De l’affaire Klinberg à l’affaire Gonen Segev : Ces Israéliens qui ont trahi leur pays, par Pierre Lurçat et Philippe Karsenty
En Israël, l’affaire Gonen Segev, qui a éclaté la semaine dernière, a fait l’effet d’une bombe médiatique. Cet ancien ministre de l’Energie du gouvernement Rabin en 1995, qui avait déjà défrayé la chronique lors de plusieurs affaires de fraude et de trafic de drogue, vient d’être arrêté par le Shin-Beth, le service de sécurité intérieure israélien, et inculpé d’espionnage en faveur de l’Iran. Segev n’est certes pas le premier Israélien accusé d’espionnage en faveur d’un pays ennemi. Mais il est sans doute, de tous les espions qui ont trahi Israël, le plus cupide.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël connaît de retentissantes affaires d’espionnage. Parmi les plus fameuses, citons l’affaire Mordehaï Vanunu, enlevé à Rome par un commando du Mossad et condamné à 18 ans de prison pour avoir dévoilé des secrets nucléaires, ou celle de Marcus Klinberg, condamné à 20 ans de réclusion pour espionnage au profit de l’Union soviétique.
Dans les années 1950, l’espionnage en faveur de l’URSS était suffisamment répandu en Israël pour que le légendaire patron du Mossad, Isser Harel, en fasse une des priorités de son service de contre-espionnage. C’est sous sa direction, selon certaines sources, que le Mossad mit la main sur le fameux “rapport Khrouchtchev” exposant les crimes de Staline, qui marqua le début de la déstalinisation. Le rapport, obtenu par le journaliste polonais Wiktor Grajewski, fut ensuite transmis à la CIA et publié dans les colonnes du New York Times.
Klinberg a espionné pendant 30 ans en faveur de l’URSS, transmettant notamment des secrets militaires sur les armes chimiques et biologiques qui ont abouti entre les mains de la Syrie, le principal ennemi d’Israël à l’époque. Condamné à 20 ans de prison en 1983, il a été libéré en 1998 et a fini ses jours en France, où il demeurait chez sa fille, Sylvia Klinberg. L’histoire de l’espion du KGB Marcus Klinberg a en effet une dimension française : son petit-fils, Ian Brossat, est conseiller de Paris, maire-adjoint d’Anne Hidalgo en charge du logement et future tête de liste du Parti Communiste Français aux élections européennes de 2019. Il a publié récemment une biographie de son sulfureux grand-père, pour lequel il ne tarit pas d’éloges, intitulée L’espion et l’enfant.
Dans l’affaire Gonen Segev, par contre, il n’est point question d’affinités idéologiques, mais d’appât du gain et de cupidité. L’ancien ministre de l’Energie est entré en contact avec l’ambassade iranienne au Nigéria en 2012, où il s’était installé après avoir purgé une peine de cinq ans de prison pour avoir fait entrer en Israël plusieurs milliers de comprimés d’Ecstasy cachés dans des boîtes de chocolat, ce qui lui a valu le surnom de “Monsieur M&Ms”. Selon les informations qui ont filtré dans la presse israélienne, Segev a transmis aux Iraniens des renseignements sur des sites sensibles en Israël, et s’est même rendu à deux reprises en Iran pour rencontrer ses officiers traitants.
Au-delà même de ces révélations fracassantes, l’affaire Segev ravive en Israël de vieilles blessures mal cicatrisées. L’ancien ministre de l’Energie dans le gouvernement Rabin, entre 1995 et 1996, était en effet un des deux députés qui ont rendu possible le vote des accords d’Oslo, très controversés en Israël à l’époque. Membre du parti de droite Tsomet, fondé par l’ancien chef d’état-major Rafaël Eitan, Segev avait fait défection avec son colistier, Alex Goldfarb, pour soutenir le gouvernement Rabin-Pérès à un moment crucial, en échange de la promesse d’un portefeuille ministériel.
Segev avec Itshak Rabin
Aux yeux de beaucoup d’Israéliens, Segev n’est pas seulement un traître à son pays. Il incarne une forme de corruption politique que certains rendent responsables de beaucoup des problèmes sécuritaires auxquels leur pays est aujourd’hui confronté. Comme l’écrit Martin Sherman, ancien conseiller du Premier ministre Itshak Shamir : “Sans Segev, il n'y aurait pas eu les accords d'Oslo, et sans Oslo il n'y aurait pas eu de deuxième Intifada, il n'y aurait pas eu de désengagement de Gaza, pas de prise du pouvoir du Hamas à Gaza, pas de tunnels de la terreur, pas d'arsenal de roquettes redoutables visant les villes israéliennes et les villes éloignées de Gaza”.