plus avérée que celle du pape, l’auteur utilise l’image d’un guerrier musulman le sabre dans une main, le Coran dans l’autre, pour dénoncer avant l’heure, les islamophobes. D’un trait de plume, Bar Asher me situe dans cette catégorie. Tout d’abord cette image d’un guerrier musulman qui serait l’emblème du jugement primaire des islamophobes n’est pas de conception antimusulmane. Bien au contraire. Elle provient de cette littérature jihadiste du moyen-âge visant à stimuler les musulmans à s’enrôler dans la guerre sainte contre les mécréants. L’attribuer à une quelconque « islamophobie » juive ou chrétienne qui viendrait salir indûment la belle tapisserie de la tolérance islamique, est pire qu’une négligence, elle est incorrecte.

 

 

Le Sabre et le Coran : logo des Frères musulmans

 

Le deuxième point concerne le concept de vérité dont parle Lewis dans la citation concernée. Il n’y a pas de vérité dans la recherche historique. Il y a les faits et les conjectures susceptibles d’être toujours corrigées. Sur quels arguments se fondent Bar Asher pour décrédibiliser mon travail ? Sur lequel de mes livre ? sur l’interprétation de quels hadiths, de quelle loi, de quel événement historique dont je serais coupable ? La note qu’il m’attribue se réfère à mon livre Le Dhimmi, publié en 1980, mais la référence dans la Bibliographie cite l’édition de 2017. Or les deux ne sont pas pareilles. Laquelle Bar Asher a-t-il lue ?

Mais voyons cela de plus près. N’a-t-il pas lu que j’écrivais en 1980 que le statut des dhimmis avait évolué « selon les situations et les périodes », phrase appelée à un grand avenir car elle est toujours répétée et qu’il écrit aussi ? Tous deux nous attribuons, mais à plus de trente ans de différence, le statut du dhimmi à la littérature juridique post-coranique (BY p.18-19), nous mentionnons l’érudition des juifs d’Arabie de la période de Mahomet constatée par leurs contemporains arabes, l’absence de documents prouvant leur culpabilité dans divers événements les concernant, les sources chrétiennes de certaines lois de la dhimma, auxquelles je consacre tout un chapitre dans mon livre Juifs et Chrétiens sous l’Islam (1994). Les événements se rapportant à la vie de Mahomet, à ses combats contre les tribus païennes et contre les juifs, sont tirés des mêmes sources et ne diffèrent en rien. Donc sur ce plan je ne suis pas parmi les haineux, à moins d’y classer aussi Bar Asher.

Mon chapitre III (Ier partie) sur la protection étrangère n’exprime rien de particulièrement choquant puisque le Professeur Goitein m’en avait félicité, je l’avais d’ailleurs largement développé dans le Dhimmi anglais pour lequel il voulait faire une recension. De plus il n’y a aucune contradiction entre ce que j’écris sur ce sujet en 1980 et ce que Lewis publie lui-même en 1984, un livre très admiré par Bar Asher.    

Dans mon chapitre V nous abordons le même domaine de recherche déjà abondamment commenté par des islamologues chevronnés. Nous affirmons que la dhimma fut une élaboration post-coranique exigée par l’administration d’un immense empire créé par des guerres de conquêtes rassemblant une multitude de peuples indigènes non-musulmans et non-arabes. J’écris aussi que le sort des juifs d’Arabie devint le prototype du statut légal des peuples non-musulmans des empires islamiques comme l’attestent, souvent en préambule, de très nombreux textes juridiques musulmans. Et là aussi nous exprimons les mêmes opinions évidentes. Le contenu de ce chapitre se référant aux sources coraniques de la dhimma, à ses emprunts aux coutumes juridiques des peuples asservis, à sa datation et sa systématisation ne diffèrent en rien de ce que j’ai écrit en 1980 et beaucoup plus détaillé en 1994.

Le dhimmi, édition de 1980

 

Bar Asher me reproche de n’avoir pas étudié chaque lieu et chaque époque. Peut-être n’a-t-il pas lu mon introduction où je décris ma démarche : « Il appartient aux historiens de déterminer les variations de cette condition (dhimmie) selon les époques et les régions. Pour notre part, nous avons seulement indiqué ses différentes facettes : politiques, religieuses, sociales. Au cours de ce travail, le caractère typologique de la condition dhimmi, tant dans sa structure légale que dans son contexte humain, nous a paru dépasser le cadre de l’histoire…(p. 11) »  Autrement dit Bar Asher me reproche de négliger un sujet dont j’annonce en préambule qu’il n’est pas le mien. Il n’est pas le premier à le faire. Il m’accuse aussi d’adopter un stéréotype n’envisageant que la mort ou la conversion pour le non-musulman, l’image du guerrier tenant le sabre et le Coran. Mais tous mes livres examinent le troisième choix donné aux vaincus non-païens du jihad, celui de la dhimmitude. Il y a là une contradiction logique aberrante. C’est même le titre de mon livre : Le Dhimmi, celui qui a choisi une autre voie que la mort ou la conversion.

 

Par ailleurs et dès le début, j’annonce que je n’étudie pas la condition juive exclusivement et je précise : « En effet, l’étude d’une seule minorité, qui serait extraite arbitrairement d’un ensemble, pourrait en déformer le panorama, et cela particulièrement dans l’empire arabo-islamique, constitué d’une mosaïque d’ethnies diverses. » (p.13). J’ai toujours écrit sur le dhimmi – d’où le titre de mon livre – et sur la dhimmitude, c’est-à-dire une condition juridique commune aux juifs et aux chrétiens et un destin collectif juif et chrétien. Cela m’a valu nombres d’anathèmes. Les livres de Bernard Lewis et de Bar Asher sur les juifs ou de Mark Cohen ne traitent pas du même sujet que moi. Nous n’avons pas non plus les mêmes définitions. Ils parlent de groupes religieux minoritaires, j’examine des ethnies majoritaires devenues dans leur propre pays minoritaires par le processus de la dhimmitude et l’application de la charia. Mes contempteurs ne comprennent même pas mon domaine d’études puisqu’ils le récusent tout simplement et démolissent mes ouvrages par une critique inappropriée car nous ne parlons pas des mêmes choses. Ils refusent comme la peste le mot dhimmitude dont ils nient la matière historique alors qu’elle constitue l’essentiel de ma recherche. Elle est précisément cette troisième voie qu’ils appellent tolérance choisie par les vaincus du jihad, pour échapper à la mort, l’esclavage ou l’islamisation.

 

C’est pourquoi Bar Asher déclare que la dhimma a été abolie et n’existe plus, alors que je dirai que la mondialisation du jihad génère les effets de la dhimmitude sur la planète. Car le jihad s’active pour imposer la dhimmitude. La dhimma dont parle Bar Asher sont des recueils de lois inscrites dans des livres. On peut s’arrêter à cette lecture. La dhimmitude c’est un système politico-social de survie induit par ces lois. Aussi, poussant plus loin la réflexion, on constate que ces lois supposées annulées génèrent aujourd’hui la politique de réislamisation nationale d’Erdogan, ses relations avec le résidu chrétien arménien ou grec (statut des propriétés des patriarcats, culte, liberté d’opinion), sa volonté de reconquête des Balkans, son déni des droits d’Israël, ex-province ottomane où la présence juive, surtout à Jérusalem, fut soumise à des restrictions extrêmement sévères. Les effets de la dhimma sont évidents même en Egypte malgré l’esprit d’ouverture et de progrès du général Sissi.  

En Europe la loi du blasphème contre les mécréants impose aux Etats occidentaux des mesures draconiennes et une auto-censure généralisée de leurs populations.  L’obligation pour les juifs de subir le joug de la dhimmitude est à l’origine du déni de son histoire et de la campagne de diffamation planétaire visant à supprimer la souveraineté de l’Etat hébreu et à effacer les noms originaux de ses territoires. Les discriminations religieuses et professionnelles qui frappent les chrétiens dans le monde musulman visent, par les destructions et la terreur, à leur imposer les lois de la dhimmitude qu’ils enfreignent. Les terribles épreuves infligées à Assia Bibi, à sa famille et à sa communauté résultent de ces lois, du préjugé d’impureté qui lui est attribué et du refus d’accepter son témoignage parce que chrétienne. Je reconnais volontiers que depuis longtemps des forces de changement œuvrent dans le monde musulman afin qu’émergent une société islamique moderne, libérée des entraves de la charia. Nous ne pourrons les aider qu’en dénonçant ces formes de dhimmitude modernes présentes dans la mondialisation.

Bat Ye’or

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